Charles-Olivier Betansedi, "Les femmes, le cancer et son lien avec le travail"

Documents pareils
galités s sociales de cancer chez les travailleurs

Soutien pour la formation à la recherche translationnelle en cancérologie

METHODOLOGIE GENERALE DE LA RECHERCHE EPIDEMIOLOGIQUE : LES ENQUETES EPIDEMIOLOGIQUES

Docteur José LABARERE

COOPERATION BELGIQUE - BURUNDI Programme 2012 de bourses d études et de stage hors-projet

QUALITÉ DE L APPRENTISSAGE DE L INTUBATION ORO-TRACHÉALE EN LABORATOIRE DE SIMULATION, SON INTÉRÊT POUR LES PATIENTS.

Le Data WareHouse à l INAMI Exploitation des données

exigences des standards ISO 9001: 2008 OHSAS 18001:2007 et sa mise en place dans une entreprise de la catégorie des petites et moyennes entreprises.

Essais cliniques de phase 0 : état de la littérature

OFFRE DE FORMATION SCIENCES PHARMACEUTIQUES ET BIOLOGIQUES PHARMACIE 2015/2016

Extrait du Guide d aide à la codification du BAAC. Document réalisé par l ONISR et le SETRA Avec la collaboration du CETE du Sud-Ouest

Une brique dans le cartable. Du Plan à l Ouvrage

Cabinet d avocat Leduc-Novi. Indemnisation du préjudice corporel des. personnes victimes d un accident de la route

RÈGLEMENT MUZIK CASTING, édition 2015

BOURSE DE RECHERCHE QUICK : SECURITE ET HYGIENE ALIMENTAIRE

OBJECTIFS SPÉCIFICITÉS DE LA CONTENU

Nouveaux rôles infirmiers : une nécessité pour la santé publique et la sécurité des soins, un avenir pour la profession

Convention de stage d ingénieur

ASSURANCE RESPONSABILITE CIVILE MEDICALE QUESTIONNAIRE GENERAL

Référentiel métier de Directeur des Soins en établissement et en institut de formation mars 2010

SUPPLEMENT AU DIPLÔME

le personnel sur les avantages d un tel système était également crucial à la réussite du projet.

Évaluation du risque cardiovasculaire dans le contexte de l hypertension artérielle et de son traitement

sommaire L organisation et la gestion des archives d entreprise...7

Rapport d évaluation du master

ASSOCIATION MEDICALE MONDIALE DECLARATION D HELSINKI Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains

ASSURANCE RESPONSABILITE CIVILE MEDICALE CHIRURGIE PLASTIQUE RECONSTRUCTRICE ET ESTHETIQUE

Programme international de formation

TRAVAUX DU GROUPE GUINEE/CONAKRY ET BISSAO

PROGRAMME EIFFEL VADE-MECUM 2015

L axe 5 du Cancéropole Nord Ouest

Votre Réseau est-il prêt?

LES ECOLES DE COMMERCE. Conférence Terminale CIO de L Haÿ les Roses Année

PROGRAMME DE BOURSES D EXCELLENCE Bourses de Master 2 ou de Doctorat

Domaine Santé. Plan d études cadre Modules complémentaires santé. HES-SO, les 5 et 6 mai PEC Modules complémentaires santé

L UFR des sciences pharmaceutiques

CAMPUS SENGHOR du SENEGAL ENDA-MADESAHEL. Mbour, Sénégal. Master Santé Environnementale

Université Saint-Joseph

La priorité est donnée aux secteurs de concentration de la coopération belge au développement et aux thèmes transversaux suivants:

QUESTIONNAIRE DE DIAGNOSTIC RAPIDE DES NIVEAUX DE CPO ET TMS EN ETABLISSEMENTS DE SOIN

Sauvegarder sa messagerie Outlook 2010

Mention : STAPS. Sport, Prévention, Santé, Bien-être. Objectifs de la spécialité

et ATIH Diapositive n 1 Direction générale de l offre de soins - DGOS

INSPECTION EN BÂTIMENT EEC.2W

WHO. Fridge-tag 2 Surveillance du stockage avec port USB. qualifié. (World Health Organization)

UNIVERSITE DE TOULON UFR FACULTE DE DROIT REGLEMENT D EXAMEN ANNEE 2012/2017 LICENCE DROIT MENTION DROIT GENERAL

A. BONNEFOND Maître de conférences en neuroscience cognitive Laboratoire d imagerie et de neuroscience cognitive Université de Strasbourg

UNIVERSITÉ 66,8 C.P.G.E. 74,8 % D.U.T. B.T.S. 13,4 % 2,3 11,1 Autres formations 9,7. Total : 97,5 % 7,8 0,2. Lettres Economiques

MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. PROGRAMME EIFFEL Session VADE-MECUM

La fédération des infrastructures cloud

RNV3P Recherche de pathologies émergentes

Les cotutelles internationales de thèse

Chapitre 3 : Principe des tests statistiques d hypothèse. José LABARERE

LES RÉFÉRENTIELS RELATIFS AUX ÉDUCATEURS SPÉCIALISÉS

Ce guide a pour objectif de faciliter le dépôt de candidature et la mise en place du dossier.

Dernière mise à jour le 11/09/15 1

Une formation continue du Luxembourg Lifelong Learning Center / CERTIFICAT

Photographie statistique des accidents de travail, des accidents de trajet et des maladies professionnelles en France selon le sexe entre 2001 et 2012

l ensemble des ayants droit en situation monoparentale avec enfant(s) de moins de 6 ans.

EPFL TP n 3 Essai oedomètrique. Moncef Radi Sehaqui Hamza - Nguyen Ha-Phong - Ilias Nafaï Weil Florian

Item 169 : Évaluation thérapeutique et niveau de preuve

PROGRAMME BOURSES D'ETUDES ET DE STAGES «HORS PROJET»

L ordinateur Portable. Par Rémi DEVES Samuel BROZZU et Antonin AILLET

Projet Pédagogique. - Favoriser la curiosité intellectuelle par le partage des connaissances, des cultures et des échanges.

L IDEX DE TOULOUSE EN BREF

Admissions en formation initiale sous statut étudiant. Guide de candidature des candidats internationaux

LIVRET SERVICE. Portail Déclaratif Etafi.fr

Rapport d évaluation du master

L INFIRMIÈRE CLINICIENNE SPÉCIALISÉE

Sécurisation avancée des données de cartes bancaires Guide Hôtel v1.0 SECURISATION AVANCEE DES DONNEES BANCAIRES. Guide Hôtel

Cohorte Observatoire Musculosquelettique (COMETT) Pénibilité et Vieillissement

Convention de cotraitance pour groupement solidaire

Licence Master - Doctorat (LMD) Construction d une offre de formation Dans le système LMD Février 2012

Maîtriser le risque de TMS du membre supérieur lies au travail

Espace pro. Installation des composants avec Firefox. Pour. Windows XP Vista en 32 et 64 bits Windows 7 en 32 et 64 bits

Les Parcours Scientifiques et les Ecoles Doctorales

Études épidémiologiques analytiques et biais

Continent africain / Evaluation de préjudice Les économistes apportent des réponses à 360 degrés lors des procédures litigieuses

Rapport d évaluation du master

CAHIER DES CHARGES Pour la mise en œuvre d une maison de santé pluridisciplinaire En Lot-et-Garonne

REPERTOIRE D ENTREPRISES NATIONAL A DES FINS STATISTIQUES

Séquence 4. Comment expliquer la localisation des séismes et des volcans à la surface du globe?

Année Universitaire ère année de Master Droit Mention Droit Privé 1 er semestre. 1 er SEMESTRE 8 matières CM TD COEFF ECTS.

Risques et dispositifs médicaux. «Responsabilités encourues» Isabelle Lucas-Baloup. 12, 13 et 14 octobre 2010

Doctorate of Business Administration Programme francophone

Simulation en santé. Outil de gestion des risques. Avril Dr MC Moll 1

Une infirmière re clinicienne en et soins de. Stomathérapie. fonction? L infirmière. re «clinicienne?» Rôle de l infirmil. ressource?

23. Interprétation clinique des mesures de l effet traitement

Les dossiers de l enseignement scolaire. l Éducation nationale et la formation professionnelle en France

Assistant/-e d assurance AFA Formation pour titulaires d une maturité. L assurance d une carrière prometteuse!

MASTER RECHERCHE MEDIATIONS DES SCIENCES. Mention HISTOIRE, PHILOSOPHIE ET. Histoire et Philosophie des Sciences. Année 2007/2008

Languedoc - Roussillon

MANUEL D UTILISATION DE LA SALLE DES MARCHES APPEL D OFFRES OUVERT ACCES ENTREPRISES. Version 8.2

Collection Au Quotidien

Bourse Master Île-de-France

DOSSIER D INSCRIPTION ANNÉE UNIVERSITAIRE MASTER Risque sanitaire NRBC-E DU NR B C (Dossier rejeté si les cases ne sont pas renseignées)

Comprendre le financement des placements par emprunt. Prêts placement

Rencontres interministérielles sur l offre de certification dans les métiers de la sécurité

Référentiel Officine

DOMAINES D INTERVENTION EN DEMANDE

Transcription:

Charles-Olivier Betansedi, "Les femmes, le cancer et son lien avec le travail" Posté le 31 juillet 2015 Charles-Olivier Betansedi a reçu, en 2014, le soutien du DIM Gestes pour sa thèse sur «L'invisibilisation du lien entre travail et cancer chez les femmes : une approche réflexive en épidémiologie professionnelle». Après avoir suivi des études en pharmacologie en Afrique du Sud, puis travaillé quelques mois dans un centre d essais cliniques, Charles-Olivier Betansedi a intégré un Master de Santé publique à l Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), avec une spécialisation en statistiques. En fin d études, il réalise un stage au sein du Groupement d intérêt scientifique sur les cancers d origine professionnelle, le Giscop 93. C est dans ce cadre pluridisciplinaire qu il commence à se pencher sur l épidémiologie de ce type de cancer, et l invisibilisation des liens pouvant exister entre la maladie et les conditions dans lesquelles est réalisé le travail, par les politiques ou par les pratiques scientifiques. «L idée de départ était de suivre les patients ayant des cancers d origine

professionnelle et de les accompagner dans le processus de réparation Ce qui n est pas évident, car de nombreuses maladies ne sont pas reconnues. D où l intérêt d un accompagnement.» C est au même endroit qu il a décidé de poursuivre en thèse, en s inspirant des résultats d une étude (présentation du projet) mise en place par le Giscop, pour suivre les patients accompagnés. Les cancers d origine professionnelle des femmes moins visibles «Une fois que le patient a donné son accord pour participer à l étude, et qu il a rencontré l équipe, l objectif est de retracer son parcours professionnel : emplois occupés, expositions possibles Depuis mars 2002, environ 2000 patients ont participé, et nous nous sommes rendus compte de disparités entre hommes et femmes dans le nombre de parcours de travail reconstitués, mais surtout dans l accès à la réparation. Il fallait donc apporter des explications à cette observation, et répondre plus généralement aux questions qu elle posait en termes d épidémiologie sociale des cancers professionnels.» Car en effet, comme l explique Charles-Olivier Betansedi, l une des difficultés majeures dans l étiologie des cancers professionnels, à quelques relations près établies telles que celle entre mésothéliome et amiante, est qu ils sont souvent la conséquence de multi expositions. «Par ailleurs, le temps de latence entre l exposition et le déclenchement de la maladie implique quelques difficultés pour faire le lien entre les deux.» Notamment pour le médecin qui doit, pour donner accès à une éventuelle réparation via une demande d indemnisation auprès de la sécurité sociale, établir un certificat médical faisant ce lien. Et n a pas toujours les informations pour le faire.

Quoi qu il en soit, l objectif de Charles- Olivier Betansedi dans le cadre de son doctorat, que le DIM Gestes a accepté de financer, n est pas de travailler sur ces explications quant à l étiologie des cancers. Plutôt de démontrer que la division sexuée du travail et des risques est rarement prise en compte dans la plupart des études, et donc que l exposition aux risques des femmes peut passer inaperçue. Dans son projet de thèse de 2014 il écrivait : «Ce processus qui s inscrit dans ce que l on a décrit comme les «biais de genre», reflète aussi l occultation sociale de la participation des femmes au marché du travail, et contribue à maintenir dans l invisibilité certaines questions propres à leur santé, telles les risques cancérogènes qu elles peuvent encourir en milieu professionnel. Notre objectif est d analyser la manière dont les biais de genre affectent les différentes étapes du processus de production des connaissances épidémiologiques sur les cancers d origine professionnelle.» Mesurer l exposition : des «biais de construction dans les matrices» «Ma thèse consiste donc, entre autres, à mettre en évidence les biais de genre», précise-t-il aujourd hui. «Ceux-ci peuvent prendre place dès la sélection des participants à l étude, ou alors dans les données recueillies, ou encore l analyse Donc à chaque étape de l étude, j essaie de repérer d éventuels facteurs d erreur.» Et force est de constater qu il en a déjà repérer un : «Il existe plusieurs manières d évaluer les expositions professionnelles, mais celles que l on retrouve le plus dans la pratique et la littérature scientifique sont d une part l évaluation à dire d experts.» Celles-ci, dans le cadre de l étude du Giscop 93, attribuent après concertation des scores ou indices d exposition en fonction des informations qui ont été recueillies par les sociologues de l équipe de recherche. «La deuxième manière d évaluer est l utilisation d une matrice d exposition, qui repose sur les bases de données

mettant en lien les emplois avec les expositions.» Problème : un même métier peut s exercer dans des conditions totalement différentes «Les experts basent leur indice sur des informations obtenues lors d un entretien très qualitatif et poussé On apprend que dans certaines entreprises, les protections n étaient pas toujours utilisées par exemple.» Les matrices, quant à elles avec une approche de moyenne, ne permettent donc pas une analyse aussi fine de l exposition et, pour des conditions de travail très différentes, pourraient donner le même indicateur. Problème : les matrices sont largement utilisées par les épidémiologistes et hygiénistes industriels «Mais elles ne valent pas le regard des experts», selon Charles-Olivier Betansedi. «Même si l expertise est plus coûteuse en temps.» Et donc le dispositif plus complexe à mettre en place. Quoi qu il en soit, le rôle du doctorant sera plus précisément de comparer les évaluations produites par les matrices et celles produites par les experts. Et notamment de repérer les différences genrées, «c est-à-dire les expositions de femmes que les experts auront su mettre à jour, mais que les matrices n auraient pas perçu.» Notamment dans le cas d expositions longues, aux solvants par exemple, dont les risques sont sans doute minimisés par ces dernières. «Il existe aussi de nombreux biais de construction dans les matrices, qui sont construites sur la base de

nomenclatures d emplois pas toujours très précises», continue Charles-Olivier Betansedi. «Par ailleurs, les emplois occupés par les femmes n impliquent pas toujours exactement les mêmes tâches que ceux occupés par les hommes, même s ils sont désignés par la même appellation. On retrouve une certaine forme de division sexuée du travail. Et ça, les experts sont plus à même de le mettre en avant Même si ces biais inhérents à la construction des matrices sont plutôt connus des chercheurs, le challenge reste de les quantifier.» Le doctorant s interroge par ailleurs sur les seuils d exposition, et la manière dont ils sont fixés. «Ce n est pour l instant qu une hypothèse, mais je cherche à savoir sur ces seuils reposent véritablement sur des connaissances empiriques en épidémiologie ou s ils sont purement arbitraires.» Dans la série des «Portraits des Lauréats DIM Gestes», celui de Charles-Olivier Betansedi, est mis en ligne le 31 Juillet 2015.