Vitamine D chez les personnes âgées : mode ou nécessité?

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Transcription:

Des données pour décider en médecine générale Yves Le Noc Pour le comite deredaction de Bibliomed a Societe Française de Documentation et de Recherche en Medecine Generale yveslenoc@orange.fr Tires à part : Y. Le Noc Résumé Malgré toutes les publications sur la vitamine D, il reste de nombreuses incertitudes. Son «déficit» est mis en cause dans de nombreuses pathologies, pas seulement osseuses. Diverses métaanalyses différent sur le fait de savoir si une supplémentation en vitamine D réduirait le risque de chutes ou de fractures chez les personnes âgées. Des hypovitaminoses D seraient également en cause dans les pathologies cardiovasculaires, neurologiques, diabétiques, infectieuses, cancéreuses, mais au vu des études les plus récentes il n y a aucune donnée probante selon lesquelles une supplémentation réduirait ces risques [1]. Mots clés carence en vitamine D ; politique nutritionnelle ; personnes âgées. Abstract. Is vitamin D for the elderlies just a trend or a requirement? Despite all the literature on D vitamin, there are still many uncertainties. Its deficit is implicated in many diseases, not just bone ones. There are various different meta analysis on whether supplementation with D vitamin would reduce the risk of falls and fractures in older people. Hypovitaminoses D would also be involved in cardiovascular, neurological, diabetes, infectious and cancer diseases, but given the recent studies there is no evidence as to the effect that supplementation would reduce these risks [1]. Key words vitamin D deficiency; nutritional policy; aged. DOI: 10.1684/med.2016.76 Vitamine D chez les personnes âgées : mode ou nécessité? Ces dossiers sont issus de textes publiés chaque semaine dans Bibliomed 1. Actualisés si nécessaire en fonction des données les plus récentes, ils ne résultent pas d une revue systématique de la littérature, mais d une veille documentaire en continu des principales revues médicales publiant des études fondées sur les preuves, ou des recommandations en résultant. Ils ont pour ambition de fournir au médecin généraliste une actualisation des données sur les questions pertinentes pour leur pratique retenues par le comité de rédaction 1. Plusieurs essais randomisés récents ont montré que de fortes doses mensuelles de vitamine D3 (60 000 UI ou 24 000 UI + 300 mg de calcifediol) permettaient d obtenir un taux sérique de 25-hydroxyvitamine D (25[OH]D) de 30 ng/ml chez 80 % des participants, taux habituellement recommandé pour réduire au mieux les risques de fractures et pour les autres bénéfices en matière de santé, mais comparativement aux 24 000 unités (correspondant à 800 UI/jour) les plus fortes doses n avaient aucun effet sur le risque de chutes [2]. Un autre essai chez des femmes du même âge montrait que 500 000 U/an permettaient d obtenir un taux de 25[OH]D d au moins 30 ng/ml chez la plupart des participants mais augmentait significativement de 15 % le risque de chutes et de 26 % celui de fractures [3]. Enfin dans un essai randomisé ayant inclus 409 femmes de 70 à 80 ans vivant en institution, une dose de 800 U/jour n avait aucun effet sur l activité fonctionnelle ni sur le risque de chutes et de fractures alors qu un programme d activité physique réduit ce risque de moitié [4]. Il n est pas simple de définir les besoins quotidiens en calcium et vitamine D, que les apports nutritionnels ne couvrent que très partiellement. Il est difficile d évaluer le «déficit réel» en vitamine D. Les normes admises montrent un déficit sérique fréquent, mais de signification clinique incertaine. Les dosages biologiques de plus en plus demandés reflètent-ils effectivement les besoins cliniques réels? Sont-ils utiles à la décision en termes d objectifs thérapeutiques? Le principe général d une supplémentation, ses modalités et dangers potentiels restent largement discutés. Le déficit en vitamine D chez l adulte Qui peut être carencé en vitamine D? Le déficit en vitamine D est en rapport avec son métabolisme général. Il atteint plus les femmes que les hommes. La synthèse cutanée peut être altérée : peau foncée, peau vieillie, sous-exposition solaire où interviennent la géographie, la pollution atmosphérique, les modes d habillage et d habitat, notamment en institutions pour personnes âgées, l utilisation ÉDECINE 1 Les questions auxquelles répond ce dossier peuvent être retrouvées dans Bibliomed n o 660 du 22 mars 2012, 677 du 04 octobre 2012, 692 du 31 janvier 2013 et 697 du 07 mars 2013 actualisées au 10 juin 2016. MÉDECINE Juin 2016 253

d écrans solaires. L absorption alimentaire peut ne pas suffire : défaut d apport ; malabsorption (maladie cœliaque, maladie de Crohn, pontages gastro-intestinaux, fibrose kystique avec insuffisance pancréatique, compétition des médicaments contre l obésité, anticonvulsivants, antirétroviraux...) ; perte urinaire accrue de l insuffisance rénale. Enfin, la vitamine étant stockée dans le tissu graisseux, l obésité diminue sa disponibilité [5]. Son déficit a été observé non seulement chez des patients âgés et hospitalisés mais aussi chez des jeunes adultes en bonne santé : par exemple près de 2 jeunes adultes sur 3 à Boston en fin d hiver [6]. Quelles conséquences de cette carence sur le squelette? Le déficit en vitamine D contribue à l ostéoporose densitométrique [7] en diminuant l absorption osseuse du calcium. Des vitaminémies basses sont significativement associées à un risque plus important de fracture ostéoporotique, indépendamment de tout autre facteur et, dans une revue systématique d études prospectives, à une mortalité 2 à 5 fois plus élevée [in 5]. Le déclin de la masse musculaire et de la force physique avec l avancée en âge interfère avec l éventuel déficit vitaminique pour aggraver les problèmes d équilibre et de chutes chez les personnes âgées fragiles : après 65 ans, vitaminémie et performances physiques sont corrélées [5]. En résumé, un statut vitaminique correct est essentiel pour prévenir l ostéoporose et ses conséquences immédiates (preuves de niveau 1) [7]. Autres pathologies associées à cette carence L hypovitaminose D est associée à diverses pathologies cardiovasculaires : hypertension systolique chez la femme jeune [5], risque accru d évènements cardiovasculaires, y compris l insuffisance cardiaque, parfois mortels, athérosclérose carotidienne [8]. Elle l est aussi (cause ou conséquence?) à des déficits fonctionnels neurologiques, troubles cognitifs et mémoriels, dépression, schizophrénie, Parkinson [5-8]. Elle l est encore au diabète : une vitaminémie basse est associée à une augmentation du risque de développer un diabète de type 2 dans les 5 années suivantes ; chez un diabétique, le risque de complications microvasculaires est plus élevé dans les 5 ans [7, 8]. Une méta-analyse d études observationnelles a montré que le risque de cancer (du sein et du côlon, notamment) augmentait en cas de vitaminémie basse et des taux bas en début de traitement pour cancer du sein étaient associés à une mortalité plus élevée à 5 et 10 ans [5]. Enfin, la relation avec de nombreuses maladies infectieuses (y compris des voies respiratoires, telles que l asthme ou la BPCO) a été clairement établie, indépendamment de tout autre facteur de risque [5]. Dans de nombreuses études épidémiologiques à niveau de preuve élevé le déficit en vitamine D est fortement associé à l ostéoporose. C est aussi probable pour les maladies cardiovasculaires, le diabète, le cancer, les maladies infectieuses et neurodégénératives, dans des études moins probantes notamment du fait du caractère multifactoriel de ces pathologies. Les plus directement concernés par ce risque sont les patients âgés, plus particulièrement les femmes. Le rôle d un ensoleillement insuffisant (climat, habitudes, etc.) est clairement en cause, mais aussi le simple accroissement de l espérance de vie et la surcharge pondérale. Quels sont les besoins quotidiens de l adulte en vitamine D? Besoins quotidiens en vitamine D Selon une synthèse danoise [9] à partir de différents essais d intervention, les besoins quotidiens moyens sont évalués à 20 à 25 mg (800 à 1 000 UI) pour les adultes caucasiens. Le risque hypercalcémie/hypercalciurie augmente au-delà. Cet apport n est peut-être pas suffisant dans certaines sous-populations : femmes enceintes et allaitantes, enfants, personnes âgées, obèses et quelques groupes ethniques ; des études complémentaires sont nécessaires. Il suffit en moyenne à maintenir un taux sérique de vitaminémie au-dessus de 28-30 ng/ ml, dans la zone de «normalité» actuellement admise, comme le montrait une étude randomisée irlandaise [10]. Apports nutritionnels en vitamine D Les seuls aliments réellement concernés sont le foie de poisson (huile de foie de morue : 200 mg/100 g), les poissons gras (entre 10 et 20 mg/100 g) les jaunes d œufs (8 mg/100 g). Il est difficile d établir une recommandation puisque cet apport n intervient qu en complément de la synthèse cutanée liée une exposition aux rayonnements solaires, extraordinairement variable. Les recommandations varient donc selon les pays : les consensus européens et américains des années 2000 recommandaient environ 200 UI/j (5 mg, le double pendant la grossesse, en cas d obésité, et chez les plus de 60-65 ans) [11, 12]. Le récent consensus de l Institute of Medicine, dont l analyse de la littérature est particulièrement exhaustive, recommande davantage, 600 UI/j (15 mg), 800 après 70 ans, sans effets adverses au-dessous de 4 000 UI/j [11, 12]. Il n a pas été observé de différences entre les différentes origines ou formes de vitamine D. 254 MÉDECINE Juin 2016

Apports nutritionnels en calcium La fonction dominante de la vitamine D dans l organisme est le maintien de la calcémie et de la phosphatémie aux taux indispensables à la minéralisation des os [12]. Une calcémie normale est par ailleurs nécessaire à la jonction neuromusculaire, à la vasodilatation, à la transmission nerveuse, à la sécrétion des hormones...on ne peut donc parler des besoins en vitamine D sans évoquer les apports alimentaires calciques indispensables : environ 1 g/j [12], un peu plus avant 19 ans ou après 70 ans (1 300 mg) ou en cas de grossesse ou de lactation chez des femmes jeunes (avant 18 ans). L absorption intestinale du calcium varie peu avec la vitaminémie D. Elle dépend de nombreux facteurs dont la dose ingérée, l âge, le statut ménopausique, etc. Ce sont les laitages qui assurent «classiquement» l essentiel de l apport : lait, fromage, yaourts (+ 100 mg pour 100 g de lait de vache frais ou équivalent en dérivés divers, ce qui représente environ 72 % des apports calciques aux USA), le reste venant de légumes divers ou de produits de la mer (apport de l ordre de celui des laitages pour le chou frisé, les brocolis, les épinards, les haricots blancs, le fenouil, mais aussi les moules, crevettes, truites et autres sardines...) et fruits (oranges, amandes, figues, etc. : 1/2 équivalence aux laitages), sans compter certaines eaux minérales riches en calcium. Les possibilités alimentaires suffisent donc largement aux réticents ou allergiques aux laitages... Y a-t-il risque d apports excessifs? C est difficile, sinon impossible, à affirmer pour les apports alimentaires, le danger étant plutôt celui des supplémentations. L étude WHI a ainsi montré que l apport d environ 2 g/j de calcium (aliments + suppléments) 2 et une supplémentation par 400 UI/j de vitamine D étaient associés chez les femmes ménopausées à une augmentation de 17 % de l incidence de calculs rénaux en dehors de tout antécédent [12]. Une alimentation équilibrée couvre aisément, chez l adulte en bonne santé, les besoins journaliers en calcium. La controverse autour des risques des laitages, notamment à propos du cancer de la prostate pour des apports supérieurs à 2 g/j, ne repose que sur quelques données d observation bien fragiles. Aucun des essais réalisés avec des apports allant jusqu à 3 g/j n a mis en évidence d interférence avec les métabolismes du fer et du zinc ou de constipation sévère [12]. C est moins simple pour la vitamine D. L exposition aux rayons solaires assure l essentiel des besoins quotidiens. Le risque de cancers cutanés induits fait qu elle est «à pratiquer avec modération»... 2 Les tables CIQUAL, mises à jour régulièrement sur le site internet de l agence nationale de sécurité sanitaire, environnement et travail (ANSES), ou leur équivalent américain USDA chiffrent avec précision la composition nutritionnelle exacte des aliments. Quand faut-il «quantifier» un éventuel déficit en vitamine D? Variations interlaboratoires Selon divers consensus d experts européens [13, 14] ou nord-américains [15, 16], le statut vitaminique D est évalué actuellement par la mesure de la seule 25(OH)D sérique. Ce dosage est fait par des techniques très variées selon les laboratoires, chacune ayant ses limites et imprécisions. Il n y a ni méthode de référence, ni standard international. Tous insistent de ce fait sur la difficulté de définir un seuil objectif d insuffisance vitaminique et proposent que toute décision de supplémentation soit fondée sur des critères cliniques. Le rendu des résultats, en nmol/l ou en ng/ml, peut être cause d erreur de lecture et d interprétation. Il est actuellement admis (accord professionnel) qu il y a carence en vitamine D lorsque le dosage de 25(OH)D est en dessous de 20 ng/ml (50 nmol/l) et insuffisance entre 21 à 29 ng/ml (52,5 à 72,5 nmol/) [13-16]. Insuffisance/carence en vit D et dosages Selon ces définitions, il y aurait entre 40 et 100 % des adultes européens et américains qui seraient en déficit de vitamine D [16-18]. Dans l enquête 2006-2007 en France métropolitaine, sur 1 587 adultes (sans traitement de vitamine D), le dosage moyen était à 23 ng/ml : moins de 30 chez 80 % (déficit modéré), entre 20 et 30 chez 40 % (déficit modéré à sévère) et moins de 10 chez 5 % (déficit sévère) dans des populations vulnérables (faible statut socioéconomique et exposition solaire réduite) [17]. Le déficit (sérique) en vitamine D concernerait donc la grande majorité de la population. Les raisons sont multiples ; vivre dans une région ensoleillée n est pas obligatoirement synonyme de production optimale de vitamine D, comme l ont montré des études observationnelles dans de nombreux pays subtropicaux [13, 14, 16]. Quel est le risque d intoxication par la vitamine D? Il est exceptionnel mais peut être causé par l ingestion accidentelle ou intentionnelle de doses excessives, audelà de 50 000 UI/j pendant plusieurs semaines [14, 16].Il ne survient qu avec des taux de 25(OH)D > 100, voire 200 ng/ml [13, 15, 16]. L exposition importante au soleil (taux entre 100 et 200 ng/ml de façon prolongée [13]) n a jamais provoqué d intoxication. Faut-il doser la 25(0H)D et quand? Il y a accord des différents groupes d experts [13, 15, 16] sur le fait qu aucune donnée ne démontre qu un MÉDECINE Juin 2016 255

dépistage généralisé est utile, notamment du fait des chiffres évoqués ci-dessus. Le dosage n est recommandé que chez des patients à risque clinique d insuffisance du fait d une pathologie osseuse, rhumatismale inflammatoire ou endocrinienne, insuffisance rénale, malabsorption intestinale (couplé selon les cas au dosage de la parathormone sérique), chutes à répétition sans explication chez un patient âgé, maladie ou traitement favorisant l ostéoporose, ménopause précoce, etc. [13-15]. Il aurait pour but dans ces cas de préciser le statut initial pour adapter les schémas d attaque et d entretien d une supplémentation en vitamine D. Les dosages ultérieurs relèvent du cas par cas : nécessité de doses de vitamine D plus importantes en cas d obésité, de malabsorption, ou de médicaments affectant le métabolisme de la vitamine D, risque d hypercalcémie en cas d hyperparathyroïdie ou de production extrarénale de vitamine D [14]. En dehors de ces situations particulières, la supplémentation en vitamine D aux doses habituelles ne nécessite aucune investigation biologique compte tenu du risque exceptionnel de surdosage [21]. Le déficit sérique en vitamine D est fréquent en population générale, notamment chez les personnes âgées, comme l ont montré de nombreuses études en France et un peu partout dans le monde. La signification clinique réelle de ce déficit, qui atteindrait selon les normes retenues la très grande majorité de la population, pose de nombreuses questions sans réponses. Le dosage de la 25(OH)D doit être réservé aux populations à risque clinique élevé et, en règle générale, dans toutes les situations au cours desquelles l objectif est d obtenir un taux optimal de 25(OH)D. La constante augmentation des prescriptions de dosages (coût unitaire B75, soit 20,25 s en 2011) impose une réflexion argumentée sur l objectif visé. Quand faut-il supplémenter et comment? [19], recommande de supplémenter les seules personnes âgées ayant une histoire de chutes ou de fractures (600 à 800 UI/j selon l âge ; grade B). L effet préventif sur le risque de chute est bien démontré à domicile, mal en institution et inversement pour le risque de fracture. Les données sont insuffisantes pour recommander ou non de supplémenter d autres populations (grade I) à des doses > 400 UI/j. Des doses inférieures ne servent à rien (grade D : ne pas utiliser) [20]. L USPSTF rappelle les apports nutritionnels quotidiens utiles proposés en 2011 par l Institute of Medicine : 600 UI avant 70 ans, 800 après, avec un apport calcique équivalent à 1 g/j, un peu plus en cas de grossesse, allaitement ou ménopause, ou après 70 ans chez l homme (1,2 à 1,3 g). Quels sont les objectifs thérapeutiques? La prévention de certains cancers, évoquée dans des études observationnelles, ne peut être retenue (données non conclusives) [19, 20]. Les seuls objectifs factuels sont donc la réduction du risque de chutes et de fractures testée dans de nombreuses études, surtout chez la femme post-ménopausée (l étude WHI étant dominante) [19, 20]. Le GRIO ne conçoit de traitement de l ostéoporose qu associé à une correction des insuffisances vitaminiques D : ce n est fondé que sur des protocoles thérapeutiques et quelques études observationnelles [15] Comment supplémenter? Dans les essais randomisés analysés par l USPSTF, les doses de vitamine D utilisées en supplémentation varient de 300 à 1 370 UI/J, la plupart des essais utilisant 800 UI/j, avec un apport calcique de 1 g/j. Sur 16 essais randomisés (ECR) répondant aux critères de sélection de la méta-analyse : 5 concernaient la vitamine D seule vs. placebo (près de 15 000 patients, 400 à 1 370 UI/J, suivi 7 mois à 5 ans, sans effet sur le risque fracturaire) ; 11 concernaient la vitamine D (300 à 1 000 UI/j) + calcium (0,5 à 1,2 g/j) chez plus de 50 000 patients, dont 69 % de femmes ménopausées, suivis 1 à 7 ans sans montrer de différences selon les doses utilisées au-dessus de 400 UI/j par incrémentation de 100 UI. Supplémenter? Il y a divergence entre les avis d experts et les recommandations pluridisciplinaires. Ainsi, le GRIO (groupe de recherche français sur l ostéoporose) recommande de supplémenter quasi-systématiquement les personnes âgées de plus de 65 ans, dans la plupart des cas sans dosage préalable, à des doses de 800 à 1200UI/j[15], ainsi que les autres populations à risque clinique après dosage sérique. Mais l agence américaine USPSTF, s appuyant sur les données de sa méta-analyse Les études observationnelles analysées ne changent pas ces conclusions. Les auteurs admettent que différents facteurs pourraient expliquer en partie ces résultats quasi nuls : dose insuffisante de vitamine D, manque de dosages sériques, mauvaise observance, faible risque de base des populations d études, éventuelles supplémentations vitaminiques ou calciques hors étude... Le principal obstacle est la difficulté de l évaluation du réel statut vitaminique qu aucune méthode ne permet de quantifier, alors qu il y a risque de dépasser le seuil de dangerosité. 256 MÉDECINE Juin 2016

Quels en sont les dangers? WHI montrait 17 % d augmentation d incidence de calculs rénaux en dehors de tout antécédent pour une supplémentation de 2 g/j de calcium + 400 UI/j de vitamine D. Dans l un des plus récents ECR de la métaanalyse, l utilisation d une dose annuelle de 500 000 UI de D3 (soit #1 370 UI/J) chez des femmes à domicile ayant déjà eu chutes ou fractures a augmenté le risque ultérieur de lithiase. L efficacité d une supplémentation en vitamine D est prouvée dans le traitement du rachitisme et de l ostéomalacie. L USPSTF recommande de supplémenter les seules personnes âgées ayant une histoire de chutes ou de fractures (600 à 800 UI/j selon l âge ; grade B). L effet préventif sur le risque de chute est bien démontré à domicile, mal en institution et inversement pour le risque de fracture. ~Liens d intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d intérêts en rapport avec l article. RÉFÉRENCES 1. Cummings SR, Kiel DP, Black DM. 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Un ensoleillement insuffisant aggravé par l allongement de l espérance de vie et le mode de vie en institution en sont clairement la cause. Le dosage de la 25(OH)D doit être réservé aux populations à risque clinique élevé et, en règle générale, dans toutes les situations au cours desquelles l objectif est d obtenir un taux optimal de 25(OH)D. Une alimentation équilibrée et l exposition solaire couvrent aisément les besoins quotidiens chez l adulte en bonne santé. L USPSTF recommande de supplémenter les seules personnes âgées ayant une histoire de chutes ou de fractures (600 à 800 UI/j selon l âge ; grade B). L effet préventif sur le risque de chute est bien démontré à domicile, mal en institution et inversement pour le risque de fracture. 10. Cashman KD, Hill TR, Lucey AJ, et al. Estimation of the dietary requirement for vitamin D in healthy adults. Am J Clin Nutr 2008 ; 88 : 1535-42. 11. SCF. 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