Le monde selon. Décembre 2006



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Transcription:

Décembre 2006

À propos des dinosaures et des produits dérivés Les efforts que nous consacrons à mieux comprendre la conjoncture en constante évolution qui affecte le domaine des placements nous ont amenés à nous pencher attentivement sur les tendances relatives à l endettement des sociétés. En effet, la prise de décisions éclairées en matière de placement repose non seulement sur les estimations de bénéfices auxquelles Wall Street accorde beaucoup d importance, mais également sur la compréhension de la structure d endettement et des bilans généraux des sociétés. Or, l examen des bilans, particulièrement ceux des sociétés de produits et de services financiers, devient de plus en plus difficile en raison de la croissance explosive des produits dérivés de crédit. Les dérivés de crédit sont des instruments financiers sophistiqués conçus pour permettre aux institutions financières de prendre en charge des niveaux de crédit plus ou moins élevés et d en transférer les risques à l aide de méthodes presque inimaginables il y a dix ans seulement. Comme l indique le graphique 1, l accroissement de la popularité des dérivés de crédit a été tout à fait phénoménal. En effet, la valeur théorique actuelle des contrats d échange sur défaillance de crédit est passée de moins d un billion de dollars américains à la mi-2001 à plus de 26 billions actuellement. Le recours à de tels contrats ayant augmenté à un taux annuel moyen de plus de 100 % pendant chacune des cinq dernières années, il semble raisonnable de croire qu une importante révolution dans le domaine de la finance est en cours. Cette révolution s est produite si rapidement qu il est probable que peu de gens, y compris la plupart des investisseurs et des responsables des politiques en matière de réglementation du système financier, en comprennent véritablement les conséquences, prévues ou non. Notre intérêt à l égard de ce sujet a été suscité par une rencontre récente avec d anciens collègues experts en crédit aux entreprises qui se sont plaint que «les analystes en crédit actuels sont tous des dinosaures non conscients du fait que ce sont maintenant les dérivés de crédit qui font la pluie et le beau temps dans le secteur du crédit». 26 billions de $ et plus : Contrats d échange sur défaillance de crédit en circulation $ US billions 30 25 20 15 10 5 0 Juin 01 Juin 02 Juin 03 Juin 04 Juin 05 Juin 06 Source : International Swaps and Derivatives Association, Inc. Graphique 1 : Les marchés mondiaux du crédit sont le théâtre d une révolution suscitée par l accroissement phénoménal du nombre de dérivés de crédit au cours des dernières années. À les en croire, alors que nous vivons dans un monde caractérisé par un taux de croissance phénoménal du crédit (particulièrement du crédit immobilier), les analystes en crédit seraient de plus en plus dépassés par les modalités de cet endettement massif? N est-ce pourtant pas le travail des analystes en crédit d évaluer la capacité de rembourser des emprunteurs? Dans une conjoncture de croissance rapide de l endettement, on pourrait croire que les analystes en crédit sont les maîtres de l univers. En fait, il n en est rien. La complainte de Partnoy Nous suggérons à nos lecteurs qui aimeraient en savoir davantage au sujet du monde mystérieux des dérivés de crédit de lire

un article publié récemment par Frank Partnoy et David Skeel, deux professeurs de droit. L article, intitulé The Promise and Peril of Credit Derivatives (les avantages présomptifs et les risques liés aux dérivés de crédit), tente de dresser le pour et le contre de ces nouveaux instruments selon une perspective d élaboration de politiques juridiques et gouvernementales. En sa qualité d ancien expert en produits dérivés de Wall Street, Frank Partnoy est bien placé pour comprendre les usages légitimes et abusifs des dérivés de crédit. Partnoy et Skeel reprochent principalement aux dérivés de crédit de réduire la motivation des banques à surveiller et à contrôler adéquatement les risques liés au crédit puisqu ils permettent aux banques d effectuer des prêts importants et d en faire immédiatement assumer le risque par des tiers. La règle d or voulant qu un banquier apprenne d abord à connaître son client ne s applique donc plus. Les banquiers sont maintenant incités à maximiser les revenus liés au crédit et à laisser à d autres le soin de veiller à ce que les prêts consentis soient remboursés. Les auteurs utilisent le cas d Enron comme exemple : «Bien que J.P. Morgan, Chase, Citigroup et plusieurs autres banques aient prêté des milliards de dollars à Enron, elles n ont semblé avoir assuré qu un très faible suivi de ces prêts, que ce soit avant ou après le début de la débâcle du géant de l énergie. De nombreuses raisons, certes, expliquent ce manque de surveillance, mais il ne fait aucun doute que l existence des dérivés de crédit a joué un rôle de premier plan dans ce désastre financier. Les banques qui ont financé Enron ont eu recours à des quantités énormes de dérivés de crédit pour limiter leur risque advenant une défaillance d Enron. Certaines estimations font état de plus de 800 contrats d échange portant sur huit milliards de dollars de crédit consenti à Enron.» Cet exemple illustre bien le caractère fondamental d un échange sur défaillance de crédit : un contrat qui constitue, à toutes fins pratiques, un pari à l égard des probabilités de faillite, de défaillance ou de restructuration d un emprunteur. Ces contrats permettent aux banques qui prêtent des milliards de dollars à certains clients de se protéger en concluant des ententes d échange sur défaillance avec des tiers. Si l emprunteur ne rembourse pas le prêt, la banque perdra les capitaux prêtés mais réalisera tout de même un bénéfice grâce au contrat d échange. Si, au contraire, l emprunteur rembourse son prêt tel que prévu, la banque versera une somme d argent au tiers bénéficiaire du contrat, réduisant ainsi sa marge bénéficiaire sur le prêt. La grande disponibilité de ce genre d instrument de couverture a transformé les marchés du crédit. Tel que Partnoy et Skeel le font remarquer : «Il y a dix ans, le transfert et la tarification du crédit étaient simples. Une transaction de crédit n impliquait généralement que le client et l agent de crédit de la banque, et l instrument de crédit était généralement un prêt. «C est encore le cas pour de nombreux particuliers et de nombreuses petites entreprises. Pour la plupart des sociétés cotées en bourse, toutefois, les marchés de crédit sont devenus plus complexes et la transaction de crédit type nécessite maintenant la participation de gestionnaires de risque de haut voltige. Bien que les entreprises continuent à obtenir des fonds au moyen d émissions de valeurs mobilières et d emprunts, elles se tournent de plus en plus fréquemment vers différents instruments hybrides et produits dérivés pour obtenir le financement voulu.» Panacée ou problème potentiel? Le rôle traditionnel des intermédiaires financiers, surtout les banques, en matière de surveillance du crédit et de prise en charge des risques a donc évolué. Cette révolution par rapport à la façon de faire d il y a dix ans à peine comporte, certes, des aspects positifs mais également de nouveaux risques et de nouvelles incertitudes. En ce qui a trait aux aspects positifs, l ancien président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, a fait l éloge des dérivés de crédit en affirmant qu ils ont contribué à rendre le système financier plus robuste. Il a fait remarquer, par exemple, que les dérivés de crédit «semblent avoir réussi à transférer efficacement de sociétés de financement à court terme à des compagnies d assurance, des caisses de retraite et d autres tiers les pertes liées aux récentes défaillances d Enron, de Global Crossing, de Railtrack, de WorldCom et de Swissair.» Dans une lettre envoyée en 2003 aux actionnaires de Berkshire Hathaway, toutefois, Warren Buffet s est vivement opposé aux dérivés, qu il a appelés des bombes à retardement et des armes financières de destruction massive. Il pourrait, certes, s agir d une simple affaire d intérêts contrecarrés puisque les compagnies d assurance dans lesquelles Warren Buffet détenait des participations ont assumé des risques liés au crédit plutôt élevés. En

Resserrement monétaire = Augmentation de volatilité Indice VIX c. écart de rendement billets à 10 ans / bons à 2 ans (Données inversées et dècalées de 24 mois) Pourcent -1-0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 Écart billets à 10 ans / bons à 2 ans du Trésor américain (gauche) Périodes de récession É.-U. Indice de volatilité VIX du S& P 500 (droite) Pourcent annualisé 40 3 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 Source : U.S. Department of Treasury, CBOE, et FactSet Graphique 2 : Dans le passé, un renversement de la courbe des rendements a été suivi d une volatilité plus marquée des marchés. Une telle augmentation de volatilité pourrait mettre à l épreuve la croissance rapide du marché des dérivés de crédit. outre, si M. Buffet était déjà préoccupé par la situation des dérivés de crédit en 2003 alors que la valeur des contrats d échange sur défaillance de crédit s élevait à «seulement» 3,8 billions de dollars, qu en est-il maintenant que cette valeur globale dépasse les 26 billions de dollars en 2006? Selon nous, il est difficile de déterminer si ces nouveaux instruments représentent une solution permettant de renforcer le système financier en démocratisant le risque lié au crédit, ou une bombe à retardement. La réponse est probablement affirmative dans les deux cas. En ce qui a trait à la comparaison avec une bombe à retardement, tout dépend de l utilisation qui est faite des dérivés de crédit. Est-elle légitime ou abusive? Difficile à savoir avec certitude (mais compte tenu de ce que l on sait de la nature humaine, facile à deviner). Le secret de Capital Decimation Pour ce qui est du potentiel d abus que présentent les dérivés de crédit, nous avons été intrigués par un récent article, intitulé Systemic Risk and Hedge Funds (Le risque systémique et les fonds de couverture), publié par un groupe d auteurs parmi lequel on retrouve l économiste financier bien connu de MIT et gestionnaire de fonds de couverture Andrew Lo. L article fournit une illustration convaincante de la facilité avec laquelle des gestionnaires financiers sans scrupules pourraient se servir des dérivés de crédit de façon ingénieuse pour tromper les investisseurs. 35 30 25 15 10 5 Le tableau 1 de l article, notamment, contient l historique de rendement sur huit ans, soit de 1992 à 1999, du fonds de couverture hypothétique «Capital Decimation Partners LP». Comme le tableau le démontre, la stratégie adoptée par le fonds lui a permis d obtenir un rendement incroyable de 2 721 % au cours de cette période de huit ans, alors que le S&P 500 obtenait un rendement de 367 % pour la même période; un ratio Sharpe (rendement/risque) de 1,94 (par rapport au ratio de 0,98 du S&P 500); et seulement six mois de rendements négatifs sur 96 mois (par rapport à 36 mois sur 96 pour le S&P 500). Il s agit là de résultats hors du commun, peu importe les critères utilisés. Quel était donc le secret de Capital Decimation Partners? Les dérivés de crédit. Pour obtenir ces résultats, en effet, il suffisait au gestionnaire hypothétique d émettre périodiquement des options de vente hors du cours sur l indice S&P 500. En quelque sorte, le gestionnaire pariait que le marché ne perdrait pas plus de 7 % de sa valeur à court terme : un pari habituellement peu risqué. Cette stratégie apparemment ingénieuse risquait toutefois de se retourner contre le gestionnaire advenant un repli du marché plus marqué que prévu pendant la période en question, auquel cas celui-ci subirait un revers catastrophique. À toutes fins pratiques, les dérivés permettaient à des gestionnaires sans scrupules d agir comme des compagnies d assurance en encaissant d importantes primes lorsque le marché leur était favorable. Ils n avaient toutefois pas les réserves requises pour faire face à leurs obligations si jamais le vent tournait. Capital Decimation Partners, LP Sommaire du rendement entre janvier 1992 et décembre 1999 Statistique S&P 500 CDP Moyenne mensuelle 1,4 % 3,7 % Écart type mensuel 3,6 % 5,8 % Min. mois -8,9 % -18,3 % Max. mois 14,0 % 27,0 % Ratio Sharpe annuel 0,98 1,94 Ndre de mois négatifs (sur 96) 36 6 Corrélation avec le S&P 500 100,0 % 59,9 % Rendement total 367,1 % 2 721,3 % Source : Nicholas Chan, Mila Getmansky, Shane M. Haas, et Andrew W. Lo, «Systematic Risk and Hedge Funds», MIT Sloan School of Management, août 2005. Tableau 1 : Sommaire du rendement simulé d une stratégie dynamique particulière fondée sur les cours réels de janvier 1992 à décembre 1999.

L exemple susmentionné portait sur des options d achat d actions, mais le principe s applique tout aussi bien aux portefeuilles de titres à revenu fixe. En émettant des options de vente (ou des instruments de protection en cas de défaillance), les gestionnaires de portefeuilles de titres à revenu fixe peuvent offrir à leurs investisseurs gourmands des rendements plus élevés année après année, jusqu à ce que le marché fasse sauter leur stratégie. La dégringolade, lorsqu elle se produit, peut être rude. Personne ne sait précisément dans quelle mesure les dérivés de crédit ont été utilisés de façon abusive par les fonds de couverture et les portefeuilles de titres à revenu fixe acheteur seulement. Il est toutefois clair que les dérivés offrent aux gestionnaires financiers un moyen facile de déjouer le système en offrant des rendements élevés, des rations Sharpe impressionnants et des pertes peu fréquentes pendant plusieurs années jusqu à ce que l édifice s'écroule. Des centaines de milliards de dollars d actifs étant investis sur la foi d historiques de rendement relativement courts (trois à cinq ans), il ne serait pas surprenant qu un certain nombre de gestionnaires de fonds à revenu fixe et de fonds de couverture aient succombé à la tentation de s adonner au trafic de dérivés de crédit, compte tenu de la récente conjoncture caractérisée par une volatilité en baisse particulièrement favorable à ce genre de stratégie. La question à 26 billions de dollars consiste à savoir si la lumière sera faite sur ces abus à la suite d une augmentation de la volatilité des marchés, donnant ainsi raison à Warren Buffet et à sa comparaison avec une «bombe à retardement». Nous ne disposons pas de la formule magique permettant de prévoir l évolution de la volatilité du marché (évolution probablement aussi difficile à prévoir que celle du marché lui-même). Nous faisons tout de même remarquer que, comme l illustre le graphique 2, une courbe des rendements prononcée laisse habituellement présager une faible volatilité des marchés pendant plusieurs années. Cette relation semble bien établie puisque les marchés financiers et l économie ont tendance à bien se porter après une période d assouplissement de politique monétaire. Lorsque la Fed resserre sa politique, toutefois, et que la courbe des rendements se renverse, comme c est actuellement le cas, le marché devient plus volatil. Bref, il se pourrait bien que la politique de resserrement monétaire de la Fed mette les dérivés de crédit à l épreuve au cours des trimestres à venir. En effet, le ralentissement économique Crises financières et cycles de resserrement de la Fed Cycle de resserrement Source : ISI Crise financière 1970 Penn Central 1974 Franklin National 1980 First Penn/Amérique latine 1984 Continental Illinois 1987 Lundi noir 1990 Épargne immobilière 1994 Mexique 1997 Crise asiatique/défaillance russe/long-term Capital Management 2000 Effondrement du Nasdaq 2006? Tableau 2 : Les cycles de resserrement monétaire de la Réserve fédérale américaine ont presque toujours été suivis d une crise financière quelconque, laquelle a servi de signal à la Fed qu il était temps d assouplir sa politique. provoqué par cette politique pourrait commencer à susciter des défaillances, particulièrement dans le secteur des prêts hypothécaires. Nous avons donc demandé à nos analystes et à nos gestionnaires de portefeuille de porter une attention toute particulière à l impact négatif sur les sociétés des secteurs des services financiers, de l immobilier et de la consommation d un resserrement du crédit suscité par un effondrement éventuel de la structure des dérivés de crédit. Dans le passé, comme le tableau 2 permet de le constater, chaque cycle de resserrement de la Fed a été suivi d un accident ou d une crise financière forçant la Fed à assouplir sa politique monétaire de façon soudaine et marquée. Certes, il n existe aucune certitude que ce sera le cas cette fois encore. Mais si nous devions parier sur la nature de l accident financier à venir, nous pencherions pour un incident impliquant les dérivés de crédit. Une dernière remarque : Si vous n avez pas occasionnellement l impression d être un dinosaure en matière de dérivés, c est probablement que vous n y avez pas prêté attention. William Sterling Directeur des placements Trilogy Global Advisors, LLC