ARBITRAGE EN VERTU DE LA LOI SUR LE RÉGIME DE RETRAITE DES EMPLOYÉS DU GOUVERNEMENT ET DES ORGANISMES PUBLICS (L.R.Q., CHAPITRE R-10) ENTRE : ET : JEAN-PAUL BÉRUBÉ COMMISSION ADMINISTRATIVE DES RÉGIMES DE RETRAITE ET D ASSURANCES DOSSIER DU GREFFE N 20025027 CONJOINT SURVIVANT - LOI SUR LE RREGOP ART. 44 (L «APPELANT») (LA «COMMISSION») SENTENCE ARBITRALE Arbitre : Comparution pour l Appelant : Comparution pour la Commission : M e Serge Brault M. Jean-Paul Bérubé, pour lui-même M e Chantal Dumont, service juridique CARRA Demande d arbitrage : 2 mai 2002 Date d audience : 12 mars 2007 Date de la sentence : 20 avril 2007 Lieu d audience : Montréal, Québec Adjudex inc. 210-441(145)-QP S/A 523
2 I LE RECOURS [1] Monsieur Jean-Paul Bérubé conteste une décision rendue le 22 février 2002 par la Comité de réexamen, le Comité, qui refusait dans les termes suivants de le reconnaitre comme conjoint de madame Jeannine Pinel : L article 44 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP, 1999, c.14) prévoit que le conjoint est la personne qui est mariée à l employé au moment du décès ou s il n est pas marié avec l employé, la personne non mariée au moment du décès qui a maritalement résidé avec lui et a été publiquement représentée par lui comme son conjoint pendant au moins les trois années précédant le décès. Monsieur Bérubé avait entamé des procédures de divorce mais était non divorcé de madame Nicole Lefebvre. L argument qu il reçoit une rente de conjoint survivant de la RRQ à la suite du décès de madame Jeannine Pinel ne change pas le fait qu il était toujours marié à une autre personne lors du décès de madame Pinel. Malgré les arguments du requérant et après analyse de l article pertinent de la loi, le Comité de réexamen rejette à l unanimité la demande de monsieur Jean- Paul Bérubé visant à obtenir une rente de conjoint survivant suite au décès de madame Jeannine Pinel. [Nous soulignons] [2] La disposition législative pertinente de la Loi sur le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, L.R.Q., chapitre R-10 est la suivante : 44. Le conjoint est, pour l'application du régime, la personne qui est mariée avec l employé ou le pensionné, selon le cas ou, si l employé ou le pensionné n est pas marié, la personne, de sexe différent ou de même sexe, non mariée au moment du décès qui, pendant au moins les trois années précédant le décès, a maritalement résidé avec lui et a été publiquement représentée par lui comme son conjoint. [3] Sont également pertinentes les dispositions suivantes de la Loi sur le divorce, L.R.C., 1985, chapitre 3 : 12. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le divorce prend effet le trente et unième jour suivant la date où le jugement qui l accorde est prononcé.
3 (2) Le tribunal peut, lors du prononcé du jugement de divorce ou ultérieurement, ordonner que le divorce prenne effet dans le délai inférieur qu il estime indiqué, si les conditions suivantes sont réunies : a) à son avis, le délai devrait être réduit en raison de circonstances particulières; b) les époux conviennent de ne pas interjeter appel du jugement ou il y a eu abandon d appel. [ ] 14. À sa prise d effet, le divorce accordé en application de la présente loi dissout le mariage des époux. [4] Les dispositions suivantes du Code civil du Québec, L.R.Q., C-64 sont également pertinentes : CHAPITRE SEPTIÈME - DE LA DISSOLUTION DU MARIAGE SECTION I - DISPOSITIONS GÉNÉRALES 516. Le mariage se dissout par le décès de l'un des conjoints ou par le divorce. 517. Le divorce est prononcé conformément à la loi canadienne sur le divorce. Les règles relatives à l'instance en séparation de corps édictées par le présent code et les règles du Code de procédure civile s'appliquent à ces demandes dans la mesure où elles sont compatibles avec la loi canadienne. SECTION II - DES EFFETS DU DIVORCE 518. Le divorce emporte la dissolution du régime matrimonial. Les effets de la dissolution du régime remontent, entre les époux, au jour de la demande, à moins que le tribunal ne les fasse remonter à la date où les époux ont cessé de faire vie commune. 519. Le divorce rend caduques les donations à cause de mort qu'un époux a consenties à l'autre en considération du mariage. 520. Le divorce ne rend pas caduques les autres donations à cause de mort ni les donations entre vifs consenties aux époux en considération du mariage. Toutefois, le tribunal peut, au moment où il prononce le divorce, les déclarer caduques ou les réduire, ou ordonner que le paiement des donations entre vifs soit différé pour un temps qu'il détermine.
4 521. À l'égard des enfants, le divorce produit les mêmes effets que la séparation de corps. II LES FAITS [5] Madame Jeannine Pinel participe au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics jusqu à son décès le 20 septembre 1999. [6] Le mois suivant le décès, l appelant présente à la Commission administrative des régimes de retraite et d assurances, la Commission, une demande de prestation de décès dans laquelle il réclame le titre de conjoint survivant de madame Pinel. [7] Le 29 mars 2000, la Commission rejette la demande dans les termes suivants : Nous ne pouvons malheureusement donner suite à votre demande. En effet, selon les lois sur les régimes de retraite que nous administrons, nous ne pouvons vous reconnaitre comme le conjoint de la personne mentionnée ci-dessus, puisque vous étiez encore marié au moment de son décès. [8] Le 29 mars 2001, l appelant se pourvoit en réexamen. Son avocat, M e Pierre G. Champagne, écrit dans sa demande : Monsieur Jean-Paul Bérubé était le conjoint de fait de dame Pinel, décédée le 20 septembre 1999, ce depuis plus de 5 ans. Bien que le divorce de Monsieur Bérubé n ait pas été encore prononcé lors du décès, les procédures avaient été entamées dès 1997, et le divorce fut prononcé depuis. Le partage des biens entre Monsieur Bérubé et son ex-épouse a d ailleurs été déclaré effectif en date de la séparation de fait, à sa voir [sic] octobre 1990. [...] [9] Comme question de fait, au moment du décès de madame Pinel, monsieur Bérubé n était pas divorcé d une dame Nicole Lefebvre bien que les procédures en ce sens avaient été engagées bien avant. Leur divorce sera prononcé par la Cour supérieure en avril 2001, soit plus de 18 mois après le décès de madame Pinel. Le jugement de divorce, comme l écrit son procureur dans la demande de réexamen, fait cependant rétroagir le partage des biens entre les époux à octobre 1990.
5 III PLAIDOIRIES L appelante [10] Tout en reconnaissant qu à la date du décès de madame Pinel, il n était toujours pas formellement divorcé de madame Lefebvre, l appelante soutient être quand même son conjoint survivant, ayant vécu avec elle de 1993 jusqu à son décès. [11] Conscient qu il s agit de législations différentes, l appelant fait néanmoins valoir qu on l a reconnu comme conjoint survivant de madame Pinel pour les fins du RRQ. Il ajoute qu au surplus, la succession de madame Pinel ne lui a toujours pas remboursé certaines dettes qu il allègue avoir contractées pour elle. La Commission [12] La procureure de la Commission rappelle que selon l article 44 de la Loi sur le RREGOP trois critères déterminent l état de conjoint de fait: (1) avoir maritalement résidé avec la personne décédée pendant les trois années précédant le décès; (2) avoir été publiquement représenté comme conjoint de celle-ci; et (3) ne pas être marié à une autre personne. [13] Or, invoque la procureure, l appelant ne répond pas à la troisième condition puisqu il était encore mariée à une autre personne au moment du décès de madame Pinel. La procureure écrit dans sa plaidoirie : Selon l article 516 du C.c.Q., [ ], le mariage est dissout par le décès de l un des conjoints ou par le divorce et l article 12 de la Loi sur le Divorce précise par ailleurs, que le divorce prend effet le trente et unième jour suivant la date où le jugement qui l accorde est prononcé. Ainsi, le fait que les procédures furent entreprises en 1997, soit avant le décès de madame Pinel n est pas suffisant pour ne plus être considéré comme marié. En vertu des articles 516 du C.c.Q. et 14 de la Loi sur le divorce, c est par le divorce qu il y a dissolution du mariage. [14] La procureure conclut : Monsieur Bérubé soumet comme argument qu il fut reconnu par la Régie des rentes du Québec à titre de conjoint de fait. Cet argument ne peut être retenu car en vertu de la Loi sur la RRQ, le cotisant décédé doit être non marié au jour de
6 décès, mais ce critère n est pas exigé pour la personne qui présente la demande de rente de conjoint survivant. IV ANALYSE ET DÉCISION [15] Le Tribunal doit décider si l appelant répond à la définition de conjoint aux fins de l'éligibilité aux prestations de décès payables en vertu de la Loi sur le RREGOP. [16] Selon l article 44 de cette loi, le conjoint survivant d'une personne employée ou pensionnée est, soit la personne qui lui est mariée, soit, si cette dernière n'était pas mariée, la personne (1) ellemême non mariée qui (2), depuis au moins trois ans précédant le décès, résidait maritalement avec elle; et qui (3) était publiquement représentée comme son conjoint. [17] Il y a donc trois conditions à la reconnaissance du statut de conjoint survivant. En l espèce, la Commission soutient que la première condition n est pas présente ici en ce que l appelant était toujours marié à une tierce personne au moment du décès de madame Pinel. [18] Selon notre compréhension de sa position, l appelant reconnait ne pas répondre aux conditions de l article 44 de la Loi sur le RREGOP mais demande néanmoins d en faire abstraction afin de corriger une situation qu il qualifie d inéquitable du fait d avoir effectivement vécu maritalement avec madame Pinel pendant plusieurs années et d avoir engagé des dépenses que la succession de celle-ci est en défaut de lui rembourser. [19] Le cas du compagnon ou de la compagnie de vie survivant et toujours marié à une personne n est pas nouveau. Ne fût-ce que par souci de cohérence, j ai déjà souligné à l audience ce que j en disais dans la sentence Ginette Gaudreau et Commission administrative des régimes de retraite et d assurances, no. 2006038, rendue le 6 novembre dernier. Ces propos valent encore en y faisant les adaptions nécessaires : [paragraphes 21 et ss] Selon la preuve, au décès de monsieur Dubreuil le 5 août 2000, l appelante, bien que séparée de corps depuis 1990, était toujours mariée à un tiers. Une procédure de divorce avait bel et bien été intentée au cours de l année 1990 mais, selon la preuve, un jugement de divorce ne fut prononcé que le 21 juin 2001, donc près d une année après le décès de monsieur Dubreuil.
7 Dans le jugement de divorce en question, la Cour supérieure écrit : «PRONONCE un jugement de divorce entre les parties, dont le mariage a été célébré le 19 juillet 1969 à Sherbrooke, qui prendra effet le trente et unième jour suivant la date du présent jugement; [ ] DÉCLARE que les effets du divorce remontent au mois de septembre 1990;» [Nous soulignons] De l aveu de l appelante, le cœur du débat réside dans la formulation de cette dernière conclusion. En effet, la déclaration de la Cour selon laquelle «les effets du divorce remontent au mois de septembre 1990» a amené l appelante à estimer qu elle devait légalement être tenue pour divorcée depuis 1990 et ne plus être mariée au moment du décès de monsieur Dubreuil pour les fins de l article 77 de la Loi sur RRF [ici article 44 de la Loi sur le RREGOP]. Avec égards, cette prétention n est pas juridiquement fondée, et ce pour les raisons qui suivent. Il faut en effet distinguer la prise d effet d un jugement de divorce sur l état matrimonial des époux de ses effets [...] sur leur régime matrimonial. L article 518 C.c.Q. stipule que le divorce emporte la dissolution du régime matrimonial. Le régime matrimonial est essentiellement l ensemble des règles financières et économiques qui régissent la vie des personnes mariées. On est marié selon la communauté de biens, la société d acquêts, la séparation de biens (voir les articles 431 et suivants du Code civil du Québec). L état matrimonial est l état civil : une personne est soit mariée, célibataire, etc. L'article 14 de la Loi sur le divorce est clair : à sa prise d'effet, le jugement de divorce «dissout le mariage des époux». C est quand un mariage est dissout que des époux cessent d être mariés. Autrement dit, tant que le mariage n est pas dissout, il existe. Selon l article 12 de cette loi, le divorce prend normalement effet le trente et unième jour suivant la date où le jugement qui l accorde est prononcé. Le second paragraphe de cet article permet à la Cour d ordonner que le divorce prenne effet dans un délai inférieur à 31 jours. En l occurrence ce n est pas cela qui a été ordonné ici puisque le jugement dit bien, suivant en cela la règle générale, que
8 «le jugement de divorce prendra effet le trente et unième jour suivant la date du présent jugement.» Concrètement, cela signifiait que l appelante et son ex-mari sont légalement demeurés mari et femme jusqu au 22 juillet 2001. Il est vrai par ailleurs que le même jugement déclare faire remonter «les effets du divorce» à septembre 1990. Or, les «effets du divorce» dont il s agit sont ceux que régit le Code civil du Québec. L état matrimonial n est pas l un de ces effets. La dissolution du régime matrimonial est régie par les articles 518 à 521 du Code civil du Québec. D ailleurs ce que la Loi sur le divorce permet à la Cour est de faire rétroagir au jour de la demande les effets du divorce mais pas le divorce lui-même. Cela étant, même si en équité l appelante avait toutes les raisons d estimer être la conjointe de monsieur Dubreuil au décès de celui-ci, l exigence légale explicite de l article 77 [ici article 44 de la Loi sur le RREGOP] de ne pas avoir été mariée à quelqu un d autre à cette date empêche la Commission, et le Tribunal, de lui reconnaitre la qualité de conjointe de fait. [20] Avec égards, le rôle du présent tribunal est de s assurer que l application ou l interprétation d une disposition législative relative au RREGOP est conforme. L appelant qui n a sans doute pas tort de s étonner d une apparence d incohérence entre les régimes de la RRQ et du RREGOP n a cependant pas présenté d argument qui en droit justifierait le présent tribunal de lui attribuer la qualité de conjoint de fait de feue madame Pinel au sens de l article 44 de la Loi sur le RREGOP. [21] Par conséquent, bien que sensible à la situation de l appelant, le Tribunal conclut, malheureusement, pour reprendre le mot utilisé dans la décision de la Commission, que le refus de lui reconnaitre la qualité de conjoint de fait de madame Pinel est conforme à l article 44 de la Loi sur le RREGOP. [22] Pour toutes ces raisons, le recours est rejeté. MONTRÉAL, le 20 avril 2007 Adjudex inc. 210-441(145)-QP S/A 523 M e Serge Brault, avocat Arbitre