Description du cas et procès-verbal photo Un accident devant le Tribunal d'arrondissement de Lausanne «STOP à la manipulation des dispositifs de protection»
Suva Sécurité au travail Case postale, 1001 Lausanne www.suva.ch www.suva.ch/dispositifs-de-protection Renseignements Tél. 021 310 80 40 Un accident devant le avril 2012 AS 1548.f 3
Un tour CNC écrase la main d'un polymécanicien Un polymécanicien désactive le dispositif de protection d'un tour CNC afin d'avoir une meilleure vue sur l'outil et la pièce à usiner pendant le réglage. Lorsqu'il se penche à l'intérieur de la machine, sa main glisse entre la pièce et la contre-broche et est écrasée. L'accident s'est produit le matin du 9 janvier 2009 dans l'entreprise E. Chantillon Construction Mécanique SA. Cette société, qui emploie 25 personnes, s'est spécialisée dans la fabrication de pièces tournées et fraisées complexes. F. (victime de l'accident), un polymécanicien expérimenté de 48 ans 1, est en train d'usiner une nouvelle pièce complexe sur un tour CNC. Il est sous pression car le chef de production lui a demandé de réaliser cette pièce urgente aussi vite que possible. Le réglage de la machine en vue de la production lui prend plus de temps que prévu. A 8h55, F. (victime de l'accident) veut vite «jeter un coup d'œil» afin de vérifier si la programmation choisie permet de réaliser la saignée 2 sans collision entre l'outil et la broche principale 3. Pour ce faire, F. (victime de l'accident) neutralise l'interrupteur de surveillance 4 de la porte d'accès à la zone de travail au moyen d'une seconde contre-pièce 5 amovible qu'il a ajoutée à son trousseau de clés. Car normalement, le réglage de la machine peut être effectué uniquement si la porte est fermée. Or, pour pouvoir observer le burin situé derrière la pièce à usiner, F. (victime de l'accident) doit se pencher très en avant à l'intérieur de la machine, avec la porte ouverte. Après avoir lancé le programme d'usinage il se penche dans la machine. contre-broche 6. Au même moment la contre-broche qui se déplace en direction de la pièce à usiner écrase la main. Son collègue de travail réagit immédiatement aux cris de F. (victime de l'accident) et il presse le bouton d'arrêt d'urgence. Seule la présence d'esprit de son collègue de travail a permet d'éviter des conséquences encore plus tragiques. Conséquences de l'accident La blessure est grave. La main gauche de F. (victime de l'accident) a subi des lésions importantes, notamment au niveau du poignet. Il est transporté en ambulance à l'hôpital. F. (victime de l'accident) sera opéré 4 fois. Il passera 8 semaines à l'hôpital et 8 semaines dans une clinique de réadaptation (rééducation et évaluation d'aptitude pour son travail). Il s'avère qu'il n'est plus en mesure d exercer son ancienne profession. Dès août 2009, il suit une formation de représentant technique. Il reçoit une pension d'invalidité de l'assurance accident depuis le 1 er octobre 2011. Il s'est donc trouvé en incapacité de travail à 100% (en tant que polymécanicien) pendant 32 mois. En décembre 2011, il trouve finalement un emploi. Il souffrira de douleurs violentes et persistantes toute sa vie. Il sera fortement restreint des ses activités à cause de ses deux phalanges sectionnées et de sa main quasi inerte. C'est alors que l'accident se produit: la main gauche de F. (victime de l'accident) glisse sur une surface huileuse de la machine et se place entre l'outil et la 1 Les âges indiqués se rapportent à la date de l'accident. 2 Usinage fait par approche d'un burin derrière la pièce. 3 La broche est la partie tournante du tour dans laquelle la pièce est fixée. La machine comporte une broche principale et une contre-broche qui permettent d usiner la pièce sur toute sa longueur. 4 L'interrupteur de surveillance arrête la machine lorsque la porte de sécurité est ouverte. 5 Contre-pièce (est introduite dans l'interrupteur de surveillance lorsque la porte est ouverte). 6 Deuxième broche (cf. «Broche principale»).
Enquête et établissement des faits Tant l'ingénieur de sécurité de la Suva que la police procèdent à une enquête après l'accident. En plus de F. (victime de l'accident), l'enquête se concentre sur différents responsables de l'entreprise et d autres personnes impliquées: A. (chef d'entreprise). Copropriétaire, chef d'entreprise et directeur de production d'e. Chantillon SA. 55 ans, mécanicien (avec maîtrise fédérale). B. (coordinateur de sécurité). Responsable de la logistique et accessoirement coordinateur de sécurité d'e. Chantillon SA. 50 ans, serrurier diplômé, diplôme de commerce. Responsable de la logistique depuis cinq ans. C. (monteur). Employé de la société Livraisons SA. 42 ans, polymécanicien. A livré, installé et mis en service le tour CNC en septembre 2008 et instruit F. (victime de l'accident) à son utilisation. L'enquête a établi les faits suivants: F. (victime de l'accident): S'est plaint dès l'achat de l'absence d'un mode de réglage convenable sur la machine acquise par son chef. Lors de la formation sur la machine, il a demandé à C. (monteur) comment il faisait pour régler correctement la machine et si le réglage était possible uniquement avec la porte de sécurité fermée. C. (monteur) lui a alors conseillé d'utiliser une seconde contre-pièce. Le monteur a utilisé cette dernière pour la mise en service de la machine ainsi que pour une réparation sous garantie et l'a ensuite laissée à F. (victime de l'accident). Ne croit pas qu'il risque d'avoir un accident en manipulant un dispositif de protection. En effet, il prétend - faire attention, - connaître les dangers, - avoir toujours procédé ainsi, - qu'il n'est pas possible de travailler autrement, - que les dispositifs de protection «imposés par la Suva» sont inutiles et gênants. Deux mois avant l'accident, F. (victime de l'accident) avait déjà provoqué un incident avec le même tour CNC. La porte était également ouverte pendant le réglage de la machine. Un mouvement inopiné du chariot porte-outils avait provoqué une collision avec la pièce à usiner. Un morceau de la pièce éjecté hors de la machine avait atteint F. (victime de l'accident) à la tête. Un sparadrap avait toutefois suffi à soigner la légère blessure subie. A. (chef d'entreprise) avait réagi à cet incident en mettant en garde le victime de l'accident : «sois plus attentif!» Est marié et père de trois enfants âgées de six, 11 et 13 ans et propriétaire d une maison, il participait activement aux activités familiales et ménagères avant l accident. Il avait également augmenté son revenu en jouant régulièrement du synthétiseur dans un groupe. A. (chef d'entreprise): Est chef d'entreprise d'e. Chantillon SA et en même temps directeur de la production, donc le supérieur hiérarchique direct de F. (victime de l'accident). A été informé avant l'accident par B. (coordinateur de sécurité) que F. (victime de l'accident) manipulait régulièrement le dispositif de sécurité de la machine en cause. A alors fait savoir à F. (victime de l'accident) que toute manipulation est interdite, mais n'a élaboré aucune solution pour résoudre le problème du mode de réglage inapproprié. N'a pas établi de consignes garantissant la sécurité lors de la production au sein d'e. Chantillon SA. A fait passer les intérêts commerciaux (exécution des mandats dans les temps) avant l utilisation conforme de la machine. B. (coordinateur de sécurité) : A remarqué les manipulations de F. (victime de l'accident) après la livraison de la nouvelle machine et l'a averti à trois reprises de ne plus manipuler le dispositif de protection avant de signaler le cas à A. (chef d'entreprise). A consigné les avertissements dans un journal personnel. A informé verbalement A. (chef d'entreprise) des manipulations constatées, car il ne voulait pas l'irriter en lui faisant parvenir une communication écrite «officielle» par courriel. E. Chantillon SA applique la solution par branche n 28 de la Convention patronale de l'industrie horlogère suisse afin de respecter les exigences en matière de sécurité au travail et de protection de la santé. B. (coordinateur de sécurité) a acquis les compétences nécessaires à l'exercice de sa fonction accessoire de coordinateur de sécurité en suivant en 2002 le cours de base à l'introduction pour la mise en œuvre de la solution par branche et les modules de formation continue. Il a en outre participé en 2004 au cours BASPRO de trois jours de la Suva. Reçoit périodiquement les circulaires destinées aux coordinateurs de sécurité. Le thème de la «manipulation des dispositifs de sécurité» a été traité dans la circulaire du 09.01.2008. 5
Un cahier des charges pour la fonction de coordinateur de sécurité n avait pas été établi par contrat de travail. C. (monteur): A mis le tour CNC en service en septembre 2008 et rédigé le rapport correspondant. A appris le maniement de la machine à F. (victime de l'accident). Cette instruction a été documentée. S'est rendu chez E. Chantillon SA deux semaines après la mise en service afin d'effectuer une réparation sous garantie (remplacement de la pompe du liquide d'arrosage du tour). Un rapport a été rédigé. Lors de la mise en service et de la réparation sous garantie, a neutralisé l'interrupteur de surveillance de la porte au moyen d'une seconde contre-pièce. A conseillé à F. (victime de l'accident) d utiliser une seconde contre-pièce, qu'il lui a laissée après une réparation sous garantie. Constat Machine: Tour CNC, année de construction: 2008. Déclaration de conformité disponible. Notices d'instructions et d'entretien disponibles. Fonctionnement en mode réglage possible uniquement avec porte fermée. L observation du processus d'usinage à travers la vitre de la porte de sécurité complique considérablement le réglage (perte de temps, risque de rebut. Acheté par A. (chef d'entreprise) en juillet 2008. Aucun cahier des charges n'a été établi pour l'achat. F. (victime de l'accident) n'était pas impliqué lors de l'achat. Un système de commande spécial proposé en option, qui permet d'effectuer le réglage en toute sécurité avec la porte ouverte, n'a pas été acheté en raison de son prix (2 à 3 % de celui de la machine). Note: Ce texte décrit un accident fictif. Il ne fait aucune référence à des événements réels ou à des personnes existantes. Le scénario est basé sur les violations fréquentes constatées par les spécialistes Suva de la sécurité au travail lors de contrôles dans les entreprises. Cependant, lors de manipulation de dispositif de sécurité, ce type d'accident peut arriver en tout temps et en tout lieu. Auteurs: Markus Schnyder, Jean-Philippe Jaquet, Pius Arnold Rédaction: Alois Felber
Procès-verbal photo Ces photos illustrent le déroulement de l'accident ficitif. Fig. 1 Tour CNC (avec chargeur de barres, bleu) de l entreprise E. Chantillon Construction Mécanique SA: - Vue de gauche - La porte d'accès à la zone de travail est ouverte. Fig. 2 Tour CNC (avec chargeur de barres, bleu) de l entreprise E. Chantillon Construction Mécanique SA: - Vue de droite Fig. 3 Après la réalisation d'une réparation sous garantie, C. (monteur) laisse une seconde contre-pièce, pour l interrupteur de surveillance de la porte, sur l établi. Ce qui a sans doute été convenu avec F. (victime de l'accident). 7
Fig. 4 F. (victime de l'accident) a ajouté à son trousseau de clés la seconde contre-pièce amovible. Il l'insère dans l interrupteur de surveillance de la porte. Fig. 5 Avec cette manipulation, la machine «croit» que la porte est fermée et toutes les fonctions peuvent être exécutées à pleine vitesse, comme en mode automatique. La contre-pièce fixée à la porte est bien visible dans le cercle droit. Fig. 6 F. (victime de l'accident) active sur le panneau de commande les mouvements grâce auxquels il peut vérifier de visu (avec la porte ouverte) si la programmation choisie permet de réaliser la saignée sans collision entre l outil et la broche principale.
Fig. 7 Afin de bien pouvoir observer le processus, F. (victime de l'accident) se penche dans la zone de travail. Pour ce faire, il s appuie sur un élément (huileux) de la machine. Broche principale Contre-broche Fig. 8 La main gauche de F. (victime de l'accident) glisse sur la surface huileuse de la machine et fait un mouvement en avant (dans le sens de la flèche). Dans le même temps, la contre-broche se dirige vers la pièce à usiner, à gauche. Contre-broche Fig. 9 La main gauche de F. (victime de l'accident) qui se trouve entre la pièce et la contre-broche en mouvement est broyée. 9