ARBITRAGE EN VERTU DE LA LOI SUR LE RÉGIME DE RETRAITE DES EMPLOYÉS DU GOUVERNEMENT ET DES ORGANISMES PUBLICS (L.R.Q., CHAPITRE R-10) ENTRE : ET : GINETTE GAUDREAU COMMISSION ADMINISTRATIVE DES RÉGIMES DE RETRAITE ET D ASSURANCES DOSSIER DU GREFFE N 20025022 CONJOINTE SURVIVANTE - LOI SUR LE RRF ART. 77 (L «APPELANTE») (LA «COMMISSION») SENTENCE ARBITRALE Arbitre : Comparution pour l Appelante : Comparution pour la Commission : M e Serge Brault Mme Ginette Gaudreau, pour elle-même M e Chantal Dumont, service juridique CARRA Demande d arbitrage : 12 avril 2002 Date d audience : 28 septembre 2006 Date de la sentence : 6 novembre 2006 Lieu d audience : Montréal, Québec Adjudex inc. 210-441(144)-QP S/A 514
2 I LE RECOURS [1] Madame Ginette Gaudreau (ci-après l appelante ) conteste une décision rendue le 15 février 2002 par le Comité de réexamen (ci-après le Comité ) qui refusait, dans les termes suivants, de la reconnaître comme conjointe survivante de monsieur Denis Dubreuil : «L article 77 de la Loi sur le régime de retraite des fonctionnaires (RRF, 2000, c.32) est clair sur la question. Il y est énoncé notamment que dans le cas où le fonctionnaire ou le retraité n est pas marié (situation de monsieur Dubreuil), le conjoint est, pour l application de la présente loi, «la personne, de sexe différent ou de même sexe, non mariée au moment du décès qui» Comme, au moment du décès de monsieur Dubreuil, madame Gaudreau était séparée de corps et encore mariée à monsieur Clément Boisvert, elle ne peut être reconnue conjointe survivante de monsieur Dubreuil.» [2] La disposition législative pertinente de la Loi sur le Régime de retraite des fonctionnaires, L.R.Q., chapitre R-12 est la suivante : 77. Le conjoint est, pour l'application de la présente loi, la personne qui est mariée avec le fonctionnaire ou le pensionné ou, si le fonctionnaire ou le pensionné n est pas marié, la personne, de sexe différent ou de même sexe, non mariée au moment du décès qui, pendant au moins les trois années précédant le décès, a maritalement résidé avec lui et a été publiquement représentée par lui comme son conjoint ou qui, pendant l'année précédant le décès, a maritalement résidé avec lui alors qu'une des situations suivantes s'est produite: 1 un enfant est né ou est à naître de leur union ; 2 ils ont conjointement adopté un enfant ; 3 l'un d'eux a adopté un enfant de l'autre. [3] Sont également pertinentes les dispositions suivantes de la Loi sur le divorce, L.R.C., 1985, chapitre 3 : 12. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le divorce prend effet le trente et unième jour suivant la date où le jugement qui l accorde est prononcé. (2) Le tribunal peut, lors du prononcé du jugement de divorce ou ultérieurement, ordonner que le divorce prenne effet dans le délai inférieur qu il estime indiqué, si les conditions suivantes sont réunies :
3 a) à son avis, le délai devrait être réduit en raison de circonstances particulières; b) les époux conviennent de ne pas interjeter appel du jugement ou il y a eu abandon d appel. [ ] 14. À sa prise d effet, le divorce accordé en application de la présente loi dissout le mariage des époux. [4] Les dispositions suivantes du Code civil du Québec, L.R.Q., C-64 sont également pertinentes : CHAPITRE SEPTIÈME - DE LA DISSOLUTION DU MARIAGE SECTION I - DISPOSITIONS GÉNÉRALES 516. Le mariage se dissout par le décès de l'un des conjoints ou par le divorce. 517. Le divorce est prononcé conformément à la loi canadienne sur le divorce. Les règles relatives à l'instance en séparation de corps édictées par le présent code et les règles du Code de procédure civile s'appliquent à ces demandes dans la mesure où elles sont compatibles avec la loi canadienne. SECTION II - DES EFFETS DU DIVORCE 518. Le divorce emporte la dissolution du régime matrimonial. Les effets de la dissolution du régime remontent, entre les époux, au jour de la demande, à moins que le tribunal ne les fasse remonter à la date où les époux ont cessé de faire vie commune. 519. Le divorce rend caduques les donations à cause de mort qu'un époux a consenties à l'autre en considération du mariage. 520. Le divorce ne rend pas caduques les autres donations à cause de mort ni les donations entre vifs consenties aux époux en considération du mariage. Toutefois, le tribunal peut, au moment où il prononce le divorce, les déclarer caduques ou les réduire, ou ordonner que le paiement des donations entre vifs soit différé pour un temps qu'il détermine. 521. À l'égard des enfants, le divorce produit les mêmes effets que la séparation de corps. [5] Bien que l appelante ait en janvier 2003 informé le présent tribunal par écrit qu elle entendait contester la validité de l article 77 de la Loi sur le RRF, ce moyen n a pas été soulevé à l audience.
4 II LES FAITS [6] Monsieur Denis Dubreuil participe au Régime de retraite des fonctionnaires (RRF) du 30 mai 1966 jusqu au 30 novembre 1999 et touche une pension jusqu à son décès le 5 août 2000. [7] L appelante soumet alors à la Commission administrative des régimes de retraite et d assurances (la «Commission»), une demande de prestation de décès à titre de conjointe survivante de monsieur Dubreuil. Elle y informe la Commission avoir été mariée à monsieur Clément Boisvert, toujours vivant, et dont elle est séparée de corps depuis le 20 septembre 1990. [8] Comme question de fait, un jugement de divorce entre l appelante et monsieur Boisvert sera prononcé par la Cour supérieure le 21 juin 2001, soit près d un an après le décès de monsieur Dubreuil. L honorable juge Léo Daigle y écrit : «PRONONCE un jugement de divorce entre les parties, dont le mariage a été célébré le 19 juillet 1969 à Sherbrooke, qui prendra effet le trente et unième jour suivant la date du présent jugement; [ ] DÉCLARE que les effets du divorce remontent au mois de septembre 1990; [ ]» [9] Entre temps, le 28 septembre 2000, la Commission rejette la demande de prestation de l appelante dans les termes suivants : «Nous ne pouvons malheureusement donner suite à votre demande. En effet, selon les lois sur les régimes de retraite que nous administrons, nous ne pouvons vous reconnaître comme la conjointe de la personne mentionnée ci-dessus, puisque vous étiez encore mariée au moment de son décès.» [10] L appelante allègue avoir été la conjointe de fait de monsieur Dubreuil de 1995 jusqu à son décès. La Régie des rentes a reconnu l appelante comme conjointe survivante de monsieur Dubreuil pour les fins de la RRQ, un fait admis. [11] Le 20 novembre suivant, l'appelante présente une demande de réexamen devant le Comité qui la rejette le 15 février 2002; d où le présent recours.
5 L appelante III PLAIDOIRIES [12] L appelante reprend essentiellement les arguments mis de l avant dans sa demande d arbitrage datée du 12 avril 2002: «Nous vous soumettons respectueusement que madame Ginette Gaudreau devrait être reconnue conjointe survivante de monsieur Denis Dubreuil et cela, pour les motifs énumérés ci-après, de façon non limitative : a) D une part, elle a vécu comme mari et femme avec monsieur Dubreuil plus de 5 ans précédant la date immédiate de son décès ; b) À la date du décès de monsieur Dubreuil, il est exact qu elle était une épouse non divorcée de monsieur Clément Boisvert avec qui elle avait cessé de faire vie commune au cours de l année 1990 ; Toutefois, dans une décision prononcée le 21 juin 2001, l honorable Juge Léo Daigle, alors président du tribunal déclarait que les effets du divorce remontaient au mois de septembre 1990. [...]» La Commission [13] La procureure de la Commission rappelle que l article 77 de la Loi sur le RRF subordonne à trois critères la reconnaissance de l état de conjoint de fait : (1) avoir maritalement résidé avec la personne décédée pendant les trois années précédant le décès; (2) avoir été publiquement représenté comme conjoint; et (3) ne pas être marié à une autre personne. [14] Or, invoque la procureure, l appelante qui, était encore mariée à une autre personne au moment du décès de monsieur Dubreuil, ne peut donc pour cette raison être reconnue comme la conjointe survivante de ce dernier, pour les fins du RRF. [15] La procureure soutient que le jugement prononçant le divorce entre l appelante et son exmari n a été rendu qu après le décès de monsieur Dubreuil et n a pris effet que le 22 juillet 2001, soit la 31 ième journée suivant la date du prononcé.
6 [16] Pour la procureure, même si le jugement stipule que les effets du divorce remonteraient à septembre 1990, i.e. avant le décès de monsieur Dubreuil, cela ne pourrait légalement signifier qu au moment du décès de monsieur Dubreuil, l appelante n aurait pas encore été mariée à monsieur Boisvert. [17] En effet, ajoute la procureure, il faut légalement distinguer la prise d effet d un jugement de divorce des effets de la dissolution du régime matrimonial ayant existé entre des époux. Elle écrit dans sa plaidoirie : «La prise d effet du jugement de divorce L article 12(1) L.D. est clair à l effet que le divorce prend effet le 31 e jour suivant le prononcé du jugement mais qu il peut aussi prendre effet à une date inférieure. En vertu de l article 14 L.D., ce n est qu à la prise d effet du divorce que le mariage est dissout. L article 516 du Code civil du Québec est au même effet. [...] L article 12(2) L.D. dit que le divorce peut prendre effet dans un délai inférieur si les conditions sont réunies. Le «délai inférieur» dont il est question ici est «inférieur à 31 jours de l article 12(1) L.D. [...] Ce délai pourrait donc se situer entre 1 journée et 31 journées mais ne pourrait être sous cette barre, il ne pourrait avoir un effet antérieur au jour où il est prononcé, tel que nous permet de l interpréter la version anglaise précitée. En effet, le jugement de divorce et les ordonnances sur mesures accessoires sont exécutoires, sauf si appel, le 31 e jour suivant la date du prononcé du jugement. [...] Par ailleurs, l article 2924 C.c.Q. prévoit que «le droit qui résulte d un jugement se prescrit par dix ans s il n est pas exercé». Donc si le jugement de divorce avait un effet rétroactif au mois de septembre 1990, comme le soumet madame Gaudreau, cela reviendrait à dire qu au moment où prenait effet le jugement, c est-à-dire le 22 juillet 2001, il serait déjà prescrit et que s il y avait été prévu le partage des régimes de retraite dans les mesures accessoires, il aurait été impossible de l exécuter car prescrit. Ainsi, dans le jugement de divorce, la prise d effet du jugement de divorce est le 22 juillet 2001 et celui-ci ne sera prescrit que le 22 juillet 2011 mais les effets du divorce peuvent être rétroactifs au mois de septembre 1990, tel que le dit le jugement. [...] Les effets de la dissolution du régime Si l on se réfère au Code civil et, plus particulièrement à l article 518, ce n est pas la date du divorce qui importe pour ce qui est des effets, mais bien celle de la
7 dissolution du régime matrimonial. En effet, une personne ne peut divorcer à une date rétroactive, mais les effets sur le patrimoine familial peuvent être déclarés rétroactifs. [...] En l espèce, le lien matrimonial a été dissous en juillet 2001, mais les effets sur le régime matrimonial ont rétroagi à 1990, et ce, tel que la convention faisait mention. Ceci est d une importance capitale pour déterminer la date de laquelle les calculs seront faits pour Établir les sommes relatives au partage du patrimoine familial. C est d ailleurs ce qu a reconnu le juge lors du prononcé du divorce en juin 2001. Il prononce [que] le jugement de divorce prendra effet le 31 e jour après la date du présent jugement, mais déclarent que les effets du divorce remontent au mois de septembre 1990, c est-à-dire à la date de cessation de la vie commune. En effet, tel que cité précédemment, pour que les effets de la dissolution du régime rétroagissent au moment de la cessation de la vie commune, une demande doit avoir été faite à cet effet et seulement le juge peut rendre une décision au moment où il prononcera le jugement de divorce. [...]» IV ANALYSE ET DÉCISION [18] Le Tribunal doit décider si l appelante répond à la définition de conjointe aux fins de l'éligibilité aux prestations de décès payables en vertu de la Loi sur le RRF. [19] Selon l article 77 de cette loi, le conjoint survivant d'une personne pensionnée est, soit la personne qui lui est mariée, soit, si cette dernière n'était pas mariée, la personne (1) elle-même non mariée; qui (2) depuis au moins trois ans précédant le décès résidait maritalement avec le défunt et qui (3) était publiquement représentée comme sa conjointe. [20] Il y a donc trois conditions à la reconnaissance du statut de conjoint survivant. L appelante et monsieur Dubreuil n ayant jamais été mariés l un à l autre, la décision de la Commission se fonde essentiellement sur le fait que la première condition mentionnée plus haut ne serait pas présente ici en ce que l appelante était toujours mariée à une tierce personne au moment du décès de monsieur Dubreuil.
8 [21] Selon la preuve, au décès de monsieur Dubreuil le 5 août 2000, l appelante, bien que séparée de corps depuis 1990, était toujours mariée à un tiers. Une procédure de divorce avait bel et bien été intentée au cours de l année 1990 mais, selon la preuve, un jugement de divorce ne fut prononcé que le 21 juin 2001, donc près d une année après le décès de monsieur Dubreuil. [22] Dans le jugement de divorce en question, la Cour supérieure écrit : «PRONONCE un jugement de divorce entre les parties, dont le mariage a été célébré le 19 juillet 1969 à Sherbrooke, qui prendra effet le trente et unième jour suivant la date du présent jugement; [ ] DÉCLARE que les effets du divorce remontent au mois de septembre 1990;» [Nous soulignons] [23] De l aveu de l appelante, le cœur du débat réside dans la formulation de cette dernière conclusion. En effet, la déclaration de la Cour selon laquelle «les effets du divorce remontent au mois de septembre 1990» a amené l appelante à estimer qu elle devait légalement être tenue pour divorcée depuis 1990 et ne plus être mariée au moment du décès de monsieur Dubreuil pour les fins de l article 77 de la Loi sur RRF. [24] Avec égards, cette prétention n est pas juridiquement fondée, et ce pour les raisons qui suivent. [25] Il faut en effet distinguer la prise d effet d un jugement de divorce sur l état matrimonial des époux de ses effets du divorce sur leur régime matrimonial. [26] L article 518 C.c.Q. stipule que le divorce emporte la dissolution du régime matrimonial. [27] Le régime matrimonial est essentiellement l ensemble des règles financières et économiques qui régissent la vie des personnes mariées. On est marié selon la communauté de biens, la société d acquêts, la séparation de biens (voir les articles 431 et suivants du Code civil du Québec). [28] L état matrimonial est l état civil : une personne est soit mariée, célibataire, etc. [29] L'article 14 de la Loi sur le divorce est clair : à sa prise d'effet, le jugement de divorce «dissout le mariage des époux». C est quand un mariage est dissout que des époux cessent d être mariés. Autrement dit, tant que le mariage n est pas dissout, il existe.
9 [30] Selon l article 12 de cette loi, le divorce prend normalement effet le trente et unième jour suivant la date où le jugement qui l accorde est prononcé. [31] Le second paragraphe de cet article permet à la Cour d ordonner que le divorce prenne effet dans un délai inférieur à 31 jours. En l occurrence ce n est pas cela qui a été ordonné ici puisque le jugement dit bien, suivant en cela la règle générale, que «le jugement de divorce prendra effet le trente et unième jour suivant la date du présent jugement.» Concrètement, cela signifiait que l appelante et son ex-mari sont légalement demeurés mari et femme jusqu au 22 juillet 2001. [32] Il est vrai par ailleurs que le même jugement déclare faire remonter «les effets du divorce» à septembre 1990. Or, les «effets du divorce» dont il s agit sont ceux que régit le Code civil du Québec. L état matrimonial n est pas l un de ces effets. La dissolution du régime matrimonial est régie par les articles 518 à 521 du Code civil du Québec. D ailleurs ce que la Loi sur le divorce permet à la Cour est de faire rétroagir au jour de la demande les effets du divorce mais pas le divorce lui-même. [33] Cela étant, même si en équité l appelante avait toutes les raisons d estimer être la conjointe de monsieur Dubreuil au décès de celui-ci, l exigence légale explicite de l article 77 de ne pas avoir été mariée à quelqu un d autre à cette date empêche la Commission, et le Tribunal, de lui reconnaitre la qualité de conjointe de fait. [34] Pour toutes ces raisons, vu l article 77 de la Loi sur le RRF et vu que l appelante était toujours mariée au moment du décès, son recours est rejeté. MONTRÉAL, le 6 novembre 2006 Adjudex inc. 210-441(144)-QP S/A 514 M e Serge Brault, avocat Arbitre