Traitement adjuvant du cancer du sein localisé

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Transcription:

DOI : 10.1684/med.2009.0407 STRATÉGIES Pierre Kerbrat Département d oncologie médicale, Centre Eugène Marquis Université de Rennes 1 Mots clés : bénéfice/risque, cancer du sein, chimiothérapie, hormonothérapie Le cancer du sein constitue encore un problème de santé publique de premier plan : l Institut National de Veille Sanitaire a évalué son incidence, pour 2008, à environ 50 000 cas, avec une mortalité annuelle d environ 11 000. Ces deux nombres témoignent d une stabilisation des paramètres épidémiologiques, même si, comme dans d autres pays occidentaux, il existe une diminution de l incidence des tumeurs hormonodépendantes chez les femmes ménopausées, vraisemblablement à la suite de la réduction de l utilisation du traitement hormonal de la ménopause. Il reste néanmoins le premier cancer chez la femme, en incidence et en mortalité. Cependant, si le nombre de nouveaux cas annuels augmente, la mortalité reste stable depuis plusieurs années. Traitement adjuvant du cancer du sein localisé Évolution des concepts L augmentation du taux de survie des cancers du sein à 10 ans, atteignant environ 75 % d après les chiffres les plus récents, tous stades confondus, est liée semble-t-il à deux facteurs : d une part l amélioration du dépistage et sa généralisation, d autre part les progrès des traitements adjuvants. Ces derniers, utilisés depuis plus de 30 ans, ont pour objectif de détruire la maladie microscopique, dont on sait qu elle apparaît très tôt dans l histoire de la tumeur, probablement même avant que sa taille atteigne un centimètre. Le décès est, en effet, dû à l extension métastatique viscérale et/ou osseuse, et non à l évolution de la maladie locorégionale. Ces dernières années, et notamment depuis l an 2000, les concepts, les méthodes et les indications des divers traitements adjuvants se sont modifiés. Ce sont ces modifications qui seront abordées dans ce texte. Facteurs de décision thérapeutique Les questions qui se posent en 2009 pourraient se résumer à «quels traitements pour quelle malade?» (tableau 1). En effet, pendant de nombreuses années, compte tenu de la gravité potentielle de la maladie, un certain nombre de traitements ont été administrés à de nombreuses malades, sans paramètre nettement discriminant. L évolution actuelle se dirige vers un choix de traitements personnalisés sur un certain nombre de critères. Ces évolutions sont le fruit d un grand nombre de travaux, de multiples essais randomisés, des diverses méta-analyses de ceux-ci [1], des réunions de consensus notamment celles du National Institute of Health, et des grands congrès consacrés au cancer du sein notamment la Conférence Internationale de St Gallen (tous les deux ans) et le symposium annuel de San Antonio (Texas). Il est important de rappeler les critères sur lesquels la décision thérapeutique postopératoire va être prise. Ces facteurs peuvent dépendre de la tumeur notamment de son extension, correspondant à la taille tumorale et à l envahissement ganglionnaire, être indépendants de la tumeur mais dépendants des malades, par exemple l âge très jeune, inférieur à 35 ans, dépendre enfin de l expression de certains biomarqueurs comme les récepteurs hormonaux ou le coefficient de prolifération. Cinq types de facteurs vont donc être pris en compte dans cette décision : Les facteurs pronostiques : ils permettent une évaluation initiale, après la chirurgie et en l absence de traitement du risque de rechute et de décès. Les facteurs prédictifs, qui permettent d apprécier le degré de réponse à un traitement spécifique. En présence de tel facteur, ce traitement a-t-il des chances d être efficace? 158 MÉDECINE avril 2009

Tableau 1. Questions actuelles sur le traitement adjuvant du cancer du sein localisé. À qui? Facteurs pronostiques et prédictifs Place des profils d'expressions géniques Comment? Hormonothérapie Préménopause : quel schéma? Postménopause : place des antiaromatases? Chimiothérapie Quel protocole : Taxanes? Anthracyclines? Thérapies ciblées Anti-HER2 : trastuzumab (Herceptin ), lapatinib (Tyverb ) Antiangiogènes : bevacizumab (Avastin ) Place des bisphosphonates? Les caractéristiques du traitement en termes d efficacité, choix de la molécule, dose, durée, fréquence, séquence par rapport aux autres traitements, chirurgie et radiothérapie, association des divers traitements médicaux entre eux. La toxicité des traitements toujours à prendre en compte, toxicité qui peut être précoce hypoplasie médullaire, nausées et vomissements, alopécie, mucite... ou retardée hémopathies, insuffisance cardiaque, troubles cognitifs, ou manifestations de la ménopause. L avis de la malade puisque les traitements lui sont proposés. C est en principe avec son accord que la décision définitive sera prise. Différents facteurs pronostiques et/ou prédictifs ont été retenus à la suite de la conférence de St Gallen de 2003 (tableau 2). Tableau 2. Facteurs pronostiques et prédictifs (selon la conférence de St Gallen 2003) Ils peuvent être obtenus avant toute décision médicale. Ils sont aujourd hui une aide à la prise de décision en réunion de concertation pluridisciplinaire. Parfois, cette décision est simple, quand il existe des facteurs de gravité, ou au contraire, de pronostic favorable concordants. Elle est par contre beaucoup plus difficile lorsqu il existe, par exemple, de nombreux facteurs favorables et un seul facteur défavorable. Faut-il comme cela a été évoqué adopter le «scénario du pire», c est-à-dire retenir le seul facteur péjoratif pour infliger à cette malade des traitements longs, complexes, toxiques et coûteux? Certains nomogrammes existent pour essayer d évaluer le pronostic et les bénéfices de ces traitements : c est le cas de adjuvant!online qui permet un calcul du risque et du bénéfice du traitement. Ce système est cependant très imparfait. Caractéristique de la patiente Caractéristiques de la tumeur Biomarqueurs Âge (< 35 ans) et «environnement hormonal» Race ou ethnie Envahissement ganglionnaire Taille tumorale (histologique) Grade et index de prolifération Type histologique Deux voies devraient donc, dans les années qui viennent permettre de prendre les décisions basées plus précisément sur les caractéristiques biologiques de la tumeur, sans cependant abandonner les facteurs liés notamment à son extension : La classification selon le profil d expression génique [2] : Il existe, en effet, vraisemblablement plusieurs types de cancer du sein, dont les traitements devraient être différents. En fonction de l expression de certains marqueurs, une nouvelle classification a donc été élaborée, dont l interprétation thérapeutique devrait être plus facile. La présence de récepteurs hormonaux permet de séparer les tumeurs en deux groupes : Celles qui expriment ces récepteurs sont considérées comme de type «luminal», c est-à-dire dérivant des cellules des canaux mammaires. Elles se divisent en deux catégories selon la richesse en récepteurs d une part, le grade histopronostique d autre part. Ces tumeurs (70 % des tumeurs) sont en principe toutes hormono-sensibles, plus ou moins selon leur catégorie. Celles qui sont dépourvues de récepteurs, à leur tour subdivisées en trois groupes : les tumeurs de type «basal», dérivant des cellules basales des canaux, souvent Récepteurs hormonaux Expression de HER 2 appelées «triples négatives», car dépourvues de récepteurs hormonaux et de HER2 regroupent 15 % des cas ; on leur attribue généralement un très mauvais pronostic. Un deuxième sous-groupe est représenté par les tumeurs qui expriment fortement la protéine HER2 : ce sont, en général, des tumeurs de haut grade, considérées également de mauvais pronostic. Elles peuvent ou non exprimer, en fait, les récepteurs hormonaux. Enfin un petit sousgroupe est appelé de type «normal» ; il correspond à 3 à 5 % des cas, avec un problème d individualisation. Comme on le reverra, cette classification peut avoir des implications cliniques directes, notamment dans le choix des traitements adjuvants. Les signatures génomiques [3] : l objectif de ces méthodes est d évaluer les caractéristiques biologiques de la tumeur par l intermédiaire de l expression d un certain nombre de gènes, impliqués dans des processus biologiques directement concernés par la cancérisation, comme la prolifération ou l invasivité. Deux types de signatures sont actuellement à l étude, dans deux grands essais internationaux : MÉDECINE avril 2009 159

ONCOTYPE Dx : Il s agit d une méthode utilisable sur des prélèvements standards, conservés en paraffine, et qui va étudier 21 gènes, 16 impliqués dans le processus tumoral et 5 gènes de référence. À partir de cette expression, va être élaboré un score de récidive moins de 18, de 18 à 31, plus de 31 qui permet de séparer trois groupes de pronostic différent, chez les patientes sans envahissement ganglionnaire axillaire. De plus, à partir d études rétrospectives reprenant de grands essais randomisés, il semble que le tamoxifène soit plus efficace pour les tumeurs de bas risque et la chimiothérapie plus efficace pour les tumeurs à haut risque. Aussi, une étude prospective, dont la phase d inclusion est presque achevée, est en cours aux États- Unis ; elle vise à étudier, dans le groupe intermédiaire, l intérêt d une chimiothérapie, en plus de l hormonothérapie. Comme ce modèle n a été validé que pour les malades dépourvues d envahissement ganglionnaire, l essai TAI- LORx n étudie que cette population. MAMMAPRINT : C est le nom commercial de la «puce» développée par l équipe d Amsterdam. Elle nécessite d utiliser du tissu congelé, et va tester l expression de 70 gènes. Elle va définir également deux groupes de population à bas et haut risque. Dans l essai MINDACT développé en Europe, deux méthodes pronostiques vont être utilisées : d une part, les facteurs classiques (par l intermédiaire du système adjuvant!online), d autre part la signature moléculaire. Dans cet essai, trois situations peuvent être rencontrées : si les deux méthodes pronostiques sont favorables, la patiente ne recevra, après traitement local, qu une hormonothérapie. Si les deux signatures montrent un mauvais pronostic, les patientes recevront une chimiothérapie. S il existe une discordance, une seule des deux méthodes sera retenue, et la chimiothérapie utilisée en cas de résultat défavorable. Cet essai est mené actuellement en Europe et vise à inclure environ 6 000 malades. Clairement, ces deux essais ont pour ambition de démontrer une désescalade possible dans les indications de chimiothérapie. Cela Tableau 3. Classification pronostique (d après St Gallen 2007). est basé également sur le fait que des études suggèrent fortement que la chimiothérapie adjuvante est surtout efficace chez les malades dont les tumeurs sont pauvres ou dépourvues de récepteurs hormonaux. Cela rejoint les données de la méta-analyse qui montre que l efficacité d une chimiothérapie adjuvante diminue avec l âge, et qu après 60 ans il n y a pas de bénéfice en survie chez les patientes traitées par hormonothérapie [1]. À partir de ces données, une classification pronostique a été élaborée et adoptée lors de la conférence de consensus de St Gallen en 2007 (tableau 3), permettant une classification pronostique et des indications globales de traitement adjuvant (tableau 4). Au fil des années, l évolution s est donc faite, comme l a résumé Umberto Veronesi, du «traitement maximal tolérable au traitement minimal efficace». Niveau de risque Tumeur hormonosensible Tumeur hormono-insensible Bas risque N (-) RE/RP+ plus tous les facteurs suivants : pt < 2 cm Grade 1-2 Âge > 35 ans EV (-) HER 2 (-) Toutes les tumeurs < 1 cm RE/RP+ Non applicable Risque moyen Soit N (-), RE/RP+ et au moins un des facteurs suivants : pt>2 cm ou Grade 3 ou Âge > 35 ans (indépendamment de EV ou HER 2) Soit N+ (1 à 3+) HER 2-, EV- Id+ RE-, RP- Risque élevé N+ > 4 N+ EV+ et HER 2+ Id + RE-, RP- EV = embole vasculaire ; N = atteinte ganglionnaire histologique ; pt = taille post-opératoire. 160 MÉDECINE avril 2009

Tableau 4. Traitement adjuvant : indications globales (d après Saint Gallen 2007) HS certaine HS incertaine H insensible Bas risque HT HT Risque intermédiaire HT CT HER 2+ Risque élevé HER 2 + HT = hormonothérapie ; CT = chimiothérapie ; H = Herceptin* (trastuzumab) CT Hormonothérapie Il s agit du premier traitement systémique, puisque la découverte de son activité remonte à la fin du XIX e siècle, où la castration a montré la régression de tumeurs mammaires chez des femmes non-ménopausées. Il s agit également du premier traitement ciblé, puisque dirigé spécifiquement contre la croissance tumorale induite par la stimulation œstrogénique. L ensemble du traitement aura donc pour but de diminuer l influence des œstrogènes, soit en en supprimant les diverses sources castration médicale ou chirurgicale, anti-aromatases, soit en s opposant à leur fixation aux récepteurs anti-œstrogènes. Les indications sont relativement simples, puisque l on admet que toute femme présentant un cancer du sein contenant des récepteurs d œstrogènes devrait recevoir une hormonothérapie, avec, pour certains, une limite inférieure de taille à 1 cm. Cependant, il existe un certain continuum dans l hormonosensibilité : certaines tumeurs sont considérées comme certainement hormono-sensibles présence des récepteurs d œstrogènes et de progestérone en concentration élevée, absence d hyper-expression de la protéine HER2, marqueurs de prolifération bas, d autres, d hormono-sensibilité incertaine concentration de récepteurs moins élevée, absence de récepteurs de progestérone, surexpression de HER2, marqueurs de prolifération plus élevés. Enfin, on ne propose pas d hormonothérapie quand les deux récepteurs d œstrogènes et de progestérone sont absents. Ces dernières années deux questions ont été principalement posées : la première concerne les femmes ménopausées. Plusieurs études ont démontré un bénéfice des anti-aromatases, tout au moins en termes de survie sans rechute [4]. Quel est le schéma optimal? Une partie de la réponse a été apportée par les résultats présentés à San Antonio en décembre 2008 : dans l essai BIG 01-98, étaient comparées au létrozole pendant 5 ans une séquence tamoxifène deux ans puis létrozole et une séquence létrozole deux ans puis tamoxifène. En terme de survie sans rechute il n y a pas de différence significative. Cependant les résultats suggèrent que la séquence létrozole puis tamoxifène est aussi efficace que le létrozole seul, alors que la séquence tamoxifène puis létrozole tend à être inférieure à celui-ci. Dans la mesure où le létrozole peut entraîner des effets secondaires, notamment d une part des douleurs articulaires, d autre part une majoration de l ostéopénie, voire une ostéoporose, cela permet de penser qu il pourrait être possible après 2 à 3 ans de létrozole de passer au tamoxifène sans pénaliser la malade [5]. La question reste posée cependant de la durée optimale de ce traitement : doit-elle être de 5 ans comme pour le tamoxifène, en sachant que, pour ce dernier également, la durée optimale n est pas connue? La seconde question concerne les femmes en préménopause, chez qui on ne connaît pas la meilleure thérapeutique ; pour essayer de répondre à cette question un essai international, baptisé SOFT, compare 3 schémas : tamoxifène seul pendant 5 ans, suppression ovarienne + tamoxifène, et enfin suppression ovarienne + exémestane, sur la même période [6]. Chimiothérapie Comme pour l hormonothérapie, son bénéfice est actuellement largement démontré : la chimiothérapie adjuvante apporte un bénéfice en termes de survie sans rechute et de survie globale. Ce bénéfice est cependant en général limité, entre 5 et 10 % en valeur absolue, par rapport à un groupe non traité [1, 7]. Malheureusement, malgré beaucoup d efforts ces dernières années, il n existe pas de facteur prédictif de réponse à la chimiothérapie, ni à celle-ci en général, ni à une drogue ou à une famille de drogues en particulier. Il semble cependant que la chimiothérapie soit plus efficace chez les tumeurs de haut grade, présentant un coefficient de prolifération élevé, et vis-à-vis les tumeurs dépourvues de récepteurs hormonaux. Actuellement on ne peut donc pas retenir de facteurs prédictifs du bénéfice des anthracyclines ou des taxanes : ni l expression de la protéine HER2, de la topo-isomérase 2, ni l expression de la protéine Tau ne sont reconnues en pratique quotidienne [8]. La première question en suspens concerne le type de protocole utilisé : depuis 25 ans un grand nombre d essais prospectifs ont été menés. Ils nous ont montré tout d abord le bénéfice apporté par les anthracyclines par rapport à un protocole dépourvu d anthracyclines. On ne sait pas si le bénéfice est en fait lié à l efficacité supérieure chez les patientes hyper-exprimant la protéine HER2 [9]. Secondairement les essais ont montré également l apport des taxanes, par MÉDECINE avril 2009 161

rapport à un protocole sans taxane. Actuellement, on a tendance à utiliser, notamment en France, un protocole séquentiel avec d abord une combinaison à base d anthracyclines, puis un taxane. Certains préfèrent cependant une association concomitante de type TAC. À la suite du protocole PACS 01 [11] cependant, le plus souvent en France les malades reçoivent 3 cycles du protocole FEC 100, puis 3 cycles de taxotère. Aux USA, c est plutôt l usage du taxol qui est retenu, de préférence sous forme hebdomadaire [12]. La question de la dose-intensité n est également pas résolue : s il n y a pas de donnée confirmant le bénéfice de chimiothérapie à forte dose suivi d une réinjection de cellules souches, un essai a suggéré l intérêt d un protocole «dosedense», c est-à-dire administré toutes les deux semaines grâce à des facteurs de croissance médullaires. Son usage n est pas non plus devenu un standard. On ignore également la durée optimale de la chimiothérapie adjuvante : le plus souvent 6 cycles sont utilisés 3 FEC 100 puis 3 taxane, mais à la suite des travaux portant sur la chimiothérapie néo-adjuvante, certains totalisent 8 cycles. Enfin la question de la relation de la relation entre la chimiothérapie et le traitement hormonal n est pas non plus définitivement réglée : le bénéfice plus important induit chez les femmes non-ménopausées a conduit à s interroger sur un éventuel rôle hormonal de la chimiothérapie. Il est vrai qu en préménopause, l induction d une aménorrhée constitue un facteur de pronostic favorable, en sachant qu elle est également liée à l âge, à la dose et à la durée du traitement [13]. Enfin la séquence optimale entre la chimiothérapie et l hormonothérapie a été déterminée par l essai INT 100 : il vaut mieux utiliser la chimiothérapie puis le tamoxifène, plutôt que les deux administrés de façon concomitante. Cela explique la séquence la plus fréquemment utilisée actuellement : chimiothérapie adjuvante, irradiation externe, puis hormonothérapie. Traitements cibles Il s agit des dernières méthodes apparues depuis 2000. La première consiste à l utilisation du trastuzumab (Herceptin ) chez les patientes dont la tumeur exprime fortement la protéine HER2. 3 essais internationaux ont été effectués, présentés au Congrès de l ASCO en 2005. Ces 3 études regroupant environ 10 000 malades ont montré une réduction du risque de rechute de près de 50 %. Ce bénéfice a été confirmé par l essai du BCIRG sur plus de 3 000 malades. Cela a conduit à la situation actuelle, où les patientes hyperexprimant à la protéine HER2 reçoivent une chimiothérapie associée au trastuzumab. Plusieurs questions restent cependant posées [14] : Quelle est la durée optimale du traitement? Dans les essais initiaux elle était d 1 an, et c est encore le standard actuellement ; on attend les résultats, d une part, de l étude HERA, où un groupe de malades recevait 2 ans, et de l étude PHARE menée en France, qui compare 6 mois et 1 an de trastuzumab. Quelle est la meilleure chimiothérapie associée au trastuzumab? Pour l instant, le trastuzumab est toujours associé à une chimiothérapie, mais on ne connaît pas le protocole optimal. Le plus souvent ce protocole inclut un taxane, d autant que, du fait de la toxicité cardiaque potentielle, il n est pas recommandé d associer une anthracycline et le trastuzumab en même temps. En France, beaucoup d équipes utilisent la séquence 3 FEC 100 puis 3 taxotère associé au trastuzumab pour 1 an. Cependant l étude FINHER, qui n a regroupé que 232 malades, a semé le trouble, car d une part il s agit d un schéma de chimiothérapie inhabituel, d autre part le trastuzumab est administré sur 9 injections. Ces données soutiennent également les études concernant la durée optimale du traitement. Est-il possible d utiliser le trastuzumab sans chimiothérapie? Ce n est pas le cas actuellement, ni chez les femmes dont la tumeur est dépourvue de récepteurs hormonaux, ni dans le cas inverse, car on ne connaît pas l hormono-sensibilité exacte de ces tumeurs, l hyper-expression de la protéine HER2 constituant pour certains, un argument d efficacité moindre du tamoxifène. Il n y a donc pas d étude permettant d utiliser directement l association concomitante ou séquentielle de type trastuzumab plus anti-aromatase. Le deuxième type de thérapie ciblée est de reconnaissance encore plus récente. D anciennes études utilisant le clodronate ont tenté de diminuer l incidence des métastases osseuses, première localisation tumorale secondaire dans cette pathologie. 2 des 3 essais ont suggéré un bénéfice. Cette méthode thérapeutique a vu son intérêt majoré ces derniers mois par l apparition de 3 études suggérant un bénéfice de l utilisation de l acide zolédronique, soit en préménopause pour limiter les effets de la suppression ovarienne [15], soit en post-ménopause chez les patientes recevant une hormonothérapie par anti-aromatase, dans le cadre des essais ZO- FAST et E-ZOFAST. Il existe un bénéfice statistiquement significatif en termes d intervalle libre. Enfin dans l étude AZURE, l utilisation de l acide zolédronique avec un protocole de chimiothérapie néo-adjuvante augmente le taux de réponse et le contrôle local. Cependant, pour l instant l utilisation de ce type de médicament n est pas encore recommandée en dehors d essais thérapeutiques et on ne connaît pas son schéma optimal. Conclusions Perspectives L efficacité des traitements adjuvants du cancer du sein localisé est donc largement démontrée. Il faut rappeler cependant que son importance est modeste : dans la plupart des essais thérapeutiques et dans la méta-analyse, le bénéfice absolu est souvent évalué aux environs de 10 %. Le bénéfice des anti-aromatases par rapport au tamoxifène est d environ 3 % en survie sans rechute. Seul le bénéfice du trastuzumab paraît bien supérieur dans une catégorie bien définie. En conséquence, il faut reconnaître qu une petite partie seulement des malades traitées tirera bénéfice du traitement. Ne seront pas concernées par ce bénéfice celles qui auraient été guéries par le traitement locorégional seul, et celles qui rechutent sous forme métastatique et décèdent en général de leur maladie. 162 MÉDECINE avril 2009

Cependant la plupart d entre elles rencontreront les effets secondaires habituels des traitements adjuvants (tableau 5). Ces effets secondaires peuvent être précoces alopécie, hypoplasie médullaire, nausées et/ou vomissements, mucites mais également tardifs, notamment au plan cardiaque, endocrinien, cérébral notamment cognitif ; le risque d hémopathie induit par la chimiothérapie n est pas non plus nul. Cependant, dans les quelques études qui ont été consacrées à ce type de sujet, il a été montré que les malades sont prêtes à recevoir un traitement, même agressif, pour un bénéfice qui peut paraître faible, la moitié espérant un bénéfice minimum de 1 %. L évolution actuelle se fait donc dans deux directions : comment réaliser une meilleure évaluation du pronostic, comment déterminer quelle molécule sera efficace? Il faut également rappeler l apport éventuel des nouveaux traitements, comme les bisphosphonates ou les anti-angiogènes, pour lesquels d autres essais sont en cours. Enfin d autres voies originales se dégageront peut-être, notamment celles en rapport avec des modifications alimentaires puisqu un essai a montré qu une intervention diététique pouvait réduire de façon importante le risque de rechute notamment chez les femmes dont la tumeur n exprime pas les récepteurs hormonaux. Tableau 5. Classification pronostique (d après St Gallen 2007) Réduction du risque de rechutes, de décès Références : Bénéfices Inconvénients Toxicité immédiate Hématologique, Digestive, capillaire Toxicité retardée Cardiaque, Hématologique (hémopathies) Neurologique endocrinienne Coûts 1. Early Breast Cancer Trialist s Collaborative Group (EBCTCG). Effects of chemotherapy and hormonal therapy for early breast cancer on recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised trials. Lancet. 2005;365:1687-717. 2. Perou CM, Sørlie T, Eisen MB, van de Rijn M, Jeffrey SS, Rees CA, et al. Molecular portraits of human breast tumours. Nature. 2000;406:747-52. 3. Sotiriou C, Pusztai L. Gene-expression signatures in breast cancer. N Engl J Med. 2009;360:780-800. 4. Eisen A, Trudeau M, Shelley W, Messersmith H, Pritchard KI. Aromatase inhibitors in adjuvant therapy for hormone receptor positive breast cancer: a systematic review. Cancer Treat Rev. 2008;34:157-74. 5. Mouridsen H for the BIG 1-98 collaborative Group. Letrozole monotherapy Versus Tamoxifen monotherapy or Versus Letrozole in sequence with Tamoxifen for postmenopausal women with endocrine-responsive early breast cancer. San Antonio Breast Cancer Conference December 2008, Abstract 13. 6. Rabaglio M, Aebi S, Castiglione-Gertsch M. Controversies of adjuvant endocrine treatment for breast cancer and recommendations of the 2007 St Gallen conference. Lancet Oncol. 2007;8:940-9. 7. Levine MN, Whelan T. Adjuvant Chemotherapy for Breast Cancer-30 years later. N Engl J Med. 2006;355:18-20. 8. Pritchard KI, Messersmith H, Elavathil L, Trudeau M, O malley F, Dhesy-Thind B. HER-2 and Topoisomerase II As Predictors of Response to Chemotherapy. J Clin Oncol. 2008;26:736-44. 9. Piccart-Gebhart MJ. Anthracyclines and the tailoring of treatment for early breast cancer. N Engl J Med. 2006;354:20-4. 10. De Laurentiis M, Cancello G, D Agostino D, Giuliano M, Giordano A, Montagna E, et al. Taxane-based combinations as adjuvant chemotherapy of early breast cancer: a meta-analysis of randomized trials. J Clin Oncol. 2008;26:44-53. 11. Roché H, Fumoleau P, Spielmann M, Canon JL, Delozier T, Serin D et al. Sequential adjuvant epirubicin-based and docetaxel chemotherapy for node-positive breast cancer patients: the FNCLCC PACS 01 Trial. J Clin Oncol. 2006;26:5664-71. 12. Sparano JA, Wang M, Martino S, Jones V, Perez EA, Saphner T, et al. Weekly paclitaxel in the adjuvant treatment of breast cancer. N Engl J Med. 2008;358:1663-71. 13. Walshe JM, Denduluri N, Swain SM. Amenorrhea in premenopausal women after adjuvant chemotherapy for breast cancer. J Clin Oncol. 2006;24:5767-79. 14. Hudis CA. Trastuzumab-Mechanism of action and use in clinical practice. N Engl J Med. 2007;357:39-51. 15. Gnant M, Mlineritsch B, Schippinger W, Luschin-Ebengreuth G, Pöstlberger S, Menzel C, et al. Endocrine Therapy plus zoledronic acid in premenopausal breast cancer. N Engl J Med. 2009;360:679-91. En résumé : Traitement adjuvant du cancer du sein localisé h Pendant longtemps, ces traitements ont été administrés sans paramètre nettement discriminant : l évolution actuelle se fait vers un choix de traitements «personnalisés», qui prennent en compte les facteurs pronostiques et prédictifs, l efficacité et la toxicité du traitement, l avis de la malade : pour passer du «traitement maximal tolérable au traitement minimal efficace». h Si l efficacité des traitements adjuvants du cancer du sein localisé est largement démontrée, il faut cependant rappeler que leur bénéfice absolu est évalué aux environs de 10 % : une petite partie seulement des malades traitées tire bénéfice du traitement, alors que la plupart en auront les effets secondaires habituels. h L évolution actuelle se fait donc dans deux directions : comment réaliser une meilleure évaluation du pronostic, comment déterminer quelle molécule sera efficace? MÉDECINE avril 2009 163