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Transcription:

1 Colloque AJAR du 5 décembre 2013 Le conseil constitutionnel et l assurance Principes constitutionnels et assurances de personnes Le cas des assurances de groupe et des assurances sur la vie par Luc Mayaux Professeur à l Université Lyon III Introduction Objet de l intervention : «tout sauf», autrement dit toutes les assurances de personnes sauf la jurisprudence sur l accord national interprofessionnel 1, sauf la fiscalité et sauf le droit prospectif 2. En pratique, seront donc envisagées les assurances de groupe et les assurances-vie. Contentieux quantitativement faible mais d une portée importante : Faiblesse du contentieux : après une analyse a priori exhaustive faite sur legifrance (en consultant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d Etat), on ne dénombre que quatre décisions sur les trois dernières années : une du Conseil constitutionnel (et qui ne concerne l assurance qu indirectement) et trois décisions de nontransmission de la Cour de cassation. Importance des décisions : elles se prononcent sur des questions fondamentales pour les assurances de groupe et pour l assurance-vie (modification du contrat d assurance de groupe, faculté de renonciation en assurance-vie, égalité entre les héritiers bénéficiaires d une assurance-vie et les autres héritiers, preuve de l insanité d esprit du souscripteur après son décès). Après ces décisions, la force normative de certaines solutions jurisprudentielles se trouve confortée. Plan : on envisagera ces quatre décisions par référence aux principes constitutionnels auxquels elles se réfèrent : liberté contractuelle, égalité, proportionnalité des sanctions, droit d agir en justice 1 Cons. const., 13 juin 2013, JCP G 2013, 219, note J. Ghestin, sur laquelle v. l intervention de E. Baraduc. 2 Sur laquelle v. l intervention de O. Boitte.

2 (spécialement après le décès du souscripteur insane d esprit), autrement dit : la liberté, l égalité, la proportionnalité et la mort! I- La liberté Cass. 2 e civ., 13 déc. 2012, n 12-40073, RGDA 2013, p. 358, note L. Mayaux. Est en cause la liberté contractuelle (art. 4, DDH). Question : cette liberté est-elle atteinte par les dispositions de l article L. 141-4 du Code des assurances qui déclarent opposables aux adhérents à un contrat-groupe les modifications de leurs droits et obligations consécutives à une modification de ce contrat, sous réserve que ces adhérents en aient été informés par écrit trois mois à l avance? Enjeu : la question est fondamentale car tout l équilibre des contratsgroupe (et leur avantage majeur par rapport à l assurance individuelle) réside dans cette opposabilité. Réponse négative (caractère non sérieux de la question) ; deux motifs sont avancés par la Cour, l un contestable, l autre remarquable. Le motif contestable : l existence d une stipulation pour autrui que l adhérent est libre d accepter ou de refuser. Or, l article L. 141-4 préserverait la liberté de refus en permettant à l adhérent qui ne souhaite pas que la modification lui soit opposable de dénoncer son adhésion. Ce motif est contestable pour deux raisons : - La figure de la stipulation pour autrui n est pas appropriée pour les contrats-groupe à adhésion facultative où chaque adhérent n est pas bénéficiaire d une telle stipulation mais bien partie à un contrat individuel d application l unissant à l assureur. - Il y a une confusion entre la liberté de refuser un droit contractuel et le maintien de ce droit au profit du bénéficiaire d une stipulation pour autrui, sachant que l acceptation par ce dernier a conforté son droit. Autrement dit, il y a confusion entre la liberté contractuelle au sens strict et l effet obligatoire des conventions. Le motif remarquable : la liberté contractuelle «trouve nécessairement sa limite dans le contrat-cadre négocié et conclu par le seul souscripteur dans l intérêt du groupe, qui passe avant les intérêts de chaque adhérent». Autrement dit, le groupe n a pas seulement un périmètre bien défini (toutes les personnes liées par un lien de même nature avec le souscripteur). Il est aussi doté d un intérêt propre. Et cet intérêt est légitimement défendu par le souscripteur.

3 II- L égalité (et la non-discrimination) Cass. 2 e civ., 19 oct. 2011, n 11-40063, RGDA 2012, p. 386, note L. Mayaux ; Resp. civ. et assur., 2002, comm. 21, note P. Pierre. Question : les articles L. 132-12 et L. 132-13 du Code des assurances, selon lesquels l assurance-vie est hors succession (sauf pour les primes et seulement quand elles sont manifestement exagérées) portent-il atteinte «au principe fondamental d égalité des citoyens devant la loi, et notamment au principe de non-discrimination entre les héritiers réservataires?» Enjeu : la question est fondamentale. Si les articles L. 132-12 et L. 132-13 devaient être déclarés contraires à la constitution, ce sont tous les avantage civils (et, peut-être, par ricochet, fiscaux) de l assurance-vie qui disparaîtraient. Réponse négative (caractère non sérieux de la question). Appréciation : il faut approuver la réponse : Sur l égalité entre les héritiers, une réponse positive aurait été potentiellement explosive. Pourquoi limiter la solution à l assurance-vie? Sauf si elle est rapportable, toute libéralité avantage et d une certaine manière rompt l égalité. On en reviendrait à l époque révolutionnaire, où régnait une stricte égalité successorale. Sur la non-discrimination, les bénéficiaires d une assurance-vie ne sont pas dans la même situation que les bénéficiaires d une libéralité «ordinaire». On a même soutenu qu il n y avait pas réellement libéralité dès lors que les primes ne sont pas manifestement exagérées 3. En outre, la Cour relève à juste titre que les dispositions des articles en cause «ne créent pas en elles-mêmes de discrimination entre les héritiers». En effet, c est la volonté qui avantage (en désignant tel héritier comme bénéficiaire de l assurance-vie) et non la loi. En d autres termes, il n y a pas discrimination légale mais faveur individuelle. III- La proportionnalité Cass. 2 e civ., 13 janv. 2011, n 10-16284 Question : l article L. 132-5-1 du Code des assurances, qui prévoit une prorogation du délai de renonciation de 30 jours dont bénéficie le souscripteur d une assurance-vie tant que l assureur n a pas remis les 3 V. P. Pierre, «L attribution du bénéfice d une assurance décès au péril du recel successoral», Resp. civ. et assur. 2009, Etude 12, n 7.

4 informations et documents prévus par la loi, répond-il aux exigences de proportionnalité et d individualisation des peines? Enjeu : la question est fondamentale. En pratique, certains «gros» souscripteurs, parfaitement informés des risques financiers qu ils prennent en souscrivant des contrats en unités de compte, utilisent de manière abusive cette disposition pour «effacer leurs pertes», remettant en cause l économie même de ces contrats. Réponse : «la restitution par l assureur de l intégralité des sommes versées par le souscripteur ayant usé de son droit de renonciation présente un caractère effectif, proportionné et dissuasif», du fait notamment que l assureur peut à tout moment faire courir le délai de 30 jours en respectant ses obligations. Appréciation : on approuvera l analyse selon laquelle l article L. 132-5- 1, en prorogeant le délai de renonciation, édicte une sanction contre l assureur (alors que la renonciation pendant les trente premiers jours est plutôt conçue comme une protection de la volonté du souscripteur). Mais précisément, y a-t-il proportionnalité de cette sanction? Et au regard de quel critère? Pas celui de la durée, puisque le droit peut être exercé sans limite de délai ou, depuis la loi n 2005-1564 du 15 décembre 2005, dans la limite de huit ans, ce qui est énorme. Et pas le critère du montant de la sanction, car la loi prévoit la restitution de l intégralité de la prime (et pas d un montant proportionné à la «faute» de l assureur). Quant à la régularisation de l information, qui permet de faire courir le délai, elle a un coût très important pour l assureur, ce qui est une forme de sanction supplémentaire. IV- Et la mort (le droit d agir pour insanité d esprit après le décès du stipulant) Cons. const., 17 janv. 2013, n 2013-344 QPC. Question : l article 414-2 du Code civil (anciennement art. 389-1), selon lequel les actes faits par une personne, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers pour insanité d esprit que s ils portent en eux-mêmes la preuve d un trouble mental, s ils ont été faits alors que l intéressé était sous sauvegarde de justice, si une action a été introduite avant son décès aux fins d ouverture d une curatelle ou d une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future, porte-t-il atteinte au droit à un recours effectif? Enjeu : il est très important pour l assurance-vie (même si l arrêt était relatif à un contrat de rente viagère 4 ). La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation (au demeurant très contestable) considère, en effet, que l assurance-vie ne réalise pas en principe une libéralité 5. Cela conduit à exiger (hors les cas où l individu serait déjà placé sous un régime de 4 V. dans la même affaire, Cass. 1 re civ., 7 nov. 2012, n 12-40068. 5 Depuis Cass. ch. mixte, 21 déc. 2007, n 06-12769, Bull. civ. 2007, ch. mixte, n 13 ; RGDA 2008, p. 210, note J. Bigot.

5 protection) une preuve par l acte lui-même et donc par la clause bénéficiaire 6. Or, c est en pratique, impossible (sauf à compter les fautes d orthographe 7 mais il n y a pas que les déments qui en font ou à tirer argument d une signature ou d une écriture «tremblantes» 8 ). Réponse : le législateur a apporté au droit d agir des héritiers des «limitations justifiées par des motifs d intérêt général et proportionnés au regard de ces objectifs» (à savoir, «assurer un équilibre entre d une part les intérêts des héritiers et, d autre part, la sécurité des actes conclus par le défunt» et «éviter les difficultés liées à l administration de la preuve de l état mental d une personne décédée»). Critique : les motifs invoqués sont classiques mais peu convaincants. En pratique, l exigence d une preuve intrinsèque rend difficile voire impossible l administration de la preuve. L arrêt fait également référence à d autres voies possibles : la violence, la fraude ou l abus de faiblesse. C est d ailleurs vers ces voies que s orientent actuellement les héritiers lésés. Mais pourquoi fermer pour des raisons probatoires la voie de l insanité d esprit qui est pourtant la plus appropriée à la situation de la personne? Conclusion En guise de synthèse on peut faire trois observations : 1) On constate une forme de révérence envers la loi, au moins quand celle-ci est ancienne, puisqu aucune des questions posées n a finalement abouti. Est-ce à dire que, plus le texte est ancien, moins sa constitutionnalité est contestable (même si l ancienneté ne vaut en aucune manière immunité)? Ou peut-être est-ce lié au fait qu autrefois les lois étaient moins bâclées qu aujourd hui et le législateur était plus soucieux de respecter la hiérarchie des normes 9? En tout cas, on relève de la part des juges, un souci évident de sécurité juridique. C est un souci louable, mais il ne justifie pas que tout soit figé 10. 2) Cette révérence se double d une forme de conservatisme quand la question critique moins la loi que la jurisprudence qui interprète celleci 11. L arrêt relatif à l article L. 132-5-1 du Code des assurances est à 6 V. par ex. Cass. 1 re civ., 6 janv. 2010, n 08-20646, RGDA 2010, p. 391, 2 e esp., note L. Mayaux., 7 V. Cass. 1 re civ., 20 juin 2012, n 10-21808, RGDA 2012, p. 1095, note L. Mayaux. 8 Rappr. Cass. 1 re civ., 6 mars 2013, n 12-11699, RGDA 2013, p. 669, note L. Mayaux. 9 V. a contrario la loi sur la sécurisation de l emploi, déclarée anticonstitutionnelle par Cons. const., 13 juin 2013, préc., à propos des clauses de désignation. Mais on a dit qu on ne traiterait pas de cette question. 10 V. Cass. 2 e civ., 13 janv. 2011, préc., et Cons. const., 17 janv. 2013, préc., qui font preuve d un respect excessif pour les textes critiqués. 11 Comme l admet le Conseil constitutionnel depuis sa décision du 6 oct. 2010, n 2010-39 QPC : tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la «portée effective» qu une «interprétation jurisprudentielle constante» confère à la disposition législative critiquée.

6 cet égard révélateur 12. De la part de la Cour de cassation, transmettre la question au Conseil constitutionnel aurait été reconnaître que sa propre jurisprudence était susceptible d être déclarée contraire à la constitution. C était prendre le risque de devoir la faire évoluer. Si le désir des juges est plutôt de la conserver, on comprend leur réticence à prendre un tel risque. On touche ici aux limites de l exercice qui consiste à confier le soin de filtrer les questions à une instance directement intéressée à leur solution. 3) Le contrôle de constitutionnalité a le mérite d élever le débat en abordant par le haut les grandes questions. C est typique pour la nature de l assurance de groupe et pour les rapports entre l assurance-vie et le droit des successions. Ce contrôle impose au civiliste de se «frotter au droit public» (ce qui est positif). Il lui impose aussi de revenir à ses fondamentaux en lui montrant que rien n est figé. De ce point de vue, il stimule sa réflexion. En d autres termes, la QPC est bonne pour le citoyen, pour le juge mais aussi pour l auteur de doctrine en lui imposant de se remettre en question. 12 Cass. 2 e civ., 13 janv. 2011, préc.