ECOLE POLYTECHNIQUE. Michel Balinski Rida Laraki. 13 avril 2007 CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

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Transcription:

ECOLE POLYTECHNIQUE CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE Le jugement majoritaire : description détaillée Michel Balinski Rida Laraki 13 avril 2007 Cahier n 2007-06 LABORATOIRE D'ECONOMETRIE 1 rue Descartes 75005 Paris (33) 1 55558215 http://ceco.polytechnique.fr/ mailto:lyza.racon@shs.poly.polytechnique.fr

Le jugement majoritaire : description détaillée Michel Balinski et Rida Laraki École Polytechnique et C.N.R.S., Paris Quand il s agit d élire une personne parmi plusieurs, l électeur n a d habitude que le choix de désigner un seul candidat. En France, un second tour intervient si aucun candidat n obtient une majorité absolue au premier tour. L électeur qui aimerait s exprimer ne peut le faire qu à travers un message très limité. Mais un mode de scrutin n est qu une règle parmi beaucoup d autres dont l objectif est de choisir le candidat réellement voulu par l électorat. Un nouveau mode de scrutin le jugement majoritaire (JM) demande à l électeur d évaluer chaque candidat en lui donnant une note entre 0 et 20, entre à rejeter et très bien (ou toute autre échelle d évaluation comprise par l électorat). Un mode de scrutin est défini par les messages envoyés par les électeurs, c est-à-dire leur bulletin de vote, et la méthode de classement utilisée pour les comptabiliser. Le mode de scrutin désigne l élu. Tout aussi important il permet aux électeurs de s exprimer et il donne à tous la possibilité d analyser et d interpréter le message de l électorat entier. Les messages. Un bulletin de vote est un message qui n indique qu imparfaitement l opinion et les préférences d un électeur. L ensemble des messages des électeurs est supposé exprimer la volonté de l électorat. Mais dans la grande majorité des pays l électeur ne peut envoyer comme message que le nom d un seul candidat ou d aucun (en votant blanc). En conséquence ce mode de scrutin n envoie qu un message de volonté très imparfait. Ces défauts sont bien connus des Français : en témoignent le choix auquel ils étaient contraint au deuxième tour des présidentielles en 2002 et l énigme stratégique habituelle d un premier tour voter selon son cœur ou voter utile? Le jugement majoritaire demande aux électeurs d évaluer les candidats selon une échelle de niveaux connue de tous : de 0 au plus bas à 20 au plus haut ; ou de à rejeter, insuffisant, passable, assez bien, bien, à très bien; ou dans tout autre language commun aux électeurs leur permettant d évaluer les candidats. Cela leur donne la possibilité d envoyer un message bien plus explicite et les appelle à exercer leur sens civique de façon bien plus sérieuse. Ne serait-ce pas aussi une plus forte incitation à participer au vote? 1

La méthode de classement. Le but est d affecter à partir de l ensemble des notes données par les électeurs à un candidat sa note finale conférée par l électorat entier la note-majoritaire puis de classer les candidats selon leurs notes le classement-majoritaire. Le premier du classement est l élu. La note-majoritaire est donnée dans le language des notes : un nombre entre 0 et 20 ou une mention entre à rejeter et très bien. Imaginez que toutes les notes attribuées à un candidat soient rangées de la pire à la meilleure. Quand le nombre d électeurs est impair, la note-majoritaire r est celle qui se situe au milieu. Par exemple, si les notes (sur 20) d un candidat quand il y a 9 votants étaient (9, 12, 15, 15, 15, 15, 16, 16, 17), sa note-majoritaire serait 15 (en gras). Quand le nombre d électeurs est pair, deux notes sont situées au milieu : la notemajoritaire est la plus petite des deux. Par exemple, si les notes (sur 20) d un candidat quand il y a 10 votants étaient (9, 12, 14, 15, 15, 16, 16, 16, 16, 17), les notes du milieu seraient 15 et 16, donc sa note-majoritaire serait 15. Exactement la même idée s applique avec n importe quel nombre d électeurs. Quand il s agit d une élection présidentielle et chaque candidat a des millions de notes ou de mentions, la distinction entre pair et impair n est naturellement pas nécessaire (à l exception très peu probable d équivauts). La note-majoritaire r d un candidat est la meilleure parmi ses notes approuvée par une majorité absolue ; c est-à-dire, plus de 50% des électeurs donnent au moins la note r au candidat mais toute note supérieure à r est rejetée par une majorité absolue. Une note finale autre que la note-majoritaire n aurait jamais le soutien d une majorité absolue des électeurs. La note-majoritaire est ainsi la note finale voulue par la majorité. Dans le premier exemple, (9, 12, 15, 15, 15, 15, 16, 16, 17), seulement 2 (sur 9) électeurs voteraient pour une note inférieure à 15, et seulement 3 (sur 9) électeurs voteraient pour une note supérieure à 15. Dans le deuxième exemple, (9, 12, 14, 15, 15, 16, 16, 16, 16, 17), seulement 3 (sur 10) électeurs voteraient pour une note inférieure à 15, et seulement 5 (sur 10) pour une note supérieure à 15. Le classement-majoritaire range les candidats selon les notes-majoritaires. Si la note-majoritaire d un candidat A est meilleure que celle d un candidat B, alors A est classé devant B (noté A B). Si deux candidats ont la même note-majoritaire alors cette note commune est mise à part chez les deux candidats, et la note-majoritaire entre les notes qui restent à chaque candidat est calculée. Si une est meilleure que l autre, elle designe le candidat qui est classé devant l autre. Si, au contraire, les secondes notes-majoritaires sont les mêmes, elles sont misent à part comme avant et les troisièmes notes-majoritaires des candidats sont calculées ; et ainsi de suite, jusqu à ce qu un candidat soit classé devant l autre. Un des deux sera classé devant l autre sauf si les deux candidats ont exactement les mêmes notes. Tout cela peut être résumé par la valeur-majoritaire de chaque candidat, obtenue en continuant la procédure jusqu à la fin. La suite de la première, la seconde, la troisième,..., jusqu à la n-ième note-majoritaire d un candidat (quand il y a n électeurs), écrite comme nombre est sa valeur-majoritaire : si, 2

par exemple, il y a 4 électeurs et les notes d un candidat sont (14, 13, 16, 9) = (9, 13, 14, 16) alors sa valeur-majoritaire serait 13,140916. L ordre des valeursmajoritaires donne le classement des candidats. Une théorie générale montre que la note-majoritaire et l ordre déterminé par la valeur-majoritaire sont les uniques choix judicieux parmi tous les choix possibles. 1 En particulier: (1) L énigme stratégique habituelle des premiers tours est éliminée : la meilleure stratégie d un électeur est de toujours attribuer la note que mérite selon lui un candidat, ni plus, ni moins, quand la note finale est la note-majoritaire r. Car si, pour l électeur, le candidat mérite plus que sa note finale r, monter sa note ne changerait pas la note finale ; et si, pour l électeur, le candidat mérite moins que sa note finale r, baisser sa note ne changerait pas la note finale. (2) Ajouter ou éliminer des candidats mineurs (tels Madelin, Mégret ou Taubira en 2002, ou Besancenot, Buffet, Laguiller ou Nihous en 2007) des bulletins de vote ne change en rien les notes-majoritaires ou valeurs-majoritaires des candidats majeurs et donc leur classement-majoritaire, évitant ainsi la crise des élections présidentielles de 2002 (et une crise éventuelle en 2007). Exemple : notation sur 20. Soient A, B, C, et D quatre candidats avec les notes indiquées : A B C D 17 14 16 20 16 14 16 20 16 14 14 16 16 13 13 14 15 13 13 12 14 13 13 08 13 11 13 08 11 10 07 06 08 07 00 04 Les notes-majoritaires sont : 15 pour A, 13 pour B et C, 12 pour D. Leurs valeurs-majoritaires les classent (les précisions inutiles sont omises) : A C B D 15,... > 13,131313... > 13,131311... > 12,... Règle supplémentaire : Ne pas noter un candidat (ou voter blanc) est interprété comme un 0 (ou à rejeter) : ainsi, si une majorité absolue des électeurs ne notent pas un candidat, la note-majoritaire du candidat est 0 (ou à rejeter). 1 Michel Balinski et Rida Laraki, A theory of measuring, electing and ranking, à paraître dans Proceedings of the National Academy of Sciences, USA ; et Michel Balinski et Rida Laraki, One-Value, One-Vote: Measuring, Electing and Ranking, ouvrage à paraître. 3

Exemple : mentions. Élection du Président de la République 2007 : Pour présider la France, ayant pris tous les éléments en compte, je juge en conscience que ce candidat serait : Olivier Besancenot Marie-George Buffet Gérard Schivardi François Bayrou José Bové Dominique Voynet Philippe de Villiers Ségolène Royal Frédéric Nihous Jean-Marie Le Pen Arlette Laguiller Nicolas Sarkozy Tr. Bien Bien Ass. Bien Pass. Insuff. A Rejeter Cochez une seule mention dans la ligne de chaque candidat. Ne pas cocher une mention dans la ligne d un candidat revient à le rejeter. Le language de ce bulletin de vote utilise l échelle : à rejeter, insuffisant, passable, assez bien, bien, très bien. Dans ce cas l exemple ci-dessus pourrait être : A B C D très bien bien très bien très bien très bien bien très bien très bien très bien bien bien très bien très bien bien bien bien bien bien bien bien bien bien bien insuffisant bien passable bien insuffisant passable passable insuffisant insuffisant insuffisant insuffisant à rejeter à rejeter Tous ont la même note-majoritaire : bien. Les valeurs-majoritaires les classent comme avant (les précisions inutiles sont omises, tr-bn=très bien, bn=bien, pass=passable, insuff=insuffisant) : A C B D bn,bn,tr-bn,... > bn,bn,bn,bn,... > bn,bn,bn,pass,... > bn,insuff,... 4