Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante

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Transcription:

Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante E. Stoeckle et A. Floquet Introduction La réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante est également appelée chirurgie d intervalle (ou «interval debulking surgery» selon le terme anglais). Elle s inscrit dans le cadre général de la chirurgie de réduction tumorale des cancers de l ovaire avancés, déjà abordée dans ce livre (voir chirurgie de réduction tumorale). La chirurgie d intervalle est censée réaliser cette réduction tumorale précocement, après quelques cycles (en général trois) de chimiothérapie d induction, chez des patientes inopérables d emblée. Elle s adresse donc à des tumeurs de l ovaire très avancées, en général de stades IIIC et IV, dont l inopérabilité initiale est définie par l impossibilité d obtenir une réduction tumorale optimale. En ayant comme objectif de réaliser un effort d exérèse chirurgical dès qu une réponse à la chimiothérapie s amorce, la chirurgie d intervalle se distingue de la chirurgie de second regard («second look surgery»), couramment réalisée dans les années 1970-1980 et dont la vocation était diagnostique en réalisant un inventaire abdominal en fin de chimiothérapie chez des patientes en rémission complète. Le concept de la chirurgie d intervalle après chimiothérapie d induction est donc plus récent (1-5), avec comme objectifs, à l instar de traitements néoadjuvants dans d autres pathologies (sein, digestif, ORL, sarcome ) de réduire l extension tumorale et permettre secondairement une chirurgie moins agressive, moins mutilante, plus fonctionnelle. Dans le cancer de l ovaire, il s appuie sur les arguments régissant l indication de la chirurgie d exérèse initiale (faciliter la chimiothérapie par la remise en cycle des cellules, l amélioration de la vascularisation tumorale et l élimination des clones chimiorésistants) en reportant simplement la chirurgie à un moment où la tumeur devient opérable. Ceci implique sur le plan théorique qu elle ne survienne pas trop tard au cours du traitement, avant l apparition de clones chimiorésistants. Deux conditions sont

260 Les cancers ovariens nécessaires à cette approche : une certaine efficacité de la chimiothérapie d induction et l obtention d une exérèse optimale. Cela soulève plusieurs questions : comment définir et établir l opérabilité? qu est-ce une chirurgie optimale? que faire en cas de progression sous chimiothérapie? combien d opérations? qui opérer? quand opérer? Certaines de ces questions, notamment la définition de l opérabilité et de la chirurgie optimale, ont déjà été abordées dans cet opuscule. Nous allons tenter de répondre aux autres après revue de la littérature ayant trait à la chirurgie d intervalle dans le cancer de l ovaire. Études de faisabilité (tableau I) Les résultats thérapeutiques de neuf études, cumulant 370 patientes traitées par chimiothérapie néo-adjuvante en vue d une chirurgie d intervalle, sont résumés Tableau I Chirurgie d intervalle dans les cancers de l ovaire stade III/IV - études de faisabilité. Auteur Patientes Chimio néo-adj. Chirurgie Survie Époque N % % nb. critère chir. % RC chirurgie médiane StadeIV taxane cycles optimale OP d emblée complète optimale Lawton (3) 36 22% 0 3-4 2 cm 78% NP 57% 89% NP 1984-1986 Lim (6) 30 33% 0 3-6 NP 37% NP 18% NP 10,2 m 1986-1988 Surwit (7) 29 28% 0 2-3 1 cm 86% NP NP 66% 22,5 m 1987-1993 Vergote (8) 31 41% 30% 3 0,5 cm 63% NP NP 84% NP 1993-1997 Tate (9) 50 16% 2% 4 1 cm 91% NP 64% 92% 59% 1993-1999 /3 ans Recchia (10) 34 100% 29% 4 NP 82% 32% 100% 100% 28 m 1993-2000 Ansquer (11) 54 15% 54% 4 2 cm 85% 9% 50% 85% 22 m 1996-1999 Mazzeo (12) 45 20% 80% 4 2 cm 87% 0 62% 79% 29 m 1995-2002 Le (13) 61 2% 100% 3 2 cm NP NP 26% 80% 41,7 m 1997-2002 RC : NP : rémission complète non précisé

Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante 261 dans le tableau I. Il s agit d études rétrospectives, incluant des tumeurs ovariennes avancées, de stades III et IV, jugées inopérables d emblée de façon optimale. Les critères de chirurgie optimale ont été variables selon les séries (définis selon la taille des nodules résiduels, allant de 0,5 à 2 cm) et les indications de la chimiothérapie néo-adjuvante ont varié dans le temps. Dans les séries plus anciennes (3, 6), l inclusion dans un protocole de chimiothérapie néo-adjuvante résultait d un échec de l opération initiale, n ayant pas permis d obtenir de cytoréduction satisfaisante. Une seconde intervention après chimiothérapie était censée tenter une nouvelle réduction tumorale plus satisfaisante. Par la suite, des critères d inopérabilité cliniques et paracliniques (stades IV, extension au scanner, taux de CA 125), aidés le cas échéant par des laparotomies exploratrices, ont fait indiquer une chimiothérapie première (7, 9). Plus récemment encore, l indication d opérabilité a été basé essentiellement sur les résultats de la laparoscopie exploratrice (8, 10-13) en plus des explorations radiologiques. Dans ces deuxièmes approches, les patientes étaient amenées d emblée vers un programme de chimiothérapie première sur des critères d inopérabilité initiale, sans tentative d exérèse chirurgicale première. La chirurgie d intervalle, partie intégrante du programme, était prévue après trois cycles de chimiothérapie en l absence de progression tumorale. Ce délai, en fait, a été souvent légèrement dépassé, avec la réalisation de la chirurgie d intervalle plutôt après quatre cycles qu après trois. Cette tendance se confirme dans les séries récentes. Serait-ce dû à la constatation d une meilleure opérabilité après un supplément de chimiothérapie? Ansquer et al. (11) constatent qu après six cycles de chimiothérapie le taux de rémissions complètes obtenues est meilleur qu après trois cycles (61 versus 45%), sans que cela n ait d impact sur la survie. Les résultats de ces séries sont variés. Ainsi, le taux de stades IV inclus va de 2 à 100% et la proportion de patientes ayant réellement une chirurgie d intervalle après chimiothérapie s échelonne entre 37 et 91%. Ces résultats sont probablement liés davantage aux critères de sélection des patientes qu aux réponses à la chimiothérapie, tous les protocoles faisant appel à un dérivé de platine. En moyenne, 50% environ des patientes ont une chirurgie complète (incluant les rémissions complètes d emblée et secondaires à la chirurgie d intervalle) avec de larges extrêmes de 18 à 100%, tandis que le taux de chirurgie optimale se situe autour de 85% (extrêmes : 66-100%). Quant aux résultats thérapeutiques, on remarque qu ils paraissent davantage corrélés à la période de prise en charge des patientes qu aux résultats de la chirurgie obtenus (taux de chirurgies complètes ou optimales), avec des survies médianes entre dix et vingt mois dans les années 1980 et entre vingt et trente mois dans les années 1990. Dans l ensemble, ces études confirment la bonne faisabilité d une chirurgie d intervalle après chimiothérapie néo-adjuvante, avec une tendance à la moindre morbidité de la chirurgie d intervalle par rapport à ce qui est rencontré lors de la chirurgie première (3, 7-8, 11-12). Cette réduction de la

262 Les cancers ovariens morbidité proviendrait d une diminution des gestes digestifs lors de la chirurgie d intervalle (7). L efficacité de l approche néo-adjuvante par rapport à la prise en charge standard comportant chirurgie de réduction tumorale suivie de chimiothérapie ne peut être établie d après ces études rétrospectives, hétérogènes et d interprétation difficiles. Les auteurs dans leur ensemble remarquent que seules les patientes dont les tumeurs répondent à la chimiothérapie initiale retirent un bénéfice de cette approche (7, 9, 11-13), permettant de définir un sous-groupe de patientes au pronostic défavorable, avec une maladie stable ou progressant sous chimiothérapie et pour qui la chirurgie d intervalle n a pas d indication. Quant aux stades IV, qui ne constitueraient pas une bonne indication à la chirurgie d intervalle pour certains (13, 25), sont pour d autres (8, 10, 12) l indication princeps de la chirurgie d intervalle. La part des stades IV dans la majorité de ces études de faisabilité est élevée, confirmant la tendance d inclure ces stades dans l approche néo-adjuvante (tableau I). Comparaisons historiques (tableau II) Les premières comparaisons entre l approche néo-adjuvante avec chimiothérapie première suivie de chirurgie d intervalle et le traitement standard avec chirurgie première ont été faites avec des séries historiques. Les constatations Tableau II Chirurgie d intervalle dans les cancers de l ovaire stade III/IV comparaisons historiques. Auteur Époque N Stades Chimiothérapie Chirurgie Survie (p) IV type nb. complète optimale morbidité cylces (définition) Neijt (15) (< 1 cm) (S) Intervalle 1981 30 NP CHAP/CP NP NP 64% NP # 23 m Primaire 1979 62 NP CHAP/CP NP NP NP NP # 56 m Schwartz (14) (< 2 cm) (NS) Intervalle 1991-1992 11 54% PC 6 NP NP NP # 15 m Primaire 1989-1992 18 28% PC 6 0 0 NP # 28 m Morice (16 )* (< 2 cm) (NS) Intervalle 1996-1999 34 12% TC 3+5 65 % 94% 12% 26 m Primaire 1985-1993 34 12% CP/CAP 6 22% 94% 53% 22 m * étude cas témoin CHAP : cyclophosphamide hexamethylmélamine doxorubicine cisplatine CP : cyclophosphamide cisplatine PC : carboplatine cyclophosphamide CAP : cyclophosphamide doxorubicine - cisplatine TC : paclitaxel carboplatine S : significatif NS : non significatif NP : non précisé

Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante 263 sont contradictoires. Pour Neijt et al. (15) la chirurgie d intervalle apporte des résultats inférieurs à ceux de la chirurgie primaire. Ceci en particulier en cas de chirurgie optimale (reliquats < 1 cm) avec une survie significativement moins bonne chez 30 patientes opérées lors d une chirurgie d intervalle en comparaison avec 62 patientes opérées d emblée. Ces mêmes auteurs soulignent que la chirurgie d intervalle est probablement utile uniquement chez les patientes chez qui aucune tentative de réduction tumorale n a été réalisée initialement. Pour les autres (14, 16), la survie après chirurgie d intervalle est la même qu après chirurgie initiale, mais il y a moins de complications. Dans l étude de Schwartz et al. (14), la chirurgie d intervalle est réalisée après six cycles de chimiothérapie. L étude de Morice et al. (16), qui est une étude cas - témoin, montre qu à résultats carcinologiques comparables, le taux de résection digestive nécessaire est nettement inférieur en cas de chirurgie d intervalle que lors de la chirurgie primaire (6 résections digestives versus 24 résections respectivement). Les comparaisons historiques comportent un double risque de biais : celui de la sélection des patientes, différentes dans les cohortes respectives par inclusion rétrospective et celui des modifications diagnostiques et thérapeutiques intervenues dans le temps, rendant ces comparaisons aléatoires. Une amélioration des résultats dans le temps est constamment rapportée dans les comparaisons historiques (8, 17). Comparaisons contemporaines (tableau III) Il existe une littérature relativement abondante dans laquelle sont comparés les résultats de la chirurgie d intervalle à ceux de la chirurgie primaire. Ces comparaisons, toutes rétrospectives, impliquent évidemment un biais important lié à la sélection des patientes dans les deux catégories, sélection habituellement consécutive à des indications différentes. Les résultats sont donc à interpréter avec prudence. Néanmoins, l avantage des comparaisons contemporaines sur les comparaisons historiques est d utiliser des protocoles thérapeutiques similaires et d effacer l influence du décalage de période de traitement sur les résultats thérapeutiques. Comme on peut le voir dans le tableau III, il existe une tendance à l amélioration des survies aux périodes de traitement plus récentes avec des survies médianes passant de vingt mois environ dans les années 1980 à trente mois dans les années 1990. À l exception de deux études avec des résultats contradictoires (26, 16), la plupart des études ne montrent pas de différences significatives en terme de survie entre les groupes de patientes avec chirurgie primaire versus chirurgie d intervalle. Ainsi, les auteurs concluent en général que l approche par chimiothérapie néo-adjuvante suivie d une chirurgie d intervalle n est pas délétère pour les patientes. Lorsqu un troisième groupe de patientes, celles des «non opérées» après chimiothérapie première est comparé

264 Les cancers ovariens Tableau III Chirurgie d intervalle dans les cancers de l ovaire stade III/IV comparaisons contemporaines. Auteur Époque N Stades Chimiothérapie Chirurgie Survie (p) IV type nb. complète optimale morbidité cylces (définition) Griffiths (18) 1974-1977 (< 1 cm) Intervalle 9 0 CC NP NP 78% 0 6 m Primaire 15 13% CM NP NP 80% 13% 18 m Jacob (4) 1977-1988 CDDP+ (< 2 cm) (NS) Intervalle 22 12% 3+6 9% 77% 23% 16 m Primaire 18 11% 6 5% 39% 33% 19,3 m Primaire suboptim. 22 12% 7 0 36% 18 m Wils (2) 1980-1984 25% CAP (< 1,5 cm) Intervalle 18 3+3 29% NP 0 50 % 3 ans Primaire 38 6 50% NP 0 60 % 3 ans Non opérée 32 6 0 0 0 25 % 3 ans Onnis (19) 1965-1995 P/A/C (< 2 cm) (NS) Intervalle 88 28% NP 19% 42% NP 27% 3 ans Primaire 284 NP NP 13% 29% NP 31 % 3 ans Schwartz (20) 1979-1996 CDDP+ (< 2 cm) (NS) Intervalle 59 68% 5 NP NP NP 13 m Primaire 206 20% 6 7% 51% NP 26 m Shibata (21) 1987-1996 CDDP+ (< 2 cm) (NS) Intervalle 23 22% 6 NP 81% NP 23 m Primaire 96 14% 6 NP NP NP 20 m Ushijima (22) 1986-2000 CDDP+ (< 1 cm) (NS) Intervalle 45 22% T : 24% 3,7+3 24% 36% NP 21 m Primaire 63 22% 6 NP NP NP 23 m Kayikçiog (23) 1991-2000 (< 2 cm) (NS) Intervalle 45 53% T : 69% 3+x 49% 76% NP 34 m Primaire 158 35% T : 49% 6 14% 64% NP 38 m Ursic Vrscaj (24)1996-1998 CDDP+ (< 1 cm) (NS) Intervalle 20 15% 4+2 40% 60% NP 25 m Primaire 55 13% 6 11% 22% NP 26 m Deval (25) 1995-2000 100% T : 100% (< 1 cm) Intervalle 15 TC NP NP NP NP 30 m Primaire 54 TC NP NP NP NP 24 m Non opérée 33 TC NP NP NP NP 17 m Kuhn (26) 1996-2000 0 T : 100% (< 2 cm) (S) Intervalle 30 TC 3+3 32% 84% 27% 42 m Primaire 32 TC 6 13% 63% 56% 23 m Morice (27) 1996-2001 T : 100% (< 2 cm) (S) Intervalle 57 17% TC 3+5 51% 84% 11% # 29 m Primaire 28 18% TC 6 54% 100% 39% # 44 m CP : cyclophosphamide cisplatine CM : cyclophosphamide - melphalan CDDP+ : combinaison à base de cisplatine CAP : cyclophosphamide doxorubicine cisplatine P : cisplatine A : C : T : TC : NP : NS : doxorubicine cyclophopshamide paclitaxel paclitaxel - carboplatine non précisé non significatif

Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante 265 aux autres groupes, la survie de ces patientes s avère inférieure à celle des autres patientes (2, 25), soulignant le caractère défavorable de ces groupes où les conditions initiales nécessaires (chimiothérapie efficace, chirurgie optimale) n ont pas été réunies. Le moment de réalisation de la chirurgie d intervalle est habituellement fixé après trois cycles de chimiothérapie (2, 4, 16, 23, 26), mais certains la réalisent après quatre cycles (22, 24), voire après cinq ou six cycles (20, 21). La majorité des auteurs, sauf deux (2, 16), rapportent des taux supérieurs d exérèse complète lors de la chirurgie d intervalle que lors de la chirurgie primaire, avec des taux compris entre 9 et 51%; une même supériorité est retrouvée pour les taux de chirurgie optimale, bien que les définitions en soient très variables. Lorsqu elle est rapportée, la morbidité s avère constamment inférieure pour la chirurgie d intervalle que pour la chirurgie primaire (4, 16, 18, 26). De façon générale, les auteurs insistent sur la meilleure faisabilité de la chirurgie d intervalle en comparaison avec la chirurgie initiale, permettant d obtenir des survies semblables avec moins de complications que lors de la chirurgie initiale. Il ne faut pas oublier, néanmoins, que ces comparaisons rétrospectives portent sur des populations différentes. Il est vrai que les patientes ayant bénéficié d'une chirurgie d'intervalle n étaient pas opérables d emblée et a priori porteuses de maladies plus avancées ; cependant il serait imprudent de conclure à la supériorité de l approche néo-adjuvante sur l approche standard du fait de l égalité des résultats, l exclusion des patientes non opérées, majoritairement celles progressant sous chimiothérapie, venant biaiser les résultats. Études randomisées (tableau IV) Trois études randomisées ont été réalisées à notre connaissance. Il s agit d une étude anglaise (28), une émanant de l EORTC (29) et une du GOG américain (30), détaillées dans le tableau IV. Ces trois études ont été réalisées successivement, celles du GOG étant la plus récente. Il s agit dans tous les cas d études multicentriques. Les critères d inclusion dans les trois études comportaient des cancers de l ovaire de type épithélial, de stades III et IV, ayant eu une chirurgie première s avérant non optimale suivie d une chimiothérapie «néo-adjuvante» ne montrant pas de progression tumorale. La chimiothérapie a comporté un sel de platine dans tous les cas, associé au paclitaxel seulement dans l étude de Rose et al. La randomisation a comparé la réalisation d une chirurgie d intervalle après trois cycles de chimiothérapie suivie de trois autres cycles à une chimiothérapie exclusive par six cycles de la même chimiothérapie. La durée globale de traitement dans les trois études a été prolongée entre deux et quatre semaines dans les bras chirurgie avec une dose - intensité de chimiothérapie non affectée par cette prolongation. Le suivi médian a été d environ quatre ans dans les trois études.

266 Les cancers ovariens Tableau IV chirurgie d intervalle dans les cancers de l ovaire stades II/IV - essais randomisées. Redman Van de Burg Rose (28) (29) (30) Époque 1986-1990 1987-1993 1994-2001 Critères de sélection : chirurgie suboptimale initiale, absence de progression tumorale sous chimiothérapie définition chirurgie suboptimale > 2 cm > 1 cm > 1 cm effort de cytoréduction initiale oui +/- oui par chirurgien spécialisé 10% peu (NP) 95% randomisation avant chimio après chimio après chimio nombre de cycles avant chirurgie 3 3 3 Patientes : N initial (335) 425 550 randomisées 86 319 448 éligibles et évaluées : 79 278 424 âge 50-60 ans 59 ans 57 ans carcinome séropapillaire 41% 58% 76% stade IV 14% 22% 6% grade 3 47% 58% 51% ascite initiale NP 75% 79% lésions 2 cm 0 5% 12% Chimiothérapie : CP/PAB CP TP accomplissant 6 cycles initiaux (8 cycles) 84% 95% chimiothérapie consolidation 0 35% 11% Chirurgie d intervalle : Randomisées 37 pts 140 pts. 216 pts. Réalisées 25 (68%) +1 cas 127 (91%) 201 pts (93%) par chirurgien spécialisé 50% NP 99% Etat lésionnel : RC d emblée 4 (15%) 22 (17%) NP RC post-opératoire 5 (20%) 48 (38%) NP Chirurgie optimale 14 (53%) 33 (26%) 168 (84%) * Chirurgie suboptimale 7 (27%) 46 (36%) 33 (16%) Complications chirurgie d intervalle : plaie viscérale 2 (8%) 6 (5%) NP transfusion 11 (42%) 28 (22%) NP complications postopératoires 9 (35%) 18 (14%) NP dont sévère 4 (15%) 4 (3%) Chirurgie second look 0 37% 2% Prolongation de durée de traitement dans le groupe chirurgie 14 j 24 j 24 j Suivi médian 48 mois 50% > 42 mois 47 mois Survie globale médiane : Survie chirurgie d intervalle 15 mois ** 26 mois ** 36,2 *** mois Survie chimiothérapie seule 12 mois ** 20 mois ** 35,7 ***mois p NS 0,012 NS CP : cisplatine cyclophosphamide PAB : cisplatine - doxorubicine - bléomycine TP : cisplatine - paclitaxel * incluant les RC postopératoires ** survie calculée à partir du début de la chimiothérapie *** survie calculée à partir du troisième cycle de chimiothérapie

Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante 267 À côté de ces similitudes, plusieurs différences sont constatées : La première concerne les critères d inclusion initiale. La chirurgie optimale a été définie selon la taille des nodules péritonéaux résiduels, inférieure à 2 cm pour Redman et al., mais inférieure à 1 cm dans les deux autres études. De ce fait, l étude anglaise inclut davantage de patientes avec des lésions de gros volumes, mais aucune avec des lésions de 1 à 2 cm qui représentent, par contre, 12% des cas de l étude du GOG. L inclusion des stades IV a été la plus importante dans l étude de l EORTC avec 22% des cas, suivi de l étude anglaise avec 14% des cas (uniquement stades IV pleuraux) et seulement 6% dans l étude du GOG. La seconde différence concerne «l effort» de cytoréduction initial. Il peut être supposé maximal dans l étude du GOG, car l intervention a été réalisée dans 95% des cas par un chirurgien spécialisé, ce qui influence directement les résultats chirurgicaux (31, 32). L effort chirurgical initial a également été maximal dans l étude anglaise, car il s agissait d un critère d inclusion. Les patientes ayant eu une chirurgie initiale jugée non maximale n ont pas été incluses dans cette étude (27 exclusions). Dans l étude de l EORTC, par contre, la chirurgie initiale, réalisée par des chirurgiens toutes spécialités confondues, n a certainement pas été maximale pour toutes les patientes, comme en témoigne le taux de 30% d ovaires laissés en place (33). De plus, on note au moment de la chirurgie d intervalle un taux d exérèses optimales de 62% dans l étude EORTC contre 73% et 84% dans les études anglaise et américaine respectivement (tableau IV). Il n y a pas eu de traitement de clôture au terme du traitement initial après la sixième cure de chimiothérapie dans l étude anglaise. Dans l étude de l EORTC, 37% des patientes dans l ensemble du groupe ont eu une chirurgie de second look, suivie fréquemment d un traitement de clôture (35% des cas, plus fréquent dans le bras chimiothérapie que dans le bras chirurgie). Des traitements de clôture, également répartis dans les deux bras, ont été réalisés hors protocole dans 11% des patientes de l étude du GOG. Sur le plan méthodologique, dans l étude anglaise, la randomisation a été réalisée initialement en intention de traiter, ce qui la distingue des deux autres études et qui explique que seulement 25 des 37 patientes (68%) allouées à la chirurgie d'intervalle ont été réellement opérées (plus une patiente dans le bras controlatéral) ; surtout, les faibles effectifs ne permettent pas de distinguer les deux stratégies. Dans les études de l EORTC et du GOG, la randomisation après le troisième cycle de chimiothérapie a permis la réalisation de la chirurgie d intervalle dans 91% et 93% des cas; cependant, dans ces deux études, les exclusions de patientes ont eu lieu avant randomisation, essentiellement du fait de progression tumorale, ne laissant respectivement que 278/425 (65%) et 424/550 (77%) éligibles et évaluées. Dans une mise à jour de l étude de l EORTC à 6,3 ans (33), finalement 142 patientes ont été opérées (sur 159 patientes randomisées dans ce bras) et 160 patientes ont été incluses dans le bras chimiothérapie, aboutissant à un taux d inclusion dans l étude de 71% (302/425 patientes).

268 Les cancers ovariens Au terme des analyses, l étude de l EORTC est positive, montrant une prolongation significative de la survie sans rechute et de la survie globale dans le bras chirurgie d'intervalle, alors que les deux autres études ne montrent pas cette différence. L amélioration du pronostic dans l étude de l EORTC est attribuée en premier lieu au sous-groupe de patientes ayant pu avoir une chirurgie de réduction tumorale optimale. Au contraire, dans l étude du GOG, ce sousgroupe de patientes ne retire pas de bénéfice de l intervention : identité de survie entre 79 patientes ayant une cytoréduction < 1 cm et 33 patientes gardant des lésions résiduelles > 1 cm malgré l effort de cytoréduction parmi 112 patientes présentant initialement des lésions > 1 cm au moment de commencer la chirurgie d intervalle. L amélioration significative de la survie dans le bras chirurgie de l étude EORTC a été confirmée dans la mise à jour à 6,3 mois avec 24% de survie à cinq contre 13% dans le bras chimiothérapie (p = 0,0032); (33). De plus, l auteur signale qu au terme d une analyse multivariée des risques, il ne leur a pas été possible d identifier un sous-groupe de patientes ne bénéficiant pas de la chirurgie d intervalle (29, 33). Comment analyser ces résultats? Il convient d abord de souligner le faible effectif de l étude anglaise avec 79 patientes incluses, et le petit nombre de patientes randomisées effectivement opérées (25/37 patientes = 68%), rendant l étude insuffisamment puissante pour mettre en évidence une différence de survie. Il peut s agir d une étude faussement négative. Les deux autres études, du fait de leur effectif, risquent moins ce problème de puissance. Néanmoins, toutes les patientes initialement prévues n ont pas été incluses ou analysées, ce qui peut biaiser les résultats du fait de la sélection des patientes. Cependant, la répartition des caractéristiques entre patientes est équilibrée dans les deux bras des deux études. Est-ce que la différence entre l étude de l EORTC et celle du GOG proviendrait de l utilisation du paclitaxel dans l étude du GOG? On note dans cette étude de meilleurs taux de survie que dans les autres. Le paclitaxel peut y avoir contribué, mais alors de façon égale dans les deux bras car la dose intensité y a été comparable. De plus, cet argument ne peut expliquer les résultats comparables de l étude anglaise. Par contre, l effort chirurgical, initial et secondairement, ne semble pas avoir été le même dans ces différentes études. Cet effort a été important de façon explicite dans l étude anglaise, car il s agissait d un critère d inclusion. Il a été important de façon implicite dans l étude du GOG, étant donné la spécialisation des chirurgiens avec 95% de spécialistes lors des interventions initiales et 99% lors des interventions secondaires, ce qui témoigne de l importance de l effort chirurgical d ailleurs souligné par l auteur (30). Par contre, l étude de l EORTC, du fait du type de recrutement, a inclus des patientes jugées non opérables essentiellement par des équipes chirurgicales non spécialisées.

Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante 269 Si l on retient cette hypothèse, il est force de constater que lorsque l effort chirurgical a été porté lors de l intervention initiale (études anglaise et américaine), un second effort lors de la chirurgie d intervalle n apporte pas de bénéfice supplémentaire. Par contre, chez les patientes n ayant pas eu l effort de cytoréduction maximale lors de la chirurgie initiale (étude EORTC), le deuxième geste de cytoréduction semble bénéfique. Dans cette deuxième situation, est-ce que toutes les patientes peuvent bénéficier de la chirurgie d intervalle? ME van der Burg et al. semblent le penser en insistant sur le bénéfice ubiquitaire pour toutes les patientes du groupe chirurgie et sur la faible morbidité de la chirurgie d intervalle (29, 33). Ceci corroborait l idée que la chirurgie d intervalle, quel que soit son résultat, quelqu'ait été l effort chirurgical initial, améliorerait le pronostic des patientes par rapport à celles non opérées, toujours de mauvais pronostic (2, 25). À l analyse des résultats de l EORTC, cette affirmation ne peut pas être retenue : parmi 127 patientes opérées, 22 étaient d emblée en rémission complète, sans cytoréduction nécessaire. 46 patientes n ont pas eu de chirurgie optimale < 1 cm et leur survie s avère médiocre, comparable à celle justement des patientes non opérées, et l utilité de la chirurgie pour ces 68 patientes (54%) paraît discutable. Seules les 59 patientes (46%) restantes ayant eu une chirurgie devenue complète ou optimale semblent réellement avoir tiré bénéficie de cette opération. Discussion - Conduite pratique Chirurgie d intervalle ou chirurgie primaire? Cette question ne peut être résolue par la littérature analysée. Celle-ci peut simplement confirmer que la chirurgie d intervalle est faisable, avec, chez des patientes sélectionnées, une morbidité inférieure à celle observée lors de la chirurgie première. Les études randomisées citées posaient la question de la place de la chirurgie d intervalle à l intérieur d une approche de traitement néoadjuvant. Elles n ont pas comparé cette approche néo-adjuvante à la prise en charge standard par chirurgie suivie de chimiothérapie. Cette question est actuellement traitée dans un essai de l EORTC (étude 55971) en cours, qui permettra, nous l espérons, après l échec d un premier essai américain (GOG 80) faute d inclusion, d apporter des éclaircissements sur la meilleure stratégie à adopter face à une tumeur ovarienne avancée de stades IIIC et IV. D ici là, la chirurgie première suivie de chimiothérapie reste de règle dans la prise en charge des tumeurs de l ovaire avancées mais opérables.

270 Les cancers ovariens Qui opérer? La chirurgie d intervalle s adresse aux tumeurs de l ovaire avancées inopérables d emblée. L inopérabilité est définie par l impossibilité de réaliser une chirurgie optimale. La chirurgie non optimale laisserait en place une carcinose péritonéale importante en nombre de nodules péritonéaux (34) et en taille (17), la taille limite des nodules se situant entre 1 et 2 cm. L évaluation de l opérabilité, que nous n avons pas traitée dans ce chapitre, repose sur des critères cliniques, radiologiques, biologiques et biopsiques. Ces critères peuvent actuellement être supportés par la cœlioscopie exploratrice (8, 10, 11, 13), permettant d obtenir un inventaire abdominal détaillé, probablement la meilleure source pour évaluer l opérabilité. Le bilan cœlioscopique est surtout utile pour définir l opérabilité des stades III. Sauf exception (13, 25), les stades IV constituent, pour la plupart des auteurs, l indication idéale de la chirurgie d intervalle. En effet, dans ces stades, les exérèses optimales sont des plus rares, mais la morbidité est majeure. Fréquemment, la chimiothérapie postopératoire ne peut être réalisée dans les délais, expliquant en partie le faible taux de survies dans ces stades (< 10% en cinq ans). L approche néo-adjuvante dans les stades IV permettrait de réaliser une chirurgie d intervalle dans de meilleures conditions avec plus de chance de succès. Que faire en cas d échec de la chimiothérapie néo-adjuvante? Cette question est d importance car l approche néo-adjuvante sélectionne des patientes répondeuses à la chimiothérapie. Environ 30% des patientes sont en échec thérapeutique avec une progression tumorale ou une maladie stable sous chimiothérapie. La stabilité tumorale a été dans quelques études (29) une indication à la chirurgie d intervalle. Cependant, nous voyons mal comment une maladie initialement inopérable et qui reste stable, soit devenue opérable secondairement. Seuls d autres modes d explorations ou un nouveau regard sur l opérabilité (appréciée par un chirurgien spécialisé par rapport à un chirurgien non spécialisé) peuvent encore inciter à ré-opérer dans cette situation. Il s agit de situations d exception et rarement suivies de succès. Pour notre part, nous considérons qu une maladie stable sous chimiothérapie classique est un échec thérapeutique et une contre-indication à la chirurgie d intervalle. Est-ce qu il y a eu perte de chances pour ces 30% de patientes en échec thérapeutique et chez qui une chirurgie potentiellement bénéficiaire n a pu être réalisée? Cette hypothèse paraît peu probable, car la chirurgie première se serait soldée par une exérèse sub-optimale, donc non utile sur le plan carcinologique. Éviter à ces patientes une opération inutile mais potentiellement morbide et les amener précocement à une chimiothérapie de deuxième ligne, ou à une alternative thérapeutique (traitements ciblés) dans un cadre d essai thérapeutique, est probablement plus avantageux pour ces patientes. Tout est dans la qualité

Réduction tumorale différée après chimiothérapie néo-adjuvante 271 de l évaluation d opérabilité initiale, devant faire appel à la cœlioscopie exploratoire en cas de doute pour éviter la perte de chance. Combien d interventions? L enthousiasme suite aux résultats de l étude de l EORTC (29), préconisant l indication large de la chirurgie d intervalle du fait de sa faible morbidité et du supposé bénéfice pour toutes les patientes sélectionnées a clairement été à l origine d un excès chirurgical chez ces patientes de mauvais pronostic, rappelons-le. L addition de la morbidité d une nouvelle intervention, même inférieure, à celle d une première intervention, n est pas négligeable et certainement dommageable si l indication n a pas été bonne. Les résultats des trois études randomisées juxtaposées nous permettent d affiner les indications : pas de chirurgie d intervalle après échec d une première intervention si cette dernière a comporté un effort d exérèse maximale par un chirurgien spécialisé. Dans cette situation, c est la biologie tumorale qui prend le dessus sur l action thérapeutique chirurgicale. Par contre, la chirurgie d intervalle paraît effectivement indiquée lorsque l effort chirurgical initial a été insuffisant, situation plus fréquente après intervention par un chirurgien non spécialisé dans cette pathologie. La meilleure approche serait certainement d éviter la chirurgie initiale lorsque le bilan conclut à l inopérabilité et de réaliser la chirurgie d intervalle après chimiothérapie néo-adjuvante : «Mieux vaut opérer une fois bien que deux fois!» Quand opérer? Les arguments qui sous-tendant l indication de la chirurgie d intervalle reprennent ceux de la chirurgie première : réduire la masse tumorale pour faciliter la chimiothérapie de lésions résiduelles moindres en volume, mieux vascularisées, comprenant moins de clones chimiorésistants. Dans ces conditions, il faut opérer précocement, dès que la tumeur devient opérable et avant l apparition de la chimiorésistance. Ainsi, il a été préconisé de réaliser cette intervention au bout de trois cycles de chimiothérapie (8, 29). Ce délai a été respecté dans la majorité des études, mais des interventions plus tardives, après quatre cycles (voir tableaux I et III) ou cinq (14), voire six cycles de chimiothérapie (20, 21) ont été réalisées. Ce délai supplémentaire semble ajouter de la résécabilité supplémentaire (11), sans qu on puisse déterminer, à partir de ces études rétrospectives, si le report de la chirurgie a fait exclure de la chirurgie d intervalle davantage de patientes qui n ont pas pu bénéficier alors de la chirurgie. Aucune donnée de la littérature actuelle ne supporte les arguments théoriques en faveur de la précocité de la chirurgie d intervalle.

272 Les cancers ovariens Au contraire, outre une meilleure faisabilité de la chirurgie d intervalle retardée, d autres constatations plaideraient plutôt en faveur d une intervention après six cycles qu après trois : (1) certitude de pouvoir délivrer toute la série de chimiothérapie, en évitant les interruptions dues aux complications postopératoires; (2) confort des patientes. Contrairement aux postulats de la chirurgie première, argumentant en faveur d une amélioration du confort des patientes par la réduction tumorale chirurgicale, l expérience au quotidien montre que, dans ces formes très avancées de tumeurs de l ovaire, l amélioration du confort est assurée chez 70% des patientes par la chimiothérapie initiale efficace, permettant alors de réaliser la chirurgie d intervalle dans des conditions de vie («performance status») meilleures. Lors de la chirurgie d intervalle, logiquement moins agressive (moins de résections digestives, moins de colostomies, moins de transfusions), la morbidité est moindre que ce qui est observé habituellement après chirurgie première (cf. tableaux II et III). La qualité de vie dans l approche néo-adjuvante a été évaluée dans une seule étude (35), confirmant son amélioration sous chimiothérapie. D autres études sont cependant nécessaires, car cette étude, calquée partiellement sur une autre (36), ne permet pas d apporter la conviction de la justesse de ses résultats. Le meilleur moment d opérer reste encore à déterminer. Conclusion Il existe une place certaine pour la chirurgie d intervalle dans les tumeurs de l ovaire. Cette chirurgie d intervalle doit prendre en compte la biologie tumorale, fréquemment agressive, et la sensibilité tumorale à la chimiothérapie, fréquente aussi. Elle est indiquée au mieux devant une tumeur de l ovaire avancée, inopérable de façon optimale. Il s agit soit de stades IV, soit de stades III où l inopérabilité a été confirmée de préférence par des investigations miniinvasives, évitant ainsi de multiplier les laparotomies potentiellement morbides. L objectif est de ne réaliser qu une intervention, mais la plus complète possible, au meilleur moment. Classiquement, la chirurgie d intervalle est réalisée après trois cycles de chimiothérapie, mais il n y a pas d argument dans la littérature contre-indiquant sa réalisation plus tardive, par exemple après six cycles. Références 1. Neijt JP, Aartsen EJ, Bouma J et al. (1985) Cytoreductive surgery with or without preceding chemotherapy in ovarian cancer. Prog Clin Biol Res 201: 217-23 2. Wils J, Blijham G, Naus A et al. (1986) Primary or delayed debulking surgery and chemotherapy consisting of cisplatin, doxorubicin, and cyclophosphamide in stage III-IV epithelial ovarian carcinoma. J Clin Oncol 4: 1068-73

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