Des allégations vous concernant sur les réseaux sociaux UN MEMBRE DE VOTRE ÉQUIPE FAIT DES ALLUSIONS À VOTRE STYLE DE MANAGEMENT SUR DES RÉSEAUX SOCIAUX La situation : contexte et événements Encadrant d une équipe composée de collaborateurs anciens qui vous connaissent bien et d une partie de la nouvelle génération, vous faites votre possible pour être homogène dans votre façon de les manager ensemble. Vous êtes rôdé dans la gestion classique des tracts et affichages humoristiques. Mais vous êtes confronté à un événement inhabituel : de façon fortuite, vous découvrez qu un de vos collaborateurs fait des allusions à propos de votre style de management sur des réseaux sociaux. Sa prise de position postée est signée, affichée et non anonyme (aucun doute sur l identité du rédacteur) avec une liberté de ton au minimum subjective et excessivement polémique, qui frise la diffamation. Les acteurs : enjeux et état d esprit Pour vous, il faut vous faire justice vous-même, dire votre façon de penser au salarié (rédacteur sur les réseaux, dit le «posteur»), et faire enlever de la Toile ces prises de position qui vous concernent. Mais comment aborder cette information diffusée, en dehors de l entreprise, sur un sujet qui vous apparaît de caractère professionnel (votre style de management)? Pour le salarié «posteur» qui vit avec son temps, son rapport à l information est celui de la génération Y (née entre le début des années 80 et le milieu des années 90) : ceux qui ont du pouvoir sont ceux qui font circuler l information, pas ceux qui la retiennent. Il fonctionne en communautés et sa grande liberté d expression se heurte aux codes des organisations. Il peut paraître peu respectueux (certains anciens diront mal élevé) vis-à-vis des personnes expérimentées et son besoin d autonomie se heurte à sa vision de l autorité (qui est légitimée par les connaissances et compétences mais diffère d un statut). Pour les membres de votre équipe : personne n a fait référence publiquement à cette diffusion, il semble que votre réputation ne soit pas encore mise à mal au sein de MANAGER DES SITUATIONS DÉROUTANTES 129
l équipe. Il est probable que certains jeunes camarades, adeptes des nouvelles technologies, soient néanmoins initiés. Les risques (de l incident au scénario catastrophe) Les obligations en matière d affichage et de distribution d informations au sein de l entreprise (tracts papiers, usage du courriel pour les communications syndicales en cas d accord d entreprise, partie de l intranet dédiée aux échanges des savoirs sous l égide des chartes informatiques parties intégrantes du règlement intérieur) sont relativement bien cernées. Le lien avec l entreprise (sphère professionnelle) et le caractère injurieux, diffamatoire ou excessif suffisent à caractériser une faute et à légitimer l usage du pouvoir hiérarchique. Dans notre situation, ce qui est complexe c est le flou pouvant exister entre la frontière privée et publique d une part, personnelle et professionnelle de l autre. Ce flou rend aléatoire la légitimité du pouvoir hiérarchique, et peut provoquer une restriction illégale de la liberté d expression du collaborateur «citoyen». La discussion sur un forum est-elle de caractère privé, alors que l ensemble de ceux qui s y connectent peut en prendre connaissance? Les amis de mes amis sur des réseaux sociaux ne sont-ils pas le public? Des propos en lien direct avec son manager sont-ils des prises de position personnelles ou le fait de qualifier une personne (son responsable) en évoquant ses fonctions et ses responsabilités par la nature de ses tâches dans l équipe, suffisent-ils à rendre ces propos professionnels? Au niveau relationnel, cette situation peut dégénérer en conflit de génération, avec une double incompréhension : celle des anciens qui verront une faiblesse de votre part (si la situation est gérée de façon privée) et demanderont la même application des règles auxquelles ils se sont conformés jusqu à présent (avec l information papier classique) ; celle des juniors (si la situation est gérée de façon professionnelle) qui ressentiront votre usage du pouvoir de direction au sein de l entreprise comme injuste, entravant leur liberté, sur un sujet qu ils considèrent comme privé (les réseaux sociaux sont hors du champ de l employeur, donc de son représentant, c est-à-dire vous). Les outils d analyse Un premier jugement qui crée un précédent : l arrêt Alten (19 novembre 2010) Face à de nouveaux comportements (expression sur des réseaux sociaux) et des frontières peu étanches comme dans notre situation, la prise de position des juges nous est parfois bien utile pour clarifier notre grille de lecture du monde du travail. En 130 MANAGER DES SITUATIONS DÉROUTANTES
basant le licenciement de 2 salariés sur des propos injurieux tenus sur Facebook, les juges du Conseil de prud hommes de Boulogne-Billancourt ont créé un précédent : 1. Ils ont considéré ce réseau social comme un espace ouvert («site social ouvert») et donc non strictement privé (les amis de mes amis y ont accès librement). 2. À ce titre, les limites de la liberté d expression et la loyauté du salarié s appliquent. 3. Ce jugement peut être confirmé ou infirmé en appel (courant 2012). 4. Il met toutefois en avant des principes qui n ont rien de nouveau : la liberté d expression autorise certes les salariés à critiquer leur entreprise mais leur interdit le dénigrement, la diffamation et l indiscrétion ; un salarié, même dans sa vie personnelle, n est pas exonéré de son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur (et donc y compris en dehors des heures et lieu de travail) ; une attitude malveillante qui met en cause nommément son employeur ou son représentant (ici le manager) est passible de sanction ; les chartes informatiques ne font qu organiser les dispositifs de cybersurveillance. Concernant les courriels, rappelons que seuls ceux estampillés «personnel» sont considérés comme faisant partie de la correspondance privée des salariés (et donc hors du champ de l entreprise). Tous les autres messages envoyés par un salarié pendant le temps et sur son lieu de travail peuvent être lus par l employeur, même en dehors de sa présence, pour en évaluer le caractère fautif ou délictueux. Les salariés doivent être vigilants et prendre soin d émettre leurs «saines» critiques en dehors du temps de travail, sur leur messagerie personnelle et à partir de leur matériel informatique (domicile ou portable). Ne pas stocker des pièces jointes douteuses (le plus souvent forwardées par des amis ou collègues) sur son matériel professionnel est aussi préférable. Prendre part sur la Toile à des discussions individualisées sur des personnes de l entreprise demande la plus grande prudence (les correspondants ne sont pas toujours uniquement ceux que nous avions initialement envisagés). Les réactions à chaud sont aussi très aléatoires (phénomène de surenchère ou d emballement collectif). CONSEILS POUR AGIR Dans cette situation, évitez.... d agresser (verbalement) le salarié «posteur», son ressenti ne ferait qu ajouter à votre irritation et serait susceptible d être explosif en termes d émotion bilatérale.. de régler vos comptes en public, en point hebdomadaire d équipe ou en réunion de travail. L effet buzz n en serait que décuplé, alimentant radio couloir (et éventuellement le net), sur votre dos.. d appliquer les règles classiques disciplinaires sur un phénomène récent et au sujet duquel chaque semestre qui passe apporte son lot de repères et de précisions réglementaires. Faites-vous conseiller (juriste ou service informatique), aider (par un RH, votre N+1), ne restez pas seul. MANAGER DES SITUATIONS DÉROUTANTES 131
. de répondre sur le même média (réseau social ou forum), au risque d ouvrir la boîte de Pandore, pouvant aller jusqu à la guérilla en ligne, voire vous amener vousmême à déraper (la Toile a de la mémoire).. d ignorer la situation, votre crédibilité d encadrant (au-delà de votre réputation) est en jeu. Les salariés de la génération Y comprennent les directives, à condition qu elles aient du sens et qu elles soient clairement exposées. Cette situation est une occasion d ouvrir le dialogue sur un principe qu ils doivent accepter, une meilleure appropriation de certains modes de conduite collective dans une organisation au travail. Le savoir-faire réside dans le registre à privilégier pour faire passer ce message. Ne rien faire serait leur laisser croire, à tort, que seule la direction (ou ses représentants) a des obligations et des responsabilités. Dans cette situation, préférez.... recevoir individuellement le «posteur» avec pour objectifs de : lui demander les raisons de ses écrits ; écouter et noter ses arguments ; énoncer votre ressenti, sincèrement et posément ; le laisser réagir : découvre-t-il le côté blessant de la situation ou veut-il sortir de l excessif pour vous passer des messages recevables? Réagir calmement à des débordements ne vous empêche pas de rappeler fermement les règles du jeu. Même si votre sens moral vous amène à supporter des débordements de comportements, vous devez chercher le bon point d équilibre entre respect des règles et recherche de solutions.. envisager des solutions en commun pour repartir sur de nouvelles bases relationnelles. Un temps de réflexion peut être nécessaire. Planifiez alors un prochain rendez-vous avec votre collaborateur et responsabilisez-le sur des pistes qui viennent de lui.. obtenir la suppression des propos excessifs (si un accord de principe intervient entre vous). Si ce n est techniquement pas possible, un commentaire de sa part dans le sens inverse peut neutraliser l effet d image. Réagir rapidement (le temps de la Toile va plus vite que celui des autres médias et supports).. ouvrir un chantier de rénovation de vos pratiques managériales. De tels propos sont un signe fort de perte de confiance (sauf état d esprit tordu ou bêtise, ce qui n est pas le contexte de notre situation).. engager des entrevues avec les juniors, pour créer un espace en interne qui permettra de stopper les fuites sur la Toile. Soyez alors prêt à revoir vos modes de management uniformes pour les adapter à la richesse de votre équipe. Avancez avec eux. Dans ce cadre, n oubliez pas les anciens, donnez-leur la clé de lecture de vos changements. Dans l idéal associez-les.. faire appel à l organisation pour instituer un web manager (ou modérateur) chargé de veiller à l «e-reputation» de l entreprise et de ses salariés. Revoir les chartes informatiques et institutionnaliser des pré-alertes par courriel (invitant les contrevenants à cesser leurs agissements ponctuels).. en cas de refus ou de désaccord, prévenir que le prochain excès sera poursuivi. Ne pas céder sur le diffamatoire, obtenir des excuses. 132 MANAGER DES SITUATIONS DÉROUTANTES
LES IDÉES CLÉS. Ne pas appliquer le disciplinaire classique, l e communication demande une technicité particulière (qui évolue rapidement).. La gestion d une équipe composée de membres de différentes générations exige de trouver un équilibre entre : la fermeté des règles sur tout ce qui concerne la vie en commun au travail ; et la recherche de compréhension et de contrats avec les jeunes (de la génération Y) sur les moyens de mieux faire respecter ces règles.. Les réseaux sociaux ne sont pas un champ de défoulement anonyme ouvert à toutes les polémiques et attaques personnelles pour y évoquer son environne ment professionnel. MANAGER DES SITUATIONS DÉROUTANTES 133