LE NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SES IMPACTS EN INSOLVABILITÉ Par Julien Archambault Avocat Le 11 avril 2016
MODES PRIVÉS ET VOLONTAIRES DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS Le nouveau Code de procédure civile met à l avant-plan les différents modes de règlement non-judiciaires et judiciaires: Les notes explicatives du projet de loi Les dispositions préliminaires du C.p.c. Les premiers articles du C.p.c.
LA CODIFICATION DES POUVOIRS DE GESTION Le nouveau C.p.c. prévoit de nombreuses mesures aux différentes étapes du processus judiciaire favorisant la gestion active des dossiers de Cour par le tribunal Ainsi, alors que l article 4.1 de l ancien C.p.c. spécifiait que les parties sont «maîtres de leur dossier» et que le tribunal «veille au bon déroulement de l instance», le nouveau Code donne plutôt l impression que les choix des parties quant à la gestion de leur dossier sont maintenant subordonnés aux devoirs des tribunaux d assurer la saine gestion des instances (art. 18 et 19)
LA CODIFICATION DES POUVOIRS DE GESTION Il semble que les législateurs tentent de codifier la célèbre combinaison «2, 20, 46», très populaire sous l ancien C.p.c. L article 46 de l ancien C.p.c. est essentiellement repris dans l article 49 du nouveau C.p.c. Toutefois, le législateur prévoit maintenant à l article 158 une longue liste de pouvoirs et d ordonnances qu un tribunal peut rendre à titre de mesures de gestion, d office ou sur demande Article 157: le juge de gestion peut désormais aussi être le juge du fond
Le déroulement du processus judiciaire
LA COMPÉTENCE DE LA COUR La Cour du Québec sera désormais compétente pour entendre les litiges dont la valeur est inférieure à 85 000 $ (art. 35) Cette limite sera augmentée par tranche de 5 000 $ le 1 er septembre de l année civile où le montant cumulé résultant de l indexation annuelle aura atteint cette somme (art. 35, alinéa 4) La division des petites créances a désormais compétence pour entendre les litige d une valeur de 15 000 $ ou moins (art. 536) Pour les petites créances, le législateur ne semble pas avoir prévu la même règle d indexation que pour la Cour du Québec
LE PROTOCOLE DE L INSTANCE Le protocole de l instance indique: Les moyens préliminaires et les mesures de sauvegarde L opportunité de recourir à une conférence à l amiable Les interrogatoires écrits ou oraux préalables à l instruction leur nombre et leur durée anticipée L opportunité de procéder à une expertise et les raisons pour lesquelles les parties n entendent pas procéder à une expertise commune La défense, son caractère oral ou écrit et le délai pour la produire Les modalités et délai de constitution et de communication de la preuve avant instructions Les incidents prévisibles de l instance La prolongation, si nécessaire, du délai de mise en état du dossier (art. 148)
LE PROTOCOLE DE L INSTANCE Le protocole doit être produit au dossier de la Cour dans les 45 jours de la signification de l avis d assignation (art. 149(2)) La Cour a ensuite 20 jours pour examiner le protocole qui est présumé accepté à moins que les parties ne soient convoquées à une conférence de gestion Une telle conférence de gestion doit être tenue dans les 30 jours (art. 150(1)) Les parties ne peuvent modifier le protocole sans l accord du tribunal à moins que les modifications ne portent que sur les délais ou sur des éléments propres à faciliter le déroulement de l instance (?) Toute modification au protocole doit être déposée au dossier de la Cour (art. 150(2))
LE PROTOCOLE DE L INSTANCE Le non-respect du protocole peut entraîner condamnation aux frais de justice engagés par les autres parties ou par des tiers qui résultent du non-respect du protocole (art. 150(2)) Si les parties sont incapables de s entendre sur un protocole, chacune d elles peut déposer sa propre version au dossier de la Cour en indiquant les points de divergence avec l autre partie. Le tribunal décide alors de convoquer les parties ou d établir d office le protocole à être suivi (art. 152)
LES MOYENS PRÉLIMINAIRES «101. La demande faite en cours d instance peut être écrite ou présentée oralement, sans formalités; elle peut aussi faire l objet d une note, d une lettre ou d un avis s il s agit de décider d une mesure de gestion, si le juge le demande ou s il en convient avec les parties. Si elle est écrite, la demande indique la date, l heure et le lieu où elle sera présentée au tribunal et elle est notifiée aux autres parties au moins trois jours à l avance. Si elle est orale, elle doit être faite au tribunal en présence des autres parties. La demande écrite qui repose sur des faits dont la preuve n est pas au dossier doit être appuyée du serment de celui qui les allègue. La demande ne peut être contestée qu oralement, sauf si le tribunal autorise la contestation écrite. Lors de l audience, toute partie peut présenter une preuve appropriée.»
LES MOYENS PRÉLIMINAIRES Les moyens préliminaires qui existaient sous l ancien Code sont essentiellement préservés: Absence de compétence (art. 167) Litispendance ou chose jugée (art. 168(1)(1 o )) Incapacité d une partie ou absence de la qualité exigée pour agir (art. 168(1)(2 o )) Absence d intérêt d une partie (art. 168(1) (3 o )) Demande de précisions (art. 169(2))
LES MOYENS PRÉLIMINAIRES Demande de communication de documents (art. 169(2)) Demande de radiation d allégations non-pertinentes (art. 169(2)) Irrecevabilité de la demande non-fondée en droit quoi que les faits allégués puissent être vrais (art. 168(2)) Changement majeur: le législateur renverse la jurisprudence et permet maintenant l irrecevabilité partielle d une demande ou d une défense (art. 168(2))
LES INTERROGATOIRES PRÉALABLES - PORTÉE ET PERSONNES VISÉES Le législateur remanie de façon importante la nature, le cadre et le fonctionnement des interrogatoires hors Cour: La distinction entre l interrogatoire avant et après défense n existe plus L interrogatoire préalable porte «sur tous les faits pertinents se rapportant au litige et aux éléments de preuve qui les soutiennent» (art. 221(1)) Les parties pouvant être interrogées sont essentiellement les mêmes que sous l ancien Code, mais incluent maintenant la personne pour laquelle une partie agit comme administrateur du bien d autrui Le délai pour citer un témoin à comparaître est réduit de 10 jours à 5 jours ou pas (art. 226)
LES INTERROGATOIRES PRÉALABLES - NOTES ET OBJECTIONS Les objections sont toutes prises sous réserve pour être tranchées lors de l instruction et le témoin est tenu d y répondre (art. 228(3)) sauf si les objections portent sur: Le fait que la personne interrogée ne peut être contrainte Les droits fondamentaux du témoin Une question soulevant un intérêt légitime important (?) (art. 228(2)) «La déposition de la personne interrogée obéit aux règles applicables au témoignage donné à l instruction; elle est enregistrée, à moins que les parties n y renoncent.» (227(1))
LES INTERROGATOIRES PRÉALABLES - DURÉE Aucun interrogatoire préalable n est permis pour les réclamations de moins de 30 000$ (art. 229(1)) Aucun interrogatoire ne peut excéder une durée de 5 heures et lorsque la valeur en litige est inférieure à 100 000 $, ne peut excéder une durée de 3 heures Les parties peuvent toutefois, en cours d interrogatoire, convenir de prolonger la durée de 5 heures à 7 heures et celle de 3 heures à 4 heures. Au-delà de cette limite, il faut l autorisation du Tribunal (art. 229(2))
LES INTERROGATOIRES PRÉALABLES - INTERROGATOIRE ÉCRIT Changement majeur: une partie peut forcer l autre à répondre à un interrogatoire écrit dans un délai minimum de 15 jours et maximum 1 mois (art. 223) Les réponses à l interrogatoire sont données par écrit sous serment et signées par la partie ou le témoin. Dans le cas d une personne morale ou d une société, les réponses sont données par un administrateur, un dirigeant ou un employé autorisé (art. 224) Le défaut de répondre à l interrogatoire écrit crée une présomption irréfragable que les faits sur lesquels l interrogatoire porte sont vrais (art. 225) Contrairement à l interrogatoire oral, l une ou l autre des parties peut produire au dossier de la Cour l interrogatoire et ses réponses (art. 223(3))
L EXPERTISE Le nouveau C.p.c. limite l usage des expertises et les encadre de manière stricte: L expertise commune devient la norme (art. 148(2)(4 o )) L expertise doit être prévue au protocole de l instance sinon elle doit être autorisée par le tribunal (art. 232(1)) Une seule expertise par discipline ou matière (?), sauf autorisation du tribunal selon la complexité ou l importance de l affaire (art. 232(2)) Possibilité pour le Tribunal et les parties de demander à l expert les instructions reçues (art. 235(2)) Pouvoir du Tribunal d ordonner d office une expertise (art. 234)
L EXPERTISE Le rapport de l expert tient lieu de son témoignage (art. 293). Toutefois, les parties peuvent interroger leur propre expert, l expert commun ou celui commis par le Tribunal mais uniquement sur des points qui font l objet du rapport (?) ou sur des éléments de preuve nouveaux présentés au moment de l instruction, sauf autorisation du Tribunal (art. 294) Une partie peut contre-interroger l expert nommé par une autre partie (art. 294(1))
L EXPERTISE Changement majeur: «les parties ne peuvent, cependant, invoquer l irrégularité, l erreur grave ou la partialité du rapport, à moins que, malgré leur diligence, elles n aient pu le constater avant l instruction» (art. 294(2))
LA CONSERVATION ET LA COMMUNICATION DE LA PREUVE Article 20 «Les parties se doivent de coopérer notamment en s informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s assurant de préserver les éléments de preuve pertinents. ( )» Les modalités et le délai de communication de la preuve sont prévues dans le protocole de l instance ou autrement fixées par le Tribunal (art. 246(1))
LES FRAIS DE JUSTICE Le terme «dépens» est remplacé par le terme «frais de justice» qui sont définis comme comprenant: les frais et droit de greffe les frais et honoraires liés à la signification des actes de procédure les indemnités et allocations dus au témoins les frais d expertise la rémunération des interprètes les droits d inscription sur le registre foncier ou sur le RDPRM les frais liés à la prise et à la transcription des témoignages produits au dossier du tribunal si nécessaire (art. 339)
LES FRAIS DE JUSTICE Les frais de justice sont dus à la partie ayant gain de cause (art. 340) mais le tribunal pourra ordonner à la partie ayant gain de cause de payer à l autre partie ses frais de justice dans les cas suivants: Elle n a pas respecté le principe de proportionnalité Elle a abusé de la procédure Si cela est nécessaire pour éviter un préjudice grave à l autre partie
LES FRAIS DE JUSTICE Pour permettre une répartition équitable des frais Si elle a manqué à ses engagements dans le déroulement de l instance Si elle a indûment tardé à présenter un incident ou un désistement Si elle a inutilement fait comparaître un témoin Si elle a refusé sans motif valable d accepter des offres réelles, ou d admettre l origine ou l intégrité d un élément de preuve Si elle a tardé à soulever un motif entraînant la correction ou le rejet d un rapport d expertise ou rendant nécessaire une nouvelle expertise (art. 341) Changement majeur: le tribunal peut désormais sanctionner les manquements graves constatés dans le déroulement de l instance en ordonnant qu une partie paie à l autre, à titre de frais de justice, selon ce qu il estime juste et raisonnable, une compensation pour ses honoraires extra-judiciaires (art. 342)
L exécution du jugement
L EXÉCUTION DU JUGEMENT - NOUVELLES MESURES Le législateur prévoit de nouvelles dispositions en faveur des débiteurs relativement à l exécution des jugements: Le paiement échelonné: le débiteur s entend avec le créancier sur des versements réguliers sur une période maximale d une année (art. 663) Le dépôt volontaire: le débiteur s engage à verser régulièrement au greffe une somme d argent qui ne peut être moindre que la partie saisissable de ses revenus (art. 664) Il jouit alors d un bénéfice d insaisissabilité élargi sauf défaut de respecter son engagement (art. 665) Le créancier ou un autre intéressé peut contester le dépôt volontaire (art. 677)
L EXÉCUTION DU JUGEMENT - L AVIS D EXÉCUTION De nouvelles dispositions sont mises en place pour faciliter l exécution des jugements contre les débiteurs récalcitrants: L avis d exécution (art. 681 et 682) L obligation de déclaration du débiteur suite à la signification de l avis d exécution (art. 684) Le rôle prédominant du huissier, notamment l interrogatoire après jugement du débiteur (art. 688 et 689)
L EXÉCUTION DU JUGEMENT - INSAISISSABILITÉ Le bénéfice d insaisissabilité est élargi: Le débiteur peut maintenant soustraire 7 000 $ de meubles et d objets personnels plutôt que 6 000 $ sous l ancien Code (art. 694(1)) Les animaux domestiques et de compagnie sont maintenant insaisissables (art. 694(1)(3 o )) Le véhicule automobile dont la valeur marchande est inférieure à 10 000 $, s il est nécessaire au maintien du revenu du travail ou d une démarche active en vue d occuper un emploi, ou pour assurer la subsistance, les soins requis par l état de santé ou l éducation du débiteur ou des personnes à sa charge (art. 695)
L EXÉCUTION DU JUGEMENT - INSAISISSABILITÉ Les montants forfaitaires et indemnités versés en exécution d un jugement ou dans le cadre d un régime public d indemnisation relativement à un décès ou à un préjudice corporel ou moral autre qu en remplacement d un revenu (art. 696(2)(1 o ) Un immeuble servant de résidence principale au débiteur peut être saisi pour exécuter une créance autre qu une créance alimentaire si elle est d une valeur d au moins 20 000 $ excluant les frais de justice (art. 700(1)(?) Une décision de huissier relativement aux règles du bénéfice d insaissabilité peut, sur demande, être révisée par le tribunal (art. 701)
L EXÉCUTION DU JUGEMENT - INSAISISSABILITÉ Nouvel article: «696 Sont aussi insaisissables: (4 o ) Le capital accumulé pour le service d une rente ou dans un instrument d épargne retraite s il y a eu aliénation du capital ou si celui-ci est sous la maîtrise d un tiers et obéit aux autres prescriptions de la loi. The following are also exempt from seizure: (4 o ) The capital accumulated for the payment of an anuity or accumulated in a retirement savings instrument if the capital has been alienated or is under the control of a third person and satisfies the other prescription of law.»
L EXÉCUTION DU JUGEMENT - VALEURS MOBILIÈRES Le législateur a modifié les dispositions visant la saisie de valeurs mobilières ou de titre intermédiaire sur les actifs financiers: Dans le cas de certificats qui devaient être émis mais ne l ont pas été: «la saisie est faite entre les mains de l émetteur qui est alors tenu de délivrer le certificat au nom du débiteur et de le remettre à l huissier.» (art. 723(1)) L absence des anciens articles 622 et 623; La possibilité de modifier les conditions et restrictions auxquelles le débiteur est sujet (art. 755)
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Julien Archambault Avocat Tel.: 514.382.8446 Telec: 514.392.8393 julien.archambault@dlapiper.com Julien Archambault pratique en matière de litige et d insolvabilité et restructuration. Sa pratique en litige l amène à plaider régulièrement devant les différents tribunaux judiciaires et administratifs relativement à des dossiers complexes, notamment en matière de litige entre actionnaires et en construction. Dans le cadre de sa pratique en insolvabilité, Julien représente des syndics, des créanciers ordinaires et garantis, des débiteurs et d autres intervenants.