Deuxième partie LIAISON CHIMIQUE ET INTERACTIONS MOLÉCULAIRES

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Transcription:

Deuxième partie LIAISON CHIMIQUE ET INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 1

Table des matières II LIAISON CHIMIQUE ET INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 1 4 ORBITALES MOLÉCULAIRES 53 4.1 Méthode LCAO........................... 54 4.1.1 Principes et règles..................... 54 4.1.2 États électroniques : leur dépendance sur la géométrie moléculaire 57 4.1.3 L ion moléculaire H 2 + et molécules diatomiques A 2.... 58 4.1.4 Molécules diatomiques AB................ 71 4.2 Molécules polyatomiques...................... 76 4.2.1 Recette générale de constructions des OM......... 76 4.2.2 Applications à H 2 O et BeH 2................ 76 4.2.3 Orbitales canoniques et transformations.......... 79 4.2.4 Orbitales hybrides..................... 83 4.3 Théorie VSEPR........................... 86 4.3.1 Paires d électrons...................... 86 2

TABLE DES MATIÈRES 52 4.3.2 Théorie VSEPR de la géométrie moléculaire....... 87 5 FORCES INTERMOLÉCULAIRES 92 5.1 Propriétés électriques des molécules................ 93 5.1.1 Multipôles électriques................... 93 5.1.2 Applications : Molécules polaires et non polaires..... 94 5.1.3 Moment dipolaire induit et polarisabilité.......... 95 5.1.4 Polarisation macroscopique................ 97 5.1.5 Permittivité relative..................... 98 5.2 Forces intermoléculaires...................... 99 5.2.1 Interaction ion-dipôle.................... 99 5.2.2 Interaction dipôle-dipôle.................. 100 5.2.3 Interaction dipôle-dipôle induit............... 101 5.2.4 Interaction dipôle induit-dipôle induit........... 101 5.2.5 Attractions, répulsions et interactions totales....... 102 5.2.6 Liaison hydrogène..................... 104

Chapitre 4 ORBITALES MOLÉCULAIRES Nous avons vu que, dans le cadre d un modèle des électrons indépendants, la fonction d onde d un système à plusieurs électrons, qu il soit atomique ou moléculaire, est un produit antisymétrisé d orbitales. Rappelons que les orbitales sont des fonctions mono-électroniques qui, dans le cas d un atome, s apparentent aux fonctions d onde du système hydrogénoïde correspondant. De la même manière, on peut obtenir une idée qualitative de la forme et de la disposition des orbitales d une molécule donnée en considérant le système à un électron correspondant. L approche la plus couramment utilisée pour la construction des orbitales moléculaires (OM) est la méthode LCAO, qui emploie une décomposition des OM sur la base des orbitales atomiques (OA) des atomes constituant la molécule. On trouve à la première section une description du principe de cette méthode, suivie d exemples sur des molécules diatomiques. On généralisera par la suite dans la considération des OM des molécules polyatomiques, en mettant l accent sur la notion d hybridation. Il est important de souligner que la structure électronique que l on considère ici est associée à une configuration nucléaire ou géométrie donnée. Cette structure électronique, les orbitales, leur énergie, leur degré d occupation, etc., varie d une géométrie nucléaire à une autre. La construction des OM que l on va décrire s inscrit donc dans le cadre de l approximation de Born-Oppenheimer. Rappellons que celle ci est basée sur une distinction de l échelle de temps des mouvements électroniques et nucléaires. Le mouvement des électrons est estimé bien 53

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 54 plus rapide que celui des noyaux et l on peut, dans un premier temps, définir des états (fonctions d onde) électroniques avec les noyaux pratiquement immobiles. Le mouvement rapide des électrons produit un champ de force moyen qui gouvernera ensuite les mouvements internes des noyaux, les vibrations et réarrangements moléculaires, et, ultimement, les chemins réactionnels. 4.1 Méthode LCAO 4.1.1 Principes et règles Principes Dans l approche LCAO, on écrit les orbitales d une molécule AB sous la forme générale ψ = i c ai ϕ ai + j c bj ϕ bj (4.1) où ϕ ai et ϕ bj sont des orbitales atomiques centrées sur le noyau A et B, respectivement, et sont supposées connues. L équation (4.1) définit ce qu on appelle un développement LCAO. Ce sigle dérive de la dénomination anglaise Linear Combination of Atomic Orbitals. Certains ouvrages français utilisent le sigle CLOA (pour Combinaison Linéaire d Orbitales Atomiques), mais le sigle LCAO étant d usage plus répandu et même universel, on continuera de l utiliser ici. On dénotera par ɛ At i, ɛ At j l énergie des orbitales atomiques ϕ ai et ϕ bj dans l atome A ou B pris séparément. Les coefficients c ai et c bj sont les inconnues du problème. On les obtient en minimisant l énergie totale E de la molécule par rapport à ces coefficients. Les détails du principe variationnel sous-jacent qui permet de remplacer la résolution de l équation de Schrödinger par cette procédure de minisation d énergie, ainsi que sa mise en application dans le cadre de l approche LCAO, dépassent les objectifs du présent cours, et relèvent d un cours de chimie quantique. On ne donne ici qu un nombre de règles simples régissant la composition

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 55 des OM en termes d OA, c. à d. la forme qualitative du développement LCAO des OM. Physiquement, on comprend facilement que les atomes garderaient leurs orbitales individuelles et ne se combineraient pas s il n existait aucune interaction entre eux. Cette situation n est obtenue qu à séparation infinie des atomes. Ce cas mis à part, en réalité les atomes interagissent entre eux, par le biais des interactions coulombiennes entre les charges (positives et négatives) d un atome et celles de l autre. Ces interactions causent un mélange des orbitales atomiques que décrit le développement LCAO. La vaste expérience que l on a accumulée en chimie quantique a permis d établir un nombre de règles, dont les plus importantes sont données dans ce qui suit. Les règles 1-3 portent sur l interaction de deux orbitales atomiques. Les règles 4-6 régissent la généralisation au cas de l interaction de N orbitales atomiques : Règles 1. Règle 1 Le mélange de deux orbitales atomiques ϕ ai et ϕ bj, c est-à-dire la grandeur relative de c ai et c bj dépend de deux facteurs. Le premier de ces deux facteurs est le recouvrement des orbitales atomiques ϕ ai et ϕ bj, défini par l intégrale suivante ϕ ai ϕ bj dv (4.2) S ai b j Plus S ai b j est grand, (en valeur absolue), plus le mélange de ϕ ai et ϕ bj est important ; S ai b j mesure la force d interaction entre les deux orbitales atomiques ϕ ai et ϕ bj. On montre à la figure 4.1, quelques cas de figures typiques pour des recouvrements positifs, négatifs et nuls d OA. 2. Règle 2 Le second facteur dont dépend le mélange de ϕ ai et ϕ bj est leur énergie relative δɛ = ɛ At i ɛ At j Plus δɛ est faible, c. à d. plus les deux orbitales atomiques ϕ ai et ϕ bj sont proches en énergie, mieux elles se mélangent.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 56 FIG. 4.1 Illustration de la dépendance de S ab sur la nature et l orientation relative des deux orbitales impliquées 3. Règle 3 Dans le mélange de deux orbitales atomiques ϕ ai et ϕ bj d énergie différentes, l OM de plus basse énergie ressemble le plus à l OA de plus basse énergie, alors que l OM de plus haute énergie est dominée par l OA de plus haute énergie. 4. Règle 4 : à partir de N OA, on obtient N OM 5. Règle 5 : Transitivité des interactions d OA Si ϕ 2 intéragit fortement avec ϕ 1 et ϕ 3, alors ces deux dernières OA, (ϕ 1 et ϕ 3 ), peuvent aussi se trouver en situation d interaction forte. 6. Règle 6 Le nombre de surfaces nodales que l on peut compter dans une OM qui résulte de la combinaison de N OA centrées sur des noyaux différents, augmente avec l énergie orbitalaire (de l OM).

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 57 7. Règle 7 Les OM devraient être construites de telle sorte qu elles aient un caractère de symétrie bien déterminé par rapport à tout élément de symétrie présent dans la molécule (dans une géométrie donnée). 4.1.2 États électroniques : leur dépendance sur la géométrie moléculaire Les orbitales moléculaires ψ k et leur énergie ɛ k, (à ne pas confondre avec les ɛ At i ), varient avec la géométrie moléculaire, c est à dire avec la configuration géométrique des noyaux. Pour une molécule constituée de N atomes, on peut représenter la géométrie moléculaire par 3N k paramètres géométriques, avec k=5 si, dans sa forme stable, la molécule est linéaire et k = 6 si la molécule est non-linéaire. Ces paramètres sont par exemple des longueurs de liaisons et des angles (angles de liaisons, angles dièdres...). Ils peuvent aussi être des coordonnées généralisées décrivant ce que l on appelle des modes de vibration. Quoi qu il en soit, dans ce qui suit, on dénoterait ces paramètres géométriques symboliquement par q. Les OM ψ k et leur énergie ɛ k sont donc des fonctions de q : ψ k ψ k ( r i ; q), ɛ k ɛ k (q) Puisque l énergie des OM dépend de la géométrie moléculaire, il en est de même pour l énergie totale de la molécule dans un état électronique donné (état à plusieurs électrons). Comme dans le cas des atomes, un tel état peut être décrit par une configuration électronique, obtenu en remplissant les OM en tenant compte de leur ordre énergétique 1, et du principe de Pauli : I = ψ 2 1ψ 2 2... Ψ I = ψ 1 (1; q)α(1)ψ 1 (2; q)β(2)ψ 2 (3; q)α(3)ψ 2 (4; q)β(4)... (4.3) L énergie de cet état 1 Cet ordre peut dépendre de la géométrie moléculaire, c.à d. de q.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 58 dépend clairement de q. E I (q) 2ɛ 1 (q) + 2ɛ 2 (q) +... (4.4) Il se trouve que cette fonction, E I (q), de la géométrie moléculaire joue le rôle d énergie potentielle pour les mouvements des noyaux, jusque là considérés immobiles (rappellez-vous de l approximation de Born-Oppenheimer). Ces mouvements correspondent aux vibrations, aux réarrangements internes, etc., au sein de la molécule. On dit que E I (q) décrit la surface d énergie potentielle pour les mouvements moléculaires dans l état électronique (à plusieurs électrons) Ψ I. 4.1.3 L ion moléculaire H + 2 et molécules diatomiques A 2 les deux premières orbitales moléculaires de H + 2 À l état fondamental, l électron unique de H 2 + occupe une OM qui devrait se corréler asymptotiquement à l orbitale atomique 1s d un atome d hydrogène isolé (infiniment éloigné d un proton nu). On s attend donc à ce que cette OM soit assez bien décrite par la conbinaison linéaire de deux orbitales 1s centrées chacune sur un noyau. Ceci correspond à ne garder que deux termes, correspondant à ϕ a(b) = 1s a(b), dans (4.1). Notons que dans le cas présent, A et B désignent les deux protons. Dans ce cas, l intégrale de recouvrement S ab > 0 (et d autres intégrales nécessaires pour le calcul détaillé des OM) peuvent s évaluer analytiquement. La figures 4.2 montre le comportement de S ab vue comme une fonction de la distance internucléaire R. Notons que dans le cas d une molécule diatomique, R est le seul paramètre nécessaire à la spécification de la géométrie nucléaire. La figure 4.3 montre les courbes d énergie potentielle pour les deux premiers états de H 2 +, c.à d. le graphe des fonctions U 0 (R) = ɛ 0 (R) + e2 R U 1 (R) = ɛ 1 (R) + e2 R (4.5) (4.6)

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 59 FIG. 4.2 Intégrale de recouvrement S aa (en u.a.) en fonction de R(u.a) pour le schéma LCAO impliquant l orbitale atomique 1s centrée sur l un ou l autre proton de H + 2. où ɛ 0(1) (R) sont les énergies électroniques des deux états (orbitales) ψ 0 et ψ 1, définis par ψ 0 = 1σ g = 1 2(1 + S ab ) (1s a + 1s b ) (4.7) ψ 1 = 1σ u = 1 2(1 S ab ) (1s a 1s b ) (4.8) Ces deux orbitales sont aussi dénommées 1σ g et 1σ u, une appelation qui décrit bien le caractère de ces OM par rapport aux éléments de symétrie que possède une molécule diatomique homonucléaire : On les appelle des orbitales σ car elles sont symétriques par rapport à la réflexion à travers tout plan de symétrie contenant l axe internucléaire ; on dit encore qu elles sont de symétrie cylindrique. L orbitale 1σ g est symétrique (g=gerade signifie paire en allemand), par rapport à l inversion à travers le centre de la molécule. L orbitale 1σ u est antisymétrique par rapport à cette opération d inversion, (u=ungerade= impaire en allemand). Notons aussi que, comme les deux orbitales sont obtenues par une combinaison des

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 60 FIG. 4.3 Fonctions d énergie potentielle (en u.a.) U 0, (trait rouge), et U 1, (trait bleu), en fonction de R(u.a). Ces courbes d énergie potentielle sont associées aux états 1σ g et 1σ u obtenus dans un traitement LCAO en base minimale de H + 2. OA 1s a et 1s b, on les désigne encore par σ g 1s et σ u 1s. Il est utile de représenter par un diagramme, appelé diagramme de corrélation, le procesus de formation d orbitales moléculaires par le principe LCAO. Le diagramme de corrélation illustrant la formation des deux OM 1σ g et 1σ u de H 2 + à partir des orbitales 1s des deux hydrogènes est montré à la figure 4.4(a) L orbitale 1σ g est dite liante pour deux raisons : 1. Son énergie est, à tout R, inférieure à celle d une orbitale atomique 1s de l atome H séparé, et la courbe d énergie potentielle U 0 (R) qui lui est associée (son énergie, en somme) passe par un minimum, à R = R e, la longueur de liaison d équilibre de la molécule à l état fondamental. Elle forme dans le voisinage de R e un puit de potentiel auquel les 2 noyaux peuvent se trouver confinés dans des mouvements oscillatoires qui dénotent les vi-

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 61 (a) (b) 1s b 1σ u 1σ g 1s a 2p x,y 1π g,x 1π g,y 1π g,x 1π g,y 2p x,y FIG. 4.4 Diagramme de corrélation illustrant la formation des orbitales (a) 1σ g(u) à partir des OA 1s, (b) 1π u(g) (x, y) à partir des OA 2p x,y, portées par les deux protons de H + 2 ou de H 2. brations moléculaires. La molécule dans sa géométrie d équilibre, spécifiée par R e, est plus stable que les atomes séparés (H + H +, à R ). 2. La combinaison symétrique des deux 1s a(b) produit une accumulation de densité (de probabilité) électronique au centre de la molécule dans la région comprise entre les deux noyaux de sorte qu un électron dans cette OM serait partagé par les deux noyaux. La figure 4.5 montre une représentation photographique de l orbitale 1σ g accompagnée du profil de cette orbitale le long de l axe internucléaire. Le caractère liant de l orbitale est clairement ressorti sur ces images. De même, on peut clairement voir le caractère antiliant de 1σ u représenté de la même façon dans la figure 4.6. Dans cette combinaison antisymétrique des 1s a(b), le plan qui bissecte la molécule en son centre est clairement un plan nodal. Par conséquent, la distribution de probabilité électronique dans cette orbitale privilégie la séparation de densité de charge électronique plutôt qu un partage par les deux atomes. Du point de vue énergétique, U 1 (R) est une courbe purement répulsive, et aucune géométrie ne donne lieu à une situation de stabilité accrue par rapport à celle des atomes séparés. Dans l état 1σ u, la molécule de H 2 + ne serait pas stable : elle se dissocierait en H(1s) + H +.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 62 FIG. 4.5 Représentation photographique de l orbitale liante 1σ g accompagnée de son profil le long de l axe internucléaire. Autres orbitales Par le même procédé, si l on partait de ϕ a(b) = 2s a(b) dans (4.1), correspondant à la limite dissociative où l atome d hydrogène dissocié serait dans l état 2s, on aurait obtenu deux autres OM : l une, 2σ g ou σ g 2s, est liante ; l autre, 2σ u ou σ u 2s, est antiliante. ψ 2 = 2σ g (2s a + 2s b ) (4.9) ψ 3 = 2σ u (2s a 2s b ) (4.10) La figure 4.7 montre l orbitale liante 2σ g sous forme photographique et sous forme tridimensionnelle, cette dernière servant à démontrer l effet de la surface nodale

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 63 FIG. 4.6 Représentation photographique de l orbitale antiliante 1σ u accompagnée de son profil le long de l axe internucléaire. inhérente dans 2s sur la distribution dans l orbitale moléculaire. Une troisième paire d OM du type σ g(u) s obtient par la combinaison linéaire des orbitales 2p z,a(b) centrées sur les noyaux A et B, en considérant que l axe internucléaire est dans la direction Oz. Dans ce cas, l orbitale liante, montrée à la figure 4.8, est ψ 4 = 3σ g (2p z,a 2p z,b ) (4.11) tandis que la combinaison linéaire symétrique des deux 2p z,a(b) est antiliante : ψ 5 = 3σ u (2p z,a + 2p z,b ) (4.12) Finalement, si l on partait de ϕ a(b) = 2p x,a(b) (ou ϕ a(b) = 2p y,a(b) ) dans (4.1), on obtiendrait

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 64 FIG. 4.7 Représentation photographique de l orbitale antiliante 2σ g accompagnée d une représentation 3D de l orbitale vue dans un plan contenant l axe internucléaire. une orbitale liante, (figure 4.9) une orbitale antiliante, (figure 4.10) ψ 6 = 1π x,u (2p x,a + 2p x,b ) (4.13) ψ 7 = 1π x,g (2p x,a 2p x,b ) (4.14) Ces orbitales sont dites du type π car elles sont antisymétriques par rapport à la réflexion à travers un plan de symétrie, ici le plan xz, contenant l axe internucléaire. Notons que les deux niveaux orbitalaires associés à ces OM sont doublement dégénérés, car les mêmes combinaisons symétriques et antisymétriques

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 65 FIG. 4.8 Représentation photographique de l orbitale antiliante 3σ g accompagnée d une représentation 3D de l orbitale vue dans un plan contenant l axe internucléaire. des orbitales 2p y,a(b) centrées sur les deux protons donneraient une autre paire d orbitales π, qu on nommerait π y,u(g), de même énergie que les π x,u(g) déjà obtenues [voir figure 4.4(b)]. Les considérations LCAO préédentes peuvent être résumées par un diagramme de corrélation, tel que celui montré à la figure 4.11 Molécules diatomiques A 2 Les orbitales des molécules diatomiques homonucléaires A 2 sont de la même forme LCAO que celles de H + 2. Au niveau qualitatif, même la disposition re-

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 66 FIG. 4.9 Représentation photographique de l orbitale liante 1π x,u. lative de ces orbitales sur l échelle d énergie est sensiblement similaire à celle trouvée dans H + 2. Ceci est illustré à la figure 4.12, sur les diagrammes de niveaux d énergie orbitalaire pour la série de molécules A 2 associée à la deuxième période du tableau périodique. On y note que la disposition des quatre premiers niveaux d énergie orbitalaire -les niveaux associés aux orbitales 1σ g(u), 2σ g(u) - restent la même dans toutes les molécules. C est dans la disposition relative des niveaux associés aux orbitales 3σ g(u) et 1π u(g) que l on note des différences. La figure 4.12 illustre aussi le schéma de remplissage des niveaux orbitalaires pour former la configuration de l état fondamental des molécules A 2 considérés. Le tableau 4.1 donne une liste détaillée de ces configurations écrites sous la forme habituelle. À partir de ces configurations, on peut tirer plusieurs conclusions qualitatives

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 67 FIG. 4.10 Représentation photographique de l orbitale antiliante 1π x,g accompagnée d une représentation 3D de l orbitale vue dans un plan contenant l axe internucléaire. concernant des propriétés physico-chimiques de ces molécules. La plus importante de ces propriétés est le caractère et la force de la liaison chimique. La force de liaison est mesurée par un indice appelé Ordre de liaison On définit cet indice par l excédent électronique dans les orbitales liantes, c està-dire par n = 1 2 (n liant n antiliant ) (4.15) où n liant et n antiliant sont respectivement le nombre total d électrons occupant des

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 68 A A 2 A 3σ u 2p 1π g (x) 1π g (y) 2p 3σ g 1π u (x) 1π u (y) 2s 2σ u 2σ g 2s 1s 1σ u 1σ g 1s FIG. 4.11 Diagramme de corrélation typique montrant la formation des premières OM d une molécule diatomique homonucléaire A 2 à partir des OA. L ordre énergétique des orbitales 3σ g et 1π u est celui trouvé dans H 2 + et les premières molécules de la série des diatomiques associés à la deuxième période du tableau périodique. Cet ordre est inversé dans les molécules plus lourdes. orbitales liantes (électrons liants ), et le nombre d électrons dans des orbitales antiliantes (électrons antiliants ). Les simples liaisons ont un ordre de liaison n = 1, les doubles liaisons, n = 2. Pour le cas de He 2, n = 0, ce qui reflète bien le fait que cette espèce n existe pas sous forme stable. On notera que l ordre de liaison peut aussi être demi-entier. Par exemple, Li + 2 a un ordre de liaison égal à 1/2. L ordre de liaison reflète bien la force de la liaison chimique comme on peut le remarquer dans le parallélisme qui existe entre n, la longueur de liaison d équilibre, R e, et l énergie de liaison (énergie de dissociation), D e, des molécules A 2 associées à la seconde période du tableau périodique. Ce parallélisme est illustré au tableau 4.2.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 69 3σ u Li 2 Be 2 B 2 C 2 N 2 O 2 F 2 1π g (x, y) 3σ g 1π u (x, y) 2σ u 2σ g FIG. 4.12 Disposition des niveaux d énergie norbitalaire de molécules diatomiques homonucléaires A 2 associée à la seconde période de la classification périodique. On note qu en dépit de leur ordre de liaison nul, Be 2 et Ne 2 existent quand même, mais avec une énergie de liaison très faible. Ce sont des effets de liaison faible (interaction de Van der Waals) que l on ne peut tenir compte que dans

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 70 Molécule configuration électronique de l état fondamental Li 2 KK(2σ g ) 2 Be 2 KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 B 2 KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 (1π x,u ) 1 (1π y,u ) 1 C 2 KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 (1π x,u ) 2 (1π y,u ) 2 O 2 KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 (1π x,u ) 2 (1π y,u ) 2 (3σ g ) 2 O 2 KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 (1π x,u ) 2 (1π y,u ) 2 (3σ g ) 2 (1π x,g ) 1 (1π y,g) 1 F 2 KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 (1π x,u ) 2 (1π y,u ) 2 (3σ g ) 2 (1π x,g ) 2 (1π y,g ) 2 Ne 2 KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 (1π x,u ) 2 (1π y,u ) 2 (3σ g ) 2 (1π x,g ) 2 (1π y,g ) 2 (3σ u ) 2 TAB. 4.1 Configuration des molécules diatomiques A 2 de la deuxième période du tableau périodique ; KK tient pour (1σ g ) 2 (1σ u ) 2. Molécule ordre de longueur de énergie de liaison n liaison R e (pm) liaison D e (kj/mole) Li 2 1 267 105 Be 2 0 245 9 B 2 1 159 289 C 2 2 124 599 O 2 3 110 942 O 2 2 121 494 F 2 1 141 154 Ne 2 0 310 < 1 TAB. 4.2 Ordre de liaison, longueur et énergie de liaison des molécules diatomiques A 2 de la deuxième période du tableau périodique. une description quanto-chimique plus exacte, utilisant une base d orbitales atomiques plus étendue pour le développement LCAO des OM et d autres raffinements théoriques. Propriétés magnétiques Un des succès de la description LCAO des molécules A 2, telle que présentée cihaut, est la compréhension qu elle nous permet d acquérir concernant les propriétés magnétiques de ces molécules. Par exemple, elle permet de rendre compte du caractère paramagnétique de la molécule d oxygène, O 2.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 71 Dans la configuration électronique de cette molécule KK(2σ g ) 2 (2σ u ) 2 (1π x,u ) 2 (1π y,u ) 2 (3σ g ) 2 (1π x,g ) 1 (1π y,g ) 1 les deux derniers électrons occuppent chacun une des deux orbitales (1π x(y),g ) associées à un niveau doublement dégénéré. La règle de Hund (voir chapitre précédent) demande alors que les deux électrons soient aussi dans le même état de spin (même valeur de m s ), car la répulsion de Pauli entre deux électrons de spins parallèles tend à les garder éloignés l un de l autre, ce qui minimise leur énergie d interaction Coulombienne. On prédit donc que O 2 dans son état fondamental aura un spin net, et donc une magnétisation nette, non nuls. Par contre, N 2, F 2, seront diamagnétiques. 4.1.4 Molécules diatomiques AB Dans le cas d une molécule diatomique hétéronucléaire AB, les énergies des OA à partir desquelles sont construites les OM seront différentes. On distingue deux cas : 1. Z A Z B, c.à d. A et B ne diffèrent que par une petite variation du numéro atomique : Dans ce cas, la différence d énergie pour la même orbitale atomique (e.g. 2s a(b) ) sur les 2 atomes liés est faible. Les orbitales moléculaires seront alors très similaires, en énergie comme dans leur composition, à celles trouvées dans des molécules homonucléaires. Les variations dans la composition LCAO des OM et dans leur énergie ne seront pertinentes que dans l étude quantitative des propriétés moléculaires. On note cependant que l asymmétrie du système, plus précisément, la différence d électronégativité entre A et B, induit une polarisation dans la densité électronique dans une orbitale donnée, en conformité avec la règle 3 du développement LCAO. Ceci dit, pour des fins d analyse et de compréhension qualitative de la structure moléculaire, il suffit, dans ce cas, de reprendre les diagrammes d énergie orbitalaire des molécules A 2, figure 4.12, et d y changer juste la dénomination des OM pour tenir compte du bris de symmétrie quand l on passe de A 2 à AB. Ce changement se fait selon la correspondance établie au tableau 4.3 suivant entre les 10 premières orbitales d une molécule A 2 et celles d une molécule AB. On peut ensuite écrire la configuration électronique de la molécule en respectant le principe de Pauli comme on l avait fait auparavant pour une

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 72 OM dans A 2 OM dans AB caractère 1σ g 1σ liante 1σ u 1σ antiliante 2σ g 2σ liante 2σ u 2σ antiliante 3σ g 3σ liante 3σ u 3σ antiliante 1π x(y),u 1π x(y) liante 1π x(y),g 1πx(y) antiliante TAB. 4.3 Correspondance entre les 10 premières orbitales d une molécule A 2 et celles d une molécule AB. molécule A 2. L analyse de la stabilité de la liaison chimique en terme de l ordre de liaison, ainsi que celle du caractère magnétique de la molécule, restent applicables. 2. Z A et Z B sont très différents : Dans ce cas, les énergies des orbitales atomiques respectives peuvent être nettement différentes, et l application du principe LCAO demande beaucoup plus de soin. Ceci est illustré par la construction des orbitales moléculaires de la molécule de HF. Le fluorure d hydrogène, HF Les dix électrons de la molécule HF nous obligent à construire au moins cinq orbitales moléculaires pour les placer. Dans la description la plus simple on ne retient que les orbitales atomiques occupées dans les éléments, c est-à-dire l orbitale 1s pour l hydrogène, les orbitales 1s, 2s, 2p x, 2p y et 2p z pour le fluor. Les combinaisons linéaires d orbitales atomiques centrées sur les deux atomes font donc appel à l orbitale 1s de l hydrogène. Si l on définit toujours l axe z comme étant l axe internucléaire de la molécule, alors S 1s,2px(y) est nulle, et les orbitales 2p x(y) du fluor ne se mélangeraient jamais avec l orbitale 1s de l hydrogène. Elles restent inchangées, et deviennent des orbitales moléculaires dites non-liantes.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 73 Il reste donc pour le fluor trois orbitales susceptibles de se combiner avec l orbitale 1s de l hydrogène, soit les orbitales 1s, 2s et 2p z. Examinons leur énergie en comparaison avec l énergie de l orbitale 1s de l hydrogène ( 0, 5 u.a., ceci utilise une unité commode très souvent employée en chimie quantique, l unité atomique d énergie, 1u.a. = 2 Ry) ; on estime que. ɛ 1sF 37, 8 u.a.,. ɛ 2sF 1, 44 u.a.,. ɛ 2pF 0.68 u.a. À cause de sa disposition énergétique bien plus profonde, l orbitale 1s F du fluor ne se mélangera pratiquement pas avec l orbitale 1s H de l hydrogène. Même l orbitale 2s F du fluor ne se mélangera que faiblement avec l orbitale 1s H de l hydrogène. Il ne reste donc que l orbitale 2p z,f qui peut se combiner de façon appréciable avec l orbitale 1s H de l hydrogène. On peut donc établir que, qualitativement, les six premières orbitales moléculaires de HF seront, dans l ordre d énergie croissante :. ψ 1 1s F avec ɛ 1 ɛ 1sF, orbitale non-liante,. ψ 2 2s F avec ɛ 2 ɛ 2sF, orbitale non-liante,. ψ 3 1s H + t2p z,f, t < 1, avec ɛ 3 < ɛ 2pF, orbitale liante, σ s,p. ψ 4 = 2p x,f, ψ 5 = 2p y,f, avec ɛ 4 = ɛ 5 = ɛ 2pF, niveau doublement dégénéré. Ce sont des orbitales non-liantes,. ψ 6 1s F r2p z,f, r < 1, avec ɛ 6 > ɛ 2pF, orbitale anti-liante, σ s,p. La figure 4.13 illustre ces résultats sous forme d un diagramme de corrélation de niveaux d énergie. L examen des propriétés nodales des 2 OM σ s,p = ψ 3 et σ s,p = ψ 6 fait bien ressortir leur caractère (liante ou anti-liante) vis-à-vis de la stabilité de la liaison HF. Ces deux orbitales sont du type σ, et découlent de la combinaison linéaire de 1s H et de 2p z,f ; pour cette raison, on les a appelées σ s,p, σ s,p, respectivement. L orbitale σ s,p est liante, car elle est de plus basse énergie que les deux orbitales atomiques dont elle dérive, elle ne présente pas de surface nodale entre les deux noyaux : dans cette région inter-nucléaire, la somme des 2 OA donne une accumulation de densité électronique par rapport à ce que l on aurait si les deux OA n étaient pas en interaction.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 74 0,0 F F - H H -0,5-1,0-1,5 2p 2s... FIG. 4.13 Diagramme de corrélation des niveaux d énergie atomiques et moléculaires de HF Les orbitales 1s et 2s F de F sont dites des orbitales de coeur, non-liantes : elles sont trop profondes en énergie, et les électrons qui s y trouvaient sont trop confinés spatialement pour intervenir dans la formation de la liaison chimique. De même, les électrons occupant les orbitales ψ 4 = 2p x,f, ψ 5 = 2p y,f ne contribuent pas à la liaison chimique : 2p x(y),f sont non-liantes. Les électrons dans l orbitale σ s,p sont seuls à pouvoir contribuer au renforcement de la liaison HF, tandis que des électrons dans l orbitale dite anti-liante σ s,p affaibliraient cette liaison car cette orbitale a des propriétés contraires à celles de l orbitale liante σ s,p. À l état fondamental de la molécule, les électrons se placent sur des niveaux des OM comme le montre la figure 4.13, abstraction faite des deux électrons 1s de F. La configuration électronique de HF peut donc s écrire HF (1s F ) 2 (2s F ) 2 (σ s,p ) 2 (2p x,f ) 2 (2p y,f ) 2

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 75 et la formation de HF à partir de H(1s H ) et de F [He](2s F ) 2 (2p F ) 5 s écrit H(1s H ) + F (1s F ) 2 (2s F ) 2 (2p F ) 5 HF (1s F ) 2 (2s F ) 2 (σ s,p ) 2 (2p x,f ) 2 (2p y,f ) 2 Finalement, on note que dans ce cas, l ordre de liaison est n = 1.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 76 4.2 Molécules polyatomiques 4.2.1 Recette générale de constructions des OM Les considérations précédentes, basées sur les règles 1-7 du développement LCAO, se généralisent facilement aux molécules polyatomiques. On peut même énoncer quelques démarches pratiques à suivre dans une procédure typique qui comprend les étapes suivantes : 1. Choix d orbitales atomiques : On commencera par identifier l ensemble des OA nécessaires pour engendrer des orbitales moléculaires en nombre suffisant pour décrire l état fondamental de la molécule. Cet ensemble est appelé base minimale pour la molécule considérée. 2. Construction d orbitales de base adaptées à la symétrie Il est utile de construire à l avance des combinaisons d OA qui soient symétriques ou antisymétriques par rapport aux éléments de symétrie présents dans la molécule. 3. Identification des interactions d OA Les interactions d OA à retenir sont celles caractérisées par un recouvrement non-nul. Un examen de la disposition relative en énergie des OA permet de classer les interactions retenues, par importance, par nombre d OA impliquées. 4. Construction du diagramme de corrélation On construit un diagramme de corrélation pour indiquer les interactions d OA que l on a identifiées et classées à l étape précédente. Le diagramme montrera la formation d OM à partir des OA par le principe LCAO. On veillera à ce que toutes les règles LCAO soient respectées. 4.2.2 Applications à H 2 O et BeH 2 La molécule H 2 O À titre d exemple, considérons la molécule d eau H 2 O dans sa géométrie d équilibre.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 77 z H O y H x FIG. 4.14 Système de coordonnées utilisé dans la définition des orbitales atomiques de H 2 O On considérera ici cette molécule dans le système de coordonnées de la figure 4.14, où tous les noyaux se trouvent dans le plan xz, et l axe de symétrie du système coincide avec l axe des z. 1. Base minimale : La base minimale des orbitales atomiques est constituée des orbitales 1s Hi, i = 1, 2, des deux hydrogènes, des orbitales 1s O, 2s O, 2p O pour l oxygène. 2. Adaptation de la base à la symétrie : La symétrie du système impose le remplacement des deux orbitales 1s H1(2) par les combinaisons linéaires adaptées à la symétrie suivantes : ϕ 1 = 1 2 [1s H1 + 1s H2 ], ϕ 2 = 1 2 [1s H1 1s H2 ]. De ces deux fonctions ϕ 1 est de même type de symétrie (type dit a 1 ) que 2s O et 2p z,o. Elles sont symétriques par rapport à une rotation de π autour de l axe Oz, et par rapport aux réflexions à travers les 2 plans de symétrie de la molécule (les plans yz et xz). ϕ 2 est de même type de symétrie que la fonction 2p x,o (type dit b 2 ) : elle est symétrique par rapport à la réflexion à travers le plan xz, mais est anti-

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 78 symétrique par rapport à celle à travers le plan yz et par rapport à la rotation de π autour de l axe Oz. Il reste la fonction 2p y,o : elle est la seule qui soit antisymétrique par rapport à la réflexion à travers le plan de la molécule (et par rapport à la rotation de π autour de l axe Oz aussi). 3. Interactions des OA : De l analyse précédente, il est clair que 2p y,o ne pourrait interagir avec aucune autres OA. Elle deviendra une orbitale non-liante de la molécule. les trois fonctions ϕ 1, 2s O et 2p z,o se combineront pour donner trois orbitales moléculaires du type a 1 ψ a1 c 1 2s O + c 2 ϕ 1 + c 3 2p z,o. la première de ces 3 OM sera une orbitale liante, la dernière une orbitale antiliante, tandis que la seconde sera une orbitale non-liante. les deux fonctions ϕ 2, et 2p x,o se combineront pour donner deux orbitales moléculaires du type b 2 ψ b2 = c 4 2p x,o + c 5 ϕ 2, dont l une est liante, l autre antiliante. Comme dans le cas de HF, on s attend à ce que l orbitale 1s O reste pratiquement inchangée, et devient simplement une orbitale de coeur nonliante de la molécule. 4. le diagramme de corrélation aura donc la forme montrée à la figure 4.15. Le cas de BeH2 Pour cette molécule, qui a quatre électrons de moins que H 2 O et a une géométrie d équilibre linéaire, il suffit de remplacer les orbitales de l oxygène du cas précédent par celles de Be. La base minimale est donc constituée des orbitales 1s Hi, i = 1, 2, des deux hydrogènes, des orbitales 1s Be, 2s Be, 2p Be pour le béryllium. Encore une fois 1s Be reste une orbitale de coeur tandis que, compte tenu de la linéarité de BeH 2, les orbitales de valence seront formées par combinaison de ϕ 1 avec 2s Be et de ϕ 2 avec 2p z,be, Les orbitales 2p x(y),be resteront inchangées et sont des OM non-liantes. On a donc :

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 79 orbitale 1σ g (u) (anti)liante : orbitale 2σ g (u) (anti)liante : 1σ g = 2s Be ± cϕ 1 1σ g = 2p z,be ± cϕ 2 orbitales π, nonliantes, les 2p x(y),be. le diagramme de corrélation pour BeH 2 est montré à la figure 4.16, et est à être comparé à celui de H 2 O. 4.2.3 Orbitales canoniques et transformations Dans le cas général d une molécule polyatomique, les OM sont des fonctions à plusieurs centres qui comprennent, dans l approche LCAO, les orbitales atomiques de plusieurs atomes. De telles OM, dites canoniques, n ont pas de rapport direct avec la notion de liaison chimique : en effet, la densité électronique dans chaque orbitale est généralement délocalisée au lieu d être concentrée sur les liaisons chimiques. À titre d exemples, dans la molécule linéaire BeH 2, la combinaison des orbitales de valence (n = 2) de Be avec les OA 1s des H donnent les orbitales σ liantes suivantes (l axe internucléaire définit l axe des z) 1. ψ 1 2s Be + c(1s H1 + 1s H2 ), 2. ψ 2 2p z,be + c(1s H1 1s H2 ) La molécule a aussi 3 orbitales non liantes, 1s Be, 2p x(y),be, et à chacune des orbitales σ liantes ci-dessus correspond une orbitale antiliante. Les orbitales ψ 1 et ψ 2 sont liantes par rapport aux 2 liaisons Be H à la fois, la densité électronique y étant délocalisée sur les deux liaisons. dans la molécule de méthane CH 4, la combinaison des orbitales de valence (n = 2) de C avec les OA 1s des H donnent les orbitales σ liantes suivantes (le système d axes utilisé est celui de la figure 4.17) 1. ψ 1 2s C + c(1s Ha + 1s Hb + 1s Hc + 1s Hd ), 2. ψ 2 2p x,c + c(1s Ha 1s Hb + 1s Hc 1s Hd ) 3. ψ 3 2p y,c + c( 1s Ha 1s Hb + 1s Hc + 1s Hd ) 4. ψ 4 2p z,c + c( 1s Ha + 1s Hb + 1s Hc 1s Hd )

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 80 O H 2 O H a, H b 2b 2 4a 1 2p z 2p x 2p y 1b 1 3a 1 1b 2 2s 2a 1 1s a+1s b 1s a 1s b 1s 1a 1 FIG. 4.15 Niveaux d énergies orbitalaires de H 2 O. Ces orbitales moléculaires canoniques de CH 4 sont totalement délocalisées et ne sont concentrées sur aucune liaison C H spécifique. On peut appliquer à un sous-ensemble d OM une transformation orthogonale pour obtenir des nouvelles OM, localisées cette fois-ci. On peut montrer que la fonction d onde totale est invariante dans une telle opération. L énergie totale

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 81 Be BeH 2 H a, H b 2p x 3σ g 2σ u 2p z 2p y 1π x 1π y 3σ u 2s 2σ g 1s a+1s b 1s a 1s b 1s 1s Be (1σ g) FIG. 4.16 Niveaux d énergies orbitalaires de BeH 2. est aussi invariante dans une transformation orthogonale d OM, mais, rigoureusement, la notion d énergie orbitalaire perd de sens. C est le prix à payer pour une représentation plus imagée de la formation des liaisons par interaction d orbitales atomiques.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 82 H b z H c H a C x y H d FIG. 4.17 Systèmes d axes pour la représentation LCAO des orbitales moléculaires de CH 4. Reprenons l exemple de la molécule de BeH 2 : En combinant linéairement les 2 orbitales ψ 1 et ψ 2, on trouve σ Be H1 ψ 1 + ψ 2 2s Be + 2p z,be + c1s H1 (4.16) σ Be H2 ψ 1 ψ 2 2s Be 2p z,be + c1s H2 (4.17) les deux nouvelles OM σ Be Ha et σ Be Hb donnent chacune une densité électronique localisée dans la région associée à une et une seule liaison Be H. Ce sont des OM localisées. Leur introduction ne modifie en rien la fonction d onde et l énergie totale de BeH 2 (un système à 6 électrons). Mais, rigoureusement, on ne peut pas parler d énergie des OM localisées, car ces OM résultent de la combinaisons d OM canoniques d énergies différentes (ψ 1 est plus stable que ψ 2 ). Dans le cas de CH 4, il existe une transformation orthogonale des quatre orbitales canoniques ψ 1 -ψ 4 qui donnent quatre orbitales localisées λ i, i = 1 4, dont la composition est donnée au tableau 4.4 Chacune des nouvelles OM λ i (elles sont nécessairement liantes, étant l images des orbitales liantes ψ i sous une transformation orthogonale) donne une concentration électronique localisée dans la région d une seule liaison C H. Par exemple, λ 1 est localisée dans la région de la liaison C H c, λ 3 dans la région de la liaison C H d.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 83 OA OM λ 1 OM λ 2 OM λ 3 OM λ 4 2s C 0,5 0,5 0,5 0,5 2p x,c 0,5 0,5-0,5-0,5 2p y,c 0,5-0,5 0,5-0,5 2p z,c 0,5-0,5-0,5 0,5 1s Ha 0,0 c 0,0 0,0 1s Hb 0,0 0 0,0 c 1s Hc c 0,0 0,0 0,0 1s Hd 0,0 0,0 c 0,0 TAB. 4.4 OM localisées de CH 4 4.2.4 Orbitales hybrides Les orbitales moléculaires localisées construites à la section précédente peuvent être vues comme résultant d un développement LCAO dans lequel les OA de l élément central, un élément du bloc p, n apparaissent pas sous forme pure, mais sous une forme préconditionée de combinaisons linéaires s + p. Ces combinaisons définissent des orbitales atomiques hybrides, et les orbitales moléculaires localisées σ Be H1(2), λ i résultent d un développement LCAO sur les orbitales 1s hydrogénoïdes et les orbitales hybrides de l élément central A (A = Be ou A = C). Ces orbitales hybrides apparaissent assez fréquemment pour mériter que l on y prête une attention particulière. Il est tout d abord important de souligner qu elles ne décrivent pas des états d un électron de l atome central libre, mais apparaissent seulement comme orbitales atomiques de base, utiles dans le développement LCAO des orbitales moléculaires, quand l atome central est en combinaison avec d autres éléments dans un édifice moléculaire présentant un certain type de symétrie. Se limitant pour le moment aux combinaisons des orbitales s et p, d un élément A du bloc p, on distingue ainsi : 1. des orbitales hybrides sp, de composition ϕ sp,± = 1 2 [ns A ± np z,a ] (4.18) Dans ce cas, une seule orbitale np est utilisée, et les deux orbitales hybrides

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 84 sont orientées le long de la direction de cette orbitale p, ici prise comme la direction des z. Dans des développements LCAO, chacune de ces orbitales hybrides sp peut se combiner avec une orbitale atomique appropriée d un atome voisin, X, pour former une orbitale σ A X (liante ou antiliante), c.à d. une orbitale caractérisée par une symétrie de révolution autour de la liaison A X. Les 2 orbitales np x(y) restantes donnent soit des orbitales non-liantes, en ne se combinant à aucune OA de A, ou des orbitales moléculaires du type π A X (liantes ou antiliantes) par combinaison avec des orbitales p x(y) de X. Les orbitales hybrides sp apparaissent donc dans les molécules linéaires comme BeH 2, C 2 H 2. En termes des orbitales σ A X formées à partir des orbitales hybrides sp, la configuration électronique de BeH 2 sera donc BeH 2 (1s Be ) 2 (σ Be Ha ) 2 (σ Be Hb ) 2 2. des orbitales hybrides sp 2, de composition ϕ sp 2,1 = 1 [ nsa + ] 2np x,a 3 ϕ sp 2,2 = 1 ] 2 6 [ns A 3 2 np x,a + 2 np y,a ϕ sp 2,3 = 1 ] 2 6 [ns A 3 2 np x,a 2 np y,a (4.19) (4.20) (4.21) (4.22) Dans ce cas, deux orbitales np sont utilisées, et les trois orbitales hybrides sont coplanaires et font entre elles des angles de 120, (cf. fig.4.18). L une d elles a été prise arbitrairement orientée le long de la direction de l orbitale p x. Dans des développements LCAO, chacune de ces orbitales hybrides sp peut se combiner avec une orbitale atomique appropriée d un atome voisin, X, pour former une orbitale σ A X. L orbitale np z restante donne soit une orbitale non-liante, ne se combinant alors à aucune OA de A, ou des orbitales moléculaires du type π A X (liantes ou antiliantes) par combinaison avec une orbitale p z de X. Les orbitales hybrides sp 2 apparaissent donc dans les molécules planaires comme C 2 H 4 (fig.4.19), BF 3.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 85 FIG. 4.18 Formation d orbitales hybrides sp 2 (a) et dispositions de ces orbitales sur un centre atomique A(b). L orbitale p restant est montrée perpendiculaire au plan des 3 orbitales sp 2 en (b). FIG. 4.19 Utilisation des orbitales sp 2 dans C 2 H 4.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 86 3. des orbitales hybrides sp 3, de composition ϕ sp 3,1 = 1 2 [ns A + np x,a + np y,a + np z,a ] (4.23) ϕ sp 2,2 = 1 2 [ns A + np x,a np y,a np z,a ] (4.24) ϕ sp 2,3 = 1 2 [ns A np x,a + np y,a np z,a ] (4.25) ϕ sp 2,4 = 1 2 [ns A np x,a np y,a + np z,a ] (4.26) Dans ce cas, les trois orbitales np sont utilisées, et les quatres orbitales hybrides sont dirigées vers les sommets d un tétraèdre régulier et font entre elles des angles de 109 28. Les orbitales hybrides de CH 4 définies au tableau 4.4 sont des orbitales sp 3. L une d elles (la dernière) a été prise arbitrairement orientée le long de la direction de l orbitale p z. Dans des développements LCAO, chacune de ces orbitales hybrides sp peut se combiner avec une orbitale atomique appropriée d un atome voisin pour former une orbitale σ A X. Les molécules qui font intervenir ce type d orbitales hybrides ont une symétrie qui dérive de celle du tétraèdre régulier : CH 4 (1s C ) 2 (σ C H ) 4 (tétraèdrique), CH 3 (1s C ) 2 (sp 3 ) 1 (σ C H ) 3 (pyramide trigonal), NH 3 (1s N ) 2 (sp 3 ) 2 (σ N H ) 3, H 2 O[He](sp 3 ) 2 (sp 3 ) 2 (σ O H ) 2 ; dans les trois derniers cas, une (deux dans le cas de H 2 O) orbitale hybride sp 3 reste libre, et est occuppée par des électrons libres (un dans le cas de CH 3, deux dans le cas de NH 3 ). 4.3 Théorie VSEPR 4.3.1 Paires d électrons La théorie des orbitales moléculaires localisées apportent une justification à posteriori au modèle des paires d électrons de Lewis. Par ricochet, elle est aussi à la base d une approche simple, empirique, visant à décrire et à prédire la configuration géométrique stable des molécules, la théorie de la répulsion entre paires d électron de valence, communément appelée théorie VSEPR (Valence Shell Electron Pair Repulsion), préconisée surtout par Gillespie.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 87 4.3.2 Théorie VSEPR de la géométrie moléculaire Les idées de base de cette théorie sont extrêmement simple : 1. La configuration des liaisons partant d un atome polyvalent n est conditionée que par le nombre de paires électroniques impliquant sa couche de valence, 2. L orientation relative des orbitales moléculaires portant ces paires électroniques est déterminée par le principe de répulsion (d éloignement) maximale des paires d électrons, (excluant leur disposition à l infini). De ces deux principes, on déduit les configurations types des tableaux 4.5-4.8 pour des molécules de forme générale AX m E n, dans laquelle l atome central est entouré de m liaisons A X (1 paire par liaison, même si on s attend à avoir une liaison multiple ; seule la paire de la liaison σ importe) et de n paires d électrons libres. Les tableaux ne présentent que des cas avec m + n 6 car au-delà de cette valeur, plusieurs solutions sont possibles. De ces principes, on obtient aussi les règles opérationelles suivantes : 1. La force de répulsion entre paires électroniques va en décroissant dans l ordre suivant (p E et p X dénotent une paire délectrons libres sur A et la paire électronique associée à la liaison A X, resp.) (p E p E ) > (p E p X ) > (p X p X ) 2. Soit X et X deux ligands dont l électronégativité varie dans le sens e X > e X. Alors (p X p X(E) ) < (p X p X(E) ) Ceci reflète le fait que le ligand X exerce une plus forte attraction sur la paire d électrons de la liaison A X ; celle-ci se trouve donc plus éloignée de l atome central A. 3. On ne compte pas les paires dans les orbitales liantes du type π, mais on considère que leur présence confère à la paire de liaison comptabilisée une plus grande force de répulsion.

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 88 m+n m n Configuration Exemples 2 2 0 H Be H BeH 2, HgCl 2 3 3 0 F B F F BF 3, AlR 3 3 2 1 Sn Cl Cl SnCl 2 TAB. 4.5 Configuration de AX m E n avec m + n = 2, 3

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 89 m+n m n Configuration Exemples 4 4 0 H H C H H CH 4, BH 4 4 3 1 H N H H NH 3, H 3 O + 4 2 2 H 2 O, SCl 2 O H H TAB. 4.6 Configuration de AX m E n avec m + n = 4

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 90 m+n m n Configuration Exemples 5 5 0 Cl Cl P Cl Cl Cl P Cl 5 5 4 1 F F S F F SF 4 5 3 2 F Cl F F ClF 3 5 2 3 F XeF 2 Xe F TAB. 4.7 Configuration de AX m E n avec m + n = 5

CHAPITRE 4. ORBITALES MOLÉCULAIRES 91 m+n m n Configuration Exemples 6 6 0 F F F S F F SF 6 F 6 5 1 F F I F F IF 5 F 6 4 2 XeF 4 F F Xe F F TAB. 4.8 Configuration de AX m E n avec m + n = 6

Chapitre 5 FORCES INTERMOLÉCULAIRES Le chapitre précédent porte sur les interactions dites intramoléculaires. On a vu comment ces interactions peuvent se décrire au niveau de la structure électronique des molécules, notamment par le schéma LCAO de construction d orbitales moléculaires (OM) à partir d orbitales atomiques (OA). On a pu étudier ainsi comment des édifices moléculaires se forment à partir de constituants atomiques. Notre centre d intérêt se déplace maintenant vers les forces intermoléculaires, qui sont responsables de la cohésion de la matière au niveau macroscopique. Elles jouent aussi un rôle important dans la réactivité chimique, dans la mesure où celleci dépend en premier lieu des évènements collisionels entre molécules, dont la dynamique est régie par les forces intermoléculaires. On peut toujours tenter d étudier et de caractériser les interactions entre deux molécules spécifiques au niveau orbitalaire, c est-à-dire en utilisant le language quanto-chimique du chapitre précédent, par exemple en termes d interactions d orbitales moléculaires, mais une telle approche est nécessairement limitée à la paire de molécules considérée. Heureusement, on peut définir un nombre de formes d interactions entre deux molécules sans faire appel aux détails de leur structure électronique, mais en se limitant juste aux traits grossiers, qualitatifs de leur distribution de charges, électroniques et nucléaires. En effet, ce sont des forces intermoléculaires essentiellement d origines électriques qui gouvernent généralement les interactions entre les molécules telles qu elles se manifestent au niveau des observables macroscopique. On fera donc un bref rappel de notions élémentaires 92

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 93 d électrostatique, dont la notion de multipôle et de moments multipolaires, en mettant l accent sur celle de moments dipolaires des molécules. On verra ensuite comment les forces intermoléculaires peuvent s exprimer en termes d interactions ion-dipôle et dipôle-dipôle. On notera cependant que deux types d interaction sont en fait d origine purement quantique, soit la force dite de dispersion de London et les liaisons hydrogènes. 5.1 Propriétés électriques des molécules 5.1.1 Multipôles électriques Dipôles électriques Deux charges +q et q séparées par un vecteur distance l forment un dipôle électrique. Quantitativement, le dipôle est mesuré par un moment dipolaire µ = q l (5.1) Par convention l et dirigé de la charge négative à la charge positive. La norme de µ est généralement exprimée en debye D, une unité non SI, qui vaut 1 D = 3.33564 10 30 C.m Une paire de charge +e et e séparées de 100 pm = 10 10 m = 1 Å a un moment dipolaire de 1.6 10 29 C.m = 4.8 D. Multipôles d ordre n Il est utile d introduire une catégorisation d un ensemble de charges ponctuelles en multipôles d ordre 0, 1, 2,...n : Une seule charge isolée, ou un ensemble de charges dont la somme est non nulle, constitue un monopôle (son moment monopolaire est la charge nette). On a vu que deux charges ponctuelles égales et de signes opposées forment un dipôle. Plus généralement, un ensemble de charges possédant un moment monopolaire nul mais un moment dipolaire non nul est

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 94 un dipôle. Par extension, un ensemble de charges positives et négatives qui ne possède ni moment monopolaire, ni moment dipôlaire est un quadripole. Un multipôle d ordre n (2 n -pôle) est donc un ensemble de charges positives et négatives qui ne possède aucun moment multipolaire d ordre inférieur à n. On trouve à la figure 5.1 la disposition des charges correspondant à des multipôles d ordre 0 3. FIG. 5.1 Disposition des charges correspondant à des multipôles d ordre 0 3. Tiré de Atkins, (figure 22.11) 5.1.2 Applications : Molécules polaires et non polaires Appliquées aux molécules, cette catégorisation permet de classer des molécules en molécules neutres et ions, dans un premier temps, puis en molécules polaires et molécules non-polaires dans un second temps. Une molécule polaire est une molécule ayant un moment dipolaire électrique permanent résultant des charges partielles des atomes de la molécule. Ces charges partielles résultent en gros de la différence d électronǵativité et des propriétés de la liaison chimique, c est-à-dire de la structure électronique telle que l on a appris à la décrire au chapitre précédent 1. En fait, la connaissance de la disposition de ces charges partielles permet de catégoriser la molécule comme un multipôle d ordre n au-delà des considérations 1 Comme ette structure dépend de l état électronique, on comprend que les propriétés multipolaires d une molécule varient d un état électronique à un autre

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 95 de sa charge nette et de son moment dipolaire. Toutes les molécules diatomiques hétéronucléaires sont polaires, tandis que les molécules homonucléaires ne le sont pas. Il est raisonable de supposer qu il existe une relation de proportionalité entre le moment dipolaire d une molécule diatomique AB et la différence d électronégativité e X des deux atomes A et B µ e X, Habituellement, c est l atome le plus électronégatif qui constitue l extrémité négative du dipôle. De façon plus générale, une molécule neutre dont la géométrie d équilibre est totalement symétrique a un moment dipolaire nul par symétrie. Une telle molécule non polaire peut avoir cependant un moment multipolaire d ordre n > 1 non nul, et serait donc un multipôle d ordre n. Par exemple, la molécule de CO 2 est linéaire dans l état fondamental électronique. Sa symétrie fait qu elle ne possède pas de moment dipolaire permanent. Elle n est donc ni un monpôle électrique, ni un dipôle. C est en fait un quadripôle électrique. La molécule de méthane, CH 4, est un octopôle électrique. Le moment dipolaire d une molécule polaire ayant un axe de symétrie doit se situer parallèle à cet axe de symétrie. Une façon d estimer le moment dipolaire d une molécule polyatomique consiste à la décomposer en contributions venant de différentes parties ou groupements de la molécule : Ceci est illustré sur l analyse du moment dipolaire du dichlorobenzène montrée à la figure 5.2. Le 1,4- dichlorobenzène est non polaire par symétrie du fait de la compensation des deux moments opposés égaux associés aux liaisons C(1)Cl(1) et C(4)Cl(2) situés en position para, comme on peut le voir au panneau (b) de la figure 5.2. Dans le cas des deux Cl placés en position ortho (panneau (c)) et meta (panneau (d)), le moment dipolaire de la molécule se compare bien, au moins en ordre de grandeur, avec la résultante (dans le sens vectoriel) des moments dipolaires des deux liaisons CCl. 5.1.3 Moment dipolaire induit et polarisabilité Dans un champ électrique, une molécule non polaire acquiert un moment dipolaire transitoire non-nul, appelé moment dipolaire induit. Il provient de la déformation

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 96 FIG. 5.2 Décomposition du moment dipolaire du dichlorobenzène en contributions de groupes. Tiré de Atkins, (figure 22.2) de la distribution électronique de la molécule et aussi de l action du champ sur les noyaux. Cet effet opère aussi dans une molécule polaire et le moment dipolaire induit s ajoute au moment dipolaire permanent de la molécule. Dans un champ électrique E pas trop fort, le moment dipolaire induit s écrit µ = α E (5.2) et α est appelé tenseur de polarisabilité. Dans une bonne approximation, et en particulier pour des molécules caractérisées par un haut degré de symétrie, on peut considérer une polarisabilité isotrope représentée par un scalaire. Dans tous les cas, la polarisabilité est une fonction (de la structure moléculaire) qui décrit la réponse dite linéaire de la molécule à un champ électrique externe. Quand le champ externe est très fort, comme dans le cas d une excitation au laser, le moment dipolaire induit peut dépendre du champ électrique externe E de façon non-linéaire. On doit alors introduire des fonctions de réponse non-linéaires appelées hyperpolarisabilité. Dans la version scalaire (de la théorie de la réponse moléculaire aux champs électriques), on écrit par exemple µ = αe + 1 2 βe2 et β dans ceci est l hyperpolarisabilité de la molécule.

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 97 Pour des raisons de commodités dimensionelles, il est utile d introduire la quantité α = α 4πɛ 0 (5.3) où ɛ 0 est la permittivité du vide : si α est exprimée en C 2.m 2.J 1 qui représente une unité assez lourde à manipuler, α a les dimensions d un volume. En plus, en grandeur, il est du même ordre que les volumes moléculaires. On trouve, dans des manuels de chimie physique, des tableaux de données qui rapportent la valeur de µ et de α pour des molécules les plus souvent rencontrées. Le tableau 22.3 du traité de Atkins, le tableau 16.1 de Chang en sont des exemples. La polarisabilité mesure la facilité avec laquelle la distribution électronique de la molécule se déforme sous l influence d un champ électrique externe. En général, les molécules volumineuses et possédant un grand nombre d électrons ont donc une polarisabilité plus grande que les petites molécules. 5.1.4 Polarisation macroscopique Moment dipolaire moyen et polarisation Au niveau macroscopique, on parle plutôt de polarisation, P, d un échantillon : Elle est définie par le moment dipolaire moyen des molécules multiplié par la densité de molécules N/V : P =< µ > N V La moyenne < µ > étant effectuée sur les orientations des molécules, on comprend qu en l absence d un champ externe, la polarisation d un échantillon fluide isotrope sera nulle car dans un tel fluide les molécules se trouveront dans des orientations aléatoires. En présence d un champ, les dipôles ont une certaine tendance à s aligner avec le champ et on peut avoir une polarisation non nulle. On montre que, pour les grandeurs des moments dipolaires que l on rencontre typiquement avec des molécules, et pour des températures modestes (vers 300 K), le moment moyen dans la direction du champ électrique (convenu ici comme la direction des z) est bien représenté par < µ z >= µ2 E k B T (5.4)

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 98 où µ au second membre dénote la grandeur (le module) du moment permanent d une molécule isolée (sans champ). Polarisation à hautes fréquences Quand le champ électrique appliqué change de direction dans le temps de façon périodique, comme dans le cas d une onde électromagnétique (rayonnement laser monochromatique, par exemple) de fréquence ν, le moment permanent a tendance de le suivre. À basse fréquence, ce changement de la direction du champ électrique se fait assez lentement pour permettre à la molécule de se ré-orienter, ou à la distribution de charge, électronique et nucléaire de s ajuster au nouveau champ qui s établit à chaque instant. À partir d une certaine valeur de ν, typiquement de l ordre de 10 11 Hz, la fréquence du champ est plus élevée que les fréquences de rotation moléculaire et la molécule ne peut pas se réorienter assez vite dans la direction du champ. Le moment dipolaire ne contribue pas alors à la polarisation macroscopique. On dit que la polarisation d orientation se perd à ces fréquences. De même, la polarisation de déformation, qui est celle due à la modification des positions des noyaux, une déformation de la géométrie nucléaire induite par le champ même, se perd quand ν atteint des valeurs atteignant ou dépassant les fréquences vibrationnelles de la molécule. La polarisation de déformation disparait donc à partir de l infra-rouge. À des fréquences encore plus élevées, dans la région visible, seuls les électrons sont suffisamment mobiles pour suivre les fluctuations périodiques du vecteur champ électrique. La polarisation qui persiste dans cette gamme de fréquence est appelée polarisation électronique. 5.1.5 Permittivité relative Le potentiel d interaction entre deux charges q 1 et q 2 séparées par une distance r dans le vide est donné par la loi de Coulomb V (r) = q 1q 2 (4πɛ 0 )r

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 99 La même forme d interaction prévaut dans un milieu matériel quelconque, à l exception du fait que la permittivité du vide doit etre remplacée par la permittivité ɛ du milieu. V (r) = q 1q 2 (4πɛ)r On définit la permittivité relative ou constante diélectrique du milieu par ɛ r = ɛ ɛ 0 Cette quantité est grande pour un milieu constitué de molécules polaires ou fortement polarisables. L équation de Debye relie ɛ r d une substance pure aux propriétés électriques moléculaires : ɛ r 1 ɛ r + 2 = ρp M (5.5) où ρ est la masse volumique de la substance, M sa masse molaire et P est la polarisation molaire définie par P = N A 3ɛ ( α + µ2 3k B T ) (5.6) N A étant le nombre d avogadro. La mesure de la constante diélectrique (ɛ r ) d une substance à différentes températures permet donc, à travers eqs.(5.5) et (5.6), de déterminer la grandeur du moment dipolaire permanent µ et celle de la polarisabilité α des molécules constituant le milieu. 5.2 Forces intermoléculaires 5.2.1 Interaction ion-dipôle Par des considérations d électrostatique assez simple, on peut montrer que l énergie potentielle d interaction entre un dipôle µ 1 = q 1 l et une charge ponctuelle q2 placée à une position r par rapport au centre du dipôle est V (r) = µ 1q 2 cos θ (5.7) (4πɛ 0 )r2

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 100 ou r = r, l = l et θ est l angle formé entre r et l. Cette équation est valide pour r l, c est-à-dire que la distance séparant les charges au sein du dipôle est bien plus faible que celle séparant la charge q 2 du dipôle lui-même. On parle alors de dipôle et de charge ponctuels. L équation (5.7) est prise comme définissant l énergie d interaction ion-dipôle : elle décroît donc avec la distance comme r 2. 5.2.2 Interaction dipôle-dipôle L énergie d interaction entre deux dipôles, l un de grandeur µ 1 = q 1 l 1, l autre de grandeur µ 2 = q 2 l 2, séparés l un de l autre par une distance r, et formant un angle de θ entre eux, est V (r) = µ 1µ 2 (4πɛ 0 )r 3 (1 3 cos 2 θ) (5.8) Encore une fois, cette expression n est valide que dans l approximation des dipôles ponctuels. Qualitativement, on notera que l énergie d interaction dipôle-dipôle décroît avec la distance entre les deux dipôles comme r 3, donc plus rapidement que celle entre un ion et un dipôle ou celle entre deux ions (potentiel de Coulomb). Ceci peut décrire l interaction de deux molécules polaires en phase gazeuse, figée dans une orientation donnée, c.à d. sans rotation. Quand l on tient compte de la rotation des deux molécules à la distance r, on obtient plutôt une interaction moyenne qui tombe avec r comme r 6. La forme précise de cette interaction dipôle-dipôle moyenne est donnée par la formule de Keesom : < V (r) >= C r 6, C = 2µ 2 1µ 2 2 3(4πɛ 0 ) 2 k B T (5.9) k B étant la constante de Boltzmann et T la température absolue. On notera que cette interaction moyenne est attractive (< V > est négative toujours) et que, en plus de décroître avec r comme r 6, elle est inversément proportionnelle à la température : À plus haute température, une plus grande agitation thermique tend à faire que les effets d orientation des dipôles s annulent.

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 101 5.2.3 Interaction dipôle-dipôle induit Par des considérations d électrostatique, on peut montrer qu un dipôle µ 1 engendre un champ électrique E( r) de grandeur E = 2µ 1 (4πɛ 0 )r 3 Ce champ induira un moment dipolaire de grandeur µ 2 = α 2 E = 2α 2µ 1 (4πɛ 0 )r 3 dans une molécule (polaire ou non-polaire), de polarisabilité α 2, placée au point r, à la distance r de µ 1. De plus, le dipôle induit µ 2 est toujours parallèle à µ 1. Les deux dipôles, µ 1, le dipôle permament de la première molécule, et µ 2, le dipôle induit de la deuxième molécule, interagissent selon eq.(5.8), c est-à-dire avec une énergie d interaction qui s exprime finalement par la loi : µ 1 µ ( 2 V (r) = (4πɛ 0 )r (1 3 cos 2 2µ1 µ ) ( ) 2 2α2 µ 1 θ) 3 = θ=0 (4πɛ 0 )r 3 (4πɛ 0 )r 3 V (r) = 4α 2µ 2 1 (4πɛ 0 ) 2 r 6 (5.10) c est-à-dire une loi en 1/r 6. Il s agit d une interaction attractive. Elle dépend de la grandeur du dipôle inducteur et de la polarisabilité de la molécule dans laquelle est induit le dipôle µ 2. L agitation thermique n a aucun effet sur cette interaction qui est donc indépendante de la température. 5.2.4 Interaction dipôle induit-dipôle induit Deux molécules neutres et non polaires s attirent mutuellement quand même, en dépit du fait qu aucune d elle n a de moment dipolaire permanent. On met cette attraction sur le compte de l existence d un moment dipolaire transitoire et instantané, µ 1(2), que des fluctuations dans la distribution instantanée des électrons dans chaque molécule peuvent induire dans l autre. En fait, on imagine la distribution électronique instantanée dans la moécule 1 donnant lieu à un dipôle instantané µ 1 qui, à son tour, induit dans la molécule 2 un moment dipolaire µ 2 de sorte que les

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 102 2 dipôles sont à tout moment corrélés et parallèles. À cause de cette corrélation, l interaction moyenne entre ces deux dipôles n est pas nulle, même si ces dipôles instantanés n existent que de façon transitoire. Cette interaction, appelée interaction de dispersion ou de London, varie comme r 6, et est traduite par une loi de la forme V (r) = C r, C = 2 6 3 α 1α 2 I 1 I 2 (5.11) I 1 + I 2 où α i, i = 1, 2 sont les volumes de polarisabilités des deux espèces moléculaires en considération et I 1, I 2, leur première énergie d ionisation. L énergie d interaction de London est toujours négative : il s agit donc d une attraction. 5.2.5 Attractions, répulsions et interactions totales On voit, à travers les considérations évoquées ci-haut que l interaction électrostatique moyenne dipôle (induit)-dipôle (induit) est toujours attractive, et varie généralement comme r 6. Tant et autant que l on se limite aux interactions dipolaires et opérant entre deux molécules à la fois seulement, et ce, en phase gaseuze, l interaction d attraction totale serait donc de la forme V att (r) = C 6 r 6 (5.12) Les interactions attractives sont relativement de longue portée et dominent à des grandes distances séparant les molécules. Quand le molécules se rapprochent, des forces répulsives, répulsions nucléaires et électroniques, les dernières étant d origine quantique, tendent à l emporter sur les forces d attraction. Plusieurs formes empiriques de potentiel répulsif ont été proposées et sont définies dans des modèles distincts. Le potentiel de sphère dure est la forme la plus simple : { 0 pour r > d V (r) = pour r d Une autre forme très populaire est un potentiel répulsif en 1/r 12. Combinant celuici avec eq.(5.12), on obtient le potentiel de Lennard-Jones : V (r) = C 12 r C [ (r0 ) 12 ( ) ] 6 12 r = ɛ r0 6 (5.13) 6 r r

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 103 Les coefficients C 12 et C 6 sont des paramètres empiriques de ce type de potentiel. Leurs valeurs pour les substances les plus courantes peuvent être trouvées dans des tables. Le tableau 22.4 de Atkins, et le tableau 16.2 du livre de Chang en sont des exemples. Typiquement, une telle fonction d énergie potentielle a un comportement non-monotone tel qu illustré à la figure 5.3 : elle passe par un minimum en r = 2 1/6 r 0 = r e, ɛ étant la profondeur du puit de potentiel, c.à-d. ɛ = V (r e ). Une autre forme utile de potentiel répulsif est une fonction exponentielle, et une fonction d énergie potentielle de la forme est appelée potentiel exp-6. [ ( V (r) = ɛ exp r ) 0 r r ] 0 r 6 (5.14) FIG. 5.3 Potentiel de Lennard-Jones. Tiré de Atkins, (figure 22.17)

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 104 5.2.6 Liaison hydrogène En plus des interactions d origine électrique énumérées ci-haut, qui sont universelles, il existe une autre forme d interaction, plus proche d une interaction intramoléculaire, et appelée liaison hydrogène. Il s agit de l attraction de deux molécules, l une possédant des groupements A H, l autre contenant un atome fortement électronégatif B porteur d un doublet électronique libre, via la formation d une liaison intermoléculaire du type A H B. Les considérations de liaison hydrogène sont habituellement limitées à des atomes A, B = N, O, F quoiqu il n y a pas vraiment de limitation de principe en ce qui concerne la nature de A et B. La formation d une liaison hydrogène peut être vue comme un cas particulier du schéma de formation d orbitales moléculaires délocalisées sur trois centres, dans lequel les atomes A, H et B contribuent chacune une orbitale atomique à partir desquelles sont construites trois orbitales moléculaires, par le même principe LCAO vu au chapitre précédent. Les orbitales atomiques de A et de H sont les mêmes que celles impliquées dans la description de la liaison localisée A H, par exemple une orbitale hybride sp n de A et l orbitale 1s de H. L orbitale atomique de B impliquée dans le processus serait celle qui accomodait le doublet libre localisé sur B dans la seconde molécule. Cette vision est celle préconisée par Atkins, comme on peut le voir à la figure 5.4, tirée de ce traité. Parmi les manifestations de la liaison hydrogène, les deux plus célèbres sont, sans aucun doute, la structure de la glace et de l eau, et la structure en double hélice de l ADN. On trouvera une discussion détaillée de ces structures et de leur conséquences dans le livre de Chang (Ch. 16, sections 16.4, 16.5)

CHAPITRE 5. FORCES INTERMOLÉCULAIRES 105 FIG. 5.4 Liaison hydrogène vue comme une interaction d OA (A, B=OA de A ou de B, H=OA 1s de H), conduisant à la formation d orbitales moléculaires délocalisés sur les trois centres A, h et B. à. Tiré de Atkins, (figure 22.15)