Conduite à tenir en cas de méningo-encéphalite infectieuse

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Transcription:

Conduite à tenir en cas de méningo-encéphalite infectieuse Hervé Dutronc Service de Maladies infectieuses et tropicales Hôpital Pellegrin Bordeaux 4 Février 2016

Définition Affection inflammatoire du tissu cérébral le plus souvent associée à une atteinte méningée Elle associe : signes neurologiques centraux évoluant depuis plus de 24h : troubles du comportement, troubles de la vigilance (de l obnubilation au coma), troubles mnésiques antérogrades, signe(s) de focalisation, crises comitiales fièvre 38 C anomalies du LCS : cellularité > 5 éléments/mm 3, hyperprotéinorachie anomalies de l IRM cérébrale anomalies électroencéphalographiques On distingue : les encéphalites pour lesquelles l agent pathogène infecte directement le tissu cérébral (mis en évidence dans le LCS ou la biopsie cérébrale) les encéphalites survenant au décours d un épisode infectieux ou d une vaccination (acute disseminated encephalomyelitis : ADEM) : infiltration péri-vasculaire lymphocytaire associée à une démyélinisation

Epidémiologie (1) En Angleterre : 1,5 cas pour 100 000 habitants diagnostic étiologique dans 40% des cas En Californie : 4,3 cas pour 100 000 habitants diagnostic étiologique dans 44% des cas Aux Etats-Unis : Davison et al. Emerg Infect Dis 2003 Trevejo et al. Emerg Infect Dis 2004 7,3 hospitalisations pour 100 000 habitants diagnostic étiologique dans 40,5% des hospitalisations Khetsuriani et al. Clin Infect Dis 2002 Pour ces 3 publications, l origine herpétique était majoritaire

En France : Epidémiologie (2) 1,9 cas pour 100 00 habitants (PMSI 2000-2002) Etude prospective nationale sous l égide de la SPILF 1 er janvier - 31 décembre 2007 : 253 patients diagnostic étiologique dans 52% des cas HSV (42%), VZV (15,2%), Mycobacterium tuberculosis (15,2%), Listeria monocytogenes (10%) Décès dans 10% des cas essentiellement lié à 2 étiologies : tuberculose et Listeria En analyse multivariée, les facteurs associés au décès étaient : l âge, l existence d un cancer ou d un traitement immunosuppresseur, l utilisation d une ventilation mécanique, l existence d un coma et d un sepsis au 5 ème jour de l admission Mailles et al. Clin Infect Dis 2009

Agents infectieux en cause (1) (liste non exhaustive ) Les virus sont majoritaires : HSV 1 et 2 VZV CMV, EBV HHV6 VIH entérovirus virus de la grippe virus de la rougeole, des oreillons arboviroses : autochtones : West-Nile virus, Tick-Borne encephalitis virus, Toscana virus d importation : virus de la dengue, Chikungunya virus, virus de l encéphalite japonaise, virus de l encéphalite équine, virus de l encéphalite de St Louis, Nipah virus, Hendra virus, virus de la fièvre jaune, virus de la rage

Agents infectieux en cause (2) (liste non exhaustive ) Bactéries : tuberculose listériose Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia spirochètes (syphilis, leptospirose, borrélioses) rickettioses et Coxiella burnetii Bartonella henselae légionellose brucellose erlichiose Tropheryma whipplei Parasites et champignons : paludisme cysticercose trypanosomose, histoplasmose toxoplasmose, cryptococcose

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Interrogatoire et contexte clinique Interrogatoire (quand il est possible ) : antécédents (immunodépression ++) lieu géographique d habitation notion de voyage : à détailler ++ période de l année profession contact avec les animaux état des vaccinations notion d exposition à risque sexuel loisirs (activités aquatiques ) Examen clinique : neurologique ++ appareil par appareil

Examens biologiques (hors LCS) A l admission : NFS-plaquettes coagulation (en vue de la PL) ionogramme, calcémie, fonction rénale, biologie hépatique, glycémie hémocultures sérologie VIH (test rapide) frottis sanguin, goutte épaisse si suspicion d accès palustre Dans un second temps : sérologies virales et PCR sériques pour certains virus sérologies bactériennes PCR pharyngées pour recherche de microorganismes à tropisme respiratoire IDR, test IGRA +/- tubages gastriques sérologies (+/- antigénémie) et PCR parasitaires et fungiques

Analyse du LCS (1) «La base» : cytologie biochimie : protéinorachie, glycorachie, acide lactique examen bactériologique direct et culture Les «3 niveaux» proposés par la SPILF : Ils prennent en compte l incidence des agents infectieux des encéphalites rencontrés en France niveau 1 : PCR HSV 1 et 2 PCR VZV PCR Mycoplasma pneumoniae Stahl et al. Reanimation 2007

Analyse du LCS (2) Les «3 niveaux» proposés par la SPILF : niveaux 2 : En cas de négativité du 1 er niveau, lors d une 2 éme PL réalisée à J3-J4 : HSV 1 et 2 en cas de résultat négatif sur la 1 ére PL entérovirus CMV et EBV HHV6 adénovirus Chlamydia, Borrelia burgdorferi, Coxiella burnetii, Bartonella hensellae Listeria monocytogenes (ex. direct, culture, PCR) Mycobactéries (culture et PCR [Sp ++]) Tick-Borne encephalitis virus (séjour en Alsace ++) Stahl et al. Reanimation 2007

Analyse du LCS (3) Les «3 niveaux» proposés par la SPILF : niveaux 3 : réalisé en cas de négativité des 2 précédents, sur échantillon du 2 éme LCS : rickettsies Tropheryma whipplei Erlichia schaffensii Influenza et parainfluezae ROR West-Nile (séjour en zone endémique ++) Toscana (Italie, Portugal, bassin Méditerranéen) Lymphocytic choriomeningitis JC Nipah virus Stahl et al. Reanimation 2007

Place de l imagerie cérébrale Elle repose sur l IRM ou, à défaut, sur le scanner injecté Comme pour la PEC des méningites, le degré d urgence de sa réalisation dépend de l existence des signes cliniques suivants : signes de localisation neurologiques troubles de la vigilance (Glasgow 11) crises épileptiques récentes ou en cours 17e Conférence de Consensus en Thérapeutique Anti-infectieuse / Médecine et maladies infectieuses 39 (2009) 175 186 En urgence, il est souvent nécessaire, en cas d encéphalite, de disposer d une imagerie avant l étude du LCS (le scanner est alors plus facile d accès que l IRM) Secondairement, il faudra réaliser une IRM en séquences FLAIR, diffusion, T2, T1 sans et avec injection de Gadolinium, séquences vasculaires

Place de l EEG Un EEG est recommandé dans la PEC des encéphalites selon les modalités suivantes : rarement en urgence lors du diagnostic initial pour conforter le diagnostic et détecter une épilepsie sans convulsions cliniques lors du suivi pour évaluer les modifications de l état neurologique il n est pas recommandé de le répéter de façon systématique

Quelle conduite à tenir aux urgences?

Conduite à tenir dans les 24 premières heures (1) Purpura fulminans Tr. hémodynamiques Tr. de l hémostase Antibiothérapie avant la PL oui Suspicion de méningite ou de méningo-encéphalite Glasgow 11 S. de focalisation convulsions non PL oui Scanner injecté ou IRM en urgence Aspect de méningite purulente ou à PNN Aspect de méningite à liquide clair ou lymphocytaire

Conduite à tenir dans les 24 premières heures (2) PL Aspect de méningite purulente ou à PNN Examen direct positif Dxméthasone Examen direct négatif C 3 G ou amoxicilline + aminoside (si Listeria) C 3 G + C 3 G 17e Conférence de Consensus en Thérapeutique Anti-infectieuse / Médecine et maladies infectieuses non Arguments pour une listériose oui amoxicilline + aminoside

Conduite à tenir dans les 24 premières heures (3) PL amoxicilline oui Aspect de méningite à liquide clair ou lymphocytaire Immunodépression ou terrain particulier et/ou hypoglycorachie? non Y a t-il des signes d encéphalite oui Traitement symptomatique non aciclovir IV + amoxicilline

Quelle CAT si le diagnostic est fait à 48-72h? En cas d encéphalite à HSV : aciclovir IV : 10mg/kg/8h pendant 21 jours En cas d encéphalite à VZV : aciclovir IV : 15mg/kg/8h pendant 14 à 21 jours En cas de listériose : amoxicilline IV : 200mg/kg/j pendant 21 jours + gentamicine 3-5mg/kg/j pendant 7 jours Surveillance : pas de nouvelle étude du LCS si évolution favorable dans le cas inverse, nouvelle PL +/- nouvelle imagerie cérébrale

Quelle CAT si le diagnostic n est pas fait à 48-72h? Refaire une étude du LCS et du sérum : en reprenant l interrogatoire et l examen clinique en s aidant des différents «niveaux» de la SPILF Rechercher une encéphalite non infectieuse : auto-immune néoplasique et para-néoplasique métabolique médicamenteuse

Quand peut-on arrêter l aciclovir? L aciclovir pourra être stoppé dans les situations suivantes : Un diagnostic différentiel a été établi avec certitude La recherche d HSV par PCR est négative sur 2 PL consécutives réalisées entre J0 et J3-4 La recherche d HSV par PCR est négative sur une 1 ère PL à condition qu elle ait été réalisée au moins 72h après le début des symptômes

Conclusion Le diagnostic positif de méningo-encéphalite infectieuse repose sur la réalisation d une PL et d une IRM cérébrale L interrogatoire et l examen clinque sont essentiels pour mener l enquête étiologique Son étiologie est essentiellement virale HSV et VZV constituent les 2 agents les plus fréquemment en cause La recherche des autres microorganismes sera faite de façon raisonnée, en fonction du contexte clinique et épidémiologique La prise en charge en urgence nécessite la prescription d aciclovir et d amoxicilline dans l attente des 1 ers résultats