Itinérance et logement : Un pas dans la bonne direction Mémoire déposé au Comité permanent des finances dans le cadre des Consultations pré budgétaires en vue du budget 2017 13 octobre 2016
Le RAPSIM et l action du gouvernement fédéral Le Réseau d aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) est un regroupement de 109 organismes intervenant auprès des personnes en situation d itinérance ou à risque de le devenir. Actif depuis 1974, le RAPSIM et un des plus importants regroupements d organismes communautaires à Montréal. Ces membres sont des centres de jour, des refuges, des maisons d hébergement, des organismes faisant du travail de rue et de milieu, des ressources en santé mentale, toxicomanie, aide alimentaire, etc. Près d une cinquantaine de ses membres offre du logement social avec soutien communautaire. Le RAPSIM est un partenaire de la Ville de Montréal, du gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada dans la lutte contre l itinérance. Au niveau fédéral, il intervient sur les enjeux de logement et, depuis 1999, est impliqué dans le déploiement des fonds fédéraux dans la lutte contre l itinérance, maintenant connus comme la Stratégie de partenariats de lutte contre l itinérance (SPLI). Le RAPSIM participe avec enthousiasme à la consultation du Comité permanent des finances sur le prochain budget. Il tient en particulier à répondre aux questions 1 et 3 de celle-ci, sur la contribution que peuvent apporter certaines populations à la croissance économique. Être sans-abri n est pas une fatalité, ni sans issue. Dans son premier budget, le gouvernement a rétabli pour deux ans des fonds pour l entretien des logements sociaux existants et il accru ceux de la lutte contre l itinérance. C est un pas dans la bonne direction et le RAPSIM invite le gouvernement à continuer en ce sens et à marquer le coup avec son prochain budget. 2
1- Une itinérance en croissance Les statistiques de fréquentation des ressources à Montréal montrent bien que le phénomène de l itinérance est en croissance. Selon les données compilées par la Ville de Montréal, l'accroissement a été particulièrement majeur à l hiver 2015-2016. Nuitées d occupation Ressources pour Hommes Hiver 2014-2015 : 66 035 Hiver 2015-2016 : 72 980 (+10 %) Ressources pour femmes Hiver 2014-2015 : 7 215 Hiver 2015-2016 : 7 788 (+ 8 %) Source : Ville de Montréal- Données des Services d hébergement d urgence Les visages qui composent la population itinérante sont de plus en plus divers et ce dans un nombre grandissant de quartiers. Les membres du RAPSIM voient une augmentation des hommes seuls qui restent majoritaires mais aussi désormais de plus en plus de femmes, d Autochtones et de personnes issues de l immigration 1. On assiste également à un vieillissement de l itinérance, avec deux types de profils : des personnes ayant vieilli dans la rue, et d autres tombées en itinérance à un âge avancé. Les organismes constatent ainsi l arrivée de nouvelles personnes en itinérance, n ayant jamais connu la rue auparavant, ayant souvent un âge avancé. Ce type de profils montre bien une précarisation croissante d une partie de la population, sur le fil de l itinérance, qui bascule quand une difficulté survient. Ces éléments de portrait à Montréal montrent l'urgence d agir et la nécessité de le faire à la fois en prévention et réduction de l itinérance. 1 RAPSIM, L itinérance à Montréal Au-delà des chiffres, 2016. 3
2- Le logement social un outil essentiel pour contrer l itinérance Le logement social permet d agir en prévention de l itinérance. Offrir un logement social à une personne à faible revenu lui permet en effet d éviter de se retrouver à la rue, car la part de son budget consacrée au loyer est plus raisonnable (25% du revenu). Le logement social est, contrairement au supplément au loyer privé, une solution pérenne et durable. La pérennité des logements que permettent les investissements dans le logement social est un acquis de taille contrairement au supplément au loyer privé qui n ajoute aucune construction au parc de logement locatif et n influence pas la qualité des logements offerts. Le logement social est aussi un investissement payant, comme le reconnaît ellemême la Société d Habitation du Québec, puisque chaque dollar investi en subvention a permis l injection de 2,30$ dans l économie du Québec 2. Le soutien communautaire mis en place dans les projets de logements sociaux pour les personnes en situation d itinérance permet de les aider grandement à se stabiliser en logement, mais aussi de contrer leur isolement et leur exclusion sociale. Le logement social avec soutien communautaire ne fournit pas qu un toit sur la tête : par les activités collectives organisées et la présence d une intervenante, il permet aux personnes de prendre soin de leur santé, de retourner à l école et au travail. L étude de la FOHM 3 à l été 2015 démontre à quel point le logement social fonctionne afin de stabiliser les personnes. Sur 1800 locataires (dont 63% venaient de la rue), plus de 55% étaient stabilisés en logement depuis plus de 3 ans, et 20% depuis 10 ans. Un réinvestissement nécessaire dans le logement social Jusqu en 1994, Ottawa a soutenu le développement de logements sociaux, HLM, logements coopératifs et autres gérés par des organismes à but non lucratif (OBNL). Plus de 125 000 logements ont ainsi été construits au Québec avec une contribution du fédéral. Depuis, par le défaut de son action au niveau du logement social, le gouvernement fédéral a grandement contribué à l aggravation de l itinérance au Canada. Grâce aux pressions des organismes et à l action de la Ville de Montréal, le gouvernement du Québec a, dès 1994, pris en partie le relais, développant son propre programme de logement social, AccèsLogis. Des dizaines d organismes membres du RAPSIM ont ainsi pu développer plus de 2100 logements sociaux avec soutien communautaire qui ont permis à des milliers de personnes de se sortir de la rue ou de l éviter. 2 SHQ, Supplément-Étude sur les impacts sociaux des activités de la Société d Habitation du Québec : rapport-synthèse, 2013. 3 Fédération des OSBL d Habitation de Montréal, "Du chez soi au chez nous", enquête sur la stabilité résidentielle dans les OSBL-H dédiés aux personnes sortant de l itinérance. 4
Le gouvernement fédéral a entamé cette année une consultation pour se doter d une Stratégie nationale en habitation. Le RAPSIM a participé à celle-ci pour y demander que : - Des fonds suffisants dès le prochain budget et des engagements à long terme pour maintenir en bon état les logements sociaux réalisés avec des fonds fédéraux, de même que pour garantir leur accessibilité financière; -Des fonds importants dès le prochain budget aussi avec un engagement à long terme pour contribuer au développement de nouveaux logements sociaux. Le maintien des investissements dans les logements sociaux existants est important pour la lutte à l itinérance. Parmi les personnes habitant en logement social, un nombre important ne serait pas capable de faire face à une hausse de loyer et certaines d entre elles se retrouveraient à risque voir en situation d itinérance. Les logements sociaux existants, avec leur niveau de loyer actuel, représentent pour de nombreuses personnes un moyen d éviter la rue et d en sortir. Il est tout autant crucial que le gouvernement fédéral rétablisse des fonds importants pour le développement de nouveaux logements sociaux au Québec permettant d accroitre les efforts financiers qu y consacrent le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal. 5
3- Le soutien à la lutte à l itinérance En 1999, le gouvernement fédéral a annoncé une Stratégie nationale pour les sans-abri, dans laquelle une pièce maitresse était l Initiative de partenariats de lutte contre l itinérance, (IPAC). Ce programme, aujourd hui nommé Stratégie de partenariats de lutte contre l itinérance a été reconduit à 7 reprises par les différents gouvernements, sans jamais être ni indexé, ni augmenté. Les organismes communautaires recevaient ainsi à Montréal jusqu en 2016 la somme 7,8 millions $ par an pour soutenir leurs actions. Des fonds essentiels Cette contribution importante du fédéral ne pouvait à elle seule contrer l itinérance, des investissements beaucoup plus importants dans la lutte contre la pauvreté et le logement social sont nécessaires, de même que des actions fortes du gouvernement du Québec et de la Ville. La SPLI a cependant apporté jusqu en 2014, un soutien important à une diversité d interventions pour prévenir et réduire l itinérance, de même qu à différentes immobilisations, comme en témoigne le tableau ci-dessous : Bilan des programmes fédéraux en itinérance 2002-2019 Immobilisation Intervention globale Intervention Housing first Autres : IPAC 2002-2003 68 % 20 % 12 % IPAC 2004-2006 66 % 25 % 9 % IPLI 2007-2009 62 % 35 % - SPLI 2009-2011 49 % 48 % 3 % SPLI 2011-2014 48 % 52 % - SPLI 2014-2015 1 % 64 % 34 % - SPLI 2015-2019 6 % 29 % 65 % - SPLI 2016-2018 35 % 57 % 5 % 3 % Pour 2016-2018, un montant additionnel de 2,8 millions $ par an suite au budget fédéral de 2016 *IPAC -Initiatives de partenariats en action communautaire IPLI- Initiatives de partenariats de lutte contre l itinérance SPLI- Stratégie de partenariats de lutte contre l itinérance 6
Intervention : Avec ces programmes, le financement fédéral a joué un rôle essentiel et croissant dans le soutien à l intervention menée dans les refuges, les centres de jour, les hébergements, les logements sociaux, le travail de rue et de milieu, en assumant jusqu en 2015 le salaire de plus de 90 intervenantes dans 50 organismes œuvrant auprès de 25 000 personnes à Montréal. Logements sociaux : IPAC-IPLI et la SPLI, avec un rôle d appui dans le montage financier de projets AccèsLogis, ont contribué à la réalisation de plus de 1050 logements sociaux avec soutien communautaire, réalisés par des OSBL de logement, des centres de jour, des ressources en hébergement, en toxicomanie, en santé mentale et d autres organismes, tels la Maison du Père, la Rue des femmes, l Avenue hébergement communautaire, Dianova et le Sac à dos. Installations : Plusieurs organismes ont amélioré ou relocalisé leur installation et augmenté les services qu ils y apportent. Le financement fédéral a pu permettre ces améliorations d installations telles celles de L'Itinéraire, de CACTUS. Souvent la SPLI a été la seule ou la principale source pour ces immobilisations. Ces fonds, tels que prévu dans l Entente Canada-Québec, étaient octroyés par un Comité des partenaires, réunissant le RAPSIM, la Ville de Montréal et des représentantes du gouvernement du Québec. Dans le respect des grandes orientations des deux gouvernements, le milieu déterminait les priorités régionales de même que l affectation des fonds. Le virage Housing first Le budget fédéral de 2013 annonçait la reconduction de la SPLI pour 5 ans, de 2014 à 2019, avec cependant un virage vers le Housing first, une approche ciblée vers les populations en situation d itinérance chronique passant par une offre de logements sur le marché privé. Pour les grandes villes, dont Montréal, le gouvernement fédéral dictait ainsi que 65 % des fonds de la SPLI devait aller vers cette approche. Cette décision allait à l encontre de résolutions unanimes de l Assemblée nationale, de même que du conseil municipal de Montréal demandant au fédéral de maintenir une approche globale dans la lutte contre l itinérance. En raison de l imposition de ce modèle qui exclue le soutien aux immobilisations, ainsi que l intervention aux personnes à risque d itinérance, 50 organismes ont vu leur soutien de la SPLI réduit ou totalement coupé et des milliers de personnes ont perdu tout soutien. 7
Des fonds nouveaux Le premier budget du nouveau gouvernement annonçait des fonds additionnels pour la SPLI pour deux ans, de 2016 à 2018. Première hausse de ce programme depuis 1999, cette annonce a été très bien reçue, d autant plus qu elle s est accompagnée d un retour à une approche laissant les communautés locales déterminer leurs priorités. Ces fonds nouveaux à Montréal ont permis de rétablir pour deux ans le soutien à l intervention qui avait été coupé auprès de différentes populations. De même, ils apporteront un soutien important à l ajout de 150 logements pour sans-abri développés par des ressources pour hommes, pour femmes, pour jeunes, pour toxicomanes et autres populations touchées par l itinérance. Seul bémol de cette annonce, le gouvernement fédéral a réservé aux moyennes communautés sa hausse de 50% de la SPLI, allouant seulement une hausse 25 % pour les grandes villes. Le RAPSIM est depuis 1999 partisan de l investissement des fonds fédéraux dans les différentes régions, ainsi au Québec 12 régions en reçoivent. Cependant, l ampleur et la diversité de l itinérance à Montréal y nécessite un accroissement important des fonds de la SPLI. Un investissement à accroitre et reconduire Le RAPSIM demande au gouvernement de reconduire dès son prochain budget les fonds de la SPLI. Les courtes échéances du 31 mars 2018, pour les fonds SPLI ajoutés par le budget Morneau, de même que celle du 31 mars 2019, pour les fonds annoncés antérieurement, appellent à l annonce d une vision à long terme. En complément essentiel de sa Stratégie en habitation, le gouvernement doit annoncer la poursuite de la SPLI à long terme, ce avec une approche globale apportant un soutien aux différentes actions nécessaires pour prévenir et réduire l itinérance. Ces investissements doivent revenir à une approche communautaire, laissant aux comités locaux la souplesse pour déterminer l affectation du financement. Le RAPSIM reprend la position exprimée par le caucus des maires des grandes villes de la FCM qui demande : Que les fonds de la SPLI soit doublés pour atteindre 350 millions $ par an, ce jusqu en 2025, d en faire bénéficier les villes où l itinérance sévit le plus durement et ce avec une souplesse dans l attribution locale des fonds. Réseau d aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) 1431, rue Fullum, Suite 203, Montréal (Québec) H2K 0B5 Tél (514) 879-1949 Fax (514) 879-1948 Info@rapsim.org www.rapsim.org 8