ACADEMIE DE PARIS. Année 2012 MEMOIRE. pour lʼobtention du DES. dʼanesthésie-réanimation. Coordonnateur : Monsieur le Professeur Didier Journois.

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Transcription:

ACADEMIE DE PARIS Année 2012 MEMOIRE pour lʼobtention du DES dʼanesthésie-réanimation Coordonnateur : Monsieur le Professeur Didier Journois par Thomas Giral Présenté et soutenu le 10 Avril 2012 Influence de la cinétique du saignement sur la stratégie transfusionnelle après chirurgie prothétique du genou et de la hanche. Etude prospective observationnelle. Travail effectué sous la direction du docteur Lorenn Bellamy, du docteur Nadia Rosencher, et du professeur Marc Samama

Sommaire Résumé p. 3 Introduction p. 5 Matériel et méthodes p. 9 Résultats p. 13 Discussion p. 25 Conclusion p. 33 Bibliographie p. 34 Abréviations p. 37 Annexes p. 38 2

Résumé Introduction : La chirurgie orthopédique prothétique est à risque hémorragique en peropératoire et dans les premiers jours postopératoires. Les seuils transfusionnels doivent être rationalisés pour éviter d une part les transfusions par excès, mais devraient être anticipés en postopératoire, afin d éviter tout retard transfusionnel. Les stratégies développées sont, d un côté, les méthodes d épargne transfusionnelle, et de l autre, la connaissance de la cinétique du saignement postopératoire et la surveillance de l hémoglobinémie. L objectif principal de notre étude est l évaluation de la cinétique du saignement postopératoire et son influence sur l anticipation des seuils transfusionnels. L objectif secondaire est l évaluation des moyens d épargne transfusionnelle. Matériel et Méthodes : Notre étude était prospective, observationnelle, monocentrique, incluant tous les patients opérés d arthroplastie de hanche (PTH) ou de genou (PTG) et de reprises, pendant une période de 2 mois. Ils bénéficiaient d une stratégie d épargne transfusionnelle multimodale ; acide tranexamique per et postopératoire, érythropoïétine (EPO) et fer en periopératoire. La cinétique du saignement périopératoire était évaluée par la variation d hémoglobinémie entre la SSPI et J+1. Le saignement total calculé et le taux de transfusion étaient relevés. Résultats : 106 patients opérés de PTH, PTG et reprises ont été inclus. Le taux de transfusion moyen était de 18% et le saignement total calculé médian de 1082ml. Le nadir d hémoglobinémie se situait à J+2 et 56% du saignement se produisait entre la fin de l intervention et J+2, avec une perte de 1,2 ±1,3 g/dl d hémoglobine entre la SSPI et J+1 pour les patients ayant reçu de l acide tranexamique et de 1,9 ±1,0 g/dl pour les patients n en ayant pas reçu (p=0,02). La prescription d EPO en préopératoire était associée à une réduction du taux de transfusion (0 vs 22% p=0,03). L acide tranexamique était associé à une réduction de 72% de la transfusion homologue (p<0,01) et de 15% du saignement total calculé médian (p<0,01). 3

Discussion : Il est raisonnable d envisager l anticipation des seuils transfusionnels en SSPI, adaptés à la cinétique du saignement des premières 24h, soit, dans notre étude, d élever le seuil de environ 1 à 1,5 g/dl d hémoglobine en SSPI en fonction de l utilisation ou non d acide tranexamique. 4

Introduction Si la transfusion de concentrés érythrocytaires (CGR) est une pratique nécessaire et quotidienne lors des chirurgies hémorragiques, ses indications précises restent le sujet de nombreux débats, malgré les recommandations. D une part, la transfusion homologue périopératoire est associée de manière indépendante à une augmentation de la mortalité [1, 2], des œdèmes aigus pulmonaires (OAP) de surcharge [3], des infections nosocomiales [1], des syndromes de détresse respiratoire aigue (SDRA) [4,5], à un surcoût important [6], et l on doit faire face à une pénurie des dons. C est pourquoi se sont développées des stratégies visant à réduire les transfusions érythrocytaires. Ces stratégies incluent l utilisation de seuils transfusionnels «restrictifs», une optimisation préopératoire de la masse sanguine, l utilisation de la récupération périopératoire, des interventions pharmacologiques pour réduire le saignement. D autre part, l étude SFAR-INSERM de 1999 [7] a révélé qu un retard transfusionnel périopératoire était responsable d environ 100/419 décès par an en France imputables à l anesthésie, surtout en chirurgie orthopédique, soit par hémorragie, soit par une ischémie myocardique liée à l anémie. La chirurgie prothétique orthopédique est courante, et connue pour être à risque hémorragique en peropératoire, mais également dans les premiers jours postopératoires. Elle consomme en moyenne 8% des concentrés érythrocytaires (CGR) délivrés et est la première cause de transfusion chirurgicale [8]. La connaissance de la cinétique du saignement postopératoire est donc fondamentale pour anticiper la déglobulisation des premières heures et éviter la morbimortalité associée à l anémie aiguë. La surveillance répétée de l hémoglobinémie est également impérative. Au total, il est indispensable d intégrer tous ces paramètres afin de définir les seuils transfusionnels les plus adaptés dans les premiers jours postopératoires. 5

Des stratégies visant à réduire les transfusions érythrocytaires ont été développées afin de réduire la morbimortalité associée à la transfusion. La stratégie transfusionnelle «restrictive», qui correspond aux recommandations de l AFSSAPS [9], consiste en l utilisation de seuils transfusionnels avec une hémoglobinémie entre 7 chez le sujet sans pathologie et 8 g/dl en cas d antécédents cardio-vasculaires. Une méta-analyse de 17 études [10], menées surtout en services de soins intensifs et de médecine, montre que l utilisation de seuils d hémoglobine entre 7 et 9 g/dl, par rapport à des seuils entre 10 et 12 g/dl, réduit la consommation de concentrés érythrocytaires, sans modifier la morbimortalité. De surcroît, la récente étude FOCUS [11] prouve qu un seuil transfusionnel de 8g/dL, en l absence de symptômes liés à l anémie, chez des patients âgés à risque cardiovasculaire, opérés de fracture de l extrémité supérieure du fémur, n est pas délétère en terme de morbidité et de mortalité, par rapport à une stratégie «libérale», avec un seuil transfusionnel à 10 g/dl. Cette stratégie permet une réduction de 65% du nombre de concentrés érythrocytaires utilisés. Cependant, dans les recommandations de l AFSSAPS [9], le lecteur retiendra une phrase essentielle: «La transfusion est adaptée au débit du saignement observé, de façon à maintenir un taux d hémoglobine supérieur au seuil transfusionnel». Cette phrase signifie que ; soit une surveillance fréquente de l hémoglobinémie, une disponibilité des concentrés érythrocytaires et du personnel est nécessaire, soit qu on doit connaître la cinétique du saignement pour anticiper la chute de l hémoglobinémie (souvent nocturne). La seconde stratégie d épargne transfusionnelle homologue est l optimisation préopératoire de la masse érythrocytaire. L anémie préopératoire, même modérée, est un facteur indépendant de mortalité et d aggravation de morbidité, après chirurgie cardiaque [12, 13, 14], et non cardiaque [15, 16], avec une augmentation de la transfusion périopératoire [17,18]. C est pourquoi des recommandations récentes [19] préconisent la correction de l anémie en préopératoire. L hémoglobine doit être mesurée 28 jours avant l intervention. L anémie, même modérée, doit être traitée par administration de fer, de vitamines, en fonction de la cause et/ou par érythropoïétine (EPO). Ces mesures permettent en chirurgie orthopédique de réduire le taux de transfusion entre 50 et 80% et de diminuer la morbidité [20]. La probabilité de 6

transfusion de concentrés érythrocytaires en périopératoire d une chirurgie orthopédique prothétique est inversement proportionnelle au taux d hémoglobine préopératoire de base [21]. L indication de l EPO en préopératoire pour le patient ayant une hémoglobinémie entre 10 et 13 g/dl est retenue par l agence européenne du médicament à une posologie de 600 UI/kg/semaine par voie sous cutanée. Un traitement martial doit lui être associé. Le protocole d injection de l EPO du service de chirurgie orthopédique de l hôpital Cochin est celui proposé dans l étude de N.Rosencher et al [22], où le nombre d injection d EPO est corrélé à l hémoglobine 28 jours avant l intervention. Un apport de fer oral ou intraveineux est systématique en dehors de l hémochromatose. L utilisation peropératoire et/ou postopératoire d un antifibrinolytique constitue un moyen pharmacologique d épargne transfusionnelle. Le seul agent disponible actuellement en France est l acide tranexamique. Il permet d inhiber la fibrinolyse en saturant les sites de liaison à la lysine sur le plasminogène et empêchant la formation du complexe plasminogène-fibrine-tpa [23]. Une méta-analyse de 53 études [24], toute chirurgie confondue, incluant 3836 patients, montre que l acide tranexamique réduit le besoin transfusionnel de 39%, sans bénéfice retrouvé sur la mortalité, mais avec des études peu puissantes. Ces résultats sont spécifiquement retrouvés en chirurgie orthopédique prothétique dans 2 méta-analyses [25,26], avec une diminution des pertes sanguines totales calculées entre 25 et 50% et du taux de transfusion entre 50 et 90%, sans augmentation des événements thromboemboliques, mais sans bénéfice retrouvé sur la mortalité. La posologie de l acide tranexamique la plus couramment employée est un bolus de 10 à 15 mg/kg en peropératoire suivi d une perfusion continue de 10 mg/kg/h jusqu à la fin de l intervention [26,27]. Le protocole du service de chirurgie orthopédique de l hôpital Cochin consiste en la poursuite de l administration de l acide tranexamique pendant 8 à 12h post opératoire pour combattre l hyperfibrinolyse prolongée [28,29] avec des bolus de 15 mg/kg toutes les 4 heures, toutes les 5 heures si insuffisance rénale modérée. Au total, il convient de connaître la cinétique du saignement avec et sans acide tranexamique afin de définir les seuils transfusionnels postopératoire les plus adaptés. 7

La récupération periopératoire n est justifiée que lors d un saignement per opératoire supérieur à 15% de la volémie, donc est surtout utilisé dans les reprises de prothèses. Elle permet de réduire significativement le taux de transfusion dans les prothèses totales de hanche et de genou [30]. Cependant, toutes les techniques de récupérations ne sont plus vraiment efficaces en association avec l acide tranexamique. La transfusion autologue programmée est remise en cause depuis la diminution du risque viral de la transfusion homologue et de son risque propre d infection et d erreur ABO aussi élevés que le sang homologue [31, 32], de complications cardiovasculaires [33], et de son coût [34]. Cette technique n est plus utilisée en pratique courante dans le service de chirurgie orthopédique de l hôpital Cochin. En 2003, une large étude observationnelle européenne [21] évaluait les pratiques transfusionnelles accompagnant les arthroplasties de hanche et de genou sur 225 centres. Les pertes sanguines calculées médianes étaient de 1944 ml et le taux de transfusion global était de 69%. Mais depuis, les stratégies d épargne transfusionnelle ont été mises en place. Les données depuis une dizaine d années ont largement évolué. C est dans ce contexte qu une étude prospective observationnelle a été menée. L objectif premier était d évaluer l influence de la cinétique du saignement postopératoire après arthroplastie de hanche et de genou, avec ou sans acide tranexamique, sur la stratégie transfusionnelle. Il semble que le taux de transfusion et le saignement total soit sensiblement le même pour les PTH et PTG de première intention [20]. L objectif secondaire était d évaluer les stratégies d épargne transfusionnelle mises en place dans le service de chirurgie orthopédique de l hôpital Cochin (des seuils de transfusion «restrictifs», une optimisation de la masse érythrocytaire préopératoire par du fer et de l EPO, une administration d acide tranexamique prolongée en per et postopératoire). 8

Matériel et méthode Méthode Une étude prospective épidémiologique observationnelle a été menée dans le service d orthopédie du CHU Cochin pendant une période de 2 mois (Octobre et Novembre 2011). L objectif était d inclure tous les patients opérés d une arthroplastie totale de genou ou de hanche, qu elle soit primitive ou qu il s agisse d une reprise chirurgicale. L étude n a pas engendré de modification de la prise en charge habituelle. En cela, aucun accord de patient n a été recherché. Recueil de données Les données étaient collectées, au décours de chaque intervention, sur une fiche de recueil pré remplie (Annexe 1), par un interne et un médecin praticien hospitalier. Les données démographiques collectées, étaient : l âge, le poids, la taille, le sexe, le type de chirurgie. Les données concernant les comorbidités étaient : la prise d anticoagulants ou d anti plaquettaires en préopératoire et en périopératoire, la présence d antécédents vasculaires (coronaropathie, embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde, accident vasculaire cérébral), le score ASA, et l hémoglobinémie 30 jours avant l intervention, lors de la consultation d anesthésie (prescrite antérieurement par le chirurgien). Les données concernant la prise en charge préopératoire étaient : l administration de fer per os ou IV, l administration d EPO avec le nombre d injection, et l hémoglobinémie la veille du jour de l intervention. Les données concernant la prise en charge per et postopératoire comprenaient : l ancienneté du chirurgien (senior ou chef de clinique), l utilisation ou non d un garrot pendant une PTG, la quantité de remplissage vasculaire au cours de l intervention et en SSPI, l administration ou non d acide tranexamique en per et post opératoire et la quantité reçue, l administration de fer IV post opératoire, la nature de l anticoagulation post opératoire, le nombre de concentré globulaire reçu, homologue 9

ou autologue, du début de l intervention jusqu au 5eme jour postopératoire avec les valeurs d hémoglobinémie ayant justifié la transfusion, l usage de récupération sanguine peropératoire, et l hémoglobinémie, en salle de réveil (estimée par hémoglobinémie capillaire), puis 2 mesures de laboratoire entre le 1 er et le 5 ème jour postopératoire. Critères de jugement Le critère de jugement principal était la perte d hémoglobinémie entre la SSPI et J+1. Pour ce calcul, les patients ayant été transfusés en SSPI ont été exclus. Les principaux critères de jugements secondaires étaient le taux de transfusion et le saignement total calculé entre le début de l intervention et J+5. Les critères de jugement pour la stratégie d optimisation de la masse globulaire en préopératoire étaient l hémoglobinémie la veille de l intervention (Hb J- 1), le calcul de la variation d hémoglobinémie préopératoire ([Hb J-1]-[Hb J-30]), le taux de transfusion per et postopératoire. Les critères de jugement pour l évaluation de l acide tranexamique en per et post opératoire étaient : le taux de transfusion et la perte de sang total calculée. La perte de sang total (Annexe 2) a été calculée à partir de la somme du volume érythrocytaire perdu non compensé, calculé à partir de la variation d hématocrite entre J-1 et J+5, et du volume érythrocytaire compensé, calculé à partir des concentrés érythrocytaires reçus entre J-1 et J+5. Le volume érythrocytaire total est fonction du sexe et de la surface corporelle. Stratégie d optimisation du volume sanguin préopératoire L EPO était prescrite en l absence de contre indication, lorsque l hémoglobine était comprise entre 10 et 13 g/dl, lors de la consultation d anesthésie, 30 jours avant l intervention. Les contre indications retenues étaient : la pathologie vasculaire sévère coronarienne, carotidienne, des artères périphériques ou cérébrales, un 10

antécédent récent d infarctus du myocarde ou d AVC, une HTA mal contrôlée. 4 injections de 40 000 UI d EPO, espacées d une semaine, étaient effectuées si l hémoglobine de base était de 10g/dl. 3 injections si l hémoglobine était de 11 g/dl, 2 injections si l hémoglobine était de 12 g/dl. 1 injection si l hémoglobine était de 13 g/dl. Même en l absence de carence martiale avérée, du fer a été prescrit en association à l EPO, qu il soit administré par voie per os (200 à 300 mg/j) ou IV en pré et en post opératoire immédiat. S il existait une carence martiale, du fer IV a été administré en pré opératoire. Stratégie d optimisation du volume sanguin per et postopératoire L acide tranexamique était administré en l absence de contre indication que sont l artérite des membres inférieurs, AVC, infarctus du myocarde, cardiopathie ischémique récente ou mal équilibrée, HTA mal équilibrée et épilepsie ou antécédent de convulsion. Pour une chirurgie avec garrot, 1g d acide tranexamique était administré avant le lâcher de garrot. Pour une chirurgie sans garrot, 1g était administré à l incision, puis 1 g/h en IVSE à partir de la deuxième heure de chirurgie jusqu à la fin de l intervention en cas de reprise de prothèse. Dans les 2 cas, l administration d acide tranexamique a été poursuivie en postopératoire pendant 8 à 12h à raison d 1g IVL toutes les 4 à 5 heures en fonction de la clearance de la créatinine. Le remplissage vasculaire et la récupération sanguine périopératoire étaient laissés à la discrétion de l anesthésiste et l utilisation d un garrot pour les arthroplasties de genou à la discrétion des chirurgiens. Les seuils d hémoglobinémie indiquant la transfusion de concentrés globulaires ont été décidés pour chaque patient par l anesthésiste en fonction de ses antécédents. Analyse statistique 11

Les tests statistiques ont été effectués avec le logiciel Excel 2007 (Microsoft ) et JMD9 (SAS ). Les résultats des variables continues sont exprimés en moyenne ± écart type ou en médiane (1 er quartile ; 3 ème quartile). Les résultats des variables qualitatives sont exprimés en nombre, en pourcentage. Une différence a été considérée comme significative quand p<0,05. Pour évaluer les fluctuations d un paramètre biologique au sein des patients de l étude, un test t apparié a été utilisé. Pour l évaluation de l influence de paramètres sur la variation d hémoglobinémie ou le saignement total calculé, a été utilisée une régression simple avec analyse de variance pour les variables quantitatives et un test de Student et une analyse de variance pour les variables qualitatives. Pour l évaluation de l influence de paramètres sur le taux de transfusion, a été utilisée une régression logistique avec estimation des coefficients pour les variables quantitatives et un test de khi deux et un test exact de Fisher pour les variables qualitatives. 12

Résultats Caractéristiques de base et comorbidités Au total, 106 patients ont été inclus dans l étude, ce qui correspond à 98% des patients ayant été opérés d une arthroplastie totale de hanche ou de genou pendant la période d inclusion de l étude. Le tableau 1 résume les caractéristiques principales de base des patients. L âge moyen était de 68 ±12 ans. La majorité des patients étaient des femmes (58%). 54% des interventions étaient des PTH primitives, 28% étaient des PTG primitives, 17% étaient des reprises de PTH et 1% une reprise de PTG. L Indice de masse corporelle moyen était de 26,7±4,4 kg/m², le score ASA médian de 2 (2 ; 3). 29% des patients avaient des antécédents vasculaires (Coronaropathies, AVC, Embolie pulmonaire ou Thrombose veineuse profonde), 25% étaient traités par anti plaquettaires au long cours et 8% étaient anticoagulés à dose efficace. Tableau 1. Caractéristiques des patients Toute chirurgie Chirurgie primitive Reprise chirurgicale p Nombre (n) 106 87 19 Sexe (proportion de femmes %) 58 57 58 0,97 Age (Années) 68 ±12 68 ±11 70 ±13 0,59 IMC (kg/m²) 26,7 ±4,4 26,8 ±4,4 26,7 ±4,3 0,95 Type de chirurgie PTH (%) 71 66 95 0,01 PTG (%) 29 34 5 Comorbidités ASA médian (quartile 1; quartile 3) 2 (2; 3) 2 (2; 3) 2 (2; 3) 0,09 ATCD Vasculaire (%) 29 31 21 0,39 Coronaropathie (%) 12 13 10 TVP ou EP (%) 7 8 0 AVC (%) 12 13 10 Traitement par d'anti plaquettaire (%) 25 28 16 0,29 Traitement par anticoagulants (%) 8 8 11 0,73 Hb à J-30 (g/dl) 13,8 ±1,3 13,9 ±1,2 13,3 ±1,6 0,08 La figure 1 montre qu à J-30, 45% des patients avaient une hémoglobinémie supérieure ou égale à 14g/dl. Selon la définition OMS [35], l anémie est un taux 13

d hémoglobine inférieur à 12 g/dl pour les femmes et inférieur à 13 g/dl chez les hommes. Selon cette définition, 17% des hommes étaient anémiés contre 7% des femmes à J-30, soit 11% de la population globale de l étude. Figure 1. Hémoglobinémie à J-30 Caractéristiques globales de la prise en charge périopératoire 17 % des patients ont reçu de l EPO en pré opératoire pour optimiser la masse érythrocytaire, parmi lesquels était associé du fer IV seul dans 47% des cas, du fer per os seul dans 35% des cas, les deux dans 18% des cas. Parmi les patients ne recevant pas d EPO, 18% ont reçu du fer per os, aucun n a reçu du fer IV. Le nombre médian d injections d EPO a été de 2 (2 ; 3). 76% des patients ont reçu de l acide tranexamique, avec une dose moyenne de 80mg/kg sur 24h pour une chirurgie primitive et de 102mg/kg sur 24h pour une reprise chirurgicale. Les 24% autres n en recevaient pas à cause de la présence d une contre-indication. Le remplissage vasculaire en periopératoire (peropératoire et en SSPI) médian a été de 2000 ml (1500 ; 2500) pour les chirurgies primitives et de 2500 ml (2250 ; 3000) pour les reprises chirurgicales. L anticoagulation post opératoire était curative dans 8% des cas. Le rivaroxaban a été utilisé dans 41% des cas, le dabigatran dans 39% des 14

cas, l enoxaparine dans 13% des cas. Les données concernant l anticoagulation étaient indisponibles dans 8% des cas. Tableau 2. Caractéristiques de la prise en charge périopératoire Toute chirurgie Chirurgie primitive Reprise chirurgicale p Nombre (n) 106 87 19 Chirurgien 0,31 Senior (%) 88 86 95 Interne ou CCA (%) 12 14 5 Fer oral préopératoire (%) 24 26 11 0,14 Fer IV préopératoire (%) 11 9 21 0,14 EPO (%) 17 17 16 0,88 Nombre d'injection médian (Q1; Q3) 2 (2; 3) 2 (2; 3) 2 (2; 2,5) 0,93 Acide tranexamique (%) 76 74 89 0,14 Posologie peropératoire (mg/kg) 32 ±15 28 ±10 47 ±18 <0,01 Posologie par 24h (mg/kg/24h) 85 ±25 80 ±19 102 ±36 0,01 Remplissage moyen Cristalloïdes peropératoire (ml) 1241 ±398 1178 1526 <0,01 Colloïdes peropératoires (ml) 382 ±381 316 684 <0,01 Cristalloïdes en SSPI (ml) 349 ±339 328 447 0,16 Colloïdes en SSPI (ml) 123 ±237 121 132 0,86 Total (per op et SSPI) 2094 ±747 1943 2789 <0,01 Fer IV postopératoire (%) 86 85 89 0,62 Anticoagulation postopératoire HBPM préventif (%) 5 6 0 HBPM curatif (%) 8 7 11 dabigatran (%) 39 41 26 rivaroxaban (%) 41 39 47 Pertes sanguines et cinétique globale du saignement Les patients ont perdu de manière significative en moyenne 1,3 ±1,3 g/dl d hémoglobine entre la 1 ère hémoglobinémie capillaire en SSPI et J+1 (p<0,01), sans qu il y ait de différence significative entre chirurgie primitive et reprise (-1,3 vs -1,4 p=0,81). Ils ont perdu en moyenne 3,1 g/dl d hémoglobinémie entre J-1 et le nadir d hémoglobinémie dans les 5 jours pour les chirurgies primitives et 3,9 g/dl pour les reprises (p=0,05). Le tableau 3 montre que la perte sanguine calculée médiane a été de 1082 ml (612 ; 1437) entre J-1 et J+5. Elle était plus importante pour les reprises chirurgicales que pour les chirurgies primitives (1335 ml vs 1045 ml, p=0,01). Il n y avait pas de différence significative entre la perte sanguine calculée médiane des PTH primitives et des PTG primitives (1033 ml vs 1082 ml, p=0,5). Pour les 9 patients anticoagulés à dose efficace par HBPM en relais des AVK, le saignement calculé médian était de 1229 ml (910 ; 2216). 15

Tableau 3: Variation d hémoglobinémie et pertes sanguines calculées périopératoires Toute Chirurgie Chirurgie primitive Reprise chirurgicale p n 106 87 19 Hb préopératoire (g/dl) 13,7 ±1,2 13,7 ±1,1 13,5 ±1,6 0,62 Hb postopératoire minimale (g/dl) 10,4 ±1,5 10,5 ±1,4 9,7 ±1,5 0,02 Variation d'hb periopératoire (g/dl) -3,3 ±1,4-3,1 ±1,3-3,9 ±1,9 0,05 Variation d'hb postop (HbJ+1-SSPI) (g/dl) -1,3 ±1,3-1,3 ±1,1-1,4 ±2,0 0,81 Perte sanguine totale calculée médiane en ml (Q1;Q3) 1082 (612; 1437) 1046 (595; 1354) 1335 (921; 1703) 0,01 La figure 2 montre la variation de l hémoglobinémie en fonction du temps. Le nadir d hémoglobinémie s est situé à J+2. 44% du saignement s est produit en peropératoire, 43% dans les 24 premières heures postopératoires et 13% entre J+1 et J+2. La figure 3 montre la répartition des valeurs d hémoglobinémie à J+5. Selon la définition de l OMS [35], à J+5, 84% des hommes et 74% des femmes étaient anémiés. Aucun patient n est décédé pendant la période de suivi. Figure 2. Cinétique de l hémoglobinémie en fonction du temps. 16

Figure 3. Répartition de l hémoglobinémie à J+5 Transfusion et seuils transfusionnels Le tableau 4 montre que 18% des patients ont reçu des concentrés globulaires homologues en périopératoire jusqu à J+5. Aucun n a reçu de transfusion autologue ou n a bénéficié de récupération peropératoire. 1/3 des transfusions se sont effectuées en peropératoire, 1/3 en SSPI et 1/3 durant l hospitalisation. Les reprises chirurgicales ont nécessité plus de transfusion que les chirurgies primitives (42% vs 13%, p<0,01), la différence se situe surtout au niveau de la période peropératoire (32% vs 2%, p<0,01). Le nombre médian de concentrés globulaires reçus pour chaque patient transfusé a été de 2 (2 ; 2,5). Pour les 9 patients recevant des HBPM à dose curative (en relais des AVK), ils ont été 3 à être transfusés avec une médiane de 3 CGR (2 ; 6,5). Tableau 4. Transfusion 17

Toute chirurgie Chirurgie primitive Reprise chirurgicale p n 106 87 19 Transfusion autologue (%) 0 0 0 Recupération peropératoire (%) 0 0 0 Transfusion homologue CGR peropératoire (%) 8 2 32 <0,01 Nombre median de CGR peropératoire (Q1 ; Q3) 2 (2; 2,5) 2 (2; 2) 2 (2; 3,5) 0,42 CGR en SSPI (%) 8 6 16 0,14 Nombre médian de CGR en SSPI (Q1; Q3) 1 (1; 2) 1 (1; 2) 1 (1; 1,5) 0,67 CGR en hospitalisation avant J+5 (%) 8 7 11 0,59 Nombre médian de CGR en hospitalisation (Q1; Q3) 2 (2; 2) 2 (2; 2) 2 (2; 2) Total de CGR (%) 18 13 42 <0,01 Nombre médian de CGR total (Q1; Q3) 2 (2; 2,5) 2 (1,25; 2,75) 2 (2; 2,75) 0,29 La figure 4 représente les valeurs d hémoglobinémie justifiant l administration de concentrés globulaires. La valeur seuil moyenne était de 8,7 ±1,1 g/dl. 5%(n=1) des patients transfusés l a été pour un seuil supérieur à 10 g/dl, 60% pour un seuil supérieur à 8 g/dl. La valeur seuil moyenne en peropératoire était de 9,1 ±0,3 g/dl, en SSPI de 9,5 ±0,7 g/dl et en hospitalisation de 7,6 ±1,1 g/dl. Par ailleurs, toute chirurgie confondue, les patients ayant une hémoglobinémie préopératoire (J-1) supérieure ou égale à 14 g/dl ont été transfusés dans 7% des cas contre 25% pour les autres (p=0,02). Pour les chirurgies primitives (PTH et PTG), seuls 2% des patients ayant une hémoglobinémie préopératoire (J-1) supérieure ou égale à 14 g/dl ont été transfusés. Les patients qui ont été transfusés ont une hémoglobinémie moyenne à J+5 de 10,1 ±1,6 g/dl. 53% d entre eux ont plus de 10 g/dl. Figure 4. Seuil d hémoglobinémie justifiant la transfusion 18

Stratégies d optimisation de l hémoglobine en préopératoire 18% des hommes et 7% des femmes étaient anémiés à J-30. Ils étaient respectivement 18% et 8% à l être la veille de l intervention. Dans le but d optimiser l hémoglobinémie préopératoire, 17% des patients ont reçu au moins une injection d EPO, 11% ont reçu au moins une injection de fer IV et 24% ont reçu du fer per os. Les injections IV de fer ont été associées à une administration d EPO. Le nombre médian d injection d EPO a été de 2 (2 ; 3). 61% des patients avec un taux d hémoglobine à J-30 entre 10 et 13 g/dl, sans antécédents vasculaires, ont reçu de l EPO. 44% ont reçus du fer IV. 33% ont reçu du fer per os. 24% n ont rien reçu. Tableau 5 et Figure 5. Effet du nombre d injection d EPO sur la variation préopératoire de l hémoglobinémie Nombre d'injection n Hb à J-30 (g/dl) Variation Hb préop entre J-1 et J-30 (g/dl) 0 88 14-0,6 1 3 13,4 0,3 2 9 12,8 1,7 3 5 12,5 3 4 1 11,9 4,4 19

Le tableau 5 et la figure 5 montrent que la variation de l hémoglobinémie préopératoire semble proportionnelle au nombre d injection de l EPO, ce que confirme la figure 6 avec une corrélation linéaire forte (r²=0,76). Figure 6 : Corrélation entre le nombre d injection d EPO et la variation d hémoglobinémie préopératoire 20

Le tableau 6 montre que 56% des patients ne recevant pas d EPO avaient plus de 14g/dl d hémoglobinémie à J-30 alors qu ils n étaient plus que 33% à J-1. A l inverse, aucun des patients recevant de l EPO n avait plus de 14 g/dl d hémoglobinémie à J-30 alors qu ils étaient 72% à J-1. Les patients ayant reçu de l EPO ont gagné en moyenne 2,0 g/dl d hémoglobinémie en pré opératoire (p<0,01), alors que ceux n en ayant pas reçu ont perdu en moyenne 0,6 g/dl d hémoglobinémie (p<0,01). 94% des patients ayant reçu de l EPO ont augmenté leur taux d hémoglobine entre J-30 et J-1 contre seulement 17% pour ceux qui n en ont pas reçu (p<0,01). Aucun des patients recevant de l EPO n a été transfusé alors que 22% des patients n en recevant pas l ont été (p=0,03). Nous n avons pas retrouvé de différence significative en termes de perte de sang total calculée médiane (1128 ml vs 1067 ml, p=0,91). Tableau 6. Caractéristiques en fonction de la prise ou non d EPO Pas d'epo EPO p n 88 18 ASA médian (Q1; Q3) 2 (2; 3) 2 (2; 3) 0,51 ATCD Vasculaires (%) 34 6 0,02 Fer IV préop (%) 1 61 <0,01 Nombre d'injection moyen d'epo 0 2,3 ±0,8 Acide Tranexamique (%) 73 94 0,05 Hb J-30 (g/dl) 14,0 ±1,3 12,8 ±0,5 <0,01 Proportion de Hb >=14g/dl à J-30 (%) 56 0 Hb J-1 (g/dl) 13,4 ±1,1 14,8 ±1,0 <0,01 Proportion de Hb >=14g/dl à J-1(%) 33 72 Variation Hb préop (g/dl) -0,6 ±1,7 2,0 ±1,3 <0,01 Transfusion (%) 22 0 0,03 Perte sang total calculée médiane en ml (Q1; Q3) 1067 (593; 1376) 1127 (882; 1509) 0,91 L administration de fer per os en préopératoire n a pas permis d augmenter l hémoglobinémie préopératoire à un taux significatif par rapport à ceux qui n en ont pas reçu (+0,4 g/dl vs -0,1, p=0,21) et n a pas permis de diminuer le taux de transfusion périopératoire (16 vs 19%, p=0,78). 21

Acide tranexamique et cinétique du saignement La figure 7 montre que la cinétique de variation de l hémoglobinémie en postopératoire des patients recevant de l acide tranexamique est significativement différente de ceux qui n en reçoivent pas mais avec un nadir toujours à J+2. Figure 7. Influence de l acide tranexamique (ATX) sur la cinétique de l hémoglobinémie. 76% des patients, ont reçu de l acide tranexamique (ATX), les 24% restant n en ont pas reçu car ils présentaient une contre-indication. La dose moyenne d acide tranexamique était de 85 ±25 mg/kg/24h et de 32 ±15 mg/kg en peropératoire. Les patients recevant de l acide tranexamique ont perdu en moyenne 1,2 ±1,3 g/dl d hémoglobinémie entre le passage en SSPI et J+1, contre 1,9 ±1,0 g/dl pour ceux qui n en ont pas reçu (p=0,02). L acide tranexamique était associé à une diminution du taux de transfusion (5 vs 35%, p<0,01) et de la perte sanguine totale 22

calculée médiane (919 vs 1158 ml, p<0,01) pour les chirurgies primitives. Il était associé à une diminution significative de la perte sanguine totale calculée médiane (1282 vs 2600 ml, p=0,04), mais non significative pour le taux de transfusion dans les reprises chirurgicales (35 vs 100%, p=0,09). Tableau 7. Caractéristiques des patients recevant ou non de l acide tranexamique ATX Pas d'atx p n 81 25 ASA médian (Q1; Q3) 2 (2; 2) 3 (3; 3) <0,01 ATCD Vasculaire (%) 14 80 <0,01 Type de chirurgie 0,14 Chirurgie primitive (%) 79 92 Reprise (%) 21 8 Acide tranexamique dose peropératoire (mg/kg) 32 ±15 0 <0,01 dose des 24h (mg/kg/24h) 85 ±25 0 <0,01 Variation Hb périopératoire (g/dl) -3,0 ±1,3-4,0 ±1,7 <0,01 Variation Hb postop (J+1-SSPI) (g/dl) -1,2 ±1,3-1,9 ±1,0 0,02 Transfusion homologue (%) 11 40 <0,01 Chirurgie primitive (%) 5 35 <0,01 Reprise chirurgicale (%) 35 100 0,09 Perte sanguine totale calculée médiane en ml (Q1; Q3) 1031 (563; 1338) 1213 ( 1007; 2216) <0,01 Chirurgie primitive (ml) 919 (554; 1294) 1158 (964; 1781) <0,01 Reprise chirurgicale (ml) 1282 (869; 1584) 2600 (1146; 4446) 0,04 Influence des anti plaquettaires et des anticoagulants Sur les 27 patients traités par anti plaquettaires en préopératoire à J-30, seuls 11 ont poursuivi leur traitement en périopératoire (traités par aspirine à faible dose) et 16 ont interrompu leur traitement 5 jours avant l intervention. Le tableau 8 montre que la prise d anti plaquettaires (aspirine) en périopératoire n était pas associée à une augmentation significative du taux de transfusion (27 vs 15%, p=0,21) ou de la perte sanguine totale calculée médiane (1080 vs 1083 ml, p=0,84), malgré un ASA plus élevé, une association significative aux antécédents vasculaires et une association à une administration moins fréquente d acide tranexamique (54 vs 82%, p=0,01). 23

Tableau 8. Influence des anti plaquettaires en périopératoire Prise d'aap Pas d'aap p n 11 95 ASA médian (Q1; Q3) 3 (2; 3) 2 (2; 3) <0,01 ATCD vasculaire (%) 73 14 <0,01 EPO (%) 9 19 0,35 ATX (%) 54 82 0,01 Transfusion (%) 27 15 0,21 Perte sang total calculée médiane en ml (Q1; Q3) 1080 (710; 1459) 1083 (612; 1407) 0,84 Le tableau 9 montre que la prise d anticoagulants oraux préopératoires à dose curative, puis d HBPM à doses curative en relais pré et post opératoire, arrêtés la veille de l intervention et repris à J+1, qui représentait 8 % des patients, n était pas associée à une augmentation significative du taux de transfusion (33 vs 16%, p=0,21) mais était associée à une perte sanguine totale calculée médiane plus importante (1229 vs 1076 ml, p=0,05). Il est à noter que ces patients recevaient moins d acide tranexamique (22% vs 81%, p=0,01), avaient un score ASA plus élevé (médian 3 vs 2, p<0,01) et plus d antécédents vasculaires (67 vs 26%, p=0,01) Tableau 9. Influence de l anticoagulation efficace (AVK puis HBPM en relais) Anticoagulation pré op Pas d'anticoagulation pré op p n 9 97 ASA médian (Q1;Q3) 3 (3; 3) 2 (2; 3) <0,01 ATCD vasculaire (%) 67 26 0,01 EPO (%) 11 18 0,63 ATX (%) 22 81 0,01 transfusion (%) 33 16 0,21 Perte sang total calculé médiane en ml (Q1;Q3) 1229 (910; 2216) 1076 (608; 1385) 0,05 Le tableau 10 montre qu il n y avait pas de différence significative entre les patients recevant du dabigatran et ceux recevant du rivaroxaban en post opératoire en terme de taux de transfusion (15 vs 12%, p=0,59) ou de perte sanguine totale calculée médiane (1139 ml vs 1007 ml, p=0,62). 24

Tableau 10. Influence de l anticoagulation préventive post opératoire Dabigatran Rivaroxaban p n 41 43 ASA médian (Q1; Q3) 2 (2; 3) 2 (2; 2) 0,09 ATCD vasculaire (%) 37 14 0,02 EPO (%) 17 21 0,66 ATX (%) 88 78 0,21 Transfusion (%) 15 12 0,59 Perte sang total calculé médiane en ml (Q1; Q3) 1139 (812; 1335) 1007 (529; 1350) 0,62 25

Discussion L objectif de cette étude était de rationaliser les seuils transfusionnels en fonction de la cinétique prévisible du saignement lors d arthroplasties de hanche ou de genou, puis d observer l impact des stratégies d épargne transfusionnelle mises en place dans le service de chirurgie orthopédique de l hôpital Cochin. Vers de nouveaux seuils transfusionnels L étude de la cinétique du saignement nous a permis de décrire plus précisément les temps les plus critiques pendant lesquels la surveillance des pertes sanguines et de l hémoglobinémie doit être accrue. Ainsi, ces pertes sanguines sont survenues essentiellement en peropératoire (44%) et dans les 24 premières heures postopératoires (43%), soit 87% des pertes totales. La perte d hémoglobinémie entre la SSPI et J+1 a été en moyenne de 1,3 g/dl sans qu il y ait de différence significative entre les chirurgies primitives et les reprises, mais de 1,2 g/dl pour les patients recevant de l acide tranexamique et de 1,9 g/dl pour ceux qui n en recevaient pas. Une étude dont l abstract à été présenté à la SFAR 2011 [36] retrouvait une déglobulisation entre J0 et J+1 similaire avec cependant un nadir à J+3. Il serait donc licite d anticiper la déglobulisation et d instaurer des seuils transfusionnels plus élevés en SSPI d environ 1 g/dl d hémoglobinémie si prise d acide tranexamique et de 1,5 g/dl en son absence, afin de ne pas être en deçà du seuil transfusionnel que l on s est fixé à J+1 et risquer une complication de l anémie. Il est donc fondamental de bien surveiller le taux d hémoglobine entre la SSPI et J+2 plus particulièrement. Concernant les seuils transfusionnels, la récente étude FOCUS [11] a prouvé qu un seuil de 8g/dl, en l absence de symptômes liés à l anémie, chez des patients âgés à risque cardiovasculaire opérés de fracture de l extrémité supérieure du fémur, n était pas délétère en terme de morbidité et de mortalité par rapport à une stratégie «libérale» avec un seuil transfusionnel à 10 g/dl. Dans notre étude, la valeur seuil moyenne à laquelle les patients ont été transfusés, était de 8,7 g/dl, avec 60% des patients transfusés à plus de 8g/dl, ce qui nous a semblé excessif. Mais cette valeur 26

a chuté en salle d hospitalisation à 7,6 g/dl. Compte tenu de la perte d hémoglobinémie de 1,3 entre J0 et J+1, pour un seuil «restrictif» de 8 g/dl pour les patients aux antécédents cardio-vasculaire et de 7 g/dl pour les autres, il serait licite de proposer respectivement un seuil d au moins 9 g/dl et de 8 g/dl en SSPI. Dans l étude FOCUS [11], le seuil transfusionnel pour le groupe «libéral» était de 9,2 g/dl et pour le groupe «restrictif» de 7,9 g/dl. Le seuil moyen dans notre étude était donc situé entre les deux, mais avec deux pics (figure 2), l un entre 7 et 7,9 g/dl s appliquant d une part aux sujets sains et l autre entre 9 et 9,9 g/dl s appliquant aux sujets ayant des antécédents cardiovasculaires. Or, c était les patients du deuxième «pic» qui se rapprochaient le plus de la population décrite dans l étude FOCUS, ce qui correspond au seuil «libéral». Cependant, si en 2003 [21], 21% des sujets étaient transfusés pour un seuil d hémoglobine de plus de 10 g/dl, ils n étaient dans notre étude plus que 5%. Il faut donc poursuivre les efforts afin de diminuer les seuils transfusionnels de manière adaptée, pour s approcher du seuil «restrictif», décrit dans FOCUS, et éviter qu autant de patients transfusés (53%) aient une hémoglobinémie supérieure à 10 g/dl à J+5. Stratégies d épargne sanguine: bilan et perspectives d amélioration La première observation que nous avons dégagée de nos résultats est le parallélisme qui existe entre les caractéristiques de base des patients et celles des patients de l étude multicentrique européenne OSTHEO publiée en 2003 [21]. Elles sont donc représentatives d une population «standard» opérée d arthroplastie de hanche et de genou. L âge moyen est de 68 ans. Les femmes représentent 58%. Les proportions de PTH, de PTG, de reprises et de chirurgies primitives sont similaires dans les deux études. Nous avons transfusé 13% des patients opérés d une prothèse primitive. Certes ce taux est en net recul si on le compare avec celui retrouvé dans le service en 2008 publié dans un abstract à la SFAR (25%) et inférieur à ceux publiés dans la littérature récente (36% pour les PTH et 35% pour les PTG) [21]. Les pertes sanguines totales calculées, de 1082 ml (1046 ml pour les chirurgies primitives et de 1335 ml pour les reprises chirurgicales), étaient inférieures à celles retrouvées dans 27

l étude OSTHEO [21] qui étaient de 1944ml et 1934ml pour les PTH primitives et les PTG primitives, de 2875 ml pour les reprises de PTH et de 2528 ml pour les reprises de PTG, soit une réduction du saignement de 45 à 50%. Dans une méta-analyse récente [21], le saignement moyen pour les PTH et PTG primitives était de 1004 ml, proche de celui retrouvé dans notre étude. L étude OSTHEO [21] a été publiée en 2003, aucun patient ne recevait d acide tranexamique à cette période. Cette baisse du recours transfusionnel a été liée probablement en préopératoire à une plus large utilisation de l EPO et du fer, la mise en place d un protocole d administration de l acide tranexamique en périopératoire largement suivi et l harmonisation de la prescription de concentrés globulaires en postopératoire basée sur des seuils transfusionnels plus bas. Ainsi, l usage d une stratégie d optimisation de la masse érythrocytaire préopératoire par de l EPO était associée, dans notre étude à une absence de transfusion, et l usage d acide tranexamique en périopératoire était associé à une réduction de 72% du taux de transfusion et de 15% du saignement total calculé. Mais en analysant plus finement nos résultats, nous avons pu observer que nous transfusions encore beaucoup les patients opérés d une reprise de prothèse (42% de recours transfusionnels) et les patients anémiés en préopératoire, transfusés à hauteur de 33%. Enfin, encore 53% des patients transfusés en périopératoire avaient une hémoglobinémie à la sortie de notre service supérieure à 10 g/dl. Il existe des axes d amélioration des stratégies d optimisation de l épargne sanguine : une prescription d EPO plus stricte en tenant compte de l hémoconcentration du prélèvement de ville fait à jeun, une optimisation du protocole d administration de l acide tranexamique, une réflexion sur la prise en charge des reprises de prothèses ainsi que sur les seuils transfusionnels notamment postopératoires dont on pourrait penser qu ils puissent être abaissés sans risque, en accord avec les publications récentes [11]. L EPO en préopératoire 28

Selon la définition de l OMS [35], seuls 11% de nos patients proposés pour une arthroplastie étaient anémiés, c est-à-dire présentent une hémoglobinémie inférieure à 13 g/dl chez les hommes et 12 g/dl chez les femmes. Il est possible que le taux d anémie préopératoire, dans notre étude, ait été artificiellement bas en raison d une hémoconcentration lors de la mesure de l hémoglobinémie à J-30. En effet, la plupart de ces mesures étaient effectuées après une longue période de jeun alimentaire et hydrique. Ainsi, nous avons remarqué en moyenne une différence de valeur d hémoglobinémie de 0,6 g/dl entre J-30 et J-1 chez nos patients ne bénéficiant pas de la prescription d EPO. Donc, Il conviendrait de ne pas recommander le jeun avant de réaliser le prélèvement sanguin, ou bien d augmenter les seuils pour la définition de l anémie et surtout pour l administration d EPO entre 10,6 et 13,6 g/dl d hémoglobine. Plusieurs études conduites en chirurgie orthopédique lourde programmée ont retrouvé des taux d anémie préopératoire plus élevés aux alentours de 30% [37, 38, 39]. Dans une méta-analyse récente comprenant des personnes opérées de chirurgie orthopédique prothétique [20], plus du double de nos patients soit 24% étaient anémiés et ceci bien qu il s agisse de patients du même âge. Cette différence existe aussi avec des patients pourtant plus jeunes (56,4 ans) opérés de chirurgie majeure non cardiaque, où la prévalence de l anémie, toujours selon la définition de l OMS [35], était de 30% [16]. Une explication possible, (en dehors de l hémoconcentration) est que nos patients ont été, dans leur ensemble, bien suivis médicalement et d un niveau social les préservant peut être plus des carences alimentaires, dont nous savons qu elles représentent les causes les plus fréquentes d anémie [40]. Or, les patients ayant une hémoglobinémie préopératoire supérieure à 14g/dl et opérés de chirurgie primitive n étaient pratiquement plus transfusés (2% dans notre étude) et aucun des patients ayant reçu de l EPO n a été transfusé. Il est donc fondamental de lutter contre l anémie préopératoire. 61% des patients anémiés, sans contre-indication à un traitement par EPO, ont été traités par cette dernière. 24% des patients anémiés n ont reçu ni fer ni EPO. Il est envisageable d améliorer cette proportion. Nous avons montré que les injections d EPO étaient efficaces pour augmenter le taux d hémoglobine de 2 g/dl en moyenne, proportionnellement au nombre d injection. Cet effet est comparable à 29

d autres études [20], retrouvant une augmentation de l hémoglobine de 1,6 g/dl. En revanche, une injection unique d EPO chez les patients ayant 13g/dl d hémoglobine n a pas donné le résultat espéré. L une des hypothèses avancée est que peut être le moment choisi pour cette injection était trop proche de la date de l intervention, ne laissant pas le temps suffisant pour être efficace. De plus, La fréquente hémoconcentration expérimentale de J-30 nous a fait penser que certains de nos patients n étaient pas anémiés et ne requerraient pas l administration d EPO en préopératoire alors qu ils pourraient en justifier en réalité. Concernant l administration de fer, les effectifs étaient trop faibles pour montrer un impact significatif sur l augmentation de l hémoglobine ou la diminution du taux de transfusions. Car si aucun des patients recevant de l EPO n a été transfusé, c est peut-être aussi grâce au fer IV désormais souvent associé à l EPO. Le rationnel de l utilisation de fer IV est d éviter la malabsorption du fer per os en cas de syndrome inflammatoire, la mauvaise observance du fer oral et les interactions médicamenteuses tel que la levothyroxine et d accélérer la normalisation de l hémoglobinémie. La proportion de patient recevant du fer en pré opératoire était insuffisante pour comparer l efficacité du fer IV et per os. L acide tranexamique : peut-on en optimiser l administration? Cet antifibrinolytique était associé à une réduction du saignement total calculé médian de 21% pour les chirurgies primitives, de 51% pour les reprises, et à une réduction du taux de transfusion de 86% pour les chirurgies primitives et de 65% pour les chirurgies de reprise. Ces résultats sont tout à fait comparables aux études reprises dans deux méta-analyses [25,26]. Comme dans l étude présentée à la SFAR 2011 [36], nous avons retrouvé une différence significative en termes de déglobulisation postopératoire pendant les 24 premières heures, suggérant un effet prolongé de l acide tranexamique. Les doses utilisées (85 mg/kg en moyenne) étaient dans la fourchette des doses utilisées dans les autres études (10 à 135 mg/kg) [26]. 30

Le problème des reprises de prothèses Il persiste un taux de transfusion encore élevé de 42% pour les reprises, dans notre étude. Pourtant, la population opérée de reprise n était pas plus âgée, n avait pas plus de comorbidités, recevait autant de fer, d EPO, et d acide tranexamique que la population opérée d arthroplastie primitive (tableau 1 et 2). Il a été surprenant de constater que, dans ce cadre, aucune récupération periopératoire n a été utilisée, alors que les ¾ des concentrés érythrocytaires ont été administrés en peropératoire. En 2003 [21], 12% des patients bénéficiaient de récupération péri opératoire. Même si l usage de celle-ci est contre-indiqué en cas de suspicion d infection de prothèse, certains patients auraient pu bénéficier de cette technique. Par ailleurs, il est très difficile d évaluer en per opératoire la cinétique précise des saignements qui peuvent être soudains et de durée imprévisible. Il est fort possible qu à ces occasions, les commandes de produits sanguins aient été parfois surestimées par rapport aux besoins réels des patients dans la crainte d une mauvaise évolution clinique, et non fondée sur un seuil d hémoglobine. Limites de notre étude Cette étude présente de nombreuses limites. Tout d abord, il s agit d une étude observationnelle, monocentrique, avec un collectif faible, de nombreux facteurs de confusion, donc de très bas niveau de preuve. Mais, elle a eu le mérite d inclure de manière exhaustive les patients opérés d arthroplastie de hanche et de genou, pendant une période de 2 mois. Cette faiblesse de puissance rend l interprétation des critères secondaires de jugement délicate. De plus, ce travail n a étudié ni la mortalité, ni les morbidités postopératoires, qui ont été estimées par le taux de transfusion, variable de substitution communément admise, mais dont l association avec des critères de jugements plus pertinents est discutable. Les stratégies d épargne de transfusion de concentrés érythrocytaires étaient un thème important, mais nous n avons pas étudié la coagulopathie associée au saignement. Par exemple, les données concernant la 31

transfusion de plasmas frais congelés (PFC) sont inexistantes, alors que ceux-ci ont une place primordiale dans la prise en charge de l hémorragie massive. Concernant les seuils transfusionnels, il aurait été plus approprié de recueillir pour chaque patient le seuil transfusionnel défini à priori afin d évaluer son influence dans la stratégie transfusionnelle. L étude FOCUS [11] n a été publiée qu après la phase de recueil de données, et donc n a pas influencé le niveau des seuils transfusionnels. Du fait de l extrême difficulté technique de mesure du saignement (sang perdu dans les compresses ou dans les champs en per opératoire, hématome profond non quantifiable en post opératoire, etc..), celui-ci a été estimé à partir de la décroissance du taux d hémoglobine (voir annexe 2). On peut se demander toutefois si le lien qui existe entre l anémie préopératoire et la mortalité est proportionnel ou indépendant du nombre de concentré érythrocytaire reçu. Peut-être que le taux de transfusion n est il pas un bon critère de jugement en soi et que même une anémie corrigée en pré opératoire de façon adéquat est associée à une mortalité propre? L étude de la prise d anti plaquettaires (aspirine faible dose) en périopératoire manque de puissance (11 patients) pour retrouver une hypothétique influence sur le saignement. De même, l effectif faible de patients anticoagulés à dose curative en périopératoire (9 patients), n a pas permis de conclure si la prise d AVK au long cours, arrêtés avant l intervention, avec un relais par HBPM à dose curative en périopératoire, était associée à une augmentation des pertes sanguines calculées ou au taux de transfusion. 32