Conclusion : Doit-on réguler les IDE? Les investissements internationaux Introduction : Qu est ce qu un investissement direct à l étranger (IDE)? I) L évolution des IDE 1 Les IDE : une affaire entre riches 2 La France et les IDE 3 IDE et délocalisations II) Pourquoi des IDE? 1 Le faux problème du coût du travail 2 Les IDE et l avantage comparatif 3 Le risque du chantage financier
Introduction : Qu est ce qu un investissement direct à l étranger (IDE)? La conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) a adopté la définition suivante : Un IDE est l opération par laquelle un résidant d un pays obtient un intérêt durable et une influence significative dans la gestion d une entreprise résidant dans un autre pays. De façon concrète, cet intérêt durable se traduit par une prise de contrôle d une entreprise étrangère à hauteur d au moins 10% de son capital. Les IDE ne sont donc pas une opération de spéculation, et ils doivent être distingués des investissements de portefeuille qui sont de simples placements financiers. Dans la plupart des cas, un IDE a un but productif. Quand une entreprise a acquis au moins 10% du capital d une entreprise étrangère, elle devient une «firme multinationale». Selon la CNUCED, il y a en 2007 78400 firmes multinationales.
Quand une FMN réalise plus de 30% de son chiffre d affaires grâce à ses filiales étrangères, on parle de Firme Transnationale (FTN). Les IDE peuvent prendre 4 formes différentes, les deux premières étant les plus importantes : - création «ex nihilo» d une entreprise à l étranger. - opération de fusion acquisition qui suppose la prise de contrôle d au moins 10% d une entreprise étrangère (ceci représente 70% des IDE). - le réinvestissement des bénéfices d une filiale dans le pays d origine de cette filiale. - des opérations de prêts et d augmentation de capital entre maison mère et filiale. Les IDE entrants sont des IDE réalisés par des pays étrangers au sein d un pays, et les IDE sortants sont réalisés par un pays vers des pays étrangers. Les flux d IDE sont réalisés chaque année, et les stocks d IDE sont le total cumulé de ces IDE. Les IDE ont pris une place considérable dans l activité économique et financière mondiale (doc 1 et 2) : ils représentent aujourd hui un stock de 15602 milliards $, soit presque 29% du PIB mondial.
I) L évolution des IDE 1 Une affaire entre pays riches On associe souvent les IDE à la volonté des FMN des pays développés de se délocaliser vers des pays à bas salaires. Ce point doit être très sérieusement nuancé : on se rend compte que la plus grande partie des flux d IDE se fait entre pays développés, et non pas de pays développés vers les pays en développement (doc 3 et 4). Ce point peut sembler logique en ce qui concerne les flux sortants : il est plutôt «normal» que ce soient les investisseurs issus des pays développés qui procèdent à ces IDE : entre 85 et 90% du total des flux annuels. En revanche, ce qui est plus «étonnant», c est que ces investisseurs investissent principalement dans des pays d accueil identiques aux leurs, même si cela à tendance à diminuer (68 à 70% du total). On observera avec curiosité que les flux mondiaux entrants et sortants ne sont pas égaux (un écart de 163,2 milliards $ en 2007!!)
Un autre paradoxe peut se constater : la part des PED dans les flux d IDE entrants reste à peu près stable (autour de 25-30%), alors que cette part dans les flux sortants augmente de 10% à 12%. Surtout, alors que les flux entrants entre 1995-2000 et 2007 ont été multipliés par 2,65, les flux sortants ont été eux multipliés par 3,4. De là à dire que le Sud commence à financer le Nord Les stocks d IDE sont très importants en comparaison du PIB : pour la France, le stock d IDE détenu par des français à l étranger représente plus de la moitié de son PIB et les IDE étrangers en France plus du 1/3 du PIB. On remarquera que certains pays sont particulièrement sensibles aux IDE : ceux-ci représentent la presque totalité du PIB des Pays-Bas (doc 5). A l inverse, le Japon préfère visiblement un investissement sur place et se méfie des investissements étrangers. Mais on constate de nouveau qu en % de leur PIB, l Afrique et l Asie détiennent plus d IDE à l étranger que l étranger n en détient chez eux. Curieuse façon d envisager un développement!!
2 La France et les IDE La position de la France dans les IDE est assez caractéristique des pays occidentaux : - elle investit davantage à l étranger que celui-ci investit en France : en 2007 les français ont investi 164,1 milliards d à l étranger, et celui-ci a investi 115,4 milliards d en France (doc 7). - cette tendance s amplifie néanmoins : les IDE sortants progressent plus rapidement que les IDE entrants alors que tout au long des années1990 il y avait un quasi équilibre sauf à partir de 1998 (doc 6). - la France est le 3 pays d accueil des IDE mondiaux en 2007 et elle est également le 3 pays «exportateur» d IDE - pour l essentiel, la France investit elle aussi dans les pays riches : 75,5% des investissements de la France se font dans les pays de l UE (dont les 2/3 dans les seuls pays de la zone ), et si on y ajoute des pays comme les Etats-Unis, le Japon et la Suisse on obtient 94,3% des IDE de la France (doc 7)
- ce phénomène se retrouve dans les IDE étrangers en France : 77% des IDE en France proviennent de l UE et au total 95,3% des IDE en France proviennent des pays riches. - la part des PED dans l investissement français à l étranger est faible : 24,5%, et en particulier la part vers les pays d Asie «à bas salaires» ne représente au maximum que 5% des IDE de la France. Le thème des «délocalisations vers les pays à bas salaires» doit donc commencer par être sérieusement nuancé. On retrouve ici tout le problème de l information économique et sociale : - d un coté, l aspect un peu sensationnel, le «scoop», la mauvaise nouvelle, les fermetures d usines, les menaces - d un autre coté, les faits : l investissement international dans les pays à bas salaires et pour des motifs de coûts du travail ne représente qu un aspect assez marginal de cet investissement. Mais c est assez difficile à faire admettre.
3 IDE et délocalisations On associe souvent les investissements internationaux aux délocalisations. Il faut alors être précis sur le terme de délocalisation : - au sens large, une délocalisation consiste à produire à l étranger tout ce que l on pourrait techniquement faire chez soi - mais il faut distinguer : La délocalisation au sens strict : il s agit du transfert à l étranger d une activité qui existait dans le pays d origine de l IDE en vue d une réimportation du produit ou du service. La localisation : il s agit d une création d activité à l étranger ou d un transfert d activité qui n implique pas une réimportation par la suite. Si par exemple Airbus s implante en Chine, il ne s agit pas d une délocalisation, puisque les Airbus fabriqués en Chine ne seront pas réimportés en Europe (du moins pas au début ) La relocalisation : il s agit de recréer dans le pays d accueil une activité qui existait auparavant et qui avait à peu près disparu On peut ici citer l exemple de Renault et de Dacia en Roumanie : Renault n a pas transféré d activité en Roumanie.
Si on fait alors le bilan, on se rend compte que ce que l on appelle couramment une délocalisation (transfert d une activité vers l étranger qui se traduit par des suppressions d emplois) ne représente qu une toute petite partie des IDE. - 70% des IDE sont des opérations de fusions acquisitions qui ne se traduisent donc pas par des transferts d activités - parmi les 30% restants, il y a : Des localisations de production pour des motifs strictement techniques, à l image de la recherche pétrolière (un IDE de Total par exemple) Des localisations pour des motifs «politiques» : un pays n accepte des produits que s ils sont fabriqués chez lui (exemple de la Chine) Des localisations pour des motifs commerciaux : se rapprocher des marchés, éviter des taxes, des coûts de transport (exemple de Toyota en France) Des relocalisations vers les pays d origine
II) Pourquoi des IDE? Toutes les remarques précédentes nous conduisent à nous interroger sur les motifs des IDE et surtout à nuancer avec un maximum de force une croyance tenace : les IDE seraient principalement motivés par la recherche du bas coût de main d œuvre. 1 Le faux problème du coût de la main d œuvre. Au travers du document 8, on se rend compte de la multiplicité des facteurs cités pour l investissement international, et on se rend compte surtout que le coût de la main d œuvre non qualifiée et sa disponibilité font partie des facteurs jugés les moins importants par les dirigeants des FMN. On voit au contraire que ce qui semble le plus compter relève de la qualité des infrastructures, de la stabilité politique, de la qualité (et du coût, c est vrai) de la main d œuvre qualifiée. On remarquera que c est le mot «qualité» qui revient le plus souvent, et qui semble donc justifier le plus le choix de la localisation d activité.
Cette analyse semble confirmer par le regard sur les documents 9 et 10 qui nous concernent directement : - de 1995 et 2001, on se rend compte que chaque année 13545 emplois ont été délocalisés de la France vers l étranger, soit au total 94815 emplois (si on compte les 7 années) - mais sur ce total, «seulement» 6370 emplois par an (44590 au total) ont été délocalisés vers les pays à bas salaires, dont 30% vers la Chine (1911 par an soit 13377 au total). - les emplois délocalisés vers les pays développés ne le sont pas pour des questions de coût de main d œuvre, puisqu à quelques nuances près les coûts de main d œuvre sont à peu près identiques. Le total de ces emplois «perdus» représente 7175 emplois par an, soit 50225 emplois au total, soit 53% du total des emplois délocalisés. - et on se rend compte avec le document 10 que pendant ce temps, la France accueille elle aussi des emplois en provenance de l étranger : 30146 par an soit 211022 de 1995 à 2001.
Le bilan pour la France (et pour les Pays développés en général) est donc positif : l investissement international crée plus d emplois qu il n en détruit : par an la différence est de 16601. Et si on ne tenait compte que des emplois délocalisés vers les pays à bas salaires la différence serait par an de 23776. 2 La recherche d un avantage comparatif Les IDE proviennent à presque 85% des entreprises des pays développés et se dirigent à presque 70% vers des pays développés. Pourquoi? On peut proposer deux arguments : - il faut comparer d une part le coût salarial d un travailleur (salaire brut + cotisations sociales patronales) avec sa productivité horaire (mais pas seulement horaire, ce qui peut poser problème dans le cas français) (doc 11) On obtient alors le coût salarial unitaire, et c est lui qui sert de baromètre à l entreprise qui veut réaliser un IDE. Un pays peut alors avoir un coût salarial élevé (à l exemple du Danemark), mais si sa productivité est ellemême élevée alors son coût unitaire peut devenir acceptable (comparaison Danemark/Allemagne par exemple).
- le second argument renvoie à ce que à quoi sont sensibles les dirigeants des FMN dans un pays d accueil : Chaque pays semble avoir sa spécificité (doc 12) : la France par exemple est réputée par la qualité des infrastructures et la qualité de vie, loin devant les autres pays (selon l expression de M Jean-Pierre Chevènement, il s agit de «gagner la guerre des épouses») Mais la France a aussi une bonne réputation en matière de pôles d excellence scientifique et technique. Il est donc important de miser sur ces 3 atouts, plutôt que sur une hypothétique et inutile baisse du coût du travail D autres pays (libéraux principalement) misent davantage sur les relations sociales, la flexibilité du travail (voire le coût du travail dans le cas des pays de l est). C est absolument leur droit, mais devons nous les imiter? Les motifs des IDE semblent donc être guidés par le souci de trouver dans le pays d accueil ce que l on est venu chercher : si Toyota s est implanté dans le Nord de la France, ce n est pas pour des questions de coût de main d œuvre, de droit au travail ou de fiscalité.
3 Le risque du chantage financier Il faut néanmoins rester prudent par rapport aux IDE : un risque important existe. Puisqu ils se font principalement entre pays riches (et de plus en plus vers des pays émergents), les IDE mettent en concurrence des pays dont les structures sociales (coût du travail) et productives (infrastructures) tendent à se ressembler. Comment alors les FMN choisissent-elles leurs implantations? Il existe un risque réel de «moins disant», et en particulier de moins disant fiscal : le pays présentant les impôts les plus faibles sera celui qui sera choisi. Au travers des IDE on peut alors assister (et c est déjà le cas) à un chantage : pour rester (ou pour venir), on veut moins d impôts et de taxes, moins de cotisations sociales, moins de règlements du travail (exemple des 35h). Mais on veut toujours autant de formation, de qualifications et d infrastructures. Cela risque de devenir difficile.
Le chantage financier peut aussi s exercer sur la rentabilité à court terme : les capitaux restent dans l entreprise (ou le pays) à condition que la rentabilité trimestrielle s améliore, ce qui renvoie au débat sur les normes de comptabilité anglo-saxonnes. De plus en plus, les entreprises investies sont amenées à «choisir» entre des plans de développement à long terme et des profits de court terme, et la menace de retrait de capitaux les fait pencher vers la 2 solution. Des fonds de placement n attendent désormais plus, non plus, qu il y ait des pertes pour partir : s ils pensent avoir plus de rentabilité ailleurs, ils n hésitent plus à quitter le pays d accueil à l image de la firme de maillots de bain Arena. Les entreprises investies n hésitent plus non plus à lancer des «alertes au profit» (profit warning) si elles pensent que leur profitabilité sera plus faible que prévu : cela empêche les retraits brutaux de capitaux qui font véritablement chuter les cours en bourse, à l image d Alcatel dont le cours avait chuté de 40% en une seule journée!!!
Conclusion : Doit-on réguler les IDE? Il y a une dizaine d années, l OMC avait tenté de mettre en place un Accord Multilatéral sur les Investissements (AMI) pour réguler ceux-ci. Les IDE sont en effet placés devant un paradoxe : - leur législation relève pour l instant du droit du pays d accueil, ce qui peut aboutir à des distorsions de concurrence importantes, en particulier en matière de droit social («ils auront le social nous aurons les emplois» disait John Major à propos de l affaire des aspirateurs Hoover). - d un autre coté, doit-on accepter au nom d un principe d égalité que ce soit le droit du pays d origine qui s applique aux IDE, un peu à l image de ce que souhaitait la fameuse directive Bolkestein (le plombier polonais)? - et si on essaie de réguler ces investissements, sur quelles bases doit-on le faire? Une base seulement favorable aux financiers ou une base qui profiterait également aux populations des pays d accueil?