Mastère Management et Nouvelles Technologies Economie d Internet 2010-2011 Examen Vendredi 1 er avril. Durée : 2h Sans documents Sans PC portable ou téléphone mobile Consignes générales : Cet examen comporte deux questions, chacune autour d un petit cas, ainsi qu un cas plus développé. Vous fournirez des réponses courtes mais argumentées aux questions posées. *** Question 1 : comment s appelle la stratégie de tarification adoptée par Radiohead pour son dernier album (voir le document 1 en annexe)? S agit-il d une bonne stratégie, et pourquoi? Comment peuton la comparer à la stratégie qu avait mise en place Radiohead pour son album précédent, In Rainbows ("pay as you like")? Question 2 : Apple met petit à petit en place une plate-forme de commercialisation pour le livre numérique sur son App Store, mais se heurte à la résistance des éditeurs en particulier (voir le document 2 en annexe). a) Quel rôle cherche à jouer Apple sur le marché du livre numérique? Comment qualifie-t-on le type de marché qu Apple veut mettre en place avec son ibookstore? b) Quels sont les avantages et inconvénients du modèle «in App» par rapport au modèle «out App», pour les éditeurs, les libraires et les consommateurs? c) A votre avis, quelle stratégie les grands acteurs de l édition français (par exemple, Hachette Livre) pourraient-ils adopter? 1
Etude de cas : Cloud Music Services Amazon (US) a annoncé très récemment un nouveau service, intitulé "Amazon Cloud Drive". Il s agit d un service de stockage de données sur Internet, avec une interface web, qui permet de stocker des documents, des photos, de la musique et tout autre type de fichiers (voir le document 3 en annexe). Amazon propose une offre de base gratuite, avec un espace de stockage limité à 5 GB. Cet espace peut être étendu, soit en achetant un album MP3 sur Amazon (on a alors droit à 20 GB de stockage pendant 1 an), soit en achetant de l espace supplémentaire. La grille tarifaire pratiquée par Amazon est la suivante : 1) Pourquoi Amazon propose-t-il une offre gratuite pour son service (offre de stockage de 5 GB)? 2) Que pensez-vous de la grille tarifaire proposée par Amazon? Comment l interprétez-vous? 2
3) Par ailleurs, Amazon offre un logiciel, Cloud Player, qui permet d écouter sa bibliothèque musicale à partir d un navigateur Internet ou d un téléphone mobile Android. Ce logiciel ne fonctionne pas par contre sur l iphone ou l ipad (ou tout autre matériel utilisant l ios). Que pensez-vous de cette contrainte technique? S agit d une limitation imposée par la technique ou alors d un choix stratégique? 4) Google devrait prochainement lancer un service musical en streaming, actuellement en test en interne et intitulé pour l instant "Google Music". Apple serait aussi de son côté en train de concevoir une offre en streaming. En Europe, des services comme Deezer (maintenant détenu en partie par Orange) ou Spotify rencontrent beaucoup de succès, au moins dans leurs versions gratuites. Sur quelles dimensions des services devrait se jouer la concurrence entre ces différents services? 5) Voici une citation d un article sur Numerama : «L'arrivée d'amazon Cloud ne contrarie pas seulement les plans de Google et Apple. L'industrie du disque est aussi sur ses gardes. Sony BMG, par la voix de sa porte-parole Liz Young, a ainsi fait savoir qu'aucun accord n'a été conclu entre le site marchand et les principales maisons de disques sur la diffusion de musique en streaming. "Nous espérons qu'un accord sera signé" a-t-elle déclaré. En attendant, Sony garde "toutes les options légales à disposition". Une menace balayée par Amazon. "Le Cloud Player est une application qui permet aux clients de gérer et lire leur propre musique. C'est comme n'importe quel autre gestionnaire de médias. Nous n'avons pas besoin d'une licence pour mettre à disposition le Cloud Player" a réagi Cat Griffin, porte-parole du site d'e-commerce. Et pour cause, ce sont les utilisateurs qui mettent en ligne leur propre musique.» Comment expliquez-vous la stratégie d Amazon en termes de licences et de propriété intellectuelle? Quels sont les avantages et inconvénients de cette stratégie par rapport à celle suivie, par exemple, par Deezer (qui a signé des accords avec toutes les majors ou maisons de disques dont elle diffuse la musique)? 6) Pensez-vous comme Romain Germa (voir le document 4 en annexe) que le développement de ces offres de streaming pour la musique signifie la "mort" de la musique? Les labels ont-ils toujours une place dans cet univers, et si oui, laquelle? 3
Document 1 : Radiohead fixe le prix de son nouvel album Le nouvel album de Radiohead, The King of Limbs, sort en version digitale samedi 19 février. Le groupe britannique, qui avait innové en 2007 en proposant In Rainbows en téléchargement à prix libre sur son site, crée encore l'événement en proposant cette cette fois plusieurs qualités sonores à des prix différents. Le dernier opus est téléchargeable en MP3 à 7 euros, et en WAV (qualité CD) à 11 euros. Voilà qui contentera les adversaires de l'éternel débat "prix contre qualité". L'album sera également disponible dans les réseaux de distribution physiques à partir du mois de mai, uniquement en version collector (CD + vynil + livret comportant de nombreuses illustrations + version digitale), au prix de 36 ou 39 euros (MP3 ou WAV). 4
Document 2 : "Apple veut faire payer libraires et éditeurs", Le Monde des Livres, 24 février 2011, article d Alain Beuve-Méry. Etes-vous "in App" ou "out App"? C'est la question qui agite actuellement tous les acteurs du livre numérique, qu'ils soient libraires en ligne, éditeurs ou diffuseurs. Petit rappel : en France, le marché du livre numérique, qui pèse moins de 1 % du chiffre d'affaires de l'édition, reste très balbutiant. Mais c'est pour l'essentiel grâce aux ventes d'ipad, la fameuse tablette numérique d'apple, qu'il commence à se développer. Commençons par une explication à l'usage de tous ceux qui n'utilisent pas les outils de cette multinationale. Qu'il s'agisse de l'ipad, de l'iphone ou de l'ipod Touch, les livres numériques peuvent être vendus de deux manières : soit dans l'app Store, la boutique en ligne d'apple ; soit par l'intermédiaire d'"applications" hébergées par Apple mais développées par des acteurs extérieurs. Jusqu'à présent, les ventes réalisées hors App Store étaient libres de toute commission. Or, à compter du 30 juin, tous les concepteurs d'applications dédiées à l'ipad, l'iphone ou l'ipod Touch devront passer par le système d'achat intégré d'apple. Dans le domaine des livres, cela signifie qu'ils devront utiliser la librairie "ibookstore" d'apple qui, au passage, prélèvera sa dîme de 30 % sur chaque transaction. Aujourd'hui, sur les 300 000 applications que compte l'app Store, 50 000 (soit une sur six) sont relatives au livre numérique. Face à cette profusion, le magasin menaçait de se transformer en un vaste débarras et la décision des dirigeants d'apple peut s'interpréter comme une manière de remettre de l'ordre. Mais cette mesure - prise pour la première fois aux Etats-Unis à l'encontre de l'application de livres électroniques de Sony - constitue aussi le plus sûr moyen d'éliminer la concurrence. Aux Etats-Unis comme en France, ce ne sont pas en effet les usagers mais les libraires en ligne qui sont visés. Outre-Atlantique, cela cible Amazon, leader sur le marché du livre électronique avec son Kindle, qui, en tant que vendeur de livres, a développé des applications compatibles avec l'ipad. Dans l'hexagone, cela touche au premier chef la Fnac, présente sur l'app Store et qui a lancé sa propre liseuse, Fnacbook, en novembre 2010. Les grands de la distribution se livrent une triple bataille concernant les boutiques en ligne, les appareils et les contenus. A côté des libraires en ligne, plusieurs plates-formes de distribution de livres numériques indépendantes - epagine, Mobilire, mais aussi Eden Livres, qui regroupe Gallimard, Le Seuil et Flammarion, et le site Izneo, qui réunit les huit principaux éditeurs de BD franco-belge - sont aussi concernés. Ils ont reçu un courrier d'apple les informant du changement de leur politique commerciale. Pour les éditeurs français, la situation est très inconfortable : soit ils cèdent aux injonctions d'apple, soit ils engagent un bras de fer, en organisant par exemple un boycottage du magasin de la firme à la pomme. "Si on donne 30 % à Apple, on ne pourra plus rien reverser aux libraires", reconnaît Régis Habert, directeur général d'izneo. Mis en place il y a un an, ce site présente le premier catalogue de BD en ligne. Il comprend plus de 2 000 nouveautés et propose la location, à partir de 1,99 et l'achat, à partir de 4,99, d'albums accessibles en lecture directe pour les internautes. Cette offre est disponible sur ordinateur, tablette ou téléphone portable et est accessible par l'intermédiaire des sites des libraires. [ ] Numéro un de l'édition en France, Hachette Livre n'a pas encore réagi. D'un côté, les maisons d'édition du groupe (Grasset, Fayard, Stock, Lattès...) ont signé - aux côtés d'albin Michel, d'eyrolles et de Bragelonne - des accords avec Apple et leur catalogue de nouveautés est accessible sur l'ibookstore. De l'autre, Hachette a acheté en 2008 la plate-forme numérique Numilog, qui se trouve directement menacée par le changement de politique commerciale d'apple. 5
Document 3 : "Amazon s New Cloud Drive : Your Music, Everywhere You Go" (Wired, Scott Gilbertson, 29 mars 2011) "Apple and Google are both rumored to be working on music streaming services, but the first real competitor to enter the streaming music battle is Amazon.com. The company has announced Amazon Cloud Drive, a web-based backup service where you can store your documents, photos music and other files. To go along with Cloud Drive, Amazon is offering Cloud Player, which can stream your music library to any web browser or Android mobile device. Cloud Player also allows you to download files and create playlists through its web-based interface. Note, however, that Amazon is using Flash Player to upload and stream music which means it won t work on Apple s ios devices. Amazon is offering 5GB of Cloud Drive storage for free to anyone with an Amazon account. That number can be bumped to 20GB with the purchase of an Amazon MP3 album. Additional storage works out to $1 per GB, with plans at 20GB, 50GB, 100GB, 200GB and 1000GB. [ ] The real appeal of Cloud Drive only comes into play when it s used with Cloud Player. Bring the two together and you can stream your music library to any web browser or Android mobile device. While an online music locker capable of sending your music to any device feels almost inevitable at this point, Amazon s offering is, thus far, disappointing. The interface is awkward and looks a bit like Hotmail did when it first launched primitive. For example, using the web interface, there s no way to download more than one file at a time. Any music you already own must be manually uploaded, there is no automatic syncing like you ll find in file backup services like Dropbox. The Amazon MP3 Uploader can scan your itunes library and makes uploading a bit smoother, but if you ve got a sizable music collection several hundred gigabytes of music you re looking at days, if not weeks, to upload everything to Cloud Drive. Cloud Drive is much better if you re buying all your music from the Amazon MP3 Store, and clearly this is what Amazon would like you to do. To encourage that, songs purchased from the Amazon MP3 store and saved directly to your Amazon Cloud Drive never count toward your storage limit and are free to store forever. Couple that with rumors of Amazon working on an Android device and it isn t hard to see how Cloud Drive, though basic at the moment, might one day become a serious itunes competitor. [ ] Amazon may be first to the market among its sizable competitors like Apple and Google, but Cloud Drive in its current form isn t particularly innovative, nor does it offer many of the features longstanding competitors like Dropbox or MP3Tunes already have. Still, Amazon s Cloud Drive already has Google and Apple beat on one count it exists." 6
Document 4: "Deezer, Spotify, YouTube et les autres m ont tué", par Roland Germa (Romain Germa est le cofondateur du label Makasound), Libération, 11 février 2011. "Le Midem a fermé ses portes, et avec lui s est éloigné l exposé annuel sur le marché de la musique. Pour le plus grand plaisir de ceux qui vociféraient il y a dix ans contre les méchantes «majors», la fête est finie chez tous les producteurs de disques. On est loin des fêtes aux éléphants avec Eddie Barclay! En quelque dix années, les ventes de disques ont baissé d environ 70%, celles du monde numérique ne représentent que quelque 15% des ventes physiques. C est dire que la révolution numérique n est pas une alternative réelle pour produire de la musique. Car c est quand même de cela qu il s agit. N en déplaise aux fossoyeurs des producteurs, cette triste nouvelle se partage surtout avec les artistes et les musiciens. Nous fermons, avec regret, le petit label que nous avons mis neuf ans à construire. Plus de soixantedix disques sortis, des concerts, des tournées, des diffusions radios (un soutien sans faille de Radio France et Radio Nova), des articles, ont valu à nombre de nos artistes (1) une renommée méritée auprès des amateurs de musique. [ ] Malheureusement, selon les lois du marché, cette musique ne vaut rien, ce travail non plus, son avenir encore moins. La musique doit être consommée tout de suite, comme une pizza. Signe des temps, toutes les maisons de disques rêvent d associer une marque à la sortie d un album. Faire payer la pub, vu que l on n espère plus grand-chose de celui pour laquelle on la joue et l enregistre : le public. Comment pourtant blâmer ce public? Il écoute de plus en plus de musique! Il ne la paie pas, c est tout. S en prendre à Internet, cette machine à faire du gratuit avec tout? Non, les évolutions techniques font bouger les industries, les modes de consommation, les plaisirs. Les choses avancent, heureusement. [ ] Mais alors, qu est-ce qui cloche? Pourquoi n arrive-t-on pas à faire vivre artistes, producteurs et intermédiaires? Deezer, Spotify, YouTube et les autres sont-ils vraiment les nouveaux vecteurs d un accès enfin illimité à la musique, comme l était un temps «Philips, l inventeur du compact disque»? Le problème, c est qu eux non plus ne paient pas la musique. Ils ne la font pas et ils ne la paient pas. Ou ils la paient selon un modèle qui les arrange. 100 000 écoutes rapporteraient dans les 150 euros, à partager royalement entre producteur et artiste. Quel artiste, quel producteur, peut applaudir à ce calcul? La vérité, c est que par un tour de magie qui n a pris que quelques années, la musique enregistrée a perdu toute sa valeur. Comment les maisons de disques, via leurs organismes professionnels, ont-elles pu signer des accords sur une base pareille? [ ] Dois-je me réjouir que les 500 000 nouveaux abonnés de téléphone Orange-Deezer puissent écouter gratuitement (ou presque) nos productions passées et futures? Fallait-il vraiment tester si vite ce «nouveau modèle»? [ ] En attendant de savoir si ce modèle fonctionnera un jour, de nombreux projets d albums resteront dans les cartons. [ ] Produire un album est un processus long et la musique a un coût. [ ] Pour ramener d Afrique, de Jamaïque ou d ailleurs l enregistrement d un groupe, il faut bien financer l aventure. En faisant le pari d être payé en retour. Si le paiement est de quelques centimes sur Deezer, ce voyage ne se fera plus. Ainsi que devons-nous espérer? Des mécènes? Et pourquoi pas la charité? Signe des temps, la couverture du magazine professionnel Musique Info Hebdo, a été achetée par une start-up d un nouveau concept : redonnez de l argent aux artistes que vous aimez (mais que vous écoutez sans payer). Une sorte de compensation CO2 volontaire 7
Ce n est donc pas seulement Deezer qui nous a tués. L affaire est plus compliquée. Puisque l on peut encore envoyer ses vœux, les miens s adressent à ceux qui continuent à se battre pour la production musicale dans ces conditions risquées. La traversée finira bien par nous ramener sur la terre ferme!" 8