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Accident vasculaire cérébral et hormones Marie-Germaine Bousser Service de Neurologie, hôpital Lariboisière, AP-HP, 75010 Paris <mg.bousser@lrb.ap-hop-paris.fr> Mots clés : accident vasculaire cérébral, traitement hormonal substitutif Le nombre de femmes victimes d accidents vasculaires cérébraux (AVC) est plus important que le nombre d hommes (120 000 cas par an en France). Les AVC sont la 3 e cause de mortalité, la 1 re cause de handicap acquis, et la 2 e cause de démence (derrière la maladie d Alzheimer). Les conséquences en termes de retentissements personnel (syndrome dépressif, etc.) et familial, et en termes de coût sont considérables. Bien que l incidence des AVC soit deux fois plus élevée chez l homme, le nombre total d AVC par an est plus important chez les femmes, car l incidence des AVC augmente de façon exponentielle avec l âge, et la durée de vie est en moyenne plus élevée de 10 ans chez les femmes, quels que soient les pays. Comme pour la majorité des accidents cardiovasculaires, la fréquence des AVC avait diminué après la 2 e guerre mondiale, surtout chez la femme, mais est remontée depuis les années 1975-1980, et ce surtout chez la femme, en particulier chez la femme jeune. On peut se demander s il existe une part de cette augmentation liée à la contraception et au THS. Il est important de distinguer les AVC touchant les femmes de moins de 50 ans de ceux touchant celles de plus de 50 ans. AVC chez les femmes de moins de 50 ans Avant l âge de 50 ans, les AVC sont rares, et les causes très variées. Contraception orale et risque d AVC Il n existe pas encore d étude randomisée évaluant le rôle des contraceptifs oraux. Les études existantes (cohorte et cas-témoins) présentent des difficultés méthodologiques : possible biais de sélection, difficultés liées à l utilisation de différents estrogènes, de différents progestatifs, de différentes doses, difficulté de la définition de l utilisation actuelle ou passée, la variabilité de prise en compte des facteurs de risques selon les études (l âge, le tabac, l hypertension artérielle, le diabète, la migraine) [1,2,3]. D autre part, il existe une grande hétérogénéité dans les types d AVC (ischémiques, hémorragiques), qui sont pourtant souvent regroupés dans les études (y compris dans la WHI!), rendant les interprétations difficiles. Les AVC regroupent les AVC hémorragiques, 15 % des AVC au total, et les AVC ischémiques, 85 % des AVC, secondaires à l athérosclérose dans 20 % des cas, à une embolie cardiaque dans 20 % des cas, à une maladie des petites artères dans 25 % des cas, et cryptogéniques dans 30 % des cas. Malgré l absence de grande étude randomisée à ce sujet, les résultats des différentes études cohorte et castémoins n ont pas été contradictoires : avec de fortes doses (supérieures à 50 lg d éthinylestradiol), tous les types d AVC (ischémiques et hémorragiques) sont augmentés en nombre avec un odds ratio à 4-5. À faible dose (moins de 50 lg d éthinylestradiol), les résultats des différentes études sont variables mais les méta-analyses indiquent une augmentation du risque avec un odds ratio à 2. Néanmoins, le risque absolu est très faible avec une fréquence de 4 femmes pour 100 000 par an. Il n existe pas de données sur les progestatifs seuls. Par ailleurs, le risque conféré par la contraception orale est accru par la présence d autres facteurs de risque. Le risque de thromboses veineuses cérébrales (0,5 % des AVC) est également significativement augmenté sous contraception orale, et ce surtout s il existe une thrombophilie associée. Le mécanisme des accidents vasculaires artériels sous contraception est mal connu. Sur le plan des accidents coronaires, il existe plusieurs observations évoquant une composante spastique. Les plaquettes libéreraient localement des facteurs (catécholamines, sérotonine) jouant un 53

rôle spasmogène. Sur des artères dont la réactivité spastique est augmentée par le climat hormonal, ces facteurs entraîneraient donc un spasme. Il a été montré, en effet, par tous les tests pharmacodynamiques de stimulation au niveau périphérique ou au niveau coronaire, que la prise d œstroprogestatifs entraînait une augmentation de réactivité spastique. Pour les accidents vasculaires cérébraux, il n existe pas de données anatomiques d observation, et le rôle plaquettaire, à la fois sur la composante spastique et sur la composante thrombotique, est difficile à évaluer. Il existe certains éléments permettant de prédire le risque d accident sous pilule, et on contre-indique la contraception estroprogestative chez les femmes qui ont des antécédents vasculaires familiaux, chez des personnes jeunes (avant 40 ans), en cas de tabagisme. Par ailleurs, l homocystéine semble également être un facteur prédictif de risque, puisqu elle semble entraîner un dysfonctionnement endothélial, rendant l artère très sensible au risque spastique. Enfin, les taux plasmatiques de catécholamines, sérotonine pourraient avoir un intérêt. En effet, une augmentation des pools plasmatiques associé à une diminution du contenu plaquettaire, pourrait correspondre à une hyperactivité plaquettaire, ou à une prédisposition sur une mauvaise incorporation. Migraine et risque d AVC Près d un tiers des femmes jeunes sont migraineuses. La migraine à elle seule est un facteur de risque d infarctus cérébral, avec un risque relatif de 3. L association d une migraine et de la prise de contraception orale élève le risque relatif à 15 [4, 5], et si l on ajoute le tabagisme (migraine, contraception orale et tabagisme) l élève à 35. En fait, la migraine à risque est en particulier la migraine ophtalmique avec aura neurologique, mais la migraine cataméniale, très hormonodépendante, n est pas clairement associée à une augmentation de risque, les résultats étant contradictoires. Hyperstimulation ovarienne et risque d AVC Les AVC sont une complication rare de l induction d ovulation. Les signes précoces d hyperstimulation ovarienne sont les nausées, vomissements, la diarrhée, l ascite, un épanchement pleural, l augmentation de volume des ovaires. Les cas sévères d hyperstimulation peuvent se compliquer d hypovolémie, d hémoconcentration, d hypercoagulabilité. Il existe dans la littérature environ 25 cas d AVC artériel ou veineux chez des patientes en hyperstimulation ovarienne. Grossesse et risque d AVC Plusieurs études ont trouvé qu il n y avait pas d augmentation significative du risque d accident vasculaire cérébral pendant la grossesse. En revanche, le chiffre est significativement augmenté pendant le post-partum, avec un risque relatif d AVC ischémique de 5 et de 18 pour les AVC hémorragiques. Les causes spécifiques liées à la grossesse sont rares, et sont dominées par l éclampsie, qui reste une cause importante de mortalité en cours de grossesse (0,5 à 2 % des grossesses), et qui s accompagne non pas d AVC, mais de lésions cérébrales à type d œdème de la substance blanche. Ces lésions sont réversibles si l éclampsie est traitée à temps. Les autres pathologies spécifiques à la grossesse en cause sont rares : choriocarcinome, embolie du liquide amniotique, cardiomyopathie. L angiopathie cérébrale du post-partum (ou angiopathie cérébrale aiguë réversible) peut être une cause d AVC en post-partum. Physiopathologiquement, ce type d AVC est lié à un mécanisme spastique réversible, qui peut être favorisé après un traitement par bromocriptine (et par tout autre traitement responsable de vasoconstriction segmentaire diffuse artérielle). Cette vasoconstriction se manifeste essentiellement par des maux de tête, et parfois par un petit infarctus cérébral. Cette angiopathie est généralement régressive en un mois. Les facteurs en cause le plus souvent retrouvés pendant la grossesse ou le post-partum sont les facteurs non spécifiques à la grossesse, en cause dans l ensemble des AVC des sujets jeunes. AVC chez les femmes de plus de 50 ans Après l âge de 50 ans, les AVC sont extrêmement fréquents, avec une prévalence de 20 % (une femme sur cinq), et une mortalité liée aux AVC supérieure à la mortalité liée au cancer du sein et au cancer des ovaires. Chez les femmes de plus de 50 ans, les causes sont dominées par l athérosclérose et les embolies d origine cardiaque. Le rôle du THS a été évalué dans de multiples études, et à partir de 1998 dans de grandes études randomisées. Les études faites avant 1998 Dans celles-ci, les conclusions sur le rôle du THS dans les AVC étaient différentes de celles sur le rôle du THS dans la pathologie coronaire. Les études concluaient à une réduction de 50 % en moyenne des pathologies coronariennes sous THS. Pour les AVC, les conclusions étaient différentes, et par exemple, l étude de Framigham concluait à une élévation du risque d AVC (risque relatif à 2,27), tandis que d autres études trouvaient risque relatif supérieur à 1 (mais proche de 1 : Rosenberg en 1980 : 1,18 ; Thomson en 1989 : 1,20 ; Pedersen en 1997 : 1,16, etc.), et enfin d autres études trouvaient un risque relatif inférieur à 1 (Busch en 1987 : 0,40 ; Stampfer en 1991 : 54

0,97 ; Finucane en 1993 : 0,69). Ainsi, les avis sur les rapports entre THS et risque d AVC étaient partagés, et on ne parvenait à conclure ni à une élévation du risque, ni à une protection (contrairement aux conclusions sur la protection pour les pathologies coronariennes). Ces études se heurtaient à de nombreuses difficultés (semblables aux difficultés pour les études sur la contraception orale) : possible biais de sélection, difficultés liées à l utilisation de différents œstrogènes, de différents progestatifs, de différentes doses, difficulté de la définition de l utilisation actuelle, passée, la variabilité de prise en compte des facteurs de risques selon les études (l âge, le tabac, l hypertension artérielle, le diabète, la migraine...), l hétérogénéité des différents types d AVC. L extraordinaire polymorphisme des types d AVC pose des problèmes d interprétation : un traitement ayant une action préventive sur l une des catégories d AVC, peut ne pas prévenir une autre catégorie, voir avoir une action délétère. Les grandes études randomisées Portant sur le THS et le risque d AVC, elles ont permis d avancer sur le sujet. L étude HERS, première étude de ce type, (randomisée, en double aveugle, contre placebo), a étudié l effet des œstroprogestatifs sur 2 763 femmes en prévention secondaire après un accident coronarien, avec un suivi de 4,1 ans. Les résultats ont montré l absence de différence en nombre d infarctus du myocarde et d AVC sur la durée totale de l étude (4,1 ans), et même une augmentation du nombre d infarctus du myocarde la première année. Les conclusions de l étude ont donc été qu il n y avait pas d indication de THS œstroprogestatif en prévention secondaire des accidents coronariens. Cette conclusion a apporté des idées nouvelles dans le sens où le THS n était plus considéré comme un traitement protecteur [6]. L étude HERS II [7], avec un suivi de 6,4 ans, a quand à elle confirmé l absence de différence en nombre d infarctus du myocarde et d AVC. L étude ESPRIT (randomisée, en simple aveugle, contre placebo) a étudié l effet d œstrogènes seuls (2 mg de valérate d œstradiol per os) sur 1 017 femmes de 50 à 69 ans, en prévention secondaire, après un premier infarctus du myocarde récent, avec un suivi de 2 ans. Les résultats ont montré l absence de différence en nombre d infarctus du myocarde, de décès cardiaques et d AVC. Contrairement à l étude HERS, il n y avait pas d augmentation du risque pendant les six premiers mois. La conclusion de l étude a donc été qu il n existait pas de bénéfice cardiovasculaire lié à la prise d œstradiol seul per os chez des femmes ménopausées ayant survécu à un premier infarctus du myocarde [8]. L étude WEST (Women s estrogen for stroke trial) (randomisée, en double aveugle contre placebo) a étudié l effet d œstrogènes seuls (1 mg/jour de 17 bêta-œstradiol) sur 664 femmes ménopausées, en prévention secondaire après accident ischémique cérébral récent (moins de 90 jours), avec un suivi de 2,8 ans. Les résultats ont montré l absence de différence significative en terme de mortalité pour les AVC, et les infarctus du myocarde. Cependant, il existait une augmentation du risque d AVC mortels (R à 2,9), et une augmentation significative du nombre d AVC pendant les 6 premiers mois. La conclusion de cette étude a été que ce traitement ne devrait pas être prescrit pour la prévention secondaire après un AVC ischémique [9]. L étude WHI (randomisée, en double aveugle contre placebo) a étudié l effet d une part d œstroprogestatifs (œstrogènes conjugués équins, à 0,625 mg par jour, associés à l acétate de médroxyprogestérone à 2,5 mg par jour), et d autre part d œstrogènes seuls (chez des femmes hystérectomisées), en prévention primaire. Cette première étude en prévention primaire a inclus 16 608 femmes ménopausées de 50 à 79 ans dans le bras œstroprogestatifs, 10 739 femmes dans le bras œstrogènes seuls, et le suivi prévu était de 8,5 ans [10]. Étaient considérés comme critères de jugement principaux l efficacité, c est-à-dire effet sur les événements coronariens (IDM + décès), la tolérance, c est-àdire la découverte d un cancer du sein. Dans l index global étaient pris en compte les critères principaux, AVC, embolie pulmonaire, cancer de l endomètre, cancer colorectal, fracture de hanche, décès. Le bras estroprogestatif : l étude a finalement été interrompue de façon prématurée le 31 mai 2002, après un suivi moyen de 5,2 ans en raison de l augmentation significative du risque de cancer du sein sous traitement œstroprogestatif. Ainsi, l index global de risque était supérieur au bénéfice. Les résultats ont montré une augmentation significative du risque d événements vasculaires dans leur ensemble (coronarien, AVC, maladies veineuses thromboemboliques), avec un ratio de 1,22 (1,09-1,36). En considérant uniquement le risque vasculaire cérébral, les résultats ont également trouvé une augmentation de l incidence des AVC, avec un risque relatif de 1,41 (1,07-1,85) et un risque absolu de 8 pour 10 000 patientes/années, tandis que la mortalité n était pas modifiée de façon significative. Contrairement à ce qui avait été observé dans les études précédentes, le risque était homogène de la 1 re àla5 e année de l étude. Ce surrisque a été observé à la même intensité dans toutes les tranches d âge (entre 50 et 59 ans, RR = 1,5 ; entre 70 et 79 ans, RR = 1,46). Par ailleurs, il était écrit dans l article qu il n y avait pas d interaction notable avec les autres facteurs de risque (hypertension artérielle, diabète, tabac), ainsi qu avec les autres traitements (aspirine, statine). Cette phrase de l article était peu expliquée et semble difficile à comprendre (en fait l absence d interaction retrouvée correspond promt médecine de la reproduction, vol. 7, n 1, janvier-février 2005 55

bablement à une absence de puissance statistique). En effet, il est pourtant classique de penser qu il existe toujours des interactions entre les différents facteurs de risque, comme l ont montré de nombreuses études. Une étude de cohorte danoise par exemple, non randomisée, a évalué le risque d AVC sous THS en présence ou en absence d hypertension artérielle associée. Cette étude a trouvé que le THS n augmentait pas significativement le risque d AVC (certes sur une étude de cohorte), mais qu il existait une potentialisation du risque lié à l hypertension artérielle sous THS [11]. Le bras estrogènes seuls : la branche de l étude portant sur les estrogènes seuls (estrogènes conjugués équins (0,625 mg) vs placebo), chez 10 739 femmes (50-79 ans) ménopausées avec antécédent d hystérectomie, a été arrêtée en février 2004 (en raison du surrisque d AVC sous estrogènes), après un suivi moyen de 6,8 ans. Sous estrogènes seuls était retrouvé une élévation du nombre d AVC avec un risque relatif de 1,39 (1,10-1;7), soit en risque absolu +12 AVC/10 000 patientes par an. Il n a pas été retrouvé de différence significative du nombre d IDM, de cancers du sein et colorectal, d embolie pulmonaire, de décès. Une diminution significative du nombre de fractures de hanche (R = 0,61) a été trouvée sous estrogènes seuls. Méta-analyse à partir des études HERS, WEST et WHI : d après la méta-analyse de ces trois grandes études, il existe une augmentation significative du risque d AVC sous THS avec un R à 1,27 (1,06-1,51) ; en prévention primaire (d après la WHI), l incidence des AVC est augmentée par les estroprogestatifs et par les estrogènes seuls ; en prévention secondaire, le risque est augmenté mais de façon non significative statistiquement par les œstroprogestatifs (HERS) et par les estrogènes seuls (West) ; enfin, une autre étude (WISDOM, oct 2002) a été arrêtée. THS et AVC : les questions en suspens Mécanismes Si on accepte ces résultats (avec des réserves), quels en sont les mécanismes? Les mécanismes évoqués seraient éventuellement l hypercoagulabilité, l inflammation, une élévation de la tension artérielle systolique. En effet, dans la WHI a été retrouvée une petite élévation de la pression artérielle systolique (de l ordre de 1 mm de mercure), qui pourrait peut-être expliquer une partie du risque (l augmentation de la pression artérielle étant de loin le facteur de risque principal des AVC, une élévation très faible même de 1 mm de mercure pourrait entraîner une élévation du risque). La part respective de la coagulation dans les accidents cérébraux Elle serait intéressante à connaître. En effet, on sait que dans la WHI, les œstrogènes utilisés sont des œstrogènes conjugués équins, per os, qui, donnés à des femmes à risque vasculaire, augmentent de façon certaine la coagulation. En pratique, en France, on utilise des traitements différents, percutanés, qui auraient un risque moindre sur la coagulation. Cette part liée à la coagulation semble très différente selon le type d AVC (encore une fois, non distingués dans la WHI). Pour les accidents liés à un embol d origine cardiaque (1/3 des AVC ischémiques), la coagulation joue un rôle majeur. Les hormones joueraient un double rôle : sur l excitabilité cardiaque (avec risque plus important de fibrillation auriculaire permanente ou paroxystique, et ce quelle que soit la voie d administration), et sur la coagulation en elle-même. Pour les accidents athérothrombotiques, (1/3 des AVC ischémiques), le risque lié aux hormones est assimilable à celui des accidents coronariens. Dans les accidents coronariens, le rôle de la coagulation n est pas direct mais elle augmente la gravité de l accident. L hypercoagulabilité favorise la solidification du thrombus, ce qui augmente le risque d infarctus du myocarde plutôt que l angor instable, et aggrave le pronostic avec une élévation de la proportion des infarctus transmuraux. Pour les accidents liés à une maladie des petites artères cérébrales, les mécanismes sont mal connus, et on ne sait pas si, in fine, un petit thrombus se forme et bouche la petite artère, ou si c est la paroi qui est épaissie. Type d AVC Les différents types d AVC n étant pas distingués dans les études, on ne sait pas précisément quels types d AVC seraient favorisés par le THS (liés à l athérosclérose? embol cardiaque? thrombose veineuse cérébrale? accident hémorragique?) Existe-t-il un risque si le THS est pris dès le début de la ménopause? La question d un effet protecteur des œstrogènes au stade précoce d athérosclérose est toujours d actualité, avec cependant des résultats contradictoires sur l épaisseur intima-media sous THS. Risque sous œstrogènes percutanés? Les œstrogènes des voies transdermiques, plus souvent utilisés en France, entraînent-ils une élévation de risque? (jusqu à maintenant un tel effet n a pas été retrouvé). L étude ESTHER [12] n a pas retrouvé d élévation du risque de TVP ou d EP sous œstrogènes percutanés. Existe-t-il des sous-groupes à risque thrombotique accru? (Mutation du gène de la prothrombine, etc.) 56

THS et AVC en pratique En pratique, tout le monde s accorde pour dire qu on ne peut pas conseiller le THS en prévention primaire ou secondaire de la pathologie vasculaire. En cas d infarctus cérébral sous THS, on estime que les données sont encore insuffisantes pour avoir une attitude absolument tranchée (interdire toute reprise...). Il est important d informer la patiente sur les bénéfices/risques. L attitude actuelle est de conseiller fortement l arrêt du THS, en précisant que l arrêt n est pas irréversible, et que la reprise peut être discutée et envisagée selon les symptômes, leur intensité, la qualité de vie, la présence d une ostéoporose majeure, etc. Un antécédent d infarctus cérébral ne constitue pas une contre-indication absolue à la reprise de THS, mais cette attitude n est pas partagée par tout le monde. En revanche, en cas d antécédent de thrombose veineuse cérébrale, (même en absence de série sur la thrombose veineuse cérébrale), si l on s aligne sur les thromboses veineuses des jambes, on considère que la contreindication du THS est plus forte que pour un accident artériel. En cas d antécédent d AIT, l attitude doit être la même que face à un accident ischémique constitué. La définition des AIT qui était utilisée, à savoir un déficit neurologique central, focal, d origine ischémique, régressant sans séquelle en moins de 24 heures était totalement arbitraire. En fait, grâce aux images obtenues par les IRM, on se rend compte que toute ischémie durant une heure ou plus entraîne déjà des images, et correspond à un petit infarctus. Ce «vrai» accident ischémique transitoire est l un des meilleurs signes avant-coureur de l infarctus cérébral constitué, et constitue donc un signal d alarme. Ces accidents transitoires sont des urgences, dont la cause doit être trouvée. Cependant, les AIT présentent une grande difficulté diagnostique, liée aux nombreux autres phénomènes transitoires au niveau du cerveau (auras migraineuses, phénomènes épileptiques). Ainsi, sur le plan hormonal et pour une décision de prescription de THS, tout antécédent AIT est équivalent à un antécédent d accident ischémique constitué, entraînant les mêmes précautions de prescription. En présence de facteurs de risque associé, les avis sont partagés, mais il semble que de traiter en premier lieu ces facteurs de risque, et de discuter le THS au cas par cas, sans l exclure totalement, serait une attitude raisonnable, en utilisant le cas échéant les doses minimales efficaces sur les symptômes climatériques. En cas d antécédent d accident vasculaire rétinien, tout dépend du type d accident. S il s agit d une occlusion de l artère centrale de la rétine ou de ses branches (de loin la cause la plus fréquente), qui peut être assimilée à une maladie liée à l athérosclérose, on peut raisonner comme pour un antécédent d accident artériel cérébral. S il s agit d une névrite optique ischémique, cela correspond plutôt à une maladie des artères. Pour les thromboses de la veine centrale de la rétine (qui devraient plutôt être appelées occlusion de la veine centrale de la rétine et de ses branches), les mécanismes sont très nombreux, et les risques mal connus : les patients thrombophiles ne sont pas particulièrement à risque d occlusion de la veine centrale de la rétine, les patients qui ont fait une occlusion de la veine centrale de la rétine ne font pas d accidents thrombotiques périphérique. L occlusion de la veine centrale de la rétine semble donc être une maladie différente de la maladie thrombotique, dont les facteurs de risque semblent différents, et pour laquelle on ne dispose pas de données à propos du THS. Conclusion En conclusion, d après les données actuelles, avec les hormones utilisées dans les études américaines, il existe une augmentation du risque de façon homogène sur 5 ans (contrairement aux données sur les IDM), statistiquement significatif sur l incidence mais pas sur la mortalité. Le risque absolu est faible : 8/10 000/an pour les œstroprogestatifs, et 12/10 000 pour les œstrogènes seuls (chez les femmes hystérectomisées). En conséquence, il n existe pas d indication en prévention vasculaire primaire ou secondaire, mais il n y a pas de contre-indication absolue, et la prise de THS doit être évaluée au cas par cas, selon les autres bénéfices/risques. L absence de certitudes dans ce domaine ne permet pas d avoir une attitude tranchée. Il serait nécessaire de poursuivre les essais, en étudiant d autres formulations, d autres doses, d autres voies d administration... Il serait important d identifier les femmes à risque vasculaire, à partir des facteurs de risque vasculaire classiques (HTA, tabac...), et pourquoi pas de biomarqueurs ou de facteurs génétiques, et de mettre l accent sur le traitement de ces facteurs. Références 1. Gillum LA, Mamidipudi SK, Johnston SC. Ischemic stroke risk with oral contraceptives : Ameta-analysis. JAMA 2000 ; 5(284) : 72-8. 2. Kemmeren JM, Tanis BC, Van den Bosch MA, et al. Risk of arterial thrombosis in relation to oral contraceptives (RATIO) Study : Oral contraceptives and the risk of ischemic stroke. Stroke 2002 ; 33 : 1202-8. 3. Siritho S, Thrift AG, McNeil JJ, You RX, Davis SM, Donnan GA. Risk of ischemic stroke among users of the oral contraceptive pill : The Melbourne Risk Factor Study (MERFS) Group. Stroke 2003 ; 34 : 1575-80. 4. 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