Prise en Charge d un Patient sous Anticoagulants ou Antiagrégants Plaquettaires devant Avoir une Résection Transuréthrale de Prostate (RTUP) Dr Marie-Christine Becq-Kayal, Anesthésiste-Réanimateur, Hôpital Saint-Louis, Paris Le vieillissement de la population s accompagne d une augmentation du risque thromboembolique artériel et veineux, d une augmentation de la prescription des anticoagulants et de son corollaire, des accidents iatrogéniques (figure 1). La prévalence des maladies cardiovasculaires augmente donc avec l âge (figure 2) comme d ailleurs celle de l hypertrophie bénigne de la prostate. La décision de poursuivre ou d arrêter un traitement anticoagulant et /ou antiagrégant avant une résection de prostate doit tenir compte principalement des impératifs de la chirurgie, du terrain et du type d anesthésie. Le saignement est un événement per et post opératoire inévitable dans la RTUP. Dans une étude britannique de 1999, portant sur 27 000 RTUP, les pertes sanguines sont évaluées en moyenne à 693 ml ( de 60 à 2554mL), avec un taux de transfusion de 13% des patients [1]. Les pertes sanguines per opératoires sont corrélées au poids de prostate réséquée et à la durée de la résection. Elles sont aussi corrélées avec des facteurs de risques préopératoires : prise d anticoagulants, d antiagrégants plaquettaires et anomalies de l hémostase [2]. La décision d arrêt ou de relais dépend aussi des indications et modalités d administration du médicament interférant avec l hémostase. Rappelons que la mortalité de la RTUP, quoique inférieure à 0,5% dans le premier mois post opératoire est en rapport dans 70% des cas avec une complication cardiovasculaire [3]. L ensemble de ces impératifs rend illusoire la réalisation d un arbre décisionnel qui puisse prendre en compte tous les cas de figure. Cependant, certaines lignes peuvent être tracées en fonction des données de la littérature. I. Peut-on interrompre un traitement par antiagrégants plaquettaires (AAP)?, si oui combien de temps, La prise en charge des agents AAP dans la période périopératoire a fait l objet d une conférence d experts en 2001, disponible sur le site Internet de la SFAR (www.sfar.org) [4] Les AAP regroupent plusieurs classes pharmacologiques : aspirine, AINS (flubiprofène), thiénopyridines (ticlopidine et clopidrogel), dipyridamole, anti GPIIb / IIIa (abciximab, eptifibatide, tirofibnan). Ils sont prescrits à la phase aiguë des accidents thrombotiques artériels et en traitement chronique pour prévenir ces accidents (IDM, AVC ischémique) ou leur récidive. Il existe peu de données s intéressant aux conséquences thrombotiques ou hémorragiques de l arrêt ou de la poursuite d un traitement péri opératoire par AAP dans la chirurgie de l adénome de prostate. Après chirurgie prostatique par voie haute, les AINS n augmentent que faiblement les pertes sanguines, sans conséquence sur les besoins transfusionnels, alors que l aspirine préopératoire peut augmenter le saignement et les besoins transfu- 14
Thrombolytiques - urokinase - altéplase - retéplase - streptokinase Antiagrégants plaquettaires - aspirine - clopidrogel - abciximab (injectable) - eptifibatide (injectable) - tirofiban (injectable) Inhibiteurs directs de la thrombine : - lépirudine - désirudine Prévalence des maladies cardiovasculaires 65-79 ans : risque x 4 après 80 ans : risque x 5.6 Figure 2 THROMBOSES Inhibiteurs de la synthèse des facteurs II, X, IX et VII ou AVK : - acénocoumarol - tioclomarol - warfarine - phénindione - fluidione Inhibiteurs indirects de la thrombine : - héparine sodique - héparine calcique - HP BM : daltéparine nadroparine enoxaparine reviparine tinzaparine - danaparoïde Figure 1 sionnels. Pour la RTUP, les données de la littérature sont contradictoires sur le risque hémorragique sous aspirine ou AINS préopératoires. Par contre, la ticlopidine pré et post opératoire augmente le saignement et les besoins transfusionnels post opératoires dans la RTUP [4]. De plus, le risque exact lié à l arrêt des AAP en période péri opératoire chez les coronariens identifiés, est mal connu. Certaines séries non contrôlées suggèrent que le risque est loin d être nul. En l absence d étude validée pour chaque cas, l attitude thérapeutique tient compte de la technique chirurgicale et anesthésique, de la possibilité du contrôle de l hémostase sachant qu aucun test d exploration de l hémostase primaire comme le temps de saignement ne présente de valeur prédictive du risque hémorragique. En pratique, l arrêt des AAP est indiqué avant RTUP avec les précautions suivantes. - L étude de la période maximale d efficacité des AAP au décours de la mise en place de stents coronaires, du risque naturel de thrombose subaiguë précoce du stent et de resténose a recommander comme période optimale, un délai entre 1 et 3 mois après la pose des stents pour la réalisation d une chirurgie non urgente nécessitant une brève interruption des AAP. - Lorsque l interruption est jugée possible, on doit tenir compte du mode d action des AAP (réversible ou non), ainsi que de leur durée d action, très différente entre eux (4 heures à 10 jours). Pour l aspirine, la ticlopidine et le clopidrogel, la durée de l interruption est classiquement de 10 jours. La prise en compte de la régénération d un taux de plaquettes efficace de 50% est de pratique assez courante, sans que cette période n ait été validée par des essais de hauts niveaux de preuve. On prend alors en référence une durée de vie des plaquettes de 10 jours, avec une régénération plaquettaire de 10% par jour. Un traitement de substitution à l aspirine ou aux thiénopyridi- 15
nes est envisageable, en utilisant des agents ayant une action antiplaquettaire ou antithrombotique réversible à court terme. En l état actuel des connaissances, aucun traitement substitutif (héparine non fractionnée (HNF) ou héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à doses curatives, dérivés des salicylates (triflusal) ou AINS, n a été validé de façon prospective, même si certains médicaments, tels le flurbiprofène (Cebutid ), possèdent l AMM comme AAP dans la maladie coronaire. Les posologies sont pour le flurbiprofène : un comprimé de 50 mg deux fois par jour, la dernière dose étant donnée 24 heures avant l intervention. Les HBPM à doses curatives ont montré leur efficacité, lorsqu elles sont associées à l aspirine, dans le traitement des syndromes coronariens aigus sans sus-décalage du segment ST. Elles sont parfois utilisées en relais d un AAP même si elles exposent à d autres risques spécifiques, notamment hémorragiques et ne sont pas toujours aisément maniables dans le contexte péri opératoire. En l absence d insuffisance rénale, on choisira une HBPM administrée en deux injections par jour et prescrite à dose curative. La numération des plaquettes sera faite deux fois par semaine. Après discussion collégiale avec le prescripteur de l AAP, le patient doit être informé des modalités et des risques de modifications de son traitement. II. Peut on interrompre un traitement par AVK? Si oui combien de temps, Les AVK sont des dérivés de la coumarine ou de l indenadione. Leur demi-vie est courte (Sintrom, Pindione ) ou longue (Préviscan, Coumadine, Apegmone ) Ils sont prescrits pour prévenir et traiter la maladie thromboembolique et prévenir la survenue d accidents thromboemboliques artériels dans le cadre de certaines valvulopathies, des prothèses valvulaires cardiaques, de troubles du rythme (fibrillation auriculaire) et de certaines cardiopathies ischémiques. La surveillance de l adéquation du traitement repose sur l INR dont la valeur optimale est comprise entre 2 et 3 pour la majorité des cas et 3-4,5 plus rarement (prothèses mécaniques de première génération en position mitrale ou aortique.) Le risque hémorragique est directement lié à l intensité du traitement et croît très rapidement quand l INR devient supérieur à 4. La réalisation d une anesthésie locorégionale n est pas concevable chez un malade ayant une anticoagulation efficace par les AVK. A l inverse, l interruption des AVK peut donner lieu à un rebond d hypercoagulabilité principalement dans les accident thromboemboliques récents veineux ou artériels récents datant de moins d un mois. La décision d interrompre ou non le traitement se base sur le rapport entre les risques thromboembolique et hémorragique. En l absence de traitement, le risque de récidive d une embolie systémique chez les patients souffrant d une AC/FA varie entre 5 et 20 % selon les facteurs de risque associés (figures 3 et 4). Le risque de thrombose est de 8 % par an chez un patient porteurs d une valve mécanique. Dans les autres situations et notamment chez les malades souffrant de fibrillation auriculaire ou porteur de valves mécaniques de deuxième génération, le risque hémorragique d un relais préopératoire semble supérieur au risque thrombotique d une interruption de courte durée, inférieure à 5 jours [5]. En pratique, un INR inférieur ou égal à 1,5 est compatible avec une RTUP sans augmentation du risque hémorragique [6]. On arrête le traitement 48-72h avant l intervention pour les AVK à demi vie courte et 72h ou plus pour les autres. Une héparinothé- Fibrillation auriculaire (FA) 60-64 ans : 1.7 % > 75 ans : 11.6 % Risque relatif d AVC : 4 à 5 Figure 3 AVC avec antécédent de FA 50-59 ans : 6.7 % 80-89 ans : 36.2 % Figure 4 16
rapie sous-cutanée est proposée dans la plupart des cas, ce d autant que la reprise de l AVK en post opératoire de la RTUP doit tenir compte de la période de la chute d escarre. Cependant, l héparine calcique a une biodisponibilité variable. L emploi d HBPM est fréquent bien que n ayant pas d AMM dans cette indication. Dans les deux cas, le traitement sera interrompu 12 h avant l intervention. En cas de risque thromboembolique élevé, l indication de la RTUP sera soigneusement évaluée, éventuellement la chirurgie sera reportée afin de minimiser les risques de récidive thromboembolique. Si toutefois l indication est maintenue, le relais par l héparine IV non fractionnée est débuté dès que l INR est inférieur à 2. Le TCA est ajusté pour obtenir une valeur égale à 1.5-2,5 fois le témoin ou une héparinémie comprise entre 0,2-0,5 UI /ml. Le relais par voie IV continue requiert l hospitalisation 2 jours avant l acte. L utilisation de la vitamine K, du Kaskadil ou de plasma ne se justifie que dans le cadre de l urgence immédiate ou dans les six heures ce qui n est plus le contexte de la RTUP. III. Peut on interrompre un traitement par les héparines? Si oui combien de temps, L héparine non fractionnée (HNF) et les héparines de bas poids moléculaires (HBPM) sont indiquées pour le traitement préventif et curatif des accidents thrombotiques. L HNF IV produit un effet dès la 5 ème minute. L HNF sous-cutanée atteint son maximum d effet en 40 à 50 minutes. L héparinémie est nulle 4 heures après une injection IV et 12h après une injection SC. Les HBPM (enoxaparine (Lovenox ), Nadroparine (Fraxiparine, Fraxodi ), daltéparine (Fragmine ) entre autres ) ont des durées d action de 12 à 24 h par voie sous-cutanée. Le risque hémorragique induit par l héparine quand elle est poursuivie est comparable à celui des AVK. L injection préopératoire d HNF ou d HBPM fait partie des recommandations d AMM dans la prévention de la maladie thromboembolique veineuse. Certains patients alités représentent un terrain à risque susceptible de bénéficier d une injection préopératoire. Concernant l anesthésie locorégionale péri médullaire, le risque d hématome épidural ou intrarachidien paraît plus important après administration d HBPM qu après HNF et après anesthésie péridurale qu après rachianesthésie, technique la plus employée dans les RTUP [7-9]. Les recommandations sécuritaires proposent un délai de 12 à 24h après la dernière dose d héparine, le choix préférentiel d une rachianesthésie et la reprise du traitement 6 à 12h après l intervention. La perfusion continue d héparine sera arrêtée 6h avant l opération. Dans tous les cas, le bénéfice de la technique doit supplanter le risque [10]. En cas de saignement lié aux héparines, l adjonction de protamine neutralise l héparine standard. Son efficacité est moindre pour les HBPM (neutralisation de l activité anti IIa, mais persistance d une activité anti Xa parfois importante). Ces recommandations concernant les AAP ou anticoagulants en préopératoire sont applicables à la majorité des interventions d endourologie ainsi qu aux biopsies de prostate qui sont réalisées en ambulatoire sous anesthésie locale (figure 5) Figure 5 : Caillot de fibrine au microscope électronique 17
REFERENCES 1. Bell, C., P. Murdock, and R. Morgan, Thrombotic risk factors associated with transurethral prostatectomy. BJU Int, 1999. 83: p. 311-314. 2. Lent, V. and A. Neuss, Management of bleeding, transfusion requirement and removal of catheters in transurethral prostate resection. Eur. Urol., 1997. 32: p. 257-267. 3. Doll, H., et al., Mortality, morbidity and complications following transurethral resection of prostate for benign prostatic hypertrophy. J. Urol., 1992. 147: p. 1556-1573. 4. Société Française d Anesthésie et de Réanimation. Société Française d Hématologie. Conférence d experts (texte court). Agents anti-plaquettaires et période périopératoire. Ann. Fr. Anesth. Réanim., 2001. 20: p. 188-195. 5. EAFT (European Atrial Fibrillation Trial) Study Group. Secondary prevention in non-rheumatic atrial fibrillation after transient ischaemic attack or minor stroke. Lancet, 1993. 342: p. 1255-1262. 6. Schved, J., P.d. Moerloose, and B. Jude, Utilisation des antivitamines K en pratique médicale courante. STV, 2000. 12: p. 26-39. 7. Owens, E., G. Kasten, and E. Hessel, Spinal subarachnoid hematoma after lumbar puncture and heparinization: a case report, review of the literature, and discussion of anesthetic implications. Anesth. Analg., 1986. 65: p. 1201-1207. 8. Bergqvist, D., B. Lindblad, and T. Matzsch, Low molecular weight heparin for thromboprophylaxis and epidural/spinal anaesthesia - is there a risk? Acta Anaesthesiol. Scand., 1992. 36: p. 605-609. 9. Checketts, M. and J. Wildsmith, Central nerve block and thromboprophylaxis - is there a problem? Br. J. Anaesth., 1999. 82: p. 164-167. 10.Marret, E. and M. Samama, Blocs périphériques et anomalies de l hémostase: que peut-on faire? Consensus et controverse en anesthésie locorégionale. JEPU., 2002. Ce Qu il Faut Retenir La mortalité de la RTUP, quoique inférieure à 0,5% dans le premier mois post opératoire est en rapport dans 70% des cas avec une complication cardiovasculaire. un délai entre 1 et 3 mois après la pose des stents coronaires est recommandé pour la réalisation d une chirurgie non urgente nécessitant une brève interruption des AAP. Aucun test d exploration de l hémostase primaire comme le temps de saignement ne présente de valeur prédictive du risque hémorragique pour un patient sous AAP Pour l aspirine, la ticlopidine et le clopidrogel, la durée de l interruption est en pratique courante de 10 jours. Après discussion collégiale avec le prescripteur de l anticoagulant ou AAP, le patient doit être informé des modalités et des risques de modifications de son traitement. l interruption des AVK peut donner lieu à un rebond d hypercoagulabilité principalement dans les accidents thromboemboliques veineux ou artériels récents (datant de moins d un mois) Un INR inférieur ou égal à 1,5 est compatible avec une RTUP sans augmentation du risque hémorragique Les recommandations concernant les anticoagulants et/ou antiagrégants plaquettaires doivent être appliquées pour la réalisation de biopsies de prostate sous anesthésie locale. 18