Particularités de l obésité chez la personne âgée



Documents pareils
L obésité et le diabète de type 2 en France : un défi pour la prochaine décennie. DANIEL RIGAUD CHU de Dijon

Surpoids et obésité de l adulte : prise en charge médicale de premier recours

Obésité et psoriasis Données actuelles et questions au spécialiste en nutrition

Après chirurgie bariatrique, quel type de tissu adipeux est perdu? Dr Emilie Montastier Hôpital Larrey, Toulouse

Dr Ottaviani Service de Rhumatologie Hôpital Bichat Staff du 23 Mai 2014

Sport et maladies métaboliques (obésité, diabète)

LIGNES DIRECTRICES CLINIQUES TOUT AU LONG DU CONTINUUM DE SOINS : Objectif de ce chapitre. 6.1 Introduction 86

L APS ET LE DIABETE. Le diabète se caractérise par un taux de glucose ( sucre ) trop élevé dans le sang : c est l hyperglycémie.

GUIDE D INFORMATIONS A LA PREVENTION DE L INSUFFISANCE RENALE

LE PSORIASIS ET SES CO-MORBIDITES PARTICULIEREMENT LE DIABETE

PROGRESSEZ EN SPORT ET EN SANTÉ. Mieux vivre avec ma maladie chronique, Me soigner par l activité physique Programmes Santé

REPOUSSER LES LIMITES DE LA CHIRURGIE BARIATRIQUE DANS LES OBESITES MASSIVES AVEC COMORBIDITES

Le VIH et votre cœur

Transplantation pulmonaire et mucoviscidose. Optimiser la prise en charge médicale

Carlo Diederich Directeur Santé&Spa. Tél / c.diederich@mondorf.lu

ÉVALUATION DE LA PERSONNE ATTEINTE D HYPERTENSION ARTÉRIELLE

Un diabète de type 2. Vers un programme Sport Santé pour les personnes vivant avec. Atelier animé par :

Le traitement pharmacologique du diabète de type 2 : que devez-vous savoir?

ntred 2007 Résultats de l étude Description des personnes diabétiques

INNOVATION De la rééducation au sport santé. LPG crée le Neuro

Analyse des mesures anthropométriques et de la composition corporelle des cégépiens et des cégépiennes

LA QUESTION DE LA PRISE DE POIDS CHEZ LE FUMEUR EN SEVRAGE TABAGIQUE

DEFICIENCES METABOLIQUES ET ACTIVITES PHYSIQUES ADAPTEES. OBESITE DIABETE I et II (M. AMATO)

Logiciels d éducation à la Nutrition et à l activité physique

Quoi de neuf dans la prise en charge du psoriasis?

epm > nutrition Formation & Conseil

I - CLASSIFICATION DU DIABETE SUCRE

Les nouveaux anticoagulants oraux, FA et AVC. Docteur Thalie TRAISSAC Hôpital Saint André CAPCV 15 février 2014

Diabète de type 1 de l enfant et de l adolescent

Sommeil et sport Dr. Arnaud PRIGENT (Pneumologue à St LAURENT) sport et sommeil 01/06/2010

Bouger, c est bon pour la santé!

DENSITOMÉTRIE OSSEUSE : CE QUE LE RADIOLOGUE DOIT SAVOIR

Diabète et risque cardiovasculaire: Le syndrome métabolique en question

INFORMATION À DESTINATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ LE DON DU VIVANT

Activité physique et diabète de type 2

La prise en charge de votre insuffisance cardiaque

TITRE : «Information et consentement du patient en réadaptation cardiovasculaire»

L arthrose, ses maux si on en parlait!

APS résumé partie III

EVALUATION DES TECHNOLOGIES DE SANTÉ ANALYSE MÉDICO-ÉCONOMIQUE. Efficacité et efficience des hypolipémiants Une analyse centrée sur les statines

Les Jeudis de l'europe

Migraine et céphalées de tension: diagnostic différentiel et enjeux thérapeutiques

Psoriasis et travail dans le BTP. Pr E. Delaporte

La prise en charge de votre artérite des membres inférieurs

Maternité et activités sportives

Questions / Réponses. Troubles du sommeil : stop à la prescription systématique de somnifères chez les personnes âgées

DOSSIER DE SOINS INFIRMIERS

DIABETE ET SPORT. Dominique HUET Hopital Saint Joseph PARIS

N.-B. 18 à 34 24,3 28,1 20,1 24,4. 35 à 54 36,7 23,0 31,6 49,3 55 à 64 18,7 18,7 21,3 16,9 65 et plus 20,3 30,2 26,9 9,4

L'Obésité : une épidémie?

Effets sur la pression artérielle rielle des traitements non-médicamenteux

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS. 19 octobre 2011

Item 169 : Évaluation thérapeutique et niveau de preuve

Pathologie VIH. Service maladies infectieuses Archet 1. Françoise ALEXIS, infirmière Monique BORGHI, infirmière 15 octobre 2013

Fibrillation atriale chez le sujet âgé

Dr Laurence FAYARD- JACQUIN Cœurs du Forez Mise à jour

Surpoids et obésité de l adulte : prise en charge médicale de premier recours

FORMATION CONTINUE. L obésité abdominale NUMÉRO 19

Les personnes âgées et le système de santé : quelles sont les répercussions des multiples affections chroniques?

LES FACTEURS DE RISQUE

Définition, finalités et organisation

Informations sur le cancer de l intestin

En savoir plus sur le diabète

LE GRAND LIVRE Du. Pr Jean-Jacques Altman Dr Roxane Ducloux Dr Laurence Lévy-Dutel. Prévenir les complications. et surveiller la maladie

Validation clinique des marqueurs prédictifs le point de vue du méthodologiste. Michel Cucherat UMR CNRS Lyon

SOIXANTE-SEPTIÈME ASSEMBLÉE MONDIALE DE LA SANTÉ A67/18 Point 13.5 de l ordre du jour provisoire 21 mars Psoriasis. Rapport du Secrétariat

Dépistage et gestion du diabète

Contraception après 40 ans

Le diabète en France L épidémie silencieuse du XXI ème siècle. Optimiser la prise en charge du diabète afin de limiter son expansion et son coût

Migraine et Abus de Médicaments

L ATROPHIE DU SPHINCTER ANAL EXTERNE en ENDOSONOGRAPHIE TRIDIMENSIONNELLE. Vincent de PARADES PARIS

Le soin diététique réalisé par un diététicien en établissement de santé

Le traitement en effet est, au début, une épreuve pour tout le monde : la malade d abord, les parents ensuite et même les thérapeutes.

En quoi consistera ce jeu?

Évaluation du risque cardiovasculaire dans le contexte de l hypertension artérielle et de son traitement

Le VIH et votre apparence physique

Composition corporelle

Le diabète en pédiatrie

OBESITE ET EPS. Cf national, nutrition santé, courbe de corpulence)

SANTÉ. E-BOOK équilibre. stop. cholesterol diabete hypertension. Réduire le cholestérol, l hypertension et le diabète SANS MEDICAMENT!

TRAITEMENTS MEDICAMENTEUX DU DIABETE DE TYPE 2 (Hors Insuline) MAREDIA Dr Marc DURAND

Prévention du déclin fonctionnel en EHPAD : rôle du massokinésithérapeute. Dr K.Sudres février 2015

DEFISCALISER SON ISF EN FAVEUR DE LA RECHERCHE MEDICALE, C EST POSSIBLE!

Rôle des acides biliaires dans la régulation de l homéostasie du glucose : implication de FXR dans la cellule bêta-pancréatique

INSULINOTHERAPIE FONCTIONNELLE

«Boire un verre de vin par jour augmente la longévité.»

QUEL PROTOCOLE DE REENTRAINEMENT PROPOSER AUX PATIENTS INSUFFISANTS CARDIAQUES?

Chapitre II La régulation de la glycémie

chronique La maladie rénale Un risque pour bon nombre de vos patients Document destiné aux professionnels de santé

> Présentation du programme > Peps Eurêka - Mémoire : Pour donner du Peps à ses neurones et à sa vie... 4

Programme Gym Après Cancer Fédération Française d Education Physique et Gymnastique Volontaire

Diabète Type 2. Épidémiologie Aspects physiques Aspects physiologiques

Femmes, prenez soin de votre cœur! LIVRET DE PREVENTION

INSUFFISANCE CARDIAQUE «AU FIL DES ANNEES»

«Peut-on jeûner sans risque pour la santé?»

CANRISK. Questionnaire canadien sur le risque de diabète. Guide de l utilisateur à l intention des pharmaciens

da Vinci Pontage gastrique

Présentation pour. Observatoire Vieillissement et Société

Faciliter la transition de la guérison à la palliation en favorisant la communication entourant le choix de soins 16 avril e congrès du Réseau

ALTO : des outils d information sur les pathologies thromboemboliques veineuses ou artérielles et leur traitement

Transcription:

Dossier thématique 375 J.-L. Schlienger, F. Luca, A. Pradignac Service de médecine interne et nutrition, Hôpital de Hautepierre, CHU, Strasbourg. Particularités de l obésité chez la personne âgée Particularities of obesity in the elderly Résumé L évolution démographique justifie de s intéresser aux conséquences et au traitement de l obésité chez la personne âgée qui présente quelques particularités. Le concept d obésité sarcopénique rend compte de l excès de masse grasse, notamment viscérale, et de la diminution de la masse fonctionnelle musculaire qui caractérise l obésité de la personne âgée et permet de mieux appréhender les relations entre l obésité et la morbi-mortalité. Bien que plusieurs études suggèrent que le surpoids est protecteur, l obésité sévère et l obésité sarcopénique sont des indicateurs de risque et d incapacité justifiant un traitement. La réduction des besoins et des dépenses énergétiques, habituelles chez la personne âgée, module la stratégie thérapeutique. Le maintien du poids ou un traitement hygiénodiététique visant à minimiser la perte musculaire et osseuse, est préférable à une perte de poids importante et rapide. Une prescription personnalisée, avec une mention particulière pour l activité physique, doit tenir compte des co-morbidités, des capacités fonctionnelles et de l environnement. Mots-clés : Indice de corpulence personnes âgées obésité traitement. Summary For health economic reasons, it will become more important to better known obesity in the elderly and to address an adapted treatment strategy since they will constitute a large segment of the population. The concept of sarcopenic obesity, defined by a combination of excess weight and reduced muscle mass or strength, may help to clarify the relationship between obesity, morbidity and mortality. Despite some studies suggesting a protective effect of overweight in the oldest age groups, visceral obesity and severe obesity remain indicators of risk and disability in these age groups. In the elderly population, due to changes in age-related body composition, reducing energy requirement and expenditure, the goal of weight management differs from the young adults. Maintenance of weight or interventions that minimizes muscle and bone losses rather than aggressive weight loss would be preferred to achieve a functional and good quality of life. Individualized recommendations with a special focus on physical activity should be considered taking into account medical problem(s), functional status and living environment. Key-words: Body mass index elderly obesity weight management. Correspondance : Jean-Louis Schlienger Service de médecine interne et nutrition Hôpital de Hautepierre Avenue Molière B.P. 83049 67098 Strasbourg cedex jean-louis.schlienger@chru-strasbourg.fr 2009 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. est définie comme un excès de masse grasse ayant des L obésité effets délétères pour la santé, ce que l Organisation mondiale de la santé (OMS) a traduit par un indice de corpulence (ou indice de masse corporelle, IMC) égal ou supérieur à 30 kg/m² et par une circonférence abdominale > 102 cm chez l homme et > 88 cm chez la femme. Cette définition établie chez des adultes d âge moyen ne peut être déclinée sans nuances aux personnes âgées dont la composition corporelle évolue au fil de l âge avec, à poids constant, une diminution progressive de la masse maigre et une augmentation relative de la masse grasse [1]. La sarcopénie physiologique et l inflation adipeuse de la personne âgée sont davantage la conséquence des modifications hormonales et métaboliques que d un déséquilibre entre les apports et les dépenses énergétiques, même si l âge prédispose à la sédentarité et est associé à une diminution des ingesta. S il est admis par la communauté gérontologique, qu entre 65 et 80 ans, l IMC

376 Dossier thématique souhaitable est situé entre 24 et 29 kg/ m², plutôt qu entre 19 et 25 kg/m² comme chez l adulte jeune, il n existe pas de normes de corpulence formellement établies chez les personnes âgées. Prévalence La prévalence de l obésité chez la personne âgée en bonne santé est encore assez mal connue et varie en fonction des populations et de la tranche d âge considérée. En France, l enquête déclarative ObÉpi, effectuée en 2006, indiquait que 16,5 % des sujets de plus de 65 ans étaient obèses, 13,3 % avaient un IMC compris entre 30 et 35 kg/m², 2,5 % entre 35 et 39,9 kg/m² et seulement 0,7 % > 40 kg/m². Les données nordaméricaines soulignent la fréquence et la progression de l obésité des seniors. En 2000, la prévalence au seuil d IMC fixé à 30 kg/m² était de 32 %, avec une progression prévue à 37,4 % en 2010 [2]. Après 80 ans, la prévalence de l obésité est moitié moindre qu entre 50 et 59 ans. Cette diminution liée à l âge est la conséquence soit d une adaptation spontanée de la balance énergétique et des métabolismes, soit d une sélection des survivants dans la mesure où l obésité sévère est assortie d un risque de morbi-mortalité accrue bien démontrée chez l adulte plus jeune. L épidémie d obésité décrite chez les adultes et le vieillissement de la population aboutira logiquement à une augmentation de la prévalence et de la fréquence de l obésité dans les décennies à venir. Conséquences de l obésité Il est difficile d évaluer l impact direct et spécifique de l obésité sur la mortalité des personnes très âgées, où la dénutrition apparaît comme de plus mauvais pronostic que l obésité. Dans une cohorte de personnes âgées de plus de 65 ans, suivies pendant 9 ans, le risque d infarctus du myocarde, d accident vasculaire cérébral, d apnées du sommeil, d incontinence, de cancer ou d ostéoporose, n est pas augmenté chez les sujets ayant un surpoids (IMC entre 26 et 30 kg/m²) par rapport aux sujets de corpulence normale. Les sujets en surpoids ont davantage d arthrose dégénérative et d incapacité et ont un sur-risque de diabète (+78 %). En revanche, le surpoids est associé à une diminution significative de la mortalité (-11 %) après ajustement sur les principales covariables [3]. Ces résultats suggèrent que la borne définissant la limite supérieure de la corpulence normale doit être revue à la hausse chez les personnes âgées et que le surpoids n est pas une cible thérapeutique pertinente, sauf en cas de diabète. L impact de l obésité sur le risque de mortalité a fait l objet d une revue systématique et d une méta analyse à propos de 32 études sélectionnées à partir de 239 références [4]. Le risque relatif fixé à 1 en cas de surpoids ne s élève que très modérément à 1,18 [1,13 1,24] chez les femmes et à 1,10 [1,02 1,18] chez les hommes. Les données concernant des sujets très âgés sont moins nombreuses et les résultats sont disparates, le risque relatif de mortalité étant soit abaissé, soit discrètement augmenté. Dans une étude finlandaise concernant des hommes et des femmes âgées de 84 à 88 ans, le risque de mortalité est moindre chez les sujets dont l IMC est > 28 kg/m² par rapport à ceux dont l IMC est compris entre 22 et 27,9 kg/m² [5]. L obésité sévère a un impact négatif sur l état de santé et la qualité de vie qui est clairement établi [6]. En revanche, ses effets sur la mortalité sont ambigus. En effet, dans certaines études, le surpoids, et même l obésité, apparaissent bien moins délétères que la dénutrition. Dans une cohorte de personnes âgées suivies pendant 7 ans, l obésité est certes un facteur d inconfort et d incapacité, mais a un effet protecteur vis-à-vis de la mortalité dès lors que la force musculaire est préservée [7]. L effet protecteur paradoxal de l obésité ou du surpoids avait été décrit chez des patients atteints de diverses maladies chroniques, telles qu une insuffisance cardiaque, hépatique ou rénale, et avait abouti au concept de reverse epidemiology. Cette relation à «contre-courant» entre l IMC et la survie s expliquerait par une durée de suivi des cohortes de personnes âgées trop courte pour mettre en évidence les complications dues à l obésité, l impact de la dénutrition se manifestant à plus brève échéance. Cette vision optimiste est corrigée après ajustement sur la circonférence abdominale. Dans une étude de cohorte, l IMC élevé apparaît bien comme un facteur de moindre mortalité, mais l augmentation du tour de taille est un facteur délétère. Il convient donc d ajuster l IMC sur le tour de taille avant de conclure, car l obésité viscérale est un facteur délétère [8]. Les effets de l obésité sur la santé s expriment de façon moins ambiguë par une fréquence plus grande d hypertension artérielle, d insuffisance cardiaque, de diabète et d impotence fonctionnelle secondaire aux complications ostéo-articulaires. Chez les personnes institutionnalisées, l obésité entrave la mobilité, les soins d hygiène et de nursing et expose à un risque supplémentaire de troubles trophiques et d escarres. L obésité est un facteur de fragilité, de fatigue, et constitue un handicap pour les activités de toute nature. L obésité sarcopénique Les modifications du schéma corporel liées à l âge confèrent un aspect original à l obésité de la personne âgée. L augmentation de la masse grasse prédomine au niveau de la graisse viscérale, alors que la graisse sous-cutanée est relativement épargnée. Elle est associée à une diminution de la masse musculaire avec une altération fonctionnelle musculaire (diminution du nombre et de la taille des fibres, perte préférentielle des fibres de type II, réduction de la synthèse protéique et moindre performance des fonctions mitochondriales). Il en résulte une sarcopénie masquée par l excès de poids, dont chacun des éléments peut altérer la qualité de vie et majorer l incapacité et la morbi-mortalité [9, 10]. Le terme d obésité sarcopénique permet de stigmatiser ces particularités dont les répercussions cliniques sont réelles. Si le concept est admis, la définition prête encore à discussion en l absence de moyens simples et fiables d exploration de la masse grasse et de la masse maigre, et en l absence de normes dûment établies chez les personnes âgées où les mesures anthropométriques (circonférence musculaire, plis cutanés) sont souvent prises en défaut et mal standar-

Particularités de l obésité chez la personne âgée 377 disées. Parmi les définitions proposées, citons celle de Baumgartner et al. [11] qui a établi un score de sarcopénie en divisant la masse musculaire squelettique mesurée par absorptiométrie (DEXA) par le carré de la taille. L obésité sarcopénique est alors définie par la coexistence d une élévation de la masse grasse (dans les deux quintiles supérieurs d une population de référence) et d une sarcopénie (masse musculaire située dans les trois quintiles inférieurs). Après 70 ans, la prévalence de ce type d obésité serait proche de 20 % chez les hommes et de 7 % chez les femmes [12]. En réalité, cette méthode a plusieurs défauts : une sarcopénie peut être masquée par une élévation importante de l IMC, la sarcopénie fonctionnelle n est pas évaluée, et l infiltration adipeuse du muscle est méconnue. La performance musculaire (force et endurance) est tout aussi importante à considérer que la masse musculaire, dans la mesure où elle constitue un indicateur pronostique de mortalité que le concept d obésité sarcopénique devrait intégrer. Physiopathologie L obésité est la conséquence d une inadéquation entre les apports et les dépenses énergétiques. Chez la personne âgée, la dépense énergétique diminue avec l âge en raison d une réduction du métabolisme de repos d environ 4 % par décennie après 50 à 60 ans et d une moindre activité physique. La réduction de la masse maigre contribue à la diminution de la dépense énergétique. Mais l adaptation des ingesta à la dépense est souvent décalée dans le temps. Par la suite, ils peuvent être réduits du fait d une anorexie, de troubles de la mastication, de difficultés psychosociales et de troubles de l humeur, mais ces phénomènes interviennent tardivement, alors que l obésité est déjà constituée. Chez les personnes très âgées, le constat d une obésité tient davantage de l histoire pondérale antérieure, ce qui explique les discordances possibles entre le niveau des ingesta observés et l IMC mesuré à un instant donné. Les modifications hormonales liées à l âge favorisent l accumulation de graisse, la réduction de la masse maigre et le déséquilibre de la balance énergétique. Le déclin des sécrétions d hormone de croissance et de testostérone diminue la masse maigre et augmente la masse grasse. La moindre sensibilité périphérique aux hormones thyroïdiennes réduit le métabolisme oxydatif. La résistance à la leptine interfère avec la régulation de l appétit. L inactivité, le statut éducationnel et économique qui favorise la consommation d aliments riches en sucre et pauvres en protéines, les facteurs de prédisposition génétique, sont d autres facteurs à considérer. L inflation du tissu adipeux abdominal est à l origine d une sécrétion soutenue de cytokines pro-inflammatoires dont le niveau s avère corrélé avec la sarcopénie. Par ailleurs, les taux plasmatiques d interleukine 6 (IL-6) et de protéine C réactive (CRP) sont des marqueurs prédictifs de l atteinte de la fonction musculaire à 3 ans [13]. Ces molécules favorisent l installation d une insulinorésistance et interfèrent avec le métabolisme énergétique et la sécrétion d hormone de croissance. Elles sont à l origine d un état inflammatoire de bas grade qui est associé à une majoration du risque cardiovasculaire. L insulinorésistance, facteur de risque cardiovasculaire induit par l obésité viscérale, est favorisée par la sarcopénie. Elle est par elle-même un facteur de catabolisme musculaire et est corrélée négativement avec la force musculaire. L infiltration graisseuse des muscles est un autre facteur d insulinorésistance. Les points essentiels Chez la personne âgée, la sarcopénie joue un rôle physiopathologique particulier et se trouve au cœur de plusieurs cercles vicieux : l infiltration graisseuse musculaire associée à l obésité viscérale détermine une perte de la fonction musculaire, l inflammation liée à l obésité viscérale favorise l insulinorésistance qui réduit l utilisation du glucose, la réduction de la masse maigre liée à l âge est un autre facteur d insulinorésistance. Quant à la diminution du capital musculaire et fonctionnel, elle accroît la sédentarité et diminue les dépenses énergétiques Au total, la co-existence d une sarcopénie et d une obésité principalement viscérale majore le risque cardio-métabolique et le handicap locomoteur. Traitement Bénéfices d une perte de poids Il existe très peu de données démontrant l intérêt d une perte de poids chez la personne âgée ou très âgée. Il est néanmoins admis qu elle est de nature à améliorer les complications à composante mécanique (symptômes ostéoarticulaires, apnée du sommeil, troubles trophiques) et métabolique (diabète) [14, 15]. Sont également attendues, une réduction du besoin de certains médicaments (moins d effets indésirables, bénéfice pharmaco-économique) et une amélioration de la qualité de vie et de l estime de soi. Les données de mortalité incitent à respecter le surpoids et à L obésité de la personne âgée associe une augmentation de la masse grasse et une diminution du capital musculaire (obésité sarcopénique). Le bénéfice d une perte de poids est à nuancer du fait d un effet protecteur paradoxal du surpoids et de l obésité modérée en terme de mortalité chez la personne très âgée. L obésité sévère a un impact sur le risque cardio-métabolique (insulinorésistance), l incapacité et la qualité de vie. Elle est un facteur de fragilité. Un traitement est justifié en cas d obésité sévère et, dans tous les cas, en présence d un diabète. L activité physique adaptée joue un rôle crucial pour lutter contre l obésité sarcopénique. La réduction des apports énergétiques ne doit pas excéder 500 Kcal, en veillant à maintenir un apport protidique et calcique optimal.

378 Dossier thématique n entreprendre de traitement qu en cas d obésité patente après discussion des avantages, des inconvénients et de la faisabilité [3]. Les moyens thérapeutiques La combinaison d une inflation adipeuse viscérale et d une réduction du capital musculaire fonctionnel fait toute l originalité de l obésité de la personne âgée. Parce qu elle majore l insulinorésistance et l inactivité physique responsables d un accroissement du risque cardiométabolique et des handicaps, l obésité justifie d une prise en charge spécifique ayant trois objectifs principaux : diminuer la masse grasse par une action hygiéno-diététique épargnant la masse musculaire, maintenir ou augmenter la masse musculaire par l activité physique et des apports adaptés, corriger les anomalies métaboliques susceptibles de majorer le risque cardio-métabolique. Un autre objectif est de prévenir l installation d une dénutrition par des actes diététiques intempestifs. L activité physique régulière joue un rôle crucial. La prescription doit être personnalisée et adaptée aux handicaps et aux co-morbidités. La base en est l exercice aérobie (marche, natation, exercice segmentaire). Dans une étude contrôlée en simple aveugle, la combinaison de l activité physique au régime chez des sujets obèses ayant une gonarthrose, âgés en moyenne de 69 ans, a un effet positif sur la perte de poids, la mobilité et la douleur. L intérêt de l activité physique a également été démontré dans d autres co-morbidités, et notamment en cas de diabète où l insulinorésistance est améliorée [16, 17]. L approche diététique est nécessaire pour traiter l obésité et les propositions de régime hypocaloriques ne manquent pas, bien que la plupart des études ne concernent pas la personne âgée. Les études disponibles suggèrent que les interventions diététiques sont aussi efficaces chez les seniors que chez les adultes d âge moyen, les seniors étant plus observants. Dans le Diabetes prevention program, 60 % des sujets de plus de 65 ans avaient atteint l objectif d une perte de poids de 7 %, contre seulement 27 % chez les sujets de moins de 45 ans [18]. Le recours aux agents pharmacologiques n est guère validé chez la personne âgée. Bien que la pharmacocinétique de la sibutramine ne soit pas modifiée par l âge, cette molécule expose à des effets indésirables cardiovasculaires qui risquent d être particulièrement dangereux après 65 ans. L orlistat est aussi efficace chez les sujets âgés que chez les adultes d âge moyen, mais le risque d incontinence fécale est accru chez les premiers. La chirurgie bariatrique est contre-indiquée de principe après 65 ans, en dehors des cas d espèce où le rapport bénéfice/risque a été discuté de façon collégiale. Les recommandations Les sociétés savantes nord-américaines ont émis des recommandations spécifiques pour le traitement de l obésité chez le sujet âgé [19]. Une bonne connaissance des antécédents et des traitements en cours et un bilan clinico-biologique attentif sont nécessaires avant d envisager un traitement de l obésité. Le changement du mode de vie est primordial. Les modifications des habitudes alimentaires et la lutte contre la sédentarité se fondent sur une stratégie d information et de motivation, en veillant à n entreprendre aucune action risquant d être néfaste. La définition d objectifs raisonnables, un accompagnement régulier, une surveillance clinique rapprochée et le recours aux méthodes cognitivo-comportementales sont recommandés. La réduction des apports énergétiques ne doit pas excéder 500 à 750 Kcal, les apports en protéines étant de l ordre de 1 g/kg de poids par jour. Une supplémentation en minéraux et micronutriments est souhaitable pour assurer à tout le moins un apport calcique de 1 500 mg/j et un apport en vitamine D de 1 000 UI/j. Les régimes très hypocaloriques de type Very low calorie diets (VLCD) ou hyperprotéinés sont à proscrire. Une évaluation régulière des ingesta par une diététicienne est utile chez ces sujets enclins à appliquer les prescriptions diététiques de façon trop restrictive. Une qualité de vie médiocre, des troubles thymiques, des troubles cognitifs, les handicaps sensoriels et les co-morbidités ne facilitent pas de telles modifications chez la personne âgée et réduisent les capacités physiques. L aide de la famille et des auxiliaires de soins est parfois nécessaire pour parvenir à instituer une activité physique régulière, souhaitable pour préserver la masse musculaire et osseuse. Le programme d activité doit être progressif et s échelonner sur plusieurs mois, avec des objectifs définis pour chaque sujet en terme de souplesse, d endurance et de force. Il comporte des exercices aérobies ou isométriques, d extension et de résistance de telle sorte que même des personnes plus âgées puissent y participer. Tout risque de chute doit être prévenu. La place de la pharmacothérapie de l obésité est des plus limitées. L orlistat peut être utilisé avec prudence chez les personnes âgées, notamment lorsqu elles sont constipées. Les candidats à la chirurgie bariatrique doivent être sélectionnés par une équipe multidisciplinaire rompue à ce type de chirurgie, après une évaluation préopératoire psychique et somatique rigoureuse et à la condition d assurer une surveillance médico-diététique postopératoire prolongée et structurée afin de prévenir les carences (fer, vitamine B12) et l ostéoporose. La perte de poids obtenue grâce au traitement implique une adaptation des posologies médicamenteuses. Conflits d intérêt Les auteurs déclarent n avoir aucun conflit d intérêt relatif au contenu de cet article. Conclusion L obésité de la personne âgée, dont la prévalence augmentera dans les années à venir, présente de nombreuses particularités et quelques paradoxes infléchissant la stratégie thérapeutique. L activité physique et une restriction énergétique prudente sont à préconiser pour améliorer la qualité de vie, améliorer le handicap et réduire le risque cardio-métabolique en veillant à ne pas aggraver la sarcopénie. Le maintien du poids peut, dans certains cas, être un objectif honorable et préférable à des attitudes thérapeutiques agressives.

Particularités de l obésité chez la personne âgée 379 Références [1] Baumgartner RN. Body composition in healthy aging. Ann N Y Acad Sci 2000;904:437-48. [2] Arterburn DE, Crane PK, Sullivan SD. The coming epidemic of obesity in elderly Americans. J Am Geriatr Soc 2004;52:1907-12. [3] Janssen I. Morbidity and mortality risk associated with an overweight BMI in older men and women. Obesity (Silver Spring) 2007;15;1827 40. [4] Janssen I, Mark AE. Elevated body mass index and mortality risk in the elderly. Obes Rev 2007;8:41-59. [5] Rajala SA, Kanto AJ, Haavisto MV, et al. Body weight and the three-year prognosis in very old people. Int J Obes 1990;14:997-1003. [6] Fine JT, Colditz GA, Coakley EH, et al. A prospective study of weight change and health-related quality of life in women. JAMA 1999;282:2136 42. [7] Al Snih S, Ottenbacher KJ, Markides KS, et al. The effect of obesity on disability vs mortality in older Americans. Arch Intern Med 2007;167:774 80. [8] Janssen I, Katzmarzyk P, Ross R. Body mass index is inversely related to mortality in older people after adjustment for waist circumference. J Am Geriatr Soc 2005;53:2112-8. [9] Stenholm S, Harris TB, Rantanen R, et al. Sarcopenic obesity: definition, cause and consequences. Curr Opin Clin Nutr Metab Care 2008;11:693-700. [10] Zamboni M, Mazzali G, Fantin F, et al. Sarcopenic obesity: a new category of obesity in the elderly. Nutr Metab Cardiovasc Dis 2008;18;388-95. [11] Baumgartner RN, Koehler KM, Gallagher D, et al. Epidemiology of sarcopenia among the elderly in New Mexico. Am J Epidemiol 1998;147:755-63 [Erratum in: Am J Epidemiol 1998;149:1161]. [12] Davison KK, Ford ES, Cogswell ME, Dietz WH. Percentage of body fat and body mass index are associated with mobility limitations in people aged 70 and older form NHANES III. J Am Geriatr Soc 2002;50:1802-9. [13] Schaap LA, Pluijm SM, Deeg DJ, Visser M. Inflammatory markers and loss of muscle mass (sarcopenia) and strength. Am J Med 2006;119:e9 17. [14] Inelmen EM, Sergi G, Coin A, et al. Can obesity be a risk factor in elderly people? Obesity Rev 2003;4:147-55. [15] Diehr P, O Meara ES, Fitzpatrick A, et al. Weight, mortality, years of healthy life, and active life expectancy in older adults. J Am Geriatr Soc 2008;56:76-83. [16] Messier SP, Loeser RF, Miller GD, et al. Exercise and dietary weight loss in overweight and obese older adults with knee osteoarthritis: the Arthritis, Diet, and Activity Promotion Trial. Arthritis Rheum 2004;50:1501-10. [17] Kodama S, Shu M, Saito K, et al. Even lowintensity and low-volume exercise training may improve insulin resistance in the elderly. Intern Med 2007;46:1071-7. [18] Wing RR, Hamman RF, Bray GA, et al; Diabetes Prevention Program Research Group. Achieving weight and activity goals among diabetes prevention program lifestyle participants. Obes Res 2004;12:1426-34. [19] Villareal DT, Apovian CM, Kushner RF, Klein S; American Society for Nutrition and NAASO, The Obesity Society. Obesity in older adults: technical review and position statement of the American Society for Nutrition and NAASO, The Obesity Society. Am J Clin Nutr 2005;82:923 34.