DÉMARCHE DE CONSTRUCTION DE CONNAISSANCES EN PHYSIQUE



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Pratique pédagogique DÉMARCHE DE CONSTRUCTION DE CONNAISSANCES EN PHYSIQUE Depuis quelques années, j observe les élèves en Sciences de la nature. Leur attitude révèle souvent qu ils considèrent le programme comme un passage obligé avant la «vraie formation», celle qu ils recevront à l université. Pour d autres, leur attitude démontre une diminution d intérêt qui les écarte parfois des carrières scientifi ques. Ils affi rmeront fi nalement qu ils n aimaient pas les sciences. On peut se demander : en ont-ils déjà fait? Pour que les élèves puissent «faire» des sciences, l enseignant doit créer des situations d apprentissage qui permettent aux élèves de construire leurs représentations des différents concepts. Toutefois, cette construction doit se faire dans des conditions qui ressemblent au processus de construction des connaissances en sciences. Autrement dit, les élèves doivent construire leurs connaissances par l entremise d une démarche scientifi que ; les élèves doivent donc apprendre à apprendre. J ai décidé d explorer une approche alternative ; depuis deux ans, j expérimente l approche par projet dans le cadre du cours Électricité et magnétisme 1. Cette même approche permet aux élèves d aborder les sciences en leur faisant construire les concepts de physique à travers la réalisation d un projet, qui constitue en soi une situation problème. Toutefois, cette approche soulève des questionnements sur les plans didactique et pédagogique. DES SITUATIONS PROBLÈMES EN SCIENCES LOUIS NORMAND Professeur de physique Collège de Rosemont Sur le plan didactique, l approche par projet pose des défis quant au choix et à l organisation des contenus à faire apprendre. En effet, dans une approche constructiviste, les concepts de physique n ont plus à être présentés selon l organisation traditionnelle qui apparaît dans les manuels mais plutôt selon les exigences du projet. Aussi, l approche par projet incite-t-elle à réfléchir en profondeur sur les critères qui motivent le choix des situations d apprentissage. Celles-ci doivent mettre l accent sur la construction et la mobilisation des connaissances comme le prône l approche par compétences. Sur le plan pédagogique, l approche par projet remet en question le rôle traditionnel de l enseignant en classe en imposant de tenir compte des conceptions des élèves afin que ceux-ci puissent réaliser des apprentissages signifiants et durables. Dans cet article, je commencerai par décrire le choix des situations qui permettent aux élèves de construire leurs connaissances en sciences. Je mettrai également en évidence le processus de construction des connaissances qui correspond à l attitude essentielle à développer chez les élèves. Par la suite, je décrirai une démarche de planification en cinq étapes qui prend en considération des principes constructivistes, tout en illustrant son application à l aide du cours Électricité et magnétisme. Je terminerai en identifiant quelques conséquences importantes de cette démarche sur l enseignement. Le choix des situations problèmes en sciences pose des difficultés. En effet, les situations problèmes doivent intégrer les buts généraux et favoriser la transdisciplinarité afin qu elles soient les plus complètes possible. Il est possible d identifier des situations problèmes qui répondent à ces exigences en s inspirant des technosciences 2. Selon Jacques Desautels : [] les technosciences problématisées sont constitutives des problèmes sociaux dont la solution dépend de l engagement des citoyens et des citoyennes dans les controverses qu elles suscitent ou génèrent (1999, p. 5). La plupart des situations problèmes technoscientifiques sont transdisciplinaires. Elles permettent également de prendre en considération plusieurs buts généraux du programme Sciences de la nature comme, par exemple, Établir des liens entre la science, la technologie et l évolution de la société et Établir son système de valeurs. De plus, la complexité des situations problèmes issues des technosciences permet de développer chez les élèves deux compétences générales du programme (Ministère de l Éducation, 1998, p. 74, p. 77). Ces deux compétences se retrouvent également dans les buts généraux du programme. Cette insistance nous incite à penser qu elles sont d une importance particulière dans le programme. 1 Un des trois cours de physique obligatoire dans le programme préuniversitaire Sciences de la nature. 2 Technoscience : ensemble dans lequel coopèrent institutions, chercheurs et ingénieurs afin de mettre en œuvre, pour des applications précises, les ressources de la science et de la technique. HIVER 2008 VOL. 21 N O 2 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE 19

1. Traiter un ou plusieurs sujets, dans le cadre des sciences de la nature, sur la base de ses acquis : cette compétence fait référence au processus de construction des connaissances en situation. En d autres termes, l élève apprend à résoudre des situations problèmes tout en construisant ses propres connaissances ; 2. Appliquer une démarche scientifique dans un domaine propre aux sciences de la nature : cette compétence fait référence aux démarches de construction des connaissances propres aux disciplines. Elle correspond à l attitude essentielle qui sera détaillée plus loin. LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES ET L ATTITUDE ESSENTIELLE 3 Comment construit-on des connaissances dans une discipline donnée? Faire de la physique, ce n est pas faire de la biologie et ce n est surtout pas faire de la chimie! Chaque discipline aborde les problèmes à sa façon. Le processus utilisé pour construire des connaissances dans une discipline correspond à l attitude essentielle. Étant formé en physique, j avais une intuition de ce qu était l attitude essentielle du physicien, car celle-ci correspond à ce que j avais accompli lors de ma maîtrise en physique. Au cours de leurs études, les candidats à la maîtrise et au doctorat doivent construire des connaissances. C est d ailleurs souvent lors des études de deuxième et de troisième cycles que l attitude essentielle se manifeste de façon plus explicite. Comment construit-on des connaissances dans une discipline donnée? Faire de la physique, ce n est pas faire de la biologie et ce n est surtout pas faire de la chimie! Chaque discipline aborde les problèmes à sa façon. L EXEMPLE DU PHYSICIEN L attitude essentielle du physicien a été décrite par Philippe : Pour qu un objet intéresse un physicien, il va falloir que cet objet se laisse appréhender à travers les exigences très serrées d un dispositif expérimental d une part, et d une écriture mathématique d autre part (2004, p. 34). Donc, face à un phénomène ou un problème, le physicien va tenter de le modéliser mathématiquement pour être en mesure de l expliquer mais aussi de faire des prédictions. Le dispositif expérimental servira ensuite à établir et à valider ce modèle en établissant les lois nécessaires à la description du phénomène ou à la résolution du problème. Ce modèle mathématique sera évalué en le comparant aux résultats expérimentaux. Ainsi, le modèle sert à appréhender la nature qui, en retour, nous permet d améliorer le modèle. C est cet aller-retour entre le modèle et la nature, par l entremise du dispositif expérimental, qui permet de faire évoluer, donc construire, les connaissances en physique. La figure suivante illustre l attitude essentielle du physicien. 3 Cette notion très importante a été mise de l avant et élucidée par la professeure Lise Lapierre dans le cours Rapports aux savoirs et contenus à enseigner (DID-868) offert dans le cadre de PERFORMA. Modèle théorique (mathématique) Figure 1 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DE L ATTITUDE ESSENTIELLE DU PHYSICIEN prédit les résultats valide, modifie Dispositif expérimental N A T U R E L attitude essentielle conditionne la façon d aborder les concepts. Le choix des situations problèmes doit permettre l apprentissage des concepts mais aussi celui de l attitude essentielle par les élèves. En s intéressant à la démarche de construction des connaissances dans une discipline, on peut mieux ensuite définir des situations qui favoriseront cette construction. DÉMARCHE DE CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES DANS UN COURS La démarche de construction des connaissances qui suit s inspire du cadre de référence élaboré par Jonnaert et Vander Borght (1999) et des travaux effectués par André Giordan et Gérard De Vecchi (2002). Cette démarche en cinq étapes traite la relation didactique (qui fait référence au choix des contenus et des situations pour faire apprendre ces contenus) et la relation d apprentissage (qui traite diverses conceptions des élèves explicitées sous la forme de niveaux de formulation). Le résultat est un plan d action qui permet à l enseignant d intervenir efficacement dans les diverses phases d un cours. 20 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE VOL. 21 N O 2 HIVER 2008

La didactique au collégial DOSSIER ÉTAPE 1 : identifier les concepts et les contenus En Sciences de la nature, plusieurs compétences de la formation spécifique incluent une rubrique précisions qui présente les concepts à faire apprendre aux élèves. Cette rubrique reste assez vague et donne une certaine latitude quant au choix et à la manière de traiter les concepts. C est ainsi que les situations d apprentissage peuvent être choisies, et il appartient aux équipesprogrammes locales de faire valoir leurs priorités et de définir leurs orientations. ÉTAPE 2 : déterminer une situation ou des situations Cette étape consiste à déterminer des situations problèmes à partir desquelles les élèves pourront construire les connaissances associées au cours. Il se peut que plus d une situation soit nécessaire pour «couvrir» l ensemble des contenus essentiels du cours. Les situations doivent permettre de mettre l élève en action dans une forme d investigation, dans une démarche de résolution de problèmes ou une démarche scientifique ; les situations doivent permettre l expression de l attitude essentielle. Pour être authentiques, signifiantes et complètes, les situations d apprentissage doivent répondre à certains critères : Il doit être impossible pour les élèves de résoudre le problème ou de mener à bien le projet à partir de leurs connaissances antérieures, c est-à-dire sans la construction des connaissances spécifiques au cours. Il doit donc s agir d un défi ; Elles doivent être technoscientifiques, c est-à-dire qu elles doivent mettre en évidence l aspect problématique et favoriser l engagement de l élève comme citoyen ; Elles doivent permettre l expression de l attitude essentielle de la discipline ; Elles doivent prendre en compte les buts généraux du programme ; Elles doivent faire appel, le plus possible, à des connaissances d autres cours de la même discipline et, mieux encore, d autres disciplines. En bref, la situation doit favoriser la transdisciplinarité et le transfert des apprentissages. L exemple d un choix pour le cours Électricité et magnétisme Le projet que j ai choisi est de faire construire aux élèves une mini-éolienne capable d alimenter en électricité une pile rechargeable de 1,5 V. À partir de ce défi et de contraintes matérielles, ils doivent effectuer une démarche de résolution de problèmes en vue de la réalisation du prototype. Au cours de cette démarche, ils doivent effectuer une collecte de données, faire une analyse du problème à partir des concepts retenus, retenir un prototype, établir un modèle mathématique permettant de prédire les performances du prototype, appliquer cette solution puis la valider à partir d instruments de mesure. Au terme du processus, ils doivent critiquer leur modèle mathématique, présenter le résultat de leur démarche et l évaluer. Ce projet fait appel aux cinq critères présentés précédemment, mais sous certaines conditions. L analyse de chaque critère est présentée dans le tableau 1. CRITÈRES 1. Il s agit d un défi 2. Le projet doit être technoscientifi que 3. Il doit permettre l expression de l attitude essentielle 4. Il doit prendre en compte les buts généraux du programme 5. Il doit intégrer des connaissances d autres cours du programme JUSTIFICATIONS ET CONDITIONS 4 Cours préalable au cours Électricité et magnétisme. Tableau 1 CRITÈRES DE CHOIX D UNE SITUATION EN SCIENCES DE LA NATURE Les élèves seraient sans doute capables de construire cette mini-éolienne sans l aide du cours. Toutefois, l exigence du 1,5 V suppose que les élèves tiennent compte de plusieurs concepts et principes qu ils ne connaissent pas au début du cours. Toutes les sources d énergie, même si elles sont considérées «vertes», comportent des avantages, des inconvénients et des limites. On n a qu à lire les journaux! Le choix de l énergie éolienne et l implantation de parcs d éoliennes dans certaines municipalités du Québec soulèvent des inquiétudes dans les petites municipalités. Les élèves sont donc appelés à prendre position. La réalisation du projet doit mettre l accent sur le processus. C est ce processus qui permettra de développer chez les élèves l attitude essentielle. L enseignant doit donc exiger de la part des élèves l élaboration d un modèle et sa validation par un dispositif expérimental. Le projet comprend le travail d équipe, la démarche expérimentale, la résolution de problèmes, la communication des résultats et l adoption d attitudes utiles au travail scientifi que (par le biais, par exemple, de la tenue d un cahier de laboratoire). En trame de fond, le projet consiste à traiter une nouvelle situation à partir de ses acquis, ce qui est également un des buts généraux du programme. Les caractéristiques du projet permettent d intégrer des connaissances du cours de mécanique 4. On peut pousser plus loin avec des liens avec les cours de chimie (la pile rechargeable). Un débat sur l implantation de parcs d éoliennes peut même faire intervenir les cours de la formation générale. HIVER 2008 VOL. 21 N O 2 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE 21

Si plusieurs situations sont nécessaires pour aborder les différents contenus d un cours, il n est pas nécessaire que chaque situation respecte les cinq critères, mais que l ensemble des situations les prenne en compte. ÉTAPE 3 : expliciter le processus de résolution de problèmes À cette étape, l enseignant décrit le processus de résolution de problèmes que les élèves devraient suivre. Ce processus peut ne pas être suivi de façon linéaire par les élèves. Certains retours en arrière peuvent se produire au cours de la session. L exemple du cours Électricité et magnétisme Le tableau 2 présente les grandes phases du projet et les étapes de la résolution que les élèves doivent exécuter au cours de la phase IV ainsi que les concepts qui sont associés à cette phase. PHASE Phase I Phase II Phase III Phase IV PHASES DU PROJET (La phase IV : La conception de l alternateur est détaillée) CONTENU Tableau 2 La collecte de données La gestion du travail La conception des pales et de la base La conception de l alternateur 1. Choisir la confi guration du rotor et du stator 2. Choisir les matériaux : a. type d aimant b. grosseur des bobines c. diamètre des fi ls d. nombre de tours de fi ls, etc. 3. Prédire les performances de l alternateur à l aide d un modèle mathématique 4. Ajuster les choix de paramètres en fonction des résultats du modèle mathématique Phase V La conception du circuit de la pile rechargeable Phase VI L application de la solution retenue Phase VII La validation de la solution Phase VIII La communication des résultats Champ magnétique Induction magnétique Flux magnétique Force magnétomotrice Réluctance Loi de Faraday o Force électromotrice o Résistance électrique Longueur Aire de section Résistivité Circuit magnétique Force contre-électromotrice Tension monophasée Tension triphasée On ne doit pas s attendre à ce que les élèves exécutent ces étapes intuitivement. L enseignant doit plutôt guider méthodiquement ces derniers à travers ce processus. Cela fait partie de l apprentissage. ÉTAPE 4 : définir une trame conceptuelle Lors du processus décrit dans l étape précédente, les élèves doivent construire leur représentation de plusieurs concepts et phénomènes. L enseignant peut donc élaborer la séquence dans laquelle ces concepts pourraient apparaître dans chaque phase. Cette construction de l enseignant doit également montrer le lien entre les différents concepts. Cette séquence est présentée sous la forme d une trame conceptuelle qui est le résultat d une analyse approfondie de la matière enseignée. Dans une trame conceptuelle : les composantes de l objet d apprentissage sont présentées sous forme d énoncés (phrases complètes) et sont organisées en réseau (Jonnaert et Vanderborght, 1999, p. 303). La figure 2 (voir page 23 ) présente la trame conceptuelle de la phase IV La conception de l alternateur. Chaque case de la figure présente un concept formulé sous forme d énoncé par l enseignant. On ne doit pas s attendre à ce que les élèves exécutent ces étapes intuitivement. L enseignant doit plutôt guider méthodiquement ces derniers à travers ce processus. Cela fait partie de l apprentissage. La trame présente donc les énoncés, les liens entre les énoncés ainsi que les liens avec d autres phases du processus de résolution de problèmes. Elle permet donc de mettre en évidence les concepts importants qui doivent être exploités dans le projet et elle sert également de «carte géographique» ou de «plan de construction» des concepts. 22 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE VOL. 21 N O 2 HIVER 2008

La didactique au collégial DOSSIER Figure 2 TRAME CONCEPTUELLE DE LA PHASE DE CONCEPTION DE L'ALTERNATEUR LA CONCEPTION DE L ALTERNATEUR Point de départ : les élèves doivent construire un alternateur produisant du courant électrique La fém produite par une bobine est proportionnelle au nombre de tours et au taux de variation du champ magnétique à travers la bobine (Loi de Faraday). L induction électromagnétique permet la production d une force électromotrice (fém) dans un conducteur lorsque le fl ux magnétique varie. Un alternateur est composé d aimants permanents en mouvement relatif par rapport à des bobines composées de fi ls électriques (stator et rotor). Les bobines sont constituées de fi ls électriques enroulés. La résistance d une bobine est proportionnelle à la résistivité du matériau dont est fait le fi l, au nombre de tours et à l aire de la section du fi l. Le courant électrique produit est proportionnel à la fém et inversement proportionnel à la résistance totale du circuit à alimenter (loi d Ohm). Le fl ux magnétique dépend de la force de l aimant, ou force magnétomotrice (fmm) et la réluctance du circuit magnétique. Le stator et le rotor doivent être construits avec des matériaux qui permettent de maximiser le fl ux magnétique à travers les bobines de fi ls. C est le circuit magnétique. Le nombre d aimants et de bobines doit être choisi pour produire un courant alternatif correspondant aux besoins du circuit : biphasé, triphasé, etc. La puissance électrique maximale disponible est inversement proportionnelle à la résistance des bobines et proportionnelle au carré de la fém produite. La conception du circuit de la pile rechargeable. Le courant électrique produit génère un champ magnétique induit qui crée une force contreélectromotrice (fcém) dans le sens inverse du mouvement. Le fl ux magnétique correspond au produit de la grandeur du champ magnétique et de l aire de la section effi cace. La réluctance est plus faible pour des matériaux magnétiques. Elle dépend également de la longueur et de l aire de la section du circuit magnétique. La fém totale produite par les bobines dépend du branchement et du type de courant alternatif. L énergie mécanique produite par la source d énergie extérieure doit créer un moment de force supérieur au moment de la force contre-électromotrice et des forces de frottement. La conception des pales. HIVER 2008 VOL. 21 N O 2 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE 23

ÉTAPE 5 : analyser les conceptions des élèves Les élèves possèdent des connaissances antérieures à partir desquelles ils entreprennent la réalisation du projet. Ces connaissances antérieures sont des conceptions bien ancrées et elles sont satisfaisantes pour les élèves jusqu au moment du cours. L enseignant peut formuler ces conceptions sous forme d énoncés qu on appelle niveau de formulation. Selon De Vecchi et Giordan, un niveau de formulation est : un énoncé correspondant à un seuil que l on atteint ; c est un certain niveau d abstraction qui se manifeste par un énoncé global que l on demande à l apprenant de produire (et non de réciter) (De Vecchi et Giordan, 2002, p. 201). Un niveau de formulation peut aussi être considéré comme une étape dans la construction d un concept chez les élèves. Ceux-ci sont donc amenés, lors de la résolution d une situation problème, à faire évoluer leurs conceptions, c est-à-dire à passer d une conception inadaptée à une autre plus adaptée. Les énoncés qui apparaissent dans les trames conceptuelles correspondent au niveau de formulation attendu à la fin du cours. Cependant, l enseignant doit, pour chaque concept, énoncer les niveaux de formulation intermédiaires. Le tableau 3 présente ici, un exemple. Je me suis inspiré de Marcel Thouin (2001) pour décrire le premier niveau de formulation du concept de circuit magnétique. Je me suis ensuite inspiré de ma propre expérience pour décrire le deuxième niveau. Le troisième correspond à celui souhaité au terme du cours. Pour chaque niveau de formulation, le mécanisme d élaboration est présenté. Celui-ci explicite la façon avec laquelle les élèves seront en mesure de construire le concept scientifique. NIVEAUX DE FORMULATION CONCERNANT LES CIRCUITS MAGNÉTIQUES NIVEAUX DE FORMULATION Un obstacle fait d un morceau de carton et un obstacle fait d une plaque de métal ont la même infl uence sur l action d un aimant. Le métal laisse «passer» plus facilement le champ magnétique. Les lignes de champs magnétiques sont déviées par un objet magnétique (ferromagnétique ou paramagnétique) comme un conducteur fait dévier les lignes de champs électriques. L objet magnétique peut être considéré comme un circuit (magnétique). Tableau 3 MÉCANISMES D ÉLABORATION Analogie avec d autres phénomènes : lumière, son, etc. Les élèves croient que seule l épaisseur d un obstacle infl uence le champ magnétique. Référence : le vécu. On peut constater qu un objet magnétique collé à un aimant devient lui même un aimant et permet d attirer d autres objets magnétiques. Élargissement du concept. Analogie entre un circuit électrique muni d une pile (aimant) et d un fi l (objet magnétique). Les deux systèmes présentent des correspondances. La force de la pile (fém) correspond à la force de l aimant (fmm). La résistance du fi l correspond à la réluctance de l objet magnétique. Il existe une quantité impressionnante de conceptions différentes chez les élèves. Néanmoins, celles-ci peuvent généralement être regroupées dans la mesure où elles présentent des points communs. On peut aussi s inspirer de l histoire des conceptions scientifiques pour les regrouper. À la lecture de manuels d histoire des sciences, il est facile de repérer d anciennes conceptions qui sont encore ancrées chez les élèves aujourd hui. LES CONSÉQUENCES SUR L ENSEIGNEMENT Cette démarche de construction des connaissances laisse entrevoir un certain nombre de conséquences importantes sur l enseignement que je ne ferai qu effleurer ici. Le choix d une situation problème pour faire construire les concepts change le rôle de l enseignant en classe. De transmetteur, il devient un médiateur, c est-à-dire qu il facilite la construction des concepts du cours par les élèves. Le choix d une situation problème pour faire construire les concepts change le rôle de l enseignant en classe. De transmetteur, il devient un médiateur, c est-à-dire qu il facilite la construction des concepts du cours par les élèves. Par ailleurs, l organisation du contenu du cours diffère de celle présentée dans les manuels de classe, puisqu elle est plutôt soumise aux exigences de la situation problème. L utilisation d une trame conceptuelle permet donc d établir un «plan de construction» ou une «carte géographique» des concepts. L enseignant, grâce à cet outil, est donc en mesure de suivre les élèves à travers leur processus de résolution de problèmes. Il peut donc prévoir des stratégies d intervention qui seront adaptées aux besoins des élèves et à leurs conceptions. 24 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE VOL. 21 N O 2 HIVER 2008

La didactique au collégial DOSSIER La description de niveaux de formulation est d une grande utilité pour l enseignant, puisque celui-ci peut alors mettre au point des stratégies qui mettent les élèves devant certaines contradictions. C est seulement si cette condition est respectée que l élève peut apporter des modifications à ses propres conceptions. En corollaire, il devient important de faire ressortir ces dernières en proposant aux élèves diverses activités où ils peuvent les exprimer. Il devient possible d identifier les conceptions dans la classe et d établir une stratégie qui soit appropriée au groupe mais aussi à des élèves de façon individuelle. La prise de conscience des conceptions des élèves amène l enseignant à être plus vigilant par rapport à leur démarche de résolution de problèmes ainsi qu au processus d apprentissage des concepts. CONCLUSION L expérimentation de l approche par projet dans un de mes cours m a amené à me questionner sur le choix et l organisation des contenus à enseigner, sur le choix des situations et sur le rôle de l enseignant. Mes recherches ne m ont pas encore permis de trouver un cadre théorique complètement satisfaisant et pouvant valider les différents aspects de ma pratique dans ce domaine. Il me reste donc à achever de construire ce cadre théorique didactique et pédagogique pour l approche par projet. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES DESAUTELS, J., «L idéologie antédiluvienne du nouveau programme des sciences de la nature et l éducation à la citoyenneté», Pédagogie collégiale, vol. 13, n o 2, 1999, p. 4-14. DE VECCHI, G. et A. GIORDAN, L enseignement scientifique, comment faire pour que «ça marche?», Paris, Delgrave, Pédagogie et Formation, Coll. «André Giordan et Jean-Louis Martinand», 2002, 271 p. JONNAERT, P. et C. VANDER BORGHT, Créer des conditions d apprentissage : un cadre socioconstructiviste pour une formation didactique des enseignants, Bruxelles, De Boeck, 1999, 431 p. MINISTÈRE DE L ÉDUCATION, Sciences de la nature Programmes d études 200.B0, Québec, Gouvernement du Québec, 1998, 91 p. PHILIPPE, J., «La transposition didactique en question : pratiques et traduction», Revue Française de Pédagogie, n o 149, 2004, p. 29-36. THOUIN, M., Notions de culture scientifique et technologique, Sainte-Foy, Éditions Multimondes, 2001, 418 p. Louis NORMAND est titulaire d une maîtrise en physique de l Université McGill (1994), d un certificat en enseignement secondaire de l Université de Montréal (1995) ainsi que d un diplôme de deuxième cycle en enseignement supérieur de l Université de Sherbrooke (2003). Il enseigne la physique à l ordre collégial depuis 1994 et au Collège de Rosemont depuis 1998. Depuis 2004, il enseigne également à titre de chargé de cours dans le microprogramme en enseignement supérieur de l Université de Montréal. lnormand@crosemont.qc.ca 28 e COLLOQUE ANNUEL DE l AQPC FORMER DES ÉTUDIANTS DIFFÉRENTS : UN ENGAGEMENT COLLECTIF On entend dire que les étudiants ont changé, qu ils n ont pas les mêmes attitudes que nous avions à l égard de nos études ni la formation commune que nous partagions. Il y a bien sûr une part de simplification dans ces affirmations, mais elles soulèvent tout de même de véritables défis pédagogiques. Dans les faits, la diversité a toujours caractérisé la communauté étudiante. Néanmoins, les cohortes d étudiantes et d étudiants que nos collèges accueillent sont de plus en plus hétérogènes. Cet accroissement provient de diverses sources, notamment de la participation des adultes à l enseignement supérieur et des besoins en formation continue, de la multiplicité des projets pédagogiques particuliers offerts au secondaire et aussi du renouveau pédagogique qui favorise les stratégies situant l étudiant au cœur de ses apprentissages. Sur le terrain, quelles sont les incidences des modes d'apprentissage privilégiés par le renouveau pédagogique sur les stratégies d'enseignement et d'évaluation? Comment les enseignants peuvent-ils miser sur ces changements pour améliorer la qualité des apprentissages des étudiants? Quels sont les défis pédagogiques et organisationnels que cette évolution impose aux collèges quant à l encadrement des étudiants ou à l exploitation des technologies? Nous vous invitons à venir partager vos pratiques et réflexions critiques sur ce thème dans le cadre du 28 e colloque annuel de l'aqpc. www.aqpc.qc.ca colloque@aqpc.qc.ca Télécopieur : 819 371-1265 511, rue Carrière, Trois-Rivières QC G8T 7Y7 DATE LIMITE DE L APPEL D ATELIERS : 25 JANVIER 2008 HIVER 2008 VOL. 21 N O 2 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE 25