L a maladie de Marfan, comme beaucoup de maladies

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Transcription:

Aspects neurologiques de la maladie de Marfan Neurologic Aspects of Marfan Syndrome l C. Muti*, B. Moura*, G. Jondeau*, B. Chevallier*, M. de Saint-Jean*, C. Boileau* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S n La maladie de Marfan est une maladie autosomique dominante fréquente : 1/5 000. n Elle se caractérise par un grand pléïotropisme responsable d une importante variabilité phénotypique : le système cardiovasculaire, l œil, le squelette, l appareil respiratoire, la peau et le système nerveux peuvent être touchés à différents degrés. n L ectasie durale qui peut aller jusqu au méningocèle est l anomalie neurologique essentielle. n Il s agit d un signe majeur pour l établissement du diagnostic selon les critères internationaux en vigueur : chez les patients qui présentent une atteinte incomplète, il faut rechercher une ectasie durale qui, si elle est présente, permettra de confirmer le diagnostic. n Elle est souvent asymptomatique et c est probablement pour cela qu elle retient peu l attention des médecins impliqués dans sa prise en charge. n Dans la maladie de Marfan, les complications neurovasculaires sont rares et habituellement secondaires à une atteinte cardiovasculaire (extension d une dissection de l aorte aux artères carotidiennes, pathologie valvulaire responsable d embols cérébraux) ou à son traitement (traitement anticoagulant, iatrogénicité de la chirurgie de l aorte). n Les dernières études réalisées ne retrouvent pas d augmentation de la fréquence des anévrysmes intracrâniens chez les patients Marfan. SUMMARY SUMMARY Marfan syndrome is an inherited autosomal dominant disorder wich the prevalence is 1 per 5 000. Many organ systems are affected : skeletal, ocular, cardiovascular, pulmonary, skin and neurologic. The main neurologic abnormality is dural ectasia. The wide phenotypic expression of the Marfan syndrome makes the clinical diagnosis very difficult. Dural ectasia can help to diagnosis because it is a major diagnostic criterion / / and we systematically have to search it by magnetic resonance image of the lumbosacral spine (dural ectasia usually does not produce any symptoms). Neurovascular complications of Marfan syndrome are rare, generally ischemic in nature and a high-risk cardiac source was identified in the majority. The last realized studies conclude that there exists no evidence that Marfan syndrome is associated with an increased prevalence of intracranial aneurysms. Key words : Marfan syndrome Dural ectasia. Mots clés : Maladie de Marfan Ectasie durale. L a maladie de Marfan, comme beaucoup de maladies génétiques graves, est due à l altération d un seul gène (FBN1 ou MFS2) qui s exprime dans plusieurs tissus, ce qui conduit à l atteinte de différents systèmes : squelettique, oculaire, cardiaque, pulmonaire, cutané et neurologique. Sa prévalence est estimée à 1/5 000 ; il y aurait donc plus de 10 000 personnes atteintes en France. Ces chiffres sont très probablement sous-estimés du fait de la méconnaissance générale de la maladie et de la difficulté du diagnostic. L atteinte neurologique est en rapport direct avec la faiblesse du tissu conjonctif du fourreau dural habituellement riche en fibrilline (protéine synthétisée par FBN1). Par ailleurs, des complications neurovasculaires sont possibles ; elles sont essentiellement secondaires à l atteinte cardiovasculaire. ASPECTS PHYSIOPATHOLOGIQUES La maladie de Marfan se transmet sur le mode autosomique dominant, c est-à-dire qu elle concerne autant les hommes que les femmes et qu un individu atteint a un risque de 50 % de transmettre la maladie à sa descendance. Le plus souvent, un individu atteint a un de ses deux parents atteints, mais les néomutations sont fréquentes (25 % des cas). Le défaut primitif responsable du syndrome de Marfan est attribué à l un des composants de la matrice extracellulaire, et plus particulièrement du réseau microfibrillaire. Ce réseau microfibrillaire est un ensemble de fibres non striées de diamètre étroit, souvent * Consultation multidisciplinaire Marfan, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne. La Lettre du Neurologue - n 9 - vol. VII - novembre 2003 297

associées à l élastine. Le constituant majoritaire de ces microfibrilles est une grosse protéine très résistante appelée fibrilline ; elle est déficiente en structure ou en quantité chez les patients Marfan (1). Dans le gène (FBN1) codant pour cette protéine, plus de 200 mutations ont été décrites, réparties sur toute la longueur du gène. Dans la majorité des cas, chaque famille a sa mutation propre différente d une autre famille : on parle de mutation privée. En 1994, dans une grande famille française touchée par le syndrome de Marfan, l implication du gène FBN1 a pu être exclue, montrant ainsi qu il existait une hétérogénéité génétique. Le deuxième gène impliqué dans la maladie (appelé gène MFS2) a été localisé sur le bras court du chromosome 3 en 3p25. Ce gène et la protéine pour laquelle il code sont encore inconnus. Son atteinte rendrait compte d environ 15 % des cas de syndrome de Marfan (2). D un point de vue clinique, le syndrome de Marfan est caractérisé par un grand pleïotropisme clinique et une très grande variabilité d expression tant interfamiliale qu intrafamiliale. La répartition ubiquitaire de la fibrilline permet d expliquer ce pleïotropisme et de comprendre les mécanismes pathogéniques qui sous-tendent le syndrome. En ce qui concerne la variabilité d expression interfamiliale, elle est due à deux types d anomalies moléculaires : d une part l hétérogénéité génétique (à savoir l implication soit du gène FBN1, soit du gène MFS2) et d autre part l hétérogénéité allélique (à savoir l existence de mutations différentes du gène FBN1 d une famille à l autre). Par ailleurs, la variabilité intrafamiliale de l expression d une même mutation reste inexpliquée. Elle est certainement le reflet de l intervention de différents mécanismes compensateurs ou aggravants encore inconnus. Ces éléments rendent difficiles le diagnostic et le pronostic de la maladie. Actuellement, c est à l aide de critères diagnostiques validés que la maladie est confirmée ou infirmée. Il s agit des critères de Berlin (tableau I) qui sont les plus utilisés et des critères de Gand (tableau II) qui sont plus stricts et pourraient être responsables d une sous-estimation des diagnostics. ASPECTS CLINIQUES Atteinte squelettique La grande taille est un signe classique mais peu spécifique ; la dolichosténomélie est plus caractéristique. Elle est appréciée par le calcul du rapport de l envergure des membres supérieurs sur la taille et par le rapport de la mesure des membres inférieurs sur celle du tronc. Ces rapports sont considérés comme anormaux et significatifs de la dolichosténomélie lorsqu ils excèdent 1,05. L arachnodactylie est le deuxième élément caractéristique et traduit le caractère exagérément long et fin des doigts. L arachnodactylie s accompagne d un syndrome d hyperlaxité souvent caricatural, généralisé, responsable d entorses récidivantes. Les troubles morphologiques du rachis sont présents chez 2/3 des patients : constitution précoce d une scoliose à plusieurs courbures, effacement des courbures naturelles ou anomalies uniquement visibles à l examen radiographique. La scoliose est présente Tableau I. Critères diagnostiques dits de Berlin (1988) (Beighton et al., Am J Med Genet ; 29 : 581). Pour porter le diagnostic, il faut retrouver chez le patient : 1. En l absence d un parent direct porteur du syndrome, une atteinte du squelette et d au moins 2 autres systèmes ainsi qu au moins 1 signe majeur (en gras). 2. Si un parent direct est porteur du syndrome, une atteinte d au moins deux systèmes doit être retrouvée, avec une manifestation majeure dans un des 2 systèmes. n Squelette Déformation thoracique (pectus excavatum ou carinatum), Dolichosténomélie qui n est pas la conséquence d une scoliose, Pied plat, Arachnodactylie, Anomalie de la colonne vertébrale : scoliose, lordose thoracique ou diminution de la cyphose thoracique, cyphose thoracique ou thoraco-lombaire, spondylolysthesis, Grande taille, surtout en comparaison de parents non atteints, Palais ogival, Chevauchement des dents, Protusion acétabulaire, Hyperlaxité ligamentaire : contractures congénitales en flexion, hypermobilité. n Œil Ectopie du cristallin, Cornée plate, Globe oculaire allongé, Décollement rétinien, Myopie. n Système cardiovasculaire Dilatation de l aorte ascendante, Dissection aortique, Insuffisance aortique, Insuffisance mitrale due à un prolapsus valvulaire sur valves myxoïdes, Prolapsus valvulaire mitral sur valves myxoïdes, Calcifications de l anneau mitral, Anévrysme de l aorte abdominale, Troubles du rythme, Endocardite, Prolapsus valvulaire mitral sans évidence d anomalie tissulaire mitrale. n Poumons Pneumothorax spontané, Bulle apicale, Syndrome restrictif dû à une déformation thoracique, Emphysème pulmonaire. n Peau et téguments Vergetures sans causes évidentes (grossesse, perte de poids, exercice intense), Hernies récidivantes, hernie inguinale, hernie sur cicatrice, Autres hernies (ombilicale ou hiatale). n Système nerveux central Ectasie de la dure mère : méningococèle lombosacré, élargissement du canal lombaire, Troubles de l apprentissage, Hyperactivité. 298 La Lettre du Neurologue - n 9 - vol. VII - novembre 2003

Tableau II. Critères diagnostiques dits de Gand (1996) (De Paepe et al., Am J Hum Genet ; 62 : 417). Si un parent au premier degré du sujet examiné est atteint, on doit exiger, pour porter le diagnostic, l atteinte de 2 systèmes avec au moins un signe majeur. En l absence de critère génétique, il faut une atteinte de 3 systèmes dont au moins 2 avec des signes majeurs. (Les signes majeurs sont en caractère gras ; pour parler d une atteinte d un système, il faut qu un nombre minimal de signes précisé pour chaque système soit présent). n Squelette (au moins 4 signes en gras pour un signe majeur squelettique) Pectus carinatum, ou excavatum nécessitant la chirurgie, Rapport segment supérieur sur segment inférieur bas, ou envergure sur taille > 1,05, Signe du poignet ou du pouce, Scoliose > 20 ou spondylolisthesis, Extension maximale des coudes < 170, Pied plat, Protrusion acétabulaire, Pectus excavatum modéré, Hyperlaxité ligamentaire, Palais ogival avec chevauchement des dents, Faciès. n Œil (au moins 2 signes mineurs pour une atteinte oculaire mineure) Ectopie du cristallin, Cornée plate, Globe oculaire allongé, Iris hypoplasique ou hypoplasie du muscle ciliaire. n Système cardiovasculaire (au moins 1 signe mineur pour une atteinte cardiaque mineure) Dilatation de l aorte ascendante intéressant les sinus de Valsalva, Dissection aortique, Insuffisance aortique, Prolapsus valvulaire mitral avec ou sans fuite, Dilatation de l artère pulmonaire avant l âge de 40 ans, Calcifications de l anneau mitral avant l âge de 40 ans, Anévrysme ou dissection de l aorte abdominale avant l âge de 50 ans. n Poumons (au moins 1 signe mineur pour une atteinte pulmonaire mineure) Pneumothorax spontané, Bulle apicale. n Peau et tegments (au moins 1 signe mineur pour une atteinte cutanée mineure) Vergetures (à l exclusion de grossesse, perte de poids), Hernies récidivantes. n Dure mère Ectasie de la dure mère lombosacrée. n Génétique Un parent direct ayant les critères diagnostiques, Mutation dans le gène FBN1 déjà connue pour provoquer un syndrome de Marfan, Présence d un marqueur génétique, proche du gène FBN1, se transmettant avec la maladie dans la famille. Ectasie durale L ectasie durale est le signe neurologique essentiel de la maladie de Marfan (figure 1). C est un critère diagnostique majeur dans les deux groupes de critères utilisés dans les consultations multidisciplinaires (tableaux I et II). Elle peut être visualisée sur une radiographie standard du rachis lombosacré de profil : l ectasie durale peut être responsable d une érosion du mur vertébral postérieur. Celle-ci se traduit typiquement par une image radiologique de scalloping vertébral postédans environ 60 % des cas. La croissance exagérée des côtes conduit à une déformation de la partie antérieure du thorax en carène ou en entonnoir, parfois à la combinaison des deux : le pectus carinatum et le pectus excavatum. Atteinte cutanée et tégumentaire On constate des vergetures, dont la présence n est pas expliquée par une grossesse ou une perte de poids importante, et qui prédominent dans les régions dorsolombaires et scapulaires, et la survenue plus fréquente de hernies (inguinale, ombilicale, diaphragmatique ou sur cicatrice opératoire). Atteinte pulmonaire La scoliose et les déformations de la cage thoracique en carène ou en entonnoir peuvent entraîner un syndrome restrictif invalidant. La fréquence des bulles apicales et du pneumothorax spontané est accrue. Atteinte cardiovasculaire L atteinte cardiovasculaire conditionne le pronostic vital. Avant que la chirurgie de remplacement de l aorte ascendante ne se soit développée, 80 % des patients atteints d un syndrome de Marfan décédaient de l une des complications cardiovasculaires du syndrome : dissection et rupture aortiques, insuffisance aortique ou mitrale aboutissant à l insuffisance cardiaque. Une insuffisance mitrale est souvent présente, et lorsqu elle est importante, représente la principale complication cardiaque chez les patients jeunes. L aorte initiale se dilate, typiquement en bulbe d oignon. Cette dilatation génère un risque de dissection ou de rupture aortique qui doit être constamment pris en considération. Atteinte occulaire Le signe majeur de l atteinte oculaire est représenté par la luxation du cristallin présente dans 60 à 80 % des cas. Les fibres constitutives de la zonule du cristallin véritable ligament suspenseur sont composées de fibrilline et donc directement mises en cause dans le syndrome de Marfan. L autre anomalie oculaire fréquente consiste en une myopie axile, c est-à-dire en rapport avec l allongement de la longueur antéropostérieure du globe oculaire. D autres anomalies oculaires peuvent exister, en particulier l existence d un aplatissement cornéen central, sans grand retentissement visuel, mais dont le dépistage est intéressant sur le plan diagnostique, dans les formes frustes sans ectopie cristallinienne. ATTEINTE NEUROLOGIQUE La Lettre du Neurologue - n 9 - vol. VII - novembre 2003 299

Sac dural normal avec rachis régulier et linéaire Grade 2 Saillie du sac dural avec scalloping de quelques corps vertébraux Figure 1. Grade 1 Élargissement du canal neural avec saillie du sac dural et absence de graisse épidurale au niveau d un corps vertébral Grade 3 Méningocèle sacrée important Lancet 1999 ; 354 : 910-3. rieur. Elle correspond à une empreinte concave vers l arrière du corps vertébral, surtout des deux premières pièces sacrées mais aussi des dernières vertèbres lombaires. Un scanner ou une IRM lombosacré est systématiquement réalisé en cas de doute diagnostique à la recherche d un critère majeur supplémentaire qui, s il est présent, permettra de retenir le diagnostic de maladie de Marfan. L ectasie durale est alors affirmée si la largeur du cul-de-sac dural au milieu de la première pièce sacrée S1 est au moins égale à la largeur de S1. Ce critère n est pas toujours strictement retrouvé, alors qu il existe manifestement une atteinte qualitative de la morphologie du sac dural pouvant quand même faire retenir le diagnostic (3). Quand le dépistage est réalisé par une radiographie standard, un scanner ou une IRM selon le cas, l ectasie durale est retrouvée chez environ 60 % des patients (4, 5). Une étude proposant une IRM lombosacrée systématique à 83 patients Marfan a retrouvé une ectasie chez 92 % d entre eux (1). L ectasie durale peut être accompagnée de différents symptômes : douleur dorsale, céphalée, douleur des membres inférieurs. Cependant, elle est très souvent asymptomatique et aucun signe clinique spécifique ne lui est attribué. Rarement, l ectasie est importante au point de réaliser un méningocèle lombosacré qui peut être responsable d une compression des structures de voisinage. Les douleurs dorsales sont plutôt plus fréquentes et importantes quand le volume de l ectasie durale est important. Toutefois, un méningocèle lombosacré peut être totalement asymptomatique et il n y a pas de concordance stricte entre les images radiologiques et la clinique (3, 4, 5, 6). Atteinte neurovasculaire Anévrysmes intracrâniens L idée selon laquelle les anévrysmes intracrâniens sont plus fréquents chez les patients atteints de maladie de Marfan n est pas vérifiée par la plupart des études. Parmi les 826 patients de l étude de Van den Berg pris en charge en service de neurologie ou de neurochirurgie pour hémorragie sous-arachnoïdienne ou anévrysmes intracrâniens, aucun ne présentait de maladie de Marfan après un examen ciblé sur la recherche de la maladie (7). De même, dans une étude sur les causes de la mortalité dans la maladie de Marfan (8), aucun décès en rapport avec un anévrysme intracrânien n a été retrouvé parmi les 56 décès pris en considération. Pour finir, parmi 25 patients décédés atteints de maladie de Marfan diagnostiquée selon les critères de Berlin et ayant eu une autopsie à la recherche d un anévrysme intracrânien, seul l un d entre eux présentait un anévrysme intracrânien infraclinique (le patient était décédé d une dissection aortique à l âge de 30 ans). Conway et al. concluront que la prévalence d un patient sur 25 présentant un anévrysme intracrânien n est pas statistiquement différente de celle de 2 % retrouvée dans les autopsies tout venant (9). Complications neurovasculaires Les accidents vasculaires cérébraux que peuvent présenter les patients atteints de maladie de Marfan sont le plus souvent d origine ischémique. Dans la majorité des cas, ils sont en rapport avec la pathologie cardiaque du patient : prothèse valvulaire, fibrillation auriculaire, atteinte valvulaire mitrale, dilatation de l aorte ascendante, voire dissection chronique prête à s étendre aux artères carotidiennes (10). La chirurgie de remplacement de l aorte ascendante fait courir, d après Gott et al., un risque d événements emboliques cérébraux postopératoires d environ 3,7 % (11). Les complications cérébrales du traitement anticoagulant instauré en cas de remplacement valvulaire ne sont pas plus fréquentes que chez les patients non Marfan. Robert et al. ont étudié 513 patients Marfan : 13 ont eu un accident vasculaire ischémique dont 12 d origine cardiaque et 3 ont 300 La Lettre du Neurologue - n 9 - vol. VII - novembre 2003

eu une hémorragie cérébrale dont 2 en rapport avec un traitement anticoagulant. Leur conclusion est qu il n y a pas de lien entre les accidents neurovasculaires rapportés et le défaut primitif de la maladie de Marfan (10). I : 1 48 ans I : 2 Ectasie durale, diagnostic de maladie de Marfan et conseil génétique Parfois, la découverte d une ectasie durale peut amener à faire un diagnostic de maladie de Marfan chez un individu au phénotype peu évocateur. Ce patient pourra alors bénéficier d un traitement préventif de la dilatation de l aorte et éviter ainsi une éventuelle chirurgie réparatrice de l aorte. Ses enfants présentant alors un risque de 50 % d être atteints devront bénéficier d un dépistage complet de la maladie dans tous les systèmes et pourront à leur tour, si besoin, profiter d une prise en charge précoce de la maladie. Dans la famille représentée sur la figure 2, le cas index III1 est une jeune femme présentant une luxation des cristallins et un morphotype longiligne avec dolichosténomélie et arachnodactylie. Elle n a pas d atteinte cardiologique, ni pneumologique ni cutanée. Elle est la première de sa famille à qui un dépistage de la maladie de Marfan est proposé ; ses apparentés du 1 er degré sont a priori en bonne santé, son frère III3 est longiligne. Selon les critères diagnostiques de Berlin ou de Gand, elle a un critère majeur ophtalmologique et un critère mineur squelettique. À ce stade, le diagnostic de maladie de Marfan ne peut être retenu. Son bilan est complété par une IRM lombosacrée qui retrouve une ectasie durale. Il s agit d un signe majeur et le diagnostic de maladie de Marfan est retenu conformément aux critères en vigueur puisque 3 systèmes différents sont atteints avec 2 atteintes majeures. Face à ce diagnostic, un bilan familial est proposé et l on retrouvera chez le père II1 une dilatation aortique qu il ignorait et des vergetures importantes et, chez le jeune frère III3, une atteinte squelettique modérée et une ectasie durale. Tous les deux sont atteints de maladie de Marfan car ils ont une apparentée du 1 er degré atteinte, 2 systèmes différents atteints et une atteinte majeure. Ils vont pouvoir bénéficier d un traitement préventif de la dilatation aortique et, si tel est leur souhait, ils seront informés du risque de transmission de la maladie et de son dépistage aux différents stade de la vie (prénatal, néonatal, enfance). Le bilan familial pourra continuer par le dépistage de la maladie chez l individu II3 (sœur de l individu II1) qui est d autant plus concerné par la maladie de Marfan que le décès brutal de son père, à 48 ans, peut faire craindre une dissection aortique. Ainsi de suite, tous les individus à risque, selon les lois de transmission d une maladie dominante, se verront proposer un dépistage de la maladie de Marfan. TRAITEMENT L essentiel du traitement de la maladie de Marfan concerne l atteinte cardiovasculaire. Il a pour objectif la prévention de la dilatation et de la dissection de l aorte ascendante. Il concerne donc tous les patients, même ceux qui ne présentent pas, ou pas encore, d atteinte cardiologique. III : 1 23 ans OM, Rm, NM II : 1 46 ans CM, Cut+ III : 2 20 ans II : 2 III : 3 14 ans Rm, NM CM : atteinte cardiaque majeure ; OM : atteinte ophtalmologique majeure ; NM : atteinte neurologique majeure ; Cut+ : atteinte cutanée ; Rm : atteinte rhumatologique mineure. Figure 2. Les carrés représentent les individus de sexe masculin, les cercles les individus de sexe féminin. Les individus atteints sont en noir. Le traitement de l atteinte des autres systèmes est symptomatique et envisagé au cas par cas. Il peut s agir, par exemple, du traitement orthopédique d une scoliose sévère ou de la cure chirurgicale d une luxation des cristallins. Traitement de l atteinte cardiovasculaire Le traitement pharmacologique repose sur la prise au long cours de β-bloquants : en diminuant la pression artérielle et sa vitesse d ascension, ils ralentissent la progression de la dilatation aortique et ce, indépendamment du diamètre aortique au moment de l institution du traitement. Le traitement phamacologique s accompagne d un suivi échographique régulier (annuel le plus souvent) qui permet d apprécier l efficacité du traitement β-bloquant et, en cas de majoration du diamètre aortique, de ne pas laisser passer le meilleur moment pour une chirurgie réparatrice de l aorte. La limitation de l activité physique est toujours conseillée : il faut bien sûr éviter les sports de combat, les sports en compétition, surtout s ils comportent des efforts en apnée ou des risques de collision. La chirurgie cardiaque préventive peut être indiquée pour corriger une fuite valvulaire (mitrale ou aortique), en cas de dilatation aortique importante ou de dissection aortique chronique. Au niveau de la valve mitrale, la redondance des feuillets mitraux et la dilatation de l anneau mitral souvent observées permettent, comme dans le prolapsus mitral, de faire une chirurgie réparatrice. La chirurgie aortique repose essentiellement sur la réparation de l aorte ascendante avec remplacement valvulaire aortique. Le risque d une telle opération, lorsqu elle est effectuée à froid, est très faible et son développement a permis d augmenter l espérance de vie des patients. n La Lettre du Neurologue - n 9 - vol. VII - novembre 2003 301

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