EPO ET FER EN PÉRI-OPÉRATOIRE : LES BONNES RÈGLES DE PRESCRIPTION Nadia Rosencher Service d Anesthésie-Réanimation, Hôpital Cochin, AP HP, 27, rue du Faubourg-St-Jacques, 75679 Paris Cedex 14, E-mail : nadia.rosencher@ cch.aphp.fr INTRODUCTION Nouveau paradigme : pas d anémie, pas de transfusion L anémie préopératoire est un facteur indépendant de mortalité postopératoire à 1 et 3 mois, mais la transfusion est aussi un facteur indépendant de mortalité [1, 2]. Il faut donc bien sûr, corriger une anémie, mais aussi évaluer le saignement total pour une intervention donnée pour prescrire EPO et Fer afin d atteindre l objectif d une intervention sans transfusion. En général, il est nécessaire d atteindre la valeur cible de 14 à 15 g d Hb par dl maximum pour éviter une transfusion pour une chirurgie orthopédique hémorragique prothétique. 1. CORRIGER L ANÉMIE PRÉOPÉRATOIRE DIAGNOSTIQUÉE EN CONSULTATION La définition de l anémie selon l OMS est Hb < 13 g.dl -1 chez l homme et < 12 g.dl -1 chez la femme. L anémie préopératoire est retrouvée très fréquemment en chirurgie orthopédique majeure [3, 4]. La transfusion est d ailleurs 3 fois plus élevée dans la population anémique dans le cadre d une prise en charge chirurgicale programmée orthopédique lourde [5]. La cause de ces anémies est le plus souvent carentielle avec 17 % de carence en fer dans une étude chez les plus 65 ans [4]. Cette carence est liée à l âge, aux maladies inflammatoires, aux pertes sanguines, et aux troubles d absorption principalement. Elle induit une anémie microcytaire. Sur le plan biologique pour la distinguer d une anémie microcytaire en lien avec une pathologie chronique, il faut réaliser des dosages complémentaires dont l analyse fine permet de faire la part des choses. Il faut retenir que le métabolisme du Fer est géré par une hormone (Figures 1 et 2) : l Hepcidine [6, 7]. Quand son taux augmente, cette hormone va diminuer, voire empêcher la réabsorption du Fer oral et au contraire augmenter et favoriser cette absorption quand son taux est bas ceci implique que toute inflammation et/ou insuffisance rénale, même
446 MAPAR 2014 modérée, va limiter fortement l absorption du fer oral, nécessitant la prise de FER IV pour corriger l anémie. Tableau I Détection, évaluation et traitement d une anémie préopératoire en chirurgie orthopédique réglée [1] Hb < 12 g.dl -1 (Femme) et < 13 g.dl -1 (Homme) Bilan martial? Ferritine < 30 µg.l -1 et/ou TST < 15-20 % Anémie ferriprive CS Gastro-entérologie Ferritine 30-70 µ/g.l -1 et/ou TST > 20 % Carence martiale Associée à un syndrome inflammatoire? Ferritine > 70 µg.l -1 et/ou TST > 20 % pas de carence Basse Clairance créatinine Insuffisance rénale Normale CS néphrologie Vitamine B 12 et/ou folate Normale Anémie "inflammatoire" Basse Traitement martial 1) per os 2) IV si intolérance, malabsorbtion, ou sévère EPO + Fe? Vitamine B 12 et/ou Folate Figure 1 : métabolisme du Fer [7]
Hémostase 447 Figure 2 : Metabolisme du Fer et rôle de l Hepcidine [7] Ces anémies peuvent être parfois facilement corrigées. Elles doivent impérativement être diagnostiquées en préopératoire et traitées. L impact de ces stratégies préopératoires peut être considérable. Dans son travail, l équipe de Beattie démontre que la transfusion est, même associée à une augmentation de la mortalité à 90 jours, proportionnelle au volume transfusé [2] avec certainement un risque supérieur chez les sujets fragiles (cardiaques, âgés ). Plus récemment, un registre américain portant sur plus de 220 000 patients montrait que 30 % avaient une anémie préopératoire. Cette anémie non seulement augmentait significativement la mortalité, mais toutes les causes de comorbidité étaient aggravées chez un patient anémique [8]. Récemment, une revue systématique de la littérature effectuée par un panel multidisciplinaire coordonnée par NATA avec la participation de 3 autres sociétés savantes (European Federation of National Associations of Orthopaedics and Traumatology EFORT, Spine Society of Europe SSE et European Society of Anesthesiology ESA) a permis la rédaction d un consensus structuré sur la prise en charge des anémies préopératoires [1]. Ce consensus énonce qu il faut évaluer en chirurgie programmée le taux d hémoglobine préopératoire environ 4 semaines avant l intervention (Grade 1A). Les objectifs à se fixer pour définir une anémie peuvent être ceux de l Organisation Mondiale de la Santé (Femme 12 g.dl -1, Homme 13 g.dl -1 ) (Grade 2c). En cas d anémie préopératoire, une recherche étiologique (déficit nutritionnel, insuffisance rénale chronique et/ou d une maladie inflammatoire) est nécessaire par des tests biologiques [1]. Les carences si elles existent doivent être traitées en associant éventuellement une stimulation de l érythropoïèse (Grade 2a).
448 MAPAR 2014 2. L ÉRYTHROPOÏÉTINE HUMAINE RECOMBINANTE (RHUEPO OU EPO) Pour envisager cette technique, il faut disposer d un délai minimal de trois semaines avant l intervention. Son administration entraîne une augmentation dose dépendante de la masse érythrocytaire. Elle doit être administrée par voie parentérale. L EPO a d abord été utilisée pour augmenter l efficacité de la transfusion autologue programmée (TAP), puis en administration péri-opératoire en chirurgie orthopédique. Toutefois, l impact de l EPO sur la réduction de l exposition à la transfusion homologue n a été démontré que chez les patients modérément anémiques (hématocrite compris entre 30 et 39 %) avant chirurgie orthopédique [5, 9-11]. C est d ailleurs l indication reconnue par l Agence européenne du médicament. Cependant, les recommandations sur la transfusion de Globules Rouges, autorise son utilisation dans toute chirurgie avec saignement prévisible important [11]. Il est recommandé une posologie de 600 unités par kg par semaine par voie sous-cutanée en commençant 21 jours avant l intervention, soit quatre injections au total. Un traitement martial per os ou IV doit être associé. Le traitement doit être interrompu si la [Hb] excède 15 g.dl -1. Une étude a montré que deux injections seulement étaient nécessaires chez 63 % des patients [12]. Il est logique d admettre que le nombre d injections nécessaires pour atteindre le même seuil d Hb la veille de l intervention est totalement corrélé à l Hb basale [13]. Essentiellement liées à une augmentation rapide et importante de l hématocrite, les complications à redouter sont surtout des thromboses artérielles (accident vasculaire cérébral récent, infarctus du myocarde récent, artérite) aucune étude actuelle, et même la méta-analyse [14] n ont retrouvé une augmentation du risque de thrombose veineuse profonde (TVP) (d ailleurs, un antécédent de TVP ou d embolie pulmonaire ne sont pas une contre-indication à l EPO). Il faut retenir que chaque injection d EPO associée à du fer oral augmente l Hématocrite de 2 % en moyenne. En fait, le principal inconvénient de l EPO est son coût élevé, qui invite à restreindre son usage aux situations où ses avantages sont bien établis. En pratique la prescription d EPO devrait se faire selon l Hb basale en consultation d anesthésie [13]. Pour obtenir une Hb entre 14 et 15 g.dl -1 maximum à J-1, il suffit de s adapter à l Hb du patient en consultation d Anesthésie : soit 4 injections d EPO si Hb = 10 g.dl -1 3 injections si Hb = 11 g.dl -1 2 injections si Hb = 12 g.dl -1 1 seule injection si Hb = 13 g.dl -1 Attention, les laboratoires de prélèvements sanguins demandent aux patients de venir à jeun pour un prélèvement sanguin et il est courant de noter une Hb faite en ville faussement supérieure à l Hb à l arrivée à l hôpital. En effet, si le patient n a pris aucun liquide depuis > 8 h, la valeur d Hb peut être augmentée de 0,8 à 1 g.dl -1. C est pourquoi, cette question devrait toujours être abordée en consultation permettant de rectifier si nécessaire. En cas d inefficacité de l EPO il faut rechercher une cause de mauvaise absorption du fer.
Hémostase 449 3. LE FER Le premier choix est le fer oral, de faible coût et pratique à administrer en sachant que son absorption est optimale à jeun, réduite par les antiacides, IPP, certains aliments (thé ), très réduite en cas de syndrome inflammatoire et que sa tolérance digestive est plutôt mauvaise avec une observance médiocre. De plus, il existe des interférences médicamenteuses peu connues comme la levothyroxine et certains antibiotiques. La dose nécessaire avec un traitement par EPO est de 200 à 300 mg par jour. Le fer injectable est recommandé dans les cas : D intolérance au fer oral. En cas de malabsorption. De syndrome inflammatoire (le fer oral est alors inefficace). D Insuffisance rénale. De prise de médicament interférant avec le fer oral. En cas de nécessité clinique de reconstituer rapidement les réserves. En effet, même en cas de Ferritinémie normale, la prescription de fer est indispensable car la ferritine est une réserve de fer qui libère trop lentement le fer dans la circulation par la transferrine. Les contre-indications du fer sont actuellement l hémosiderose, et l infection. Un nouveau Fer IV, autorisé en perfusion de 15 minutes à la dose de 1000 mg, permet de supplanter le fer per os avec l EPO en cas de mauvaise tolérance (20 %) ou mauvaise absorption du Fer per os, facilitant ainsi la correction de l anémie et l efficacité de l EPO. Il s agit d un carboxymaltose ferrique (Ferinject ) qui offre un ph neutre [5-6] et une osmolarité physiologique et une meilleure tolérance, ainsi, on note l absence de réactions anaphylactiques induites par les fer dextrans, pas de dosage limité autorisé pour le fer saccharose et pas de nécessité d une longue durée d application comme pour le fer saccharose (Venofer ). En effet, le Venofer s administre au maximum 300 mg en perfusion d 1,5 h avec un intervalle de 48 h entre 2 perfusions alors que Ferinject peut s administrer sur 15 minutes pour 1000 mg ; cette perfusion courte, voire la possibilité de bolus, permettrait une meilleure planification et organisation des soins (hôpital de jour). Il semble que les effets secondaires du Fer IV sont liés au poids moléculaire du complexe de FER (Figure 3) [15] Figure 3 : Poids moléculaire et toxicité du Fer [15]
450 MAPAR 2014 Tableau II Posologie et mode d administration du carboxymaltose Ferinject Fer Quantité maximum de solution stérile de Chlorure de sodium à 9 % Durée minimum d administration 2 à < 4 ml 100 à < 200 mg 50 ml - 4 à < 10 ml 200 à < 500 mg 100 ml 6 min 10 à 20 ml 500 à 1 000 mg 250 ml 15 min Remarque : pour des raisons de stabilité, les dilutions à des concentrations inférieures à 2 mg de fer par ml ne sont pas autorisées. En postopératoire, ne pas hésiter après un traitement par EPO de prescrire du Fer IV une seule fois à J+1 juste avant de supprimer les perfusions (sans dépasser 20 mg.kg -1 par semaine) car associé aux réticulocytes très élevés après EPO, la fabrication des globules rouges devrait être accélérée, d autant plus que le syndrome inflammatoire postopératoire ne permet pas la réabsorption orale du fer. Chez les personnes âgées, l alimentation est souvent pauvre en fer et la récupération d une anémie est souvent difficile en postopératoire. L administration intraveineuse de fer dans un contexte d anémie permet d aider les réticulocytes à produire des globules rouges. Ainsi, actuellement avant la consultation d anesthésie, sont prescrits systématiquement par les chirurgiens les dosages suivants : Une numération sanguine pour rechercher une anémie. Une Ferritinémie et un coefficient de saturation de la transferrine qui permettra de détecter une malabsorption du fer. Une créatininémie pour apprécier l insuffisance rénale. Une CRP pour la recherche de l inflammation. CONCLUSION Le nouveau paradigme est maintenant «corriger l anémie préopératoire, et éviter une transfusion diminuera la mortalité». C est pourquoi, il faut se donner le temps de voir les patients à risque hémorragique pour corriger l anémie et prescrire le nombre d injections d EPO nécessaires, selon l Hb de base mais toujours en association avec du Fer. Le carboxymaltose permet avec une seule injection de 1000 mg en hôpital de jour d éviter la prise orale du fer pendant un mois et d assurer une bien meilleure efficacité de l EPO. Le Fer IV va aussi, probablement, diminuer le nombre d injections d EPO en augmentant son efficacité. En postopératoire les recommandations sur le seuil transfusionnel de 2002 [11] restent valables, mais il faut actuellement tendre vers une personnalisation de la prescription transfusionnelle en s adaptant au besoin de chaque malade, à chaque service (éloignement d un ETS, problème de personnel pour récupérer le sang en temps et en heure ) et à la cinétique de chaque intervention.
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