GROSSESSES ET MATERNITÉS HORS MARIAGE EN TUNISIE : MOSAÏQUE DE PORTRAITS

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Transcription:

GROSSESSES ET MATERNITÉS HORS MARIAGE EN TUNISIE : MOSAÏQUE DE PORTRAITS Entre échanges économico-sexuels et formes d unions alternatives, comment devient-on mère? Le Bris Anne, Ined, IME Bouaziz Faouzi, Onfp Bouchlaka Amel, Onfp

1) Contexte de l étude Evolutions démographiques et socio-économiques Des grossesses «hors normes», des maternités horsla-loi - Code du Statut Personnel : condamnation de tout rapport sexuel prénuptial - Représentations sociales des mères célibataires - Filiation et adoption des enfants nés hors mariage

Carte : Localisation des gouvernorats où l enquête a été menée échantillon entre mars 2008 et juin 2009 : 448 femmes enquêtées Et des entretiens semi directifs

II) Profil général de la population enquêtée Population âgée de 15 à 41 ans. Âge moyen : 24,2 ans Pour 84 % d entre elles, il s agit d une première maternité Surreprésentation de femmes ayant pas ou peu de niveau d instruction néanmoins 37% ont un niveau secondaire ou supérieur Près de la moitié occupe un emploi, généralement en tant qu ouvrière ou dans le tertiaire. Une minorité d employées «domestiques»

Un tiers de la population d étude qualifie de «conflictuelles» ses relations entre les membres de sa famille. Une large majorité des enquêtées se sent bien au sein de sa famille. Les grossesses hors mariage ne sont donc pas toutes liées à des dysfonctionnements familiaux. Seules 7 % des femmes vivent seules au moment où elles tombent enceintes

III. Sexualités, rapports avec le(s) partenaire(s) : de l échange économico-sexuel au concubinage Initiation à la sexualité : entre culpabilité et prise de risque Âge au 1 er rapport sexuel : 9 => 40 ans (à relativiser) Consenti dans 80 % des cas Âge moyen au 1 er rapport sexuel : 20,3 ans

147 enquêtées sur 431 ne disposent d aucune information sur la sexualité La moitié des enquêtées connaissent au moins un moyen de contraception mais seules 17% disent en utiliser. Quel frein?... Pas de lien entre sexualité et grossesse Imprévisibilité ou irrégularité des rapports Accès Gêne Coût Refus du partenaire Promiscuité Peur des effets 2aires Oubli

Relations avec le(s) partenaire(s) : peu de confidences et beaucoup d espoir 85 % des enquêtées connaissent le père biologique Près de 4% des enquêtées vivent avec leur partenaire Durée de connaissance moyenne : 22 mois 30 % : + d 1 an 15 % : + de 2 ans 11 % : - de 3 mois 15 % ne le connaissent pas du tout Viols : 7 % des situations

Âge des pères biologiques : 17 => 60 ans Âge moyen : 30,3 ans 67 % occupent un emploi Homogamie sociale des couples 10% des pères biologiques sont mariés

Peu de communication sur la sexualité et/ou la contraception en général seules 79 sur 431 enquêtées - soit à peine 19% - ont abordé le sujet de la contraception avec le partenaire

Dont cité en 1 Fondement de la relation N ère position Amour 221 210 Affection 144 75 Soutien matériel 111 60 Soutien psychologique 86 43 Désir 77 33 Argent 67 51 Autres : Non concerné (viol) 29

Cadre de la relation N % Relation avec promesse de mariage 216 50,10 % Relation sans promesse de mariage 126 29,20 % Prostitution légale 30 7,00 % Viol 29 6,70 % Inceste 2 0,50 % Total 431 100,00 %

1 père sur 3 est informé de l accouchement Parmi eux, 26 % souhaite s engager à travers le mariage et ainsi légitimer l enfant, soit 6 % de moins qu à l annonce de la grossesse. Si le père n a pu être informé de l évènement naissance, c est en partie dû au fait que l enquêtée n a plus de contact avec lui (67,4 % des cas). - stratégie visant à épargner le partenaire de subir comme elle l enquête policière. - acte d amour désespéré - résultat du chantage du père biologique. - Peur - Doute sur l identité du père

Désirs de grossesse, désirs d enfants : entre quête identitaire et stratégie matrimoniale Près de 18 % de l échantillon

Celles qui désirent être enceinte/avoir un enfant Détectent plus rapidement leur grossesse (et avaient la possibilité d y mettre un terme) et consultent plus souvent un médecin Ont des partenaires qui les confortent dans leur choix et avec qui les questions de sexualité et contraception sont abordés Informent plus souvent les pères de la naissance de l enfant Cohabitent avec leur partenaire Ont un niveau d instruction plus faible mais occupent plus souvent un emploi Sont issues de milieux plus défavorisés et au climat familial conflictuel au sein desquels elles déclarent deux fois plus subir des violences Sont moins informées sur la sexualité et ses risques mais détiennent plus de connaissances sur les moyens de contraceptions

[ ] à l hôpital, les cas social comme moi ils les mettent dans une chambre à coté et moi ils m ont considéré comme un cas normal. Ils étaient gentils avec moi, même les femmes qui étaient avec moi, elles ont cru que je suis mariée comme eux. Surtout que le père était bien présent avec moi pour s occuper de moi et pour régler la situation de son fils. J ai accouché à 8 heure du matin et je l ai informé de l accouchement il est venu directement pour voir son fils et il a informé l assistante sociale qu il va donner son nom pourtant il n avait pas une carte d identité ; il a fait le maximum pour régler la situation de son fils. (Fairouz, 22 ans)

Désillusion sur la relation Seules 37% des mères emportent avec elle leur enfant à la sortie de l hôpital. 22 % le confieront temporairement Un tiers des femmes signent l acte d abandon: les enfants sont alors destinés aux institutions en vue d un placement/adoption Renoncement/abandon du rôle de mère

Celles qui décident de garder leur enfant Sont de niveau d instruction plus faible Occupent plus souvent un emploi Ont plus souvent été confrontée au décès de leur père Sont plus souvent issues de familles décomposées

Réajustement des discours et des pratiques : rôle et statut de mère Pour celles qui décident de garder leur enfant, plusieurs attitudes sont identifiées: Déni total du rôle de mère Surinvestissement, Conformisme Parenté bousculée Stratégie s intra familiales Réappropriation de son rôle de mère une fois le statut matrimonial adapté Adoption de son enfant Rôle investi Revendication du statut

- J ai quitté la maison avec ma sœur pour habiter dans une autre maison. C était dans le même quartier. [ ] Dans la maison où j ai résidé avec ma sœur, on est resté 7 jours mais ma mère n a pas voulu que je ne reste ici. Il fallait que je rentre à la grande maison et tous ils doivent m accepter comme je suis. On doit pas jeter sa propre fille. Elle m a dit : «il faut considérer ta fille comme si était la cinquième fille que je n ai pas». Dès ce jour là, ma fille est considéré comme une sœur pour moi.. pas ma fille. (Hejer, 23 ans)

L enfant pour les femmes seules : une ressource, un moteur de l action, un pôle affectif J aime ma fille, je la vois comme un grand soutien pour moi.(hejer, 23 ans) C était comme un rêve pour moi d avoir quelqu un à mes côtés. Ca remplit le vide que je vis. Mon seul souhait, c était d avoir une petite. J étais toujours été maltraitée, au moins j ai quelqu un qui me tient compagnie, en qui j ai confiance. (Nesrine, 19 ans)

Mon père m a dit que si je veux revenir à la maison, il faut que j abandonne la petite.» (Nesrine, 19 ans) «C est vrai que ça va être difficile, que je vais avoir des problèmes et tout, même si c est un fardeau, même si je l ai sur le dos dans la rue, sans rien, je préfère rester avec lui.» (Saida, 25 ans)

Je n ai que lui au monde. Lui n a que moi. Je dois bien l élever. C est mon devoir. (Neila, 21 ans) Je l ai amené deux fois dans un autre hôpital [ ] Quand je l ai amené, je me suis pas sentie seule, j avais du courage. Je parlais à mon bébé. Je lui disais «si quelqu un m emmerde, tu prendras ma défense!».(neila, 21 ans)

discussion - Que signifie être mère célibataire dans un tel contexte? - Femmes seule avec enfants ou des couples non officialisés? - Continuum entre échanges économico-sexuels et union non formalisées/officialisées - Rapports sociaux de sexe, vulnérabilités : contexte de contraintes et dominations imbriquées mais également capacité d action et stratégiques - Relations dialectiques entre normes dominantes et stratégies adoptées - Expérience de marginalité: expérience de subjectivité, création, bricolage identitaire, émergence de la figure de l individu