Six Sigma et Supply Chain : vers l excellence des processus stratégiques Marina LE BRUN, Franck AUSSEDAT Celerant Consulting Six Sigma et Supply Chain sont deux approches qui ont pour objectif l excellence opérationnelle des processus stratégiques des entreprises : Six Sigma est rapidement associée à une démarche qualité totale, mais la relation se fait plus difficilement avec l approche Supply Chain. Pourtant, les deux approches sont étonnamment complémentaires. Le but de cet article est d identifier les axes de convergence de Supply Chain et de Six Sigma dans la recherche de l excellence des processus. Après une description sommaire des deux approches, l article détaille les concepts qu elles partagent et établit les bénéfices de leur utilisation conjointe dans de projets ambitieux de changement industriel. Notions de Supply Chain Rappel de définitions Le terme «Supply Chain» est utilisé pour représenter la chaîne d activités et d intervenants qui délivre les produits et services aux clients. Quand la chaîne inclut l utilisateur final, on parle de Supply Chain Globale. Toutes les activités qui permettent d avoir à disposition les matières, composants ou informations, de les transformer en produit ou service, de les mettre à disposition du client et de gérer la relation avec celui-ci, font partie du périmètre de la Supply Chain. Les activités de planification jouent un rôle majeur dans la coordination de l ensemble de ces activités pour délivrer un produit ou service au moindre coût global. On peut considérer les activités de la Supply Chain selon les 3 niveaux suivants : stratégique : définition du cadre dans lequel les activités vont se réaliser; tactique : pilotage, supervision de l ensemble des activités; opérationnel : réalisation des activités. Supply Chain s applique à la chaîne de processus qui structurent ces activités au sein d une entreprise et à l extérieur de celle-ci. Le terme «Supply Chain Management (SCM) indique le pilotage intégré des processus, depuis les fournisseurs jusqu aux utilisateurs finaux, qui fournit des produits, processus, services et informations qui augmentent la valeur fournie aux clients et autres utilisateurs». 1 En plus des utilisateurs finaux et des fournisseurs, l intégration inclut les distributeurs et les détaillants. Supply Chain s attaque à ces processus pour les optimiser afin d augmenter le service apporté au moindre coût. Supply Chain est donc un programme de changement quiala particularité de dépasser les frontières de l entreprise pour englober toutes les parties prenantes de la chaîne de la valeur. Activités et processus de la Supply Chain 1 - d après le Global Supply Chain Forum. Vol. 11 N 1, 2003 45
Les processus de la Supply Chain sont les suivants : «Interface client» est le processus qui étudie le marché, propose des segmentations, définit le portefeuille de produits et le type et niveau de service pour chaque segment, ainsi que la politique de prix. Cette interface contient aussi les activités qu identifient, développent et fidélisent les clients et les activités correspondantes de la force de vente et du support après vente (retours, plaintes, recyclage ) «Achats» est le processus qui définit la stratégie à adopter pour les achats («make or buy»...) et gère l interface avec les fournisseurs (sélection, segmentation, contrats ). Il définit les activités d achat de produits et services, les commandes et paiements de ces prestations «Production» est le processus qui définit la stratégie de production («make to stock», «make to order», JIT...) et définit les coûts objectifs, les délais, la structure de sous-traitance, la charge, l ordonnancement, et les différents contrôles : capacité, qualité, priorité La gestion de production est un sous-processus critique. «Distribution» est le processus qui définit la stratégie de distribution et le réseau logistique : usines, entrepôts, Il gère l interface avec les transporteurs : type de transport, coûts, services, capacité, conditions de charge et décharge. Il inclut aussi les activités de constitution des commandes, de conditionnement, de gestion d inventaires. Figure 1a - Les performances des processus varient dans le temps Figure 1b - La probabilité p(y) d apparition d un résultat y peut être modélisée par une loi Normale. Tous ces processus sont réglés par un processus maître qui assure que la Supply Chain Intégrée répond à des objectifs globaux de service optimal au moindre coût. Le «Planning» est le processus qui pilote toutes les activités de la Supply Chain, il réalise les prévisions, planifie les opérations et les ressources et suit l exécution. Il s appuie généralement sur des outils logiciels adaptés. Activités Supply Chain Supply Chain analyse et optimise les processus existants, crée les processus manquants et configure l ensemble pour les piloter de façon intégrée pour un service adapté au moindre coût global. Supply Chain s appuie sur des systèmes d information pour gérer les flux de données nécessaires à la gestion de l ensemble. Notions de Six Sigma Le terme Six Sigma est utilisé pour définir l aptitude d un processus quel qu il soit. L aptitude est une mesure de la variation d un processus par rapport à ses spécifications. Les figures 1a et 1b ci-dessous expliquent ce concept. La figure 1a schématise un processus de la Supply Chain. La performance de ce processus est mesurée par l indicateur Y qui présente une certaine dispersion (flèche) autour d une valeur centrale. Quand le processus est stable, il est possible de modéliser les variations de ses performances à l aide d une distribution Normale p(y) de moyenne µ et de variance σ. Si l on place maintenant le modèle qui représente le processus SC dans un dessin montrant les spécifications de performance attendues par l utilisateur du processus on obtient la figure 2. L aptitude mesure la distance d, en nombre de sigma, entre la limite de spécification la plus proche de la moyenne et la moyenne. Dans cet exemple, l Indice d Aptitude Cpk = d/(3σ) = 1. L aptitude à court terme de ce processus est égale à trois sigma. Pour être plus précis, l aptitude en nombre de sigma est calculée après avoir tenu compte des inévitables dérives à long terme, évaluées à plus/moins 1.5 σ, par rapport à la moyenne (figure 3). Un processus d aptitude six sigma est un processus robuste. Les spécifications 46 Vol. 11 N 1, 2003
Figure 2 - Niveau de Sigma à court terme L une d elles appelée DMAIC s attaque aux défauts des processus existants. DMADVC (appelée aussi Design for Six Sigma) est utilisée quand il faut créer des processus absents ou des nouveaux produits ou services. La figure 5 montre les étapes de DMAIC. Figure 5 - Les étapes de DMAIC Figure 3 - Niveau de Sigma à long terme «encaissent» ses variations avec une très faible probabilité (3.4 parts par million) de créer des défauts. Sur ces notions une démarche globale intégrant des outils et méthodologies existants a été bâtie : «Six Sigma est une approche systématique et éprouvée d amélioration des performances d une entreprise basée sur l élimination des défauts sur chaque produit, processus et transaction avec pour but d obtenir des niveaux exceptionnels de satisfaction des clients.» Six Sigma apporte trois élements constituant une nouvelle culture : Figure 4 - Éléments de la culture Six Sigma Les outils Six Sigma Les deux méthodologies de Six Sigma servent à jalonner les démarches de création et d amélioration. Chacune puise différemment dans la boîte à outils commune de Six Sigma qui ajoute des outils statistiques aux nombreux outils classiques des démarches lean, TQM etc (Figure 6). Le langage Six Sigma Le langage Six Sigma est acquis grâce à une formation structurée qui adopte une approche très pragmatique (Figure 7). La formation à la méthode DMAIC a habituellement lieu sur 4 mois pendant lesquels les futurs agents de changement ou black belts (BBs) suivent des cours théoriques (1 semaine par mois) puis appliquent les concepts appris à un projet qui sert de support à leur formation (3 semai- Figure 6 - Boîte à outils de Six Sigma L approche Six Sigma Six Sigma a regroupé ces outils en deux méthodologies principales : Vol. 11 N 1, 2003 47
nes par mois). À la fin du cycle de formation les BB ont acquis un savoir-faire théorique et opérationnel. Le projet de formation fournit une première occasion de faire des économies et prouver la pertinence et l efficacité de la méthode. Figure 7 - Structure de la formation DMAIC Positionnement relatif de Supply Chain et Six Sigma Supply Chain réunit la plupart des processus d une entreprise. Six Sigma propose des outils et deux méthodologies (DMAIC et DMADVC) pour créer ou optimiser des processus indépendamment de leur nature (production ou transactionnels). Il est donc possible d utiliser les outils de Six Sigma pour résoudre les problèmes des processus de la Supply Chain. Points communs entre Supply Chain et Six Sigma SC et SS travaillent sur les processus stratégiques des entreprises : Supply Chain se focalise sur le pilotage des flux de matières et d informations dans les processus reliant les fournisseurs aux utilisateurs. Six Sigma cherche à rendre ces mêmes processus robustes aux variations pour garantir la satisfaction des utilisateurs. Les deux approches voient l entreprise comme un assemblage de processus qui traversent les silos fonctionnels classiques : marketing, ventes, R&D. La mise à plat de ces processus constitue leur première tâche. Il s ensuit une analyse de leur complexité identifiant les étapes qui ne contribuent pas à la valeur globale du processus. La complexité est réduite au minimum nécessaire pour satisfaire les besoins. Les processus d aptitude six sigma préservent en effet des rendements valables même pour des complexités significatives. Dans le tableau ci-contre on observe que pour une complexité de niveau 100, les processus d aptitude très différente (de 4 sigma à 6 sigma) obtiennent de rendements plus ou moins industriellement acceptables (de 77.94% à 99.98%), mais quand la complexité atteint des fortes valeurs, seuls les processus d aptitude six sigma tirent leur épingle du jeu! Comme Supply Chain, Six Sigma est un programme de changement. Les deux approches exigent l existence d un groupe d agents de changement qu identifient les problèmes, mesurent leur impact sur la chaîne de la valeur et s attèlent à les résoudre pour obtenir une satisfaction maximale des clients et autres intervenants. Six Sigma appelle ces agents des «belts» : black belts, green belts la couleur variant selon les efforts qu ils peuvent consacrer à la solution de ces problèmes. Les deux approches ont pour but d obtenir une satisfaction exceptionnelle des clients. Six Sigma inclut cet objectif dans son nom car une aptitude six sigma signifie que seuls 3.4 défauts résiduels sont tolérés sur un million d opportunités. Le niveau de qualité de nombreux processus actuels est encore de trois sigma (66.807 ppm). Six Sigma utilise un outil spécifique (CTQ flowdown) pour identifier les critères de satisfaction des clients (Critical To Quality), et les traduire en critères internes compris par les concepteurs et les producteurs. Les KPIs (key process indicators) de la Supply Chain complètent cette vision en donnant des objectifs de performance conformes aux CTQs. Une fois les besoins des clients validés, Supply Chain peut identifier des segmentations appropriées pour optimiser l efficacité. Les CTQs ne sont, en effet, pas les mêmes pour chaque segment client. 48 Vol. 11 N 1, 2003
Six Sigma a été conçu dans des sociétés manufacturières (Motorola..) et s est focalisée initialement sur les processus de production et les produits. Supply Chain complète cette vision avec son exigence sur la qualité des services associés à ces produits et processus. Actuellement les deux méthodes se rejoignent car Six Sigma a su adapter ses méthodologies à des processus transactionnels dédiés à la prestation des services de la Supply Chain (ex : prise de commandes, retours clients, facturation ) La méthodologie DMADVC de Six Sigma crée une étroite participation des fournisseurs (composants à valeur ajoutée, partenariats, participation à l innovation), de la logistique (produits compatibles avec les besoins de transport, emballages, installation..) et des services après vente (retours, réparations, stock des pièces détachées ) afin d apporter de la valeur à tous les participants de la Supply Chain. Pour la Supply Chain les variations incontrôlées des processus se traduisent dans une flexibilité réduite pour suivre la demande des marchés. Quand les processus de la Supply Chain sont optimisés via Six Sigma, les variations non-voulues sont prévisibles et les plannings et projections (forecasts) sont en grande mesure facilités. Les deux approches apportent de la transparence à l intérieur et à l extérieur de l entreprise. Ils mettent à plat les processus et les simplifient, identifient les interfaces avec tous les autres processus, clarifient les rôles et responsabilités des intervenants. La clarté ainsi gagnée est indispensable à la mise en place du système de pilotage de l ensemble : le Supply Chain Management System. Ce système pilote les processus en gérant l information : volumes à acheter, volumes à produire, transporter en fonction des pronostics de vente, capacité installé Les flux d information sont aussi importants pour la Supply Chain que les flux de matière. Six Sigma de son coté est une méthode précautionneuse, avant d utiliser des données, elle se sert d un outil spécifique pour valider le système d acquisition. Le Gage R&R (figure 8) traite les informations disponibles pour identifier les éventuels effets polluants des systèmes d acquisition : composante humaine (dans la saisie, les estimations, l interprétation des données ), composante technique (outils de saisie ou de traitement : algorithmes de calcul, bases de données, Figure 8 - Schéma d analyse de l outil GAGE R&R Nota Fig.8 : les pièces peuvent être des moteurs (processus manufacturier) ou des factures ou des formulaires de crédit (processus transactionnel). système d information ). Seulement après cette étude sont les données prises en compte pour gérer les processus. Les deux approches se rejoignent et se complètent parfaitement sur le terrain de l information : toute décision doit être prise basée sur des informations fiables (Dicton Six Sigma:«you don t know what you don t measure»). Les outils statistiques de Six Sigma facilitent les décisions car ils savent résumer l information (statistiques paramétriques), refuser des hypothèses improbables (test d hypothèses, corrélations..), et utiliser des modèles (régressions multilinéaires) pour prédire (statistique inductive). Ces outils appliqués aux nombreuses informations qui alimentent les SCM peuvent avoir un impact énorme sur son efficacité. La Supply Chain exige d établir des règles pour garder les processus sous contrôle. Le «C» de DMAIC implique qu aucune amélioration est durable sans mettre en place un contrôle (Figure 9). Six Sigma utilise la MSP (Maîtrise Statistique des Procédés) sur les facteurs influents d un processus afin de disposer des côtes d alarme qui informent le SCM des actions correctives à envisager pour garder le taux de service satisfaisant. Exemple industriel Une société distribue des produits par le réseau des stations d essence. Les produits Vol. 11 N 1, 2003 49
Figure 9 - Contrôle par les facteurs influents l analyse d aptitude de la figure 11 explicite mieux l état actuel et ses conséquences. La figure 11 montre que le processus est dans un état de sur-qualité, exigeant des rotations fréquentes des camions pour se prémunir contre un événement somme toute très peu probable! Des simulations, changeant le seuil de ré-approvisionnement permettront d ajuster le niveau de service aux besoins des utilisateurs internes (réduction du nombre de rotations) sans impact négatif sur les clients finaux. Figure 10 - Gestion du stock dans les stations Figure 11 - Vision avec Six sigma sont en selfservice dans les stations, leur stock est maintenu à un certain niveau par la rotation d une flotte de camions de livraison. Le niveau de stock disponible est un indicateur qui déclenche le re-approvisionnement. La figure 10 montre cet indicateur en fonction du temps (semaines de l année) et permet une compréhension sommaire de la situation qui suggère des aménagements. La vision par Six Sigma des performances de ce processus est plus puissante. Si le nombre d unités en stock est utilisé pour modéliser le processus avec une distribution Normale, Conclusion Supply Chain et Six Sigma ont de nombreux points communs : ce sont des programmes de changement, ils s occupent des processus stratégiques avec une approche transversale, ils visent des niveaux exceptionnels de satisfaction des clients ils font participer les fournisseurs, la logistique, le service à la création de la valeur, ils appuient leurs décisions sur des informations triées et adéquatement validées, ils installent la flexibilité en réduisant la complexité et les variations non souhaitées des processus de la chaîne, ils requièrent des systèmes de contrôle pour assurer la pérennité des fonctionnements qu ils ont établis, Six Sigma apporte à Supply Chain : deux méthodologies DMAIC et DMADVC et la puissance statistique de ses outils à la création ou optimisation des processus de la Supply Chain. une plus grande certitude d atteindre les résultats visés (critères de sélection des problèmes, méthodologies éprouvées et rigoureuses, rythme et sûreté dans la gestion des progrès), une transmission du savoir-faire durable (formations sur problèmes concrets, coaching et délégation des décisions aux équipes projets, langage partagé...), des performances maximisées (puissance et efficacité des outils, et méthodologies, implication des équipes, clarté des objectifs). Supply Chain apporte à Six Sigma : un périmètre élargi et clarifié qui couvre une grande partie des processus stratégiques d une entreprise, 50 Vol. 11 N 1, 2003
un système de pilotage pérenne pour les processus optimisés qu intègre les CTQ dans les indicateurs et garantit un contrôle proactif et permanent, notamment à l aide de systèmes d informations dédiés, la participation des intervenants de la chaîne au delà des frontières physiques de l entreprise à la résolution des problèmes par Six Sigma. Cet article a l ambition de créer une réflexion de départ pour bâtir des projets utilisant les deux approches. Des preuves des bénéfices à tirer d une approche conjointe seront plus formellement établies au fur et à mesure que des entreprises cesseront de choisir l une ou l autre de ces deux approches pour conduire leurs projets de changement. Celerant Consulting 60, rue de Monceau 75008 PARIS 01 56 69 53 25 www.celerantconsulting.com Vol. 11 N 1, 2003 51