SPORT PROFESSIONNEL Une convention collective ne peut déroger aux conditions légales de recours et de forme des CDD dans un sens moins favorable au salarié Cass. soc., 2 avr. 2014, pourvoi no 11-25.442, arrêt no 690 FS-P+B+R Les dispositions de la Convention collective du rugby professionnel, qui imposent le recrutement des joueurs professionnels par voie de CDD ne pouvant excéder cinq saisons, sont illicites et ne peuvent faire obstacle à la requalification d un CDD en CDI. Les faits Un joueur de rugby est engagé à compter du 1er juillet 2007 pour une durée correspondant à deux saisons de rugby, ce contrat devant prendre fin le 30 juin 2009. Effectivement, par avenant du 31 mai 2009, les deux parties conviennent de rompre le contrat. Les demandes et argumentations Le sportif, constatant que, contrairement à ce qu impose l article L. 1242-13 du Code du travail, ce contrat de travail ne lui avait pas été transmis dans les deux jours ouvrables suivant l embauche, en conclut, au regard de l article L. 1245-1 du Code du travail, que cela équivalait à une absence d écrit entraînant la requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée. La Cour d appel d Aix-en-Provence lui donne raison. Le Club de rugby, de son côté, brandit l article 1.3 de la Convention collective du rugby professionnel, selon lequel les contrats de travail ne peuvent, dans ce secteur, être conclus que pour une durée déterminée ne pouvant excéder cinq saisons. L article susvisé stipule en effet que «les contrats sont conclus pour une ou plusieurs saisons sportives. [...]. La durée d un même contrat ne peut être supérieure à 5 saisons sportives, y compris renouvellement tacite prévu contractuellement. Cette durée est ramenée à 3 ans pour les joueurs qui sont issus du centre de formation agréé du Club et qui signent leur premier contrat professionnel ou pluriactif. [...]. Les parties ont la faculté d insérer dans le contrat une clause prévoyant que la durée du contrat est d une ou plusieurs saisons sportives et qu à son terme le contrat sera reconduit automatiquement, sauf dénonciation expresse par l une des deux parties, pour une ou plusieurs saisons sportives supplémentaires (le nombre de saisons devant être fixé dans le contrat), sans qu il soit besoin d un nouvel accord entre les parties. [...]. Au cours de son exécution, l échéance d un engagement contractuel ne peut couvrir plus de 5 saisons
sportives». Pour l employeur, les joueurs de rugby professionnels ne pouvaient donc, en application de la convention collective, qu être embauchés pour une durée déterminée. La décision, son analyse et sa portée La Chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté l argumentation de l employeur : «Mais attendu qu une convention collective ne peut déroger, de façon défavorable pour le salarié, aux dispositions d ordre public relatives aux conditions de recours et de forme du contrat de travail à durée déterminée ; que les dispositions illicites de l article 1.3 de la Convention collective du rugby professionnel, qui imposent le recrutement des joueurs professionnels par voie de contrat de travail à durée déterminée ne pouvant excéder cinq saisons, ne peuvent faire obstacle à la requalification d un contrat de travail à durée déterminée remis au salarié après l expiration du délai de deux jours prévu à l article L. 1242-13 du Code du travail». Plusieurs enseignements sont à tirer de cet arrêt, spécifiquement en ce qu il traite du secteur particulier du sport professionnel, dans lequel il est souvent d usage de recourir au contrat de travail à durée déterminée. Les conditions de recours au CDD d ordre public Comme le souligne ici la Haute Juridiction, dès lors que les règles de recours au CDD, tant celles de fond que celles de forme, sont d ordre public, elles ne souffrent pas de dérogation défavorable. La sanction de la méconnaissance de ces règles est la requalification en un contrat à durée indéterminée. Des sanctions pénales sont aussi encourues : elles sont détaillées aux articles L. 1248-1 et suivants du Code du travail. Est d ordre public, notamment, la signature d un contrat de travail écrit (Cass. soc., 7 mars 2012, no 10-12.091, JSL, 3 mai 2012, no 321-3 ; C. trav., art. L. 1242-12). Ce contrat écrit est à transmettre au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables qui suivent l embauche (C. trav., art. L. 1242-13), une transmission tardive équivalant à une absence d écrit (Cass. soc., 4 févr. 2009, no 07-42.125 ; Cass. soc., 17 juin 2005, no 03-42.596, JSL, 26 juill. 2005, no 172-7 ; Cass. soc., 16 févr. 2012, no 10-22.894 à propos d un contrat emploi-jeune à durée déterminée). Un contrat transmis dans les temps mais non signé s assimile également à une absence d écrit (Cass. soc., 30 oct. 2002, no 00-45.677). Remarquons toutefois qu il est inutile de refuser de signer un contrat à durée déterminée
dans l espoir d obtenir une requalification en contrat à durée indéterminée : les tribunaux la refuseront si l intention frauduleuse est avérée (Cass. soc., 24 mars 2010, no 08-45.552, JSL, 21 mai 2010, no 277-6). On rappellera également que les contrats de travail à durée déterminée doivent impérativement comporter les mentions listées à l article article L. 1242-12 du Code du travail, en particulier la définition précise du motif de recours, la désignation du poste de travail, le montant de la rémunération et de ses différentes composantes, la date du terme du contrat ou une durée minimale à défaut de terme précis et l intitulé de la convention collective applicable le cas échéant. Dans l hypothèse d un remplacement, le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée sont à mentionner. Quant aux règles de fond, la loi a limitativement énuméré les cas de recours aux contrats à durée déterminée, en précisant que ces contrats ne peuvent être conclus que dans certains cas de remplacement, ou en cas d accroissement temporaire de l activité de l entreprise, ou pour pouvoir des emplois à caractère saisonnier, ou dans le cadre de CDD d usage dans certains secteurs définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu (C. trav., art. L. 1242-2). Il est également possible d y faire appel dans le cadre de dispositifs légaux d aide au recrutement de catégories de personnes sans emploi ou cherchant un complément de formation professionnelle étendu (C. trav., art. L. 1242-3). Une convention collective ne peut pas déroger défavorablement à ces règles d ordre public Les règles qui précèdent sont déjà bien connues et maintes fois rappelées par les juridictions. Ce ne sont pas elles qui ont motivé la publication de notre arrêt au rapport annuel de la Cour de cassation. L intérêt de cette affaire est en effet d affirmer qu une convention collective ne peut déroger de façon défavorable aux dispositions d ordre public régissant les conditions de recours et de forme du contrat de travail à durée déterminée évoquées ci-dessus. En d autres termes, une disposition conventionnelle ne peut avoir pour objet ou pour effet de contrer les conditions de recours et les exigences de forme liées aux CDD, en imposant un contrat à durée déterminée là où la loi considère qu il y a contrat à durée indéterminée.
Cela renforce la jurisprudence antérieure, qui considérait déjà qu une convention collective qui permet que des contrats de travail ne soient conclus que pour une ou plusieurs saisons sportives ne protège pas d une requalification en CDI ce type de contrat à durée déterminée, par exemple lorsque le contrat n indique pas de motif précis de recours (Cass. soc., 7 mars 2012, no 10-19.073, JSL, 3 mai 2012, no 321-11, qui concernait la convention collective du sport). On remarquera toutefois que rien n empêche qu une convention collective adopte des dispositions plus protectrices que le Code du travail en ce qui concerne le recours au CDD, en exigeant par exemple une transmission du contrat de travail au plus tard le jour de l embauche au lieu d une transmission dans les deux jours ouvrables qui suivent l embauche (C. trav., art. L. 1242-12). Le caractère illicite des dispositions sur la durée du contrat de travail de la Convention collective du rugby professionnel Dans notre affaire, il faut souligner que la Cour de cassation va plus loin en déclarant illicites les dispositions conventionnelles qui imposent le recrutement des joueurs professionnels par voie de contrat de travail à durée déterminée ne pouvant excéder cinq saisons. Le CDD doit être l exception et non la règle, et ce même dans le secteur du sport professionnel. Dorénavant, les rugbymen pourront donc être embauchés en contrat de travail à durée indéterminée et la limite des cinq saisons ne peut plus jouer. Et cela même si, pour certains joueurs, un contrat de travail à durée déterminée peut être plus avantageux, en assurant un salaire sur plusieurs années, alors qu un contrat de travail à durée indéterminée expose plus facilement à une rupture de contrat de travail (voir Chronique de la JSL no 104 du 27 juin 2002). Même dans les secteurs où il est d usage de recourir au CDD, la requalification en CDI est possible Le sport professionnel fait partie de la liste de l article D. 1242-1 du Code du travail définissant les secteurs d activités dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Mais, comme le démontrent l arrêt ici commenté et l arrêt du 7 mars 2012 susmentionné, les sportifs professionnels engagés pour une durée déterminée pour une ou plusieurs saisons peuvent obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée de leur contrat si les conditions légales de recours et de forme régissant les contrats à durée déterminée ne sont pas respectées.
Pour conclure, nous rappellerons que ce qui est vrai pour les contrats à durée déterminée l est très souvent pour l intérim: les conventions collectives, qu elles régissent le sport professionnel ou un autre domaine, ne peuvent donc être moins favorables que la loi quant aux conditions de recours à des travailleurs intérimaires et aux conditions de forme des contrats de missions afférents. TEXTE DE L ARRÊT LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l arrêt suivant : Attendu, selon l arrêt attaqué, que M. X... a conclu avec la société Rugby club toulonnais (RCT), le 19 février 2007, un «pré-contrat de travail» par lequel il était engagé en qualité de joueur de rugby à compter du 1er juillet 2007 pour une durée correspondant à deux saisons de rugby et prenant fin le 30 juin 2009, moyennant une rémunération mensuelle nette de 17 000 euros outre le remboursement de billets d avion, la prise en charge d un logement à hauteur de 1 000 euros maximum et la mise à disposition d un véhicule ; que par un contrat du 13 juillet 2007 à effet du 1er juillet, M. X... a été engagé en qualité de joueur de rugby pour les deux mêmes saisons sportives, moyennant un salaire mensuel brut de 9 915 euros, outre des avantages en nature, dont une prise en charge du loyer à hauteur de 880 euros, d un véhicule à hauteur de 525 euros, 8 000 euros annuels pour les billets d avion ; que par avenant du 31 mai 2009, la société RCT et le joueur ont convenu de rompre le contrat du 13 juillet 2007 ; que ce dernier a saisi la juridiction prud homale de diverses demandes ; [...] ; Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : Attendu que le club fait grief à l arrêt de requalifier le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et de le condamner au paiement de diverses sommes à titre d indemnités de requalification et au titre de la rupture, alors, selon le moyen, qu il résulte de l article 1.3 de la convention collective du rugby professionnel que les contrats de travail ne peuvent être conclus que pour une durée déterminée ne pouvant excéder cinq saisons ; qu en requalifiant le contrat de travail à durée déterminée du 13 juillet 2007 en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d appel a violé les articles 1.3 de la convention collective du rugby professionnel et 1134 du code civil ; Mais attendu qu une convention collective ne peut déroger, de façon défavorable pour le salarié, aux dispositions d ordre public relatives aux conditions de recours et de forme du contrat de travail à durée déterminée ; que les dispositions illicites de l article 1.3 de la convention collective du rugby professionnel, qui imposent le recrutement des joueurs professionnels par voie de contrat de travail à durée déterminée ne pouvant excéder cinq saisons, ne peuvent faire obstacle à la requalification d un contrat de travail à durée déterminée remis au salarié après l expiration du délai de deux jours prévu à l article L. 1242-13 du code du travail ; que par ce motif de pur droit substitué, le moyen se trouve légalement justifié ;
Mais, sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : Vu l article 1134 du code civil ; Attendu que pour condamner le club à payer la somme de 100 000 euros en application de la clause pénale stipulée au pré-contrat du 19 février 2007, l arrêt retient que quand bien même le contrat de travail à durée déterminée stipule, à l instar de la clause figurant dans le contrat-type de la Ligue nationale de rugby, une clause selon laquelle «tous les contrats (ou accords) passés antérieurement entre le club et le joueur sont annulés», il n en demeure pas moins que, d une part, la signature du contrat à durée déterminée a pour principal objet de ratifier le pré-contrat et, d autre part, le joueur n a à aucun moment consenti expressément et de manière non équivoque aux dispositions de ce pré-contrat devant être reprises dans le contrat, notamment celles relatives à la rémunération ; Qu en statuant ainsi, alors que le contrat signé le 13 juillet 2007 stipulait que tous les contrats ou accords antérieurs conclus entre le club et le joueur étaient annulés, ce dont il résultait que le pré-contrat du 19 février 2007 était saisi par cette clause d annulation, la cour d appel, a violé le texte susvisé ; Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche : Vu l article 455 du code de procédure civile ; Attendu que pour condamner le club à payer certaines sommes à titre d indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents et pour rupture abusive du contrat, l arrêt retient qu il n est pas sérieusement discuté qu à la date du 31 mai 2009, en l état du contrat à durée indéterminée dont le salarié peut rétroactivement se prévaloir, le club ne lui a plus fourni aucun travail et a rompu de fait la relation de travail avec le joueur, sans lui avoir adressé une quelconque lettre de licenciement énonçant la cause réelle et sérieuse de la rupture ; Qu en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du club soutenant que la rupture était intervenue d un commun accord le 31 mai 2009, la cour d appel n a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu il condamne la société Rugby club toulonnais à payer à M. X... les sommes de 100 000 euros en application de la clause pénale, 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, 12 170 euros à titre d indemnité compensatrice de préavis outre 1 217 euros au titre des congés afférents, l arrêt rendu le 30 août 2011, entre les parties, par la cour d appel d Aix-en-Provence ; [...].