L interruption médicamenteuse de grossesse : applications cliniques de la mifépristone et. and prostaglandins

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Transcription:

L interruption médicamenteuse de grossesse : applications cliniques de la mifépristone et des prostaglandines A. Firquet (1), A. Béliard (2), N. Chabbert-Buffet (3), A. Pintiaux (2), J-M. Foidart (4) RESUME : La mifépristone ou RU486 est le chef de file des modulateurs sélectifs du récepteur de la progestérone ou SPRMs. Son utilisation dans la prise en charge des interruptions de grossesses, tant du premier que du second trimestres, est bien connue. Cette classe de molécules a également été étudiée dans d autres indications telles que l endométriose, les fibromes, le cancer du sein avancé, le méningiome. Seules les modalités cliniques pratiques de la prescription de mifépristone pour induire une interruption de grossesse ou pour la prise en charge des fausses couches incomplètes seront détaillées. Mo t s -c l é s : Interruption médicamenteuse de grossesse - Fausse couche - IVG - Mifépristone - Misoprostol Int r o d u c t i o n Dès les années 1990, l association de mifépristone et d analogue de prostaglandines a été utilisée tant en France qu en Grande-Bretagne pour l interruption médicamenteuse de grossesse. Cette technique, efficace et sûre jusqu à 49 jours de gestation (63 jours d aménorrhée), offre une alternative aux techniques chirurgicales. Les protocoles thérapeutiques varient selon les écoles et les pays. La progestérone joue un rôle primordial dans l implantation embryonnaire notamment en transformant l endomètre prolifératif en un état sécrétoire. Cette hormone est capitale pour le maintien de la grossesse. La progestérone inhibe également la contraction du myomètre et engendre ainsi son relâchement. La mifépristone agit comme antagoniste au niveau placentaire en bloquant la transcription de gènes progestéronedépendants. Le RU486, dérivé de la 19-nortestostérone, est le premier modulateur sélectif du récepteur de la progestérone ou SPRM décrit et développé dans le début des années 1980 par Philibert (1). L affinité de la mifépristone pour les récepteurs des stéroïdes montre que cette molécule possède d une part, une affinité pour le récepteur (1) Médecin spécialiste, (2) Chef de clinique, (4) Professeur ordinaire, Université de Liège, Service de Gynécologie-Obstétrique, CHR Citadelle, Liège. (3) Département de Gynécologie-Obstétrique, Médecine de la Reproduction et Santé Publique, Hôpital Tenon, Université Pierre et Marie Curie, AP-HP, Paris, France. No n s u r g i c a l a b o rt i o n: c l i n i c a l a p p l i c at i o n s o f m i f e p r i s t o n e and prostaglandins SUMMARY : Mifepristone is one of the most common selective progesterone receptor modulator. Its use in abortion in first and second trimester of pregnancy is well known. This type of molecule has also been studied in several diseases such as endometriosis, myomas, breast cancer and meningioma. Only practical management of abortion using mifepristone will be described here. Ke y wo r d s : Abortion - Miscarriage - Mifepristone - Misoprostol de la progestérone cinq fois plus importante que celle de la progestérone, d autre part une affinité pour le récepteur des glucocorticoïdes et ainsi des propriétés anti-glucocorticoïdes trois fois plus importantes que celle de la dexaméthasone, et enfin une affinité pour le récepteur des androgènes quatre fois plus importante que celle de la testostérone. La mifépristone exerce une action agoniste sur l os, le tractus urogénital et le système cardiovasculaire. En revanche, son effet sur le cerveau et la glande mammaire est antagoniste. L association de son effet antiprogestatif placentaire et de son effet sur le col (ramollissement) et le myomètre (augmentation des contractions via la libération des prostaglandines endogènes) provoque l interruption de grossesse (2). La mifépristone sensibilise également le myomètre aux prostaglandines exogènes (3). La prescription de mifépristone est soumise à des règles strictes. Les praticiens doivent établir avec précision l âge gestationnel. Ceci ne peut se faire que par la réalisation d une échographie avec mesure précise de la longueur crânio-caudale de l embryon. Le praticien doit également pouvoir exclure une grossesse extra-utérine, prévenir et gérer les cas d hémorragies gynécologiques, les rétentions utérines, et s assurer de la prise en charge des patientes par une équipe capable d assurer une transfusion sanguine ou une réanimation maternelle. L association de mifépristone et d analogue de prostaglandines est utilisée tant pour les interruptions volontaires (IVG) médicamenteuses de grossesse que pour les interruptions médicales de grossesse du premier et du deuxième trimes- 614

L interruption médicamenteuse de grossesse tres. Les différents schémas thérapeutiques sont décrits ci-dessous. Int e r r u p t i o n d e g r o s s e s s e d u p r e m i e r t r i m e s t r e L agence européenne du médicament (EMEA) autorise l association de mifépristone et d analogue synthétique de prostaglandine E1 administrée 48h plus tard pour les IVG jusqu au 63 ème jour d aménorrhée. Ces analogues de la prostaglandine E1 sont commercialisés et administrés par voie orale pour prévenir et traiter les ulcères gastroduodénaux induits par les AINS. Cependant, ils sont également utilisés, hors notice, en pratique gynécologique dans le cadre des interruptions de grossesse, des fausse-couches, de l induction du travail, du traitement des hémorragies du post-partum et de la préparation préopératoire cervicale. Les effets des analogues de prostaglandines sont dose-dépendants et comprennent le ramollissement du col, la dilatation du col, les contractions utérines, les nausées, vomissements, diarrhée, fièvre et frissons. Comme analogue de prostaglandines E1, seul le misoprostol est disponible en Belgique. Le misoprostol présente l avantage d être peu coûteux, d avoir une longue durée de conservation et ce, à température ambiante. Différentes voies d administration peuvent être utilisées telles que les voies orale, vaginale, sublinguale, buccale et rectale. Les études pharmacocinétiques comparant les voies orale et vaginale ont montré que la voie vaginale est associée à une absorption plus lente, des taux plasmatiques plus faibles, une clairance plus lente. La voie vaginale est aussi associée à un effet plus marqué sur le col et l utérus. L absorption par la voie sublinguale est plus rapide que celle par voie vaginale et entraîne des taux plasmatiques plus élevés. Ceci est responsable d effets indésirables de type gastro-intestinaux. La voie buccale, quant à elle, entraîne des taux plasmatiques plus faibles que la voie sublinguale (4). L utilisation de la voie vaginale pour le misoprostol a été impliquée dans la survenue de choc toxique à Clostridium Sordellii. Des études animales ont montré que le misoprostol administré par voie vaginale entraînait une diminution des défenses immunitaires face au Clostridium Sordellii (5). Le dosage efficace pour les avortements médicamenteux se situe entre 400 et 800 µg. Les contre-indications au misoprostol sont les grossesses ectopiques, les maladies trophoblastiques, les hauts risques de rupture utérine (antécédent d hystérotomie, grande multiparité, anomalies utérines), la présence d un dispositif intra-utérin (qui devra être ôté préalablement), les allergies aux prostaglandines et les coagulopathies. L intervalle entre l administration de mifépristone et de misoprostol peut être réduit à 24h (6). Le taux de réussite n est pas significativement modifié. Ceci rend l approche médicamenteuse de l interruption de grossesse plus flexible. Do s ag e La mifépristone était, au départ de son utilisation, administrée à 600 mg. Depuis plusieurs années, de nombreuses équipes ont réduit le dosage à 200 mg. Cette dose plus basse montre une efficacité identique. Cette efficacité est expliquée par l absence d effet dose-dépendant lors de l utilisation de la molécule de 100 à 800 mg. Jusqu il y a peu, le schéma préconisé associait 600 mg de mifépristone à 400 µg de misoprostol oral. Mais d autres pratiques existent: 200 mg de mifépristone associées à 400 µg de misoprostol oral ou buccal. La Food and Drug Administration (FDA) a approuvé le schéma de 600 mg de mifépristone suivi par le misoprostol, l analogue de prostaglandine le plus utilisé, 36 à 48 heures plus tard. Ce schéma permet d observer une vidange utérine complète dans 92 à 99% des cas. Une efficacité comparable est observée lors de la réduction de la dose de mifépristone. Cette modification de dose est défendue par de nombreuses équipes en raison des résultats obtenus lors de plusieurs études cliniques. Dans une large série réalisée par la World Health Organisation (WHO), des femmes enceintes jusqu à 63 jours d aménorrhée, reçoivent 200 mg versus 600 mg de mifépristone, suivis 48 heures plus tard de l administration de 400 µg de misoprostol (7). Un taux similaire de vacuité utérine a été observé dans les 2 groupes (89 versus 88 %). Cette efficacité est identique à celle obtenue après curetage utérin. De plus, les études utilisant 200 mg de mifépristone combinés à 800 µg de misoprostol administrés par voie vaginale chez plus de 4.000 femmes confirment également l efficacité de faibles doses de mifépristone (8). Une méta-analyse franco-américaine comparant les dosages de mifépristone (600 mg versus 200 mg) rapporte des taux similaires d avortements complets accompagnés d effets indésirables identiques. Néanmoins, cette méta-analyse conclut que l utilisation de 200 mg de RU486 est associée à un taux plus élevé de grossesse persistante par rapport aux dosages de 600 mg 615

A. Fi r q u e t e t c o l l. et déconseille, ainsi, l utilisation de cette faible dose (9). Cette position est cependant sujette à d importantes controverses. En effet, de nombreuses études n observent pas un taux plus élevé de grossesses persistantes avec 200 mg de mifépristone (10). Utilisation e n f o n c t i o n d u t e r m e au c o u r s d u premier trimestre Les taux de succès d interruption de grossesse par la procédure mifépristone-misoprostol jusqu à 49 jours d aménorrhée sont de 92 à 98%. Des taux similaires sont rapportés avec un autre analogue de prostaglandine, le géméprost. La mifépristone utilisée seule, à des doses allant de 50 à 400 mg, permet d obtenir la vacuité complète d un utérus gravide dans 60 à 80 % des cas jusqu à 49 jours d aménorrhée. L addition de petites doses d analogues de prostaglandine comme le misoprostol potentialise cet effet et conduit à presque 100% de vacuité utérine (11). Au-delà de 49 jours, l efficacité de la mifépristone associée au misoprostol par voie vaginale a été confirmée par de nombreuses études. De 70 à 83 jours d aménorrhée, l administration de 200 mg de mifépristone suivie de 800 μg de misoprostol vaginal conduit à un taux de d interruptions de grossesse de 97%. D autres études rapportent un taux de 95 % de vacuité utérine complète après administration de 200 mg de RU486 suivis de 800 μg de misoprostol à 483 femmes entre 64 et 91 jours d aménorrhée (12). La possibilité de réaliser des interruptions de grossesses jusqu au 63 ème jour d aménorrhée fait, depuis peu, partie des autorisations de l EMEA. L utilisation de la mifépristone à 200 mg, en association avec le géméprost (non utilisé en Belgique) conduit à un taux de succès de 95 à 98 %. De nombreuses équipes et centres de références utilisent désormais le schéma mifépristone misoprostol pour interrompre des grossesses de fin de premier trimestre. Une étude norvégienne de 2010 évaluant l efficacité de la procédure médicamenteuse pour des grossesses comprises entre 63 et 90 jours d aménorrhée montre 91% d expulsions complètes de la grossesse sans complication. 7% des contrôles échographiques immédiats signalent une rétention et les patientes bénéficient alors d un curetage évacuateur. Dans 1% des cas, la grossesse est évolutive. Dans cette étude, la mifépristone a été utilisée à 200 mg et associée Su i v i à 400 μg de misoprostol oralement toutes les 4h (13). L arrêt de la grossesse par voie médicamenteuse apparaît, ainsi, acceptable jusqu en fin de premier trimestre. Il convient néanmoins d utiliser un traitement antalgique préventif adapté. Les anti-inflammatoires (AINS) comme l ibuprofène, n entraînent pas de diminution de l action du misoprostol. Une échographie doit être programmée après la prise du schéma médicamenteux pour évaluer la vacuité utérine et pallier les complications éventuelles. L échographie ne doit toutefois pas être réalisée trop précocement (minimum 14j suivant la prise de prostaglandine) car des aspirations inutiles pourraient être décidées. Les contre-indications de la mifépristone sont strictes: insuffisance surrénalienne chronique, asthme sévère, porphyrie héréditaire. Le tabagisme chez les femmes de plus de 35 ans, en revanche, n est plus une contre-indication à la méthode médicamenteuse d IVG. Té r ato g é n i c i t é Une revue de 71 cas de grossesses persistantes après échecs de la procédure d interruption médicamenteuse rapporte 8 cas de malformations fœtales (14). La prise de prostaglandines, notamment celle de misoprostol, a été associée au développement d anomalies telles que des agénésies des membres, des paralysies des nerfs crâniens (syndrome de Möbius), des équinovarus. Les contractions utérines induites par le misoprostol seraient responsables d une diminution des flux vasculaires vers l embryon ou le fœtus, et ainsi de la tératogénicité. Il est donc impératif d informer les patientes qui souhaitent garder une grossesse après échec d une IVG médicamenteuse des risques encourus. Int e r r u p t i o n d e g r o s s e s s e d u d e u x i è m e t r i m e s t r e Les analogues de prostaglandines associés ou non à la mifépristone sont également utilisés au second trimestre de la grossesse. Des dispositifs de dilatation mécanique du col peuvent être nécessaires. Il n y a pas de différence significative entre le géméprost et le misoprostol en termes d efficacité et d effets secondaires. L administration de mifépristone augmente les taux de réussite et diminue l intervalle de temps 616

L interruption médicamenteuse de grossesse entre la prise du traitement et l expulsion de la grossesse par rapport à une prise d analogue de la prostaglandine seul. Les doses totales d analogue utilisées peuvent être réduites et leurs effets secondaires minimisés (15). Dans les pays défavorisés, l accès à la mifépristone est réduit car celle-ci est onéreuse et souvent non disponible. Les analogues de prostaglandines sont alors souvent utilisés seuls. Au second trimestre, chez les patientes à haut risque de rupture utérine, il est prudent de réduire les doses de misoprostol. Alt e r n at i v e à l a c h i r u r g i e p o u r l a p r i s e e n c h a r g e d e l a fau s s e c o u c h e i n c o m p l è t e Dans le cadre des grossesses arrêtées ou des fausses couches incomplètes du premier trimestre (15 à 20% des grossesses), la voie chirurgicale n est pas la seule option. La prise en charge médicamenteuse doit également trouver sa place afin d éviter les conséquences délétères du curetage utérin. En effet, les synéchies utérines ou syndrome d Asherman ne sont pas rares. Leurs incidences augmentent avec le nombre de curetages mais un seul curetage peut néanmoins en créer (16). Il s agit d adhérences au sein de la cavité utérine formant des brides engendrées par l accolement des parois. Elles peuvent être partielles ou totales occupant alors la totalité de la cavité utérine. La mise en place d un dispositif intra-utérin (stérilet) après ce geste chirurgical permet de réduire le risque de formation des synéchies utérines. Les hémorragies, infections, perforations, traumatisme cervical, diminution de la fertilité et augmentation du risque de grossesse ectopique sont d autres éventuelles conséquences du curetage. Les patientes présentant une grossesse arrêtée ou une fausse couche incomplète ont le choix de la voie chirurgicale, médicale ou l expectative. Une revue systématique des études cliniques randomisées comparant la prise en charge chirurgicale, médicamenteuse ou l attitude attentiste conclut à une efficacité similaire des trois approches (17). Le seul intérêt du curetage réside dans la rapidité de la vidange utérine par rapport aux deux autres attitudes. Le risque infectieux est évalué pour les trois méthodes par une étude randomisée portant sur 1.200 patientes prises en charge dans le cadre d une grossesse arrêtée. Le risque infectieux était de 2 à 3 % pour les trois groupes (18). Dans le cas de grossesse non évolutive, la prise de mifépristone n a pas montré de supériorité par rapport à la prise de misoprostol seul. Le m i s o p r o s t o l s e u l d a n s l in t e r r u p t i o n d e g r o s s e s s e s d u p r e m i e r t r i m e s t r e Dans de nombreux pays, la mifépristone n a pas de licence de mise sur le marché et dans d autres, son prix élevé la rend inaccessible. Ces considérations financières ont conduit à la réalisation d une étude prospective randomisée concernant l interruption de grossesses en fin de premier trimestre (entre 9 et 12 semaines d aménorrhée) (19). Un groupe de patientes a reçu 200 mg de mifépristone suivis de 400 µg de misoprostol et le deuxième groupe, une dose unique de 800 µg de misoprostol vaginal. Les auteurs concluent à l efficacité du misoprostol utilisé seul dans les grossesses de fin de premier trimestre. Ils ne constatent pas de différences significatives concernant les effets secondaires entre les deux groupes. L utilisation de prostaglandines seules pour interrompre la grossesse du premier trimestre est d un grand intérêt en termes de santé publique dans les pays du tiersmonde ne disposant pas de la mifépristone. Con c l u s i o n L interruption de grossesse par voie médicamenteuse est donc devenue une alternative au curetage évacuateur depuis les vingt dernières années. L avortement médicamenteux est approuvé en France depuis 1988, par l Angleterre en 1991 et la Suède en 1992. La mifépristone, en association avec le misoprostol, connait un haut taux d efficacité (92 à 99% d avortement complet) et un excellent profil en termes de sécurité. Au cours du temps, la dose de mifépristone administrée a pu être réduite, évitant ainsi l exposition des patientes à une molécule antiglucocorticoïde et à ses effets secondaires éventuels. Ceci permet d obtenir un meilleur rapport coût-efficacité. Les schémas d administration ont gagné en flexibilité et en sécurité. La possibilité d élargir l indication à des grossesses de fin de premier trimestre vient d être évaluée et permettra, à l avenir, d offrir aux patientes la possibilité d éviter l approche chirurgicale. L association mifépristone - misoprostol est également validée pour l interruption médicale des grossesses au second trimestre. Enfin, les grossesses non évolutives peuvent aussi bénéficier d une approche médicamenteuse. 617

A. Fi r q u e t e t c o l l. Bib l i o g r a p h i e 1. Gagne D, Pons M, Philibert D. RU38486 : a potent antiglucocorticoid in vitro and in vivo. J Steroid Biochem, 1985, 23, 247-251. 2. Benagiano G, Bastianelli C, Farris M. Selective progesterone receptor modulators 1 : use during pregnancy. Expert Opin Pharmacother, 2008, 9, 2459-2472. 3. Tang OS, Gemzell-Danielsson K, Ho PC. Misoprostol : pharmacokinetic profiles, effects on the uterus and side-effects. Int J Gynaecol Obstet, 2007, 99, 160-167. 4. Chandra S, Allen V, Lee W, et al. The effects of vaginal ph on labor induction with vaginal misoprostol. J Matern Fetal Neonatal Med, 2005, 17, 387-391. 5. Aronoff DM, Hao Y, Chung J, et al. Misoprostol impairs female reproductive tract innate immunity against clostridium sordellii. J Immunol, 2008, 180, 8222-8230. 6. Wedisinghe L, Elsandabesee D. Flexible mifepristone and misoprostol administration interval for first-trimester medical termination. Contraception, 2010, 81, 269-74. 7. No authors listed. Comparison of two doses of mifepristone in combination with misoprostol for early medical abortion : a randomised trial. World health organisation task force on post-ovulatory methods of fertility regulation. BJOG, 2000, 107, 524-530. 8. Schaff EA, Eisinger SH, Stadalius LS, et al. Low-dose mifepristone 200 mg and vaginal misoprostol for abortion. Contraception, 1999, 59, 1-6. 9. Lièvre M, Sitruk-Ware R. Meta-analysis of 200 or 600 mg mifepristone in association with two prostaglandins for termination of early pregnancy. Contraception, 2009, 80, 95-100. 10. Piaggio G, Van Look P, von Hertzen H. Is there evidence for tripling the dose of 200 mg mifepristone for medical abortion? Contraception, 2010, 81, 265. 11. Zhang J, Gilles JM, Barnhart K, et al. A comparison of medical management with misoprostol and surgical management for early pregnancy failure. N Engl J Med, 2005, 353, 761-769. 12. Hamoda H, Ashok PW, Flett GM, et al. Medical abortion at 64 to 91 days of gestation : a review of 483 consecutive cases. Am J Obstet Gynecol, 2003, 188, 1315-1319. 13. Løkeland M, Iversen OE, Dahle GS, et al. Medical abortion at 63 to 90 days of gestation. Obstet Gynecol, 2010, 115, 962-968. 14. Gonzalez CH, Vargas FR, Perez AB, et al. Limb deficiency with or without Möbius sequence in seven Brazilian children associated with misoprostol use in the first trimester of pregnancy. Am J Med Genet, 1993, 47, 59-64. 15. Neilson JP, Hickey M, Vazquez J. Medical treatment for early fetal death (less than 24 weeks). Cochrane Database Syst Rev, 2006, 3, CD002253. 16. Westendorp IC, Ankum WM, Mol BW, et al. Prevalence of Asherman s syndrome after secondary removal of placental remnants or a repeat curettage for incomplete abortion. Hum Reprod, 1998, 13, 3347-3350. 17. Sotiriadis A, Makrydimas G, Papatheodorou S, et al. Expectant, medical, or surgical management of first-trimester miscarriage : a meta-analysis. Obstet Gynecol, 2005, 105, 1104-1113. 18. Trinder J, Brocklehurst P, Porter R, et al. Management of miscarriage : expectant, medical, or surgical? Results of randomised controlled trial (miscarriage treatment (MIST) trial). BMJ, 2006, 332, 1235-1240. 19. Dalenda C, Ines N, Fathia B, et al. Two medical abortion regimens for late first-trimester termination of pregnancy : a prospective randomized trial. Contraception, 2010, 81, 323-327. Les demandes de tirés à part sont à adresser au Pr J-M. Foidart, Service de Gynécologie-Obstétrique, CHU de Liège, 4000 Liège, Belgique E-mail : jmfoidart@ulg.ac.be 618