Alexandre ARAUJO Interne de pédiatrie de Grenoble Mémoire de DES de Pédiatrie 08/10/2010

Documents pareils
Infection à CMV et allogreffe de cellules souches hématopoïétiques : Expérience du Centre National de Greffe de Moelle Osseuse, Tunis.

Item 127 : Transplantation d'organes

Association lymphome malin-traitement par Interféron-α- sarcoïdose

Infiltrats pulmonaires chez l immunodéprimé. Stanislas FAGUER DESC Réanimation médicale septembre 2009

Apport de la biologie moléculaire au diagnostic des parasitoses

Greffe de moelle osseuse: Guérir ou se soigner?

HEPATITES VIRALES 22/09/09. Infectieux. Mme Daumas

La maladie de Still de l adulte

Carte de soins et d urgence

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE. Avis. 3 septembre 2008

Fièvre chez un patient immunodéprimé.

Leucémies de l enfant et de l adolescent

14. TRANSPLANTATION DE CELLULES SOUCHES maj 2010 HEMATOPOIETIQUE

Il est bien établi que le réseau d eau hospitalier peut

Peut-on reconnaître une tumeur de bas-grade en imagerie conventionnelle? S. Foscolo, L. Taillandier, E. Schmitt, A.S. Rivierre, S. Bracard, CHU NANCY

I - CLASSIFICATION DU DIABETE SUCRE

Innovations thérapeutiques en transplantation

LA TUBERCULOSE Docteur ALAIN BERAUD

L allogreffe de Cellules Souches Hématopoïétiques

Définition de l Infectiologie

GRANULOMATOSE SEPTIQUE CHRONIQUE

ALLOGREFFE DE CELLULES SOUCHES HEMATOPOÏETIQUES (CSH) CHEZ 26 PATIENTS ATTEINTS DE β THALASSEMIES MAJEURES

Mise en place du contrôle du bon usage des carbapénèmes: expérience d une équipe pluridisciplinaire

LIGNES DIRECTRICES CLINIQUES TOUT AU LONG DU CONTINUUM DE SOINS : Objectif de ce chapitre. 6.1 Introduction 86

DÉFICITS IMMUNITAIRE COMMUN VARIABLE

Suivi ambulatoire de l adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation

Streptocoque B :apports des tests en fin de grossesse, nouvelles propositions.

TRAUMATISME CRANIEN DE L ENFANT : conduite à tenir?

INFORMATIONS AUX PATIENTS ATTEINTS DE LEUCEMIE AIGUE MYELOBLASTIQUE

Orientation diagnostique devant une éosinophilie 1

Arthralgies persistantes après une infection à chikungunya: évolution après plus d un an chez 88 patients adultes

PRISE EN CHARGE DES PRE ECLAMPSIES. Jérôme KOUTSOULIS. IADE DAR CHU Kremlin-Bicêtre. 94 Gérard CORSIA. PH DAR CHU Pitié-Salpétrière.

Hémochromatose génétique non liée à HFE-1 : quand et comment la rechercher? Cécilia Landman 11 décembre 2010

Thérapeutique anti-vhc et travail maritime. O. Farret HIA Bégin

Cas clinique 2. Florence JOLY, Caen François IBORRA, Montpellier

SYNOPSIS INFORMATIONS GÉNÉRALES

Le don de moelle osseuse :

LISTE DES ACTES ET PRESTATIONS - AFFECTION DE LONGUE DURÉE HÉPATITE CHRONIQUE B

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS DE LA COMMISSION. 10 octobre 2001

Fièvre sans foyer chez l enfant de moins de 3 mois

Dracunculose Association Française des Enseignants de Parasitologie et Mycologie (ANOFEL)

Sport et traumatisme crânien

Migraine et Abus de Médicaments

Vaccination et tuberculose en Gériatrie. Unité de Prévention et de Dépistage: Centre de vaccination et centre de lutte anti tuberculeuse CH Montauban

Nous avons tous un don qui peut sauver une vie. D e v e n i r. donneur de moelle. osseuse

NOTICE: INFORMATION DE L UTILISATEUR. Immukine 100 microgrammes/0,5 ml solution injectable (Interféron gamma-1b recombinant humain)

Ordonnance du DFI sur les prestations dans l assurance obligatoire des soins en cas de maladie

MINISTERE DE LA SANTE ET DES SOLIDARITES DIRECTION GENERALE DE LA SANTE- DDASS DE SEINE MARITIME

Christian TREPO, MD, PhD

Les facteurs de croissance lignée blanche Polynucléaires neutrophiles Grastims

Dons, prélèvements et greffes

HVC CHRONIQUE MOYENS THERAPEUTIQUES ET BILAN PRE-THERAPEUTIQUE CHAKIB MARRAKCHI.

La Dysplasie Ventriculaire Droite Arythmogène

Plan de la présentation

27 ème JOURNEE SPORT ET MEDECINE Dr Roukos ABI KHALIL Digne Les Bains 23 novembre 2013

Le traitement du paludisme d importation de l enfant est une urgence

HERNIE DISCALE LOMBAIRE

Le don de moelle osseuse

Faq 1 - Mener l interrogatoire et l examen clinique d un enfant fébrile

GREFFE DE CELLULES SOUCHES HEMATOPOEITIQUES ET SES COMPLICATIONS INFECTIEUSES. Michael HUMMELSBERGER Hématologie clinique CHU de Nice

Épidémiologie des maladies interstitielles diffuses

INFORMATION À DESTINATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ LE DON DU VIVANT

Quoi de neuf dans la prise en charge du psoriasis?

Diagnostic des Hépatites virales B et C. P. Trimoulet Laboratoire de Virologie, CHU de Bordeaux

Intérêt diagnostic du dosage de la CRP et de la leucocyte-estérase dans le liquide articulaire d une prothèse de genou infectée

Prise en charge de l embolie pulmonaire

L agénésie isolée du corps calleux

Ministère de la santé, de la jeunesse et des sports. Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins

plan Transplantation d organe 2 types de donneurs 05/05/ Le don d organe 2 Prise en charge immunologique 3 Le rejet


La prise en charge de l AVC ischémique à l urgence

Unité d enseignement 4 : Perception/système nerveux/revêtement cutané

e-santé du transplanté rénal : la télémédecine au service du greffé

Don de moelle osseuse. pour. la vie. Agence relevant du ministère de la santé. Agence relevant du ministère de la santé

Transplantation hépatique à donneur vivant apparenté. Olivier Scatton, Olivier Soubrane, Service de chirurgie Cochin

Vaccinations pour les professionnels : actualités

HERNIE DISCALE LOMBAIRE

SURVEILLANCE DES SALARIES MANIPULANT DES DENREES ALIMENTAIRES

Actualisation de la prescription en biologie rhumatologie

Le Don de Moelle Ça fait pas d mal!

PROGRESSEZ EN SPORT ET EN SANTÉ. Mieux vivre avec ma maladie chronique, Me soigner par l activité physique Programmes Santé

Etablissement Français du Sang

1 of 5 02/11/ :03

LA RESPONSABILITÉ DU RADIOLOGUE Point de vue de l avocat

INSUFFISANCE CARDIAQUE «AU FIL DES ANNEES»

LES DOULEURS LOMBAIRES D R D U F A U R E T - L O M B A R D C A R I N E S E R V I C E R H U M A T O L O G I E, C H U L I M O G E S

1- Parmi les affirmations suivantes, quelles sont les réponses vraies :

Anticorps, vaccins, immunothérapies allergéniques tout savoir sur les progrès de l immunothérapie en 20 questions

L ANGINE. A Epidémiologie :

Accidents des anticoagulants

DON DE SANG. Label Don de Soi

Compte rendu d hospitalisation hépatite C. À partir de la IIème année MG, IIIème années MD et Pharmacie

LA HERNIE DISCALE LOMBAIRE

Pharmacologie des «nouveaux» anticoagulants oraux

des banques pour la recherche


Introduction générale

Guide du parcours de soins Titre ACTES ET PRESTATIONS AFFECTION DE LONGUE DURÉE. Hépatite chronique B

Artéfact en queue de comète à l échographie hépatique: un signe de maladie des voies biliaires intra-hépatiques

Les anticoagulants. PM Garcia Sam Hamati. sofomec 2008

Transcription:

A PROPOS D UN CAS DE SYNDROME D ACTIVATION LYMPHOHISTIOCYTAIRE ASSOCIE A UNE INFECTION A BURKHOLDERIA CEPACIA COMPLEX CHEZ UN NOURRISSON REVELANT UNE GRANULOMATOSE SEPTIQUE CHRONIQUE ET UNE INTEGRATION GENOMIQUE DU VIRUS HHV-6. Alexandre ARAUJO Interne de pédiatrie de Grenoble Mémoire de DES de Pédiatrie 08/10/2010

INTRODUCTION Granulomatose septique chronique. Déficit immunitaire primitif de la phagocytose. Anomalie du métabolisme oxydatif par dysfonction de la NADPH oxydase. Infections fongiques et bactériennes répétées, granulomes tissulaires disséminés. Champignons: Aspergillus (33% des infections). Bactéries: SA, enterobactéries dont Salmonelles. Pneumopathies, abcès et adénites surinfectées, sepsis Prévalence 1/200000 naissances. ¾ des cas révélés avant 5 ans,14% après 10 ans. Winkelstein JA et al. Chronic granulomatous disease. Report on a national registry of 368 patients. Medicine (Baltimore) 2000; 79:155 69. Diagnostic: - Test au NBT - Génétique: 4 formes connues. Liée à l X: mutation du gène CYBB codant pour sous unité gp91phox (ou Nox2): 50% des cas, forme grave. AR: 3 formes plus frustres, autres sous-unités. Traitement: - prophylaxie antibiotique et antifongique. - greffe de moelle osseuse à discuter.

TEST AU NBT Département Biologie et Pathologie de la Cellule/Pôle BiologieLaboratoire agrée pour le diagnostic de la CGD, CHU GRENOBLE

INTRODUCTION Syndrome d activation lymphohistiocytaire. «Orage cytokinique» avec activation et prolifération non contrôlée de LT et macrophages. Clinique non spécifique: fièvre, HSPM, ADP, éruption, neuro Biologie évocatrice: bi/pancytopénie, LDH, ferritine, cytolyse hépatique, triglycérides, fibrinogène. Cyto/histologie: myélogramme, LCR, ponction ggl Erythrophagocytose, infiltration histiocytaire/macrophagique. SALH primitifs: maladies génétiques: lymphohistiocytose familiale, maladie de Chediak-Higashi, maladie de Griscelli et maladie de Purtilo. SALH secondaires: infections (EBV+++, CMV, virus, bactéries, parasites, champignons), maladies chroniques=hémopathie maligne (lymphome+++), une maladie auto-immune (lupus), rarement une tumeur solide. Traitement: corticoïdes, immunosuppresseurs, Ig polyvalente, +- greffe de moelle.

INTRODUCTION Karras A, Hermine O. Syndrome d activation macrophagique. Rev Med Int 2002; 23:768 78

INTRODUCTION Virus HHV-6: Famille des herpesvirus. Virus ADN double brin, ubiquitaire. Séroprévalence=90% chez adulte. 2 variants A et B: Variant B: asymptomatique, exanthème subit+++, infection précoce (<2ans). Variant A: infections tardives, sévères (méningoencéphalites). Immunodéprimés (VIH, greffes): pneumopathies interstitielles, rétinites, encéphalites, SALH. Intégration génomique de HHV-6. Charge virale sanguine > 6 log10 copies/ml, charge virale LCR élevée. Prévalence 1%, Variant A+++.

CAS CLINIQUE Nourrisson de 10 mois. Famille caucasienne, pas de consanguinité. 2 ainés sans atcd. Atcd à 4 mois d abcès cutané de la face à Serratia. Hospitalisé pour GEA fébrile depuis 10 jours. Examen clinique: masse inguinale droite et adenopathies régionales. Echo: lésions hypoéchogènes, hétérogènes inguinale et paravésicale droites et adenopathies abdominales. Bio initiale: syndrome inflammatoire avec CRP=250mg/l, GB=17,3G/l dont 9,3 PNN et cytolyse hépatique: TGO=250, TGP=120UI/l.

EVOLUTION PEJORATIVE RAPIDE Hépatosplénomégalie et insuffisance hépato-cellulaire (TP=44% et FV=56%). Mutation en réanimation péd, substitution transfusionnelle et ATB probabiliste (ceftazidime, amikacine). Leucopénie=2,1G/l,thrombopénie=84G/l, LDH=2940UI/l, ferritine=16800µg/l. Myélogramme: aspect de SALH, pas d accumulation blastique. LCR: pas de signes SALH, stérile. Corticothérapie IV (4mg/kg/j puis 2 puis 1mg/kg/j) et élargissement ATB: ciprofloxacine, tazo/pipe, cotrimoxazole. Aggravation constante: Insuffisance hépatique (TP=15%, FV=16%). Défaillance multiviscérale: insuffisance rénale, convulsions généralisées, troubles de la conscience. Mutation centre spécialisé, <72h après début de l hospit.

TEMPS DIAGNOSTIQUES Bodyscanner: abcès multiples cérébraux, hépatiques, spléniques, inguinaux et paravésicaux. Hémocultures positives à Burkholderia cepacia complex. Granulomatose septique chronique, confirmée par test au NBT et génétique moléculaire: mutation gêne CYBB en faveur d une forme liée à l X. Transfusions leucocytaires x5. Poursuite ATB et fluconazole. PCR sanguine HHV-6 fortement positives chez l enfant (6,7 log copies/ml) et la mère. Intégration génomique de HHV-6. Infection à HHV-6 infirmée par stabilité PCR sous ganciclovir et amélioration clinico-biologique après contrôle septicémie.

EVOLUTION Favorable à court terme et moyen terme: Contrôle septicémie à BCC, régression des abcès. Régression du SALH. Pas de séquelles et en particulier neurologiques. A long terme: Pas de nouvel épisode d infection bactérienne sous ciprofloxacine et cotrimoxazole. Découverte de macronodules pulmonaires asymptomatiques. Pas de germe sur le LBA ni sur ponction transpariétale. Exérèse chirurgicale: champignon filamenteux au direct, culture fongique et PCR panfongiques non contributives. Régression sans disparition complète sous voriconazole puis posaconazole. Projet thérapeutique: Infections sévères. Donneur de moelle intrafamilial HLA-identique potentiel. Allogreffe de moelle osseuse géno-identique.

EVOLUTION Greffe réalisée à 12 mois post diagnostic. Conditionnement d immuno-chimiothérapie cyclophosphamide et alemtuzumab. par busulfan, Suites de greffe simples: Sortie d aplasie à J+19. Pas de GVH sous mycophénolate mofetil prophylaxie par ciclosporine et Virémie transitoire et asymptomatique à adénovirus traitée par cidofovir. Septicémie à E.Coli à J+70, simple. A 18 mois post-greffe: Prise de greffe satisfaisante: chimérisme 100% donneur. Immunité: tests au NBT normaux, pas d infections notables. Stabilité radiologique des nodules pulmonaires malgré l arrêt de la prophylaxie antifongique à 6 mois post-greffe. Va bien.

DISCUSSION Fait clinique singulier. Association GSC/SALH rare. Cas décrits mais pas de «série». Pas de données sur incidence. «SALH rarement observé dans la GSC.» Infection sévère à Burkholderia cepacia. Intégration génomique de HHV-6. Un lien évident? Burkholderia cepacia complex: BGN, complexe de 9 espèces, pathogènes opportunistes. Mucoviscidose+++. GSC: émergence de BCC dans l écologie des infections bactériennes. Infections redoutables: 20% des décès sur sepsis/ppt, 2 ème cause après Aspergillus. Cause infectieuse connue mais rare de SALH.

DISCUSSION Cascade d évènements. La GSC favorise l infection à BCC. L infection à BCC provoque le SALH: Incapacité à phagocyter et détruire le BCC entraine une prolifération de macrophages et une stimulation de l activité phagocytaire. Le syndrome de réponse inflammatoire systémique provoque un état d hypercytokinémie (TNFα, IL-1, IL-6) qui favorise l activation hémophagocytaire. Littérature: 2 case-report sur association GSC/SALH/BCC: Cas adulte, GSC par mutation gène CYBA (p22phox). Cas pédiatrique: test au NBT concluant, pas de génétique. Pas de corrélation génotypique GSC et risque survenue SALH.

DISCUSSION Virus HHV-6 et SALH. Virus découvert en 1986. 1 er cas de SALH associé au HHV-6 rapporté en 1990. Huang LM. Human herpesvirus-6 associated with fatal haemophagocytic syndrome. Lancet 1990; 336(8706):60-1. Moins fréquents que d autres herpesvirus (EBV+++). Description surtout chez sujets immunodéprimés+++ (greffes). Intégration génomique et pathologie? Infections congénitales à HHV-6: intégration génomique parentale >transmission transplacentaire. Prolifération cellulaire maligne? Sd lymphoprolifératifs? Pas de données dans la littérature sur lien avec SALH, pas de cas cliniques comparables rapportés. Chez notre patient, pas de récidive à distance du SALH malgré PCR HHV-6 sanguines qui restent fortement positives. Pas d arguments pour relation entre HHV-6 et SALH chez cet enfant.

CONCLUSION Situation clinique complexe: Présentation brutale et sévère, défaillances d organes graves, démarche diagnostique compliquée. Association rare de diagnostics rares. Découverte fortuite de l intégration génomique de HHV-6. Enjeu fondamental des travaux sur HHV-6.