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Transcription:

Ayotzinapa et la répression des actions collectives de protestation dans l Etat de Guerrero Roberto Carrillo Sáenz 1 Position Paper Avril 2015 Le cas des 43 étudiants de l'école normale d'ayotzinapa ayant disparu entre le 26 et le 27 septembre 2014 dans la commune d'iguala, au Mexique, est un sujet qui a fait le tour du monde et mis, à nouveau, en évidence la violence existant dans certaines zones du pays. Les exécutions extrajudiciaires, les enlèvements, les disparitions forcées, les homicides, etc., ont atteint des chiffres jamais vus. Au niveau des homicides volontaires, selon l'observatorio Nacional Ciudadano (2015) entre janvier 2007 et janvier 2015 les dénonciations ont augmenté 61,3 % ; à propos des enlèvements, dans la même période il y a eu un accroissement de 217,9 % et par rapport aux extorsions on observe 65,8 % de dénonciations de plus qu'en 2007 2. Le déclenchement de cette vague de violence a été attribué à l'ex-président Felipe Calderón qui, en 2006, a mis en place une politique guerrière contre le trafic de drogues, ce qui provoqua un combat constant entre les groupes criminels et l'état. L'État fédéré de Guerrero (où se trouvent les communes d'ayotzinapa et d'iguala) fut particulièrement touché par le crime organisé. Par ailleurs, les liens qui existent entre les autorités et les narcotrafiquants y ont développé un environnement de corruption, d'impunité et de trafic d'influences qui permettent aux groupes criminels d'opérer plus facilement. La disparition de ces 43 étudiants a une explication de base : la répression des actions collectives de protestation, particulièrement celles engagées par des étudiants. Ce phénomène date depuis plusieurs années au Mexique. À titre d'exemple, dans la mémoire collective, il reste encore les souvenirs du massacre de Tlatelolco, le 2 octobre 1968 où le gouvernement réprima violemment une manifestation durant laquelle protestaient principalement des étudiants de l'université Autonome du Mexique (UNAM) et de l'institut Polytechnique National (IPN). Une autre répression contre des étudiants eut lieu dans la ville de Mexico, le 10 juin 1971. Des étudiants de l'unam et de l'ipn avaient alors manifesté pour défendre l'autonomie universitaire ; mais leur protestation fut brutalement réprimée et avait fait de nombreuses victimes (le nombre de morts n a jamais été précisé). 1 Doctorant en science politique à l Université libre de Bruxelles (CEVIPOL) 2 http://onc.org.mx/2015/03/25/reporte-sobre-delitos-de-alto-impacto-enero-2015/ 1

Qu en est-il au niveau des mouvements sociaux dans l Etat de Guerrero? Pour répondre à cette question, il faut tout d'abord partir du fait que cet État fédéré est le plus marginalisé du Mexique. Selon les chiffres du Conseil National de Population (CONAPO), en 2010, 46,1 % de la population était considérée comme marginalisée 3. Plus précisément, 31,9 % avait une marginalisation considérée comme «très élevée» et 14,2 % avait une marginalisation considérée comme «élevée». En fait, cette situation n'est pas récente. Mais elle ne cesse de s'empirer depuis 1990. D'après la méthodologie du CONAPO, le Guerrero avait en 1990 un indice de marginalisation de 1,74 ; en 1995 de 1,91 ; en 2000 de 2,25 ; en 2005 de 2,41 et en 2010 de 2,53. Le fossé social et économique qui existe au sein de l Etat de Guerrero a donné lieu à l'apparition de différents mouvements sociaux, et ce depuis le milieu du 20 e siècle. L'exemple le plus illustratif est le cas de Lucio Cabañas, figure importante dans l histoire des mouvements sociaux mexicains. Lucio Cabañas était un professeur de l'école normale d'ayotzinapa 4. Pendant les années 1950 et 1960, Cabañas luttait pour l'amélioration de l'éducation, des conditions de vie des paysans, et une meilleure rémunération des salaires des professeurs des écoles normales. Les luttes qu il avait engagées été fréquemment réprimées. En 1967, lors d'une manifestation en faveur de l'éducation, cinq manifestants avaient ainsi été tués par la police. A la suite de cette répression, Lucio Cabañas abandonna la voie de la mobilisation pacifique. Il prit les armes et rejoignit le mouvement de guérilla qui était né quelques années plus tôt dans l'état de Guerrero. Cabañas a pris les armes avec les militants de son organisation appelée le parti des pauvres. La guérilla a été aussi le résultat de plusieurs abus que les gouverneurs, les présidents des communes, les dirigeants locaux, les militaires et la police avaient déjà commis auparavant. Par exemple, en 1960, lors d'une protestation contre le gouverneur de Guerrero, 23 personnes avaient été tuées au moment de la confrontation avec la police. En 1962, l'armée et la police avaient tué 6 personnes lors d'une manifestation visant à dénoncer des fraudes lors de l'élection du gouverneur. En 1965, des «pistoleros» (qui sont des tueurs payés par des dirigeants locaux) ont tué 18 paysans qui manifestaient pour exiger la dévolution de leurs terrains de culture pris illégalement par un dirigeant. Un autre exemple est la tuerie, en 1967, de 38 producteurs de noix de coco qui manifestaient contre l'élection frauduleuse du président de l'union des producteurs de noix de coco. 3 L'indice de marginalisation, selon la méthodologie du CONAPO, mesure le fossé qui existe au sein de la population à partir de quatre dimensions : la scolarité, le logement, la distribution de la population, et les revenus. Pour la période 1990 2010, l'indice de marginalisation au niveau d'état fédéré a rang entre (-1,688) et (2,532). Le chiffre le plus bas représente l'état le moins marginalisé tandis que le chiffre le plus haut fait référence à l'état le plus marginalisé. 4 C est de cette même école qu étaient issus les 43 étudiants disparus en 2014. Il faut préciser que l'école normale au Mexique est l'institution éducative responsable de la formation des instituteurs. Dans le cas d'ayotzinapa, il s'agit d'une école normale rurale établie en 1926 dans le but de répondre au manque du personnel dans les écoles primaires de la région. Pour les familles pauvres, cette école normale est devenue un moyen pour avoir accès à l'éducation supérieure. 2

Il faut remarquer que la période de guérilla a été aussi connue comme la période de «la guerre sale» en raison des nombreuses violations des droits de l'homme que la police et les militaires avaient commises. Une fois la guérilla vaincue (vers 1975), la répression contre les mouvements sociaux en Guerrero a été une constante. La répression qui s'observe pourrait faire penser que le gouvernement associe toute action collective de protestation à la guérilla. Il existe en effet des groupes radicaux d extrême gauche, comme l'armée populaire révolutionnaire (ERP) ou l'armée révolutionnaire du peuple insurgent (ERPI) qui contribuent aussi à l augmentation de la violence dans le Guerrero. Mais toutes les actions collectives de protestation ne sont pas liées à la guérilla, loin s en faut. Généralement, les revendications que l'on observe pour chaque protestation dans l'état de Guerrero sont surtout liées à la répartition des terres, à l'agriculture, à la demande des services publics, et à l augmentation des salaires. Il faut se souvenir que l'on parle d'un État fédéré avec des niveaux de marginalisation très élevés dans certaines régions. Par contre, même lorsque la population est autorisée à manifester ses demandes, les mouvements sociaux ou les dirigeants de ces mouvements sont réprimés d'une manière ou d'une autre. C'est ainsi que le Guerrero montre plusieurs traits d'un État autoritaire. D'après Linz (2000), un régime autoritaire est caractérisé par un pluralisme politique limité, un manque d'idéologie élaborée, des mobilisations politiques qui ne sont ni vastes ni intensives, et un individu (ou un groupe d'individus) exerçant le contrôle du pouvoir sans avoir aucune limitation fixée. Dans les régimes autoritaires, les mobilisations politiques sont limitées et contrôlées. La répression joue un rôle important. Dans le cas de l'autoritarisme mexicain, Middlebrook (1993) observe que l'élite politique possède un contrôle efficace de la population grâce à la combinaison de la répression et de la négociation, ce qui permet la cooptation des groupes dissidents. La répression dans le Guerrero a été observée soit avec le PRI (parti politique du centre qui a gouverné le Guerrero de 1929 à 2005) soit avec le PRD (parti politique de gauche qui gouverne l Etat depuis 2005). Quelle que soit la formation politique au pouvoir, on observe des pratiques similaires de la part des contre-mouvements, soutenus par le gouvernement, pour répondre aux mobilisations sociales. Il faut se souvenir de la tuerie qui a eu lieu dans la commune d'aguas Blancas, en 1995, où la police avait arrêté un groupe de personnes qui appartenaient à l'organisation des paysans de la sierra sud (OCSS) et qui allaient rencontrer d autres membres de l organisation pour protester contre le manque d'aide agricole de la part du gouvernement de Guerrero. La police, sans avoir subi aucune agression, avait ouvert le feu contre eux en tuant 17 paysans. La motivation de la tuerie, selon la police, était que les paysans morts étaient des guérilleros. À propos de la violence contre les étudiants, en 1960, une manifestation en faveur de l'autonomie universitaire avait laissé 19 étudiants morts. Plus récemment, en 2011, la police a dispersé 3

violemment un groupe de manifestants qui bloquaient l'autoroute vers Acapulco et, dans la répression, il y eut deux étudiants de l'école normale d'ayotzinapa morts. Au niveau de leaders des mouvements sociaux, on constate aussi des répressions masquées. L'emprisonnement de Nestora Salgado est un exemple. Nestora Salgado est une activiste qui a créé, en 2012, un groupe de police communautaire pour sauvegarder la sécurité de la commune d'olinalá et lutter contre le crime organisé. Il faut mentionner que la figure de «la police communautaire» est autorisée par la constitution du Mexique. Nestora Salgado, via la police communautaire, a dénoncé le lien qu'il y avait entre le maire de sa commune et le crime organisé ainsi que le rapport qu'il y avait avec la hausse des niveaux de violence dans sa commune. Injustement, elle a été accusée d'enlèvement et a été emprisonnée dans une prison de haute sécurité dans l'état de Nayarit. Il en fut de même pour Antonio Suástegui, qui était le leader d'un mouvement de paysans et qui s'opposait à la construction d'un barrage qui allait inonder leurs terrains de culture. En 2014, Suástegui a été accusé de vol et de tentative d homicide. Il a ensuite été emprisonné dans une prison de haute écurité dans le Nayarit. Dans les deux cas, on observe des erreurs similaires au niveau de la procédure judiciaire. Premièrement, les services du procureur de justice de l'état de Guerrero (qui appartient au pouvoir exécutif) avaient arrêté ces deux activistes de façon arbitraire. Deuxièmement, ils ont été jugés à partir de l'enquête préliminaire (qui n'est pas une enquête exhaustive) que les services du procureur ont confiée à un juge de première instance. Finalement, dans les deux cas, des juges fédéraux ont détecté des incohérences dans le déroulement de l'enquête préliminaire et dans la procédure des juges de première instance. C'est ainsi que des juges fédéraux ont ordonné, dans le cas de Salgado, la libération immédiate, et dans le cas de Suástegui le transfert vers une prison de l'état de Guerrero pour continuer la procédure judiciaire. Aucune de ces deux résolutions fédérales n a été respectée par le gouvernement de Guerrero. Malgré ce contexte de marginalisation, de répression et de violence, la société civile de l État de Guerrero demeure fortement protestataire. Selon la base des données de l'enquête nationale sur la culture politique et les pratiques civiques (ENCUP, 2012) en 2012, 20,1 % de la population mexicaine a participé au moins une fois à une protestation. Dans l'état de Guerrero, ce chiffre monte à 46,4 %, c'est-à-dire, un peu plus de deux fois la moyenne nationale 5. Par rapport à la question de savoir si l'individu a déjà participé à la résolution d'un problème commun qui l'affecte, la réponse est positive pour 61,6 % des personnes interrogées au niveau national, tandis que le chiffre monte à 79,1 % dans l'état de Guerrero, soit 18,5 points de plus que la moyenne nationale. L'organisation collective de 5 Données obtenues à partir de l'analyse de la basse des données de l'encup 2012 (http://www.encup.gob.mx/es/encup/bases_de_datos_2012 consultée le 21 mars 2015) 4

l engagement est un autre point important à souligner. Au niveau national, 34,5 % des individus ont essayé de s'organiser collectivement pour résoudre d'un problème. Dans le Guerrero, ce chiffre monte à 58,2 %, soit presque 25 points de plus que la moyenne nationale. Ces données reflètent une participation active de la population de Guerrero. Les actions collectives de protestation constituent un outil mobilisé de manière récurrente par la société civile de cet Etat. Cette participation protestataire qu'on observe dans le Guerrero peut être expliquée à partir d'une série d éléments. Le contexte social, économique et politique a contribué au développement d'un sentiment d'injustice (Klandermans, 1997) qui donne aux individus une motivation pour s'organiser et réaliser des actions collectives de protestation. D'autre part, la répression observée n'empêche pas la mobilisation des personnes. Au contraire, la répression fait que le sentiment d'injustice se complète d un sentiment d'indignation, ce qui provoque l'apparition d'un cadre d'action collective où la solidarité et l'identité sont présentes. Les changements au niveau social, économique et politique peuvent provoquer, d'après Marx et McAdam, des motivations «pour encourager les gens à s'engager dans l'action collective comme un moyen d'exprimer et de soulager les sentiments d'incertitude et d'anxiété qui produit inévitablement le changement» (Marx et McAdam, 1994 : 85). C'est ainsi que, la participation aux protestations, la participation à la résolution des problèmes, et l'organisation collective sont des mécanismes qui atteignent des niveaux plus élevés dans le Guerrero à cause de toutes les carences dont souffre la population. Mais la répression et la violence ne viennent pas seulement de l'état, elles proviennent aussi de certains dirigeants locaux qui, dans le but de défendre leurs intérêts économiques et politiques, emploient des groupes armés pour contrôler la population majoritairement paysanne. Les groupes radicaux de gauche provoquent également une partie de la violence dans le Guerrero. Ces groupes utilisent des pratiques comme l'extorsion et l'enlèvement de personnes pour financer leurs activités. Un autre élément qui est propice à la violence est le crime organisé. Selon une étude réalisée en 2014 par le conseil citoyen pour la sécurité publique et la justice pénale, intitulée Guerrero: Atrapados en el círculo de la violencia (CCSPJP, 2014), il existe dans l Etat de Guerrero une grande dispute entre 9 cartels de la drogue. Cet État fédéré est le principal producteur d'opium (qui donne lieu à la production d'héroïne) et joue aussi un rôle important dans la plantation du cannabis. Les luttes pour le contrôle du territoire et du marché de la drogue, de la part des groupes criminels, ont provoqué une forte augmentation de la violence et, en même temps, de la corruption du gouvernement pour utiliser plus facilement l'infrastructure de l État et opérer. En outre, le crime organisé s'est infiltré dans les processus électoraux (notamment en ce qui concerne la sélection des candidats et le financement des campagnes électorales). Après la disparition des 43 étudiants d'ayotzinapa, le gouvernement du Mexique et les partis politiques ont été directement mis 5

en cause et ce, quelle que soit leur couleur politique. La faiblesse institutionnelle pour choisir leurs candidats aux postes électifs a également été soulignée. La population a également dénoncé l infiltration des sphères gouvernementales par la mafia et le fait que des maires, des députés, des ministres, ou encore des policiers travaillent de concert avec les narcotrafiquants. Dans le cas d'ayotzinapa, d'après l'enquête réalisée par le procureur général de la République, le maire de la commune d'iguala travaillait pour les narcotrafiquants 6. En fait, son épouse a été signalée comme étant la dirigeante d un cartel de la drogue appelé Guerreros Unidos. Lors de l'arrestation du chef de finances de Guerreros Unidos, celui-ci a avoué avoir donné 33.000 par mois au commandant de la police locale pour laisser opérer ce groupe criminel. À partir de ces éléments, on observe que la répression des actions collectives de protestation dans le Guerrero répond à une question d'intérêts économiques et politiques. La disparition forcée des 43 étudiants à Ayotzinapa n'est pas un cas isolé. Elle s inscrit dans un processus historique de répression des mobilisations sociales. Selon la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), au Mexique, 437 personnes auraient été victimes de disparitions forcées 7 entre 1960 et 1970 (pendant la période connue sous le nom de «guerre sale») dont 255 (soit 58,35 %) dans l'état de Guerrero, ce qui veut dire que cette pratique existe depuis les années 1960. Les actions collectives de protestation des étudiants d'ayotzinapa visent principalement à demander des bourses d'études, des postes de travail, et l'amélioration des conditions de leur école normale. Il faut mentionner que les écoles normales rurales donnent une solution aux familles pauvres pour accéder à l'éducation dans un État qui est marginalisé. Mais ces écoles ont été également infiltrées soit par le crime organisé soit par les groupes radicaux de gauche qui profitent de la condition de pauvreté des étudiants pour les former et les intégrer dans des activités illicites. L'État de Guerrero est tombé dans un cercle vicieux. La marginalisation, le narcotrafic et la violence ont provoqué un délitement des institutions étatiques. Les garanties que la démocratie est censée octroyer n'existent pas et, en conséquence, la répression est le seul outil qu emploie le gouvernement pour se maintenir. 6 José Luis Abarca, maire de la commune d'iguala, est accusé d avoir ordonné la répression et la disparition des 43 étudiants. 7 D'après la déclaration de l'onu sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, une disparition forcée fait référence à des personnes qui «sont arrêtées, détenues ou enlevées contre leur volonté ou privées de toute autre manière de leur liberté par des agents du gouvernement, de quelque service ou à quelque niveau que ce soit, par des groupes organisés ou par des particuliers, qui agissent au nom du gouvernement ou avec son appui direct ou indirect, son autorisation ou son assentiment, et qui refusent ensuite de révéler le sort réservé à ces personnes ou l endroit où elles se trouvent ou d admettre qu elles sont privées de liberté, les soustrayant ainsi à la protection de la loi.» 6

Références Aranda Sánchez, José (2000). «El Movimiento Estudiantil y la Teoría de los Movimientos Sociales» Convergencia. Revista de Ciencias Sociales 7(21) : 1405-1435 CCSPJP Consejo Ciudadano para la Seguridad Pública y Justicia Penal A.C. (2015) Guerrero: Atrapados en el círculo de la violencia, Mexico, CCSPJP. CONAPO (2011). Índice de marginación por entidad federativa y municipio 2010, México, CONAPO. Córtez Morales, Edgar. «Criminalización de la protesta social en México» El Cotidiano, 23(150) : 73-76 Diez, Juan (2010). «El desorden mexicano. Estado, partidos y movimientos en el México de hoy» El Cotidiano, 161 :95-103 Klandermans, Bert (1997). The social psychology of protest, Oxford, Blackwell Publishers. Linz, Juan (2000). Totalitarian and authoritarian regimes, United States of America, Lynne Reinner Publishers. Marx G. ; McAdam, D (1994). Collective behavior and social movements: process and structure, New Jersey, Prentic Hall, Inc. Middlebrook, Kevi (1993). «Political Liberalization in an Authoritarian Regime : The case of Mexico» in O'Donnell, Guillermo., Schimitter, Philippe., Whitehead, Laurence., (1993) Transitions from Authoritarian Rule : Latin America, London, The Johns Hopkins University Press Ltd. Nations Unies (1992). Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 18 décembre 1992 (http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=a/res/47/133 consulté le 24 mars 2015) Observatorio Nacional Ciudadano (2015). Reporte sobre delitos de alto impacto. 1(12). 7