Prise de position du Conseil des Notariats de l Union européenne concernant la proposition de Directive de société unipersonnelle à responsabilité limitée (SUP) Les Notaires d Europe déplorent les conséquences représentées par ce projet de SUP, à savoir : - Des risques pour l économie ; - Un choix contestable de la loi du pays de l immatriculation comme loi applicable ; - Des risques pour l associé ; - Une base juridique erronée. Les Notaires d Europe ont pris connaissance de la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée publiée le 9 avril 2014 et souhaitent apporter leur contribution aux réflexions en cours sur la question de la constitution des sociétés unipersonnelles, dont les notaires sont chargés dans de nombreux pays de l'union européenne. Les Notaires d Europe souhaitent souligne que cette initiative de la Commission européenne, présentée comme visant à harmoniser les règles concernant la constitution des sociétés avec un seul associé afin de faciliter la création de ces entreprises, a en réalité comme objectif, d introduire un nouveau modèle de société fortement influencé par le système anglo-saxon et à caractère ultralibéral qui se caractérise par les aspects suivants : Minimiser les contrôles - sans véritable contrôle préventif pour lutter contre le blanchiment - et privilégier l immatriculation en ligne. Mettre à disposition sur internet des statuts modèles. Rendre possible la dissociation du siège réel et statutaire. Supprimer tout capital minimum et maximum. Ne pas nécessiter d élément transfrontalier. Ainsi, les Notaires d Europe se sont penchés sur un certain nombre de conséquences qui pourraient dériver de la mise en place du projet de SUP, tel que proposé par la Commission.
Risques pour l économie Alors que la Commission européenne envisage de lancer cette initiative motivée par la nécessité de relancer l économie européenne et donc de faciliter la création de nouvelles entreprises dans un temps record et au moindre coût, une telle proposition aurait pour résultat un certain nombre d effets négatifs sur l économie, à savoir : (1) Le manque de transparence Même si le choix du contrôle de légalité avant la constitution de la SUP est laissé aux Etats membres, la condition de ne pas imposer la présence physique du fondateur limite en grande partie la possibilité d exercer un tel contrôle. Ceci se prête à un emploi abusif de la SUP puisqu il est possible de facilement cacher l identité des individus derrière l entreprise. La possibilité offerte par la SUP de créer une cascade de sociétés sans véritable responsable n est pas à négliger, puisque ceci facilite aux entrepreneurs malintentionnés d organiser leur propre irresponsabilité. De plus, cela semble prématuré d imposer aux Etats membres dans ce cadre, la reconnaissance mutuelle de l identification réalisée dans un autre Etat membre y compris dans le cas de l identification électronique. Ceci semble entrainer la reconnaissance implicite de la signature électronique, alors que les conditions techniques pour ce faire ne sont pas encore au point et n offrent donc pas encore une sécurité juridique minimale. (2) L utilisation de la SUP à des fins de blanchiment des capitaux - Un des aspects essentiels de la proposition est l obligation imposée aux Etats membres de rendre possible l entièreté de la procédure d immatriculation des SUP par des moyens électroniques et à distance, sans pouvoir demander la présence physique du fondateur dans le pays de l immatriculation. Ceci écarte toute possibilité pour l Etat membre d immatriculation de demander un véritable contrôle de l identité du fondateur ou du bénéficiaire réel, alors que celui-ci constitue une obligation imposée par les directives de lutte contre le blanchiment des capitaux. Par ailleurs, cela paraît difficile dans la pratique de pouvoir contrôler efficacement depuis l étranger les fonds apportés dans la SUP. - Le coût du contrôle devrait être supporté par les registres de commerce, ce qui équivaut à transférer le coût actuellement supporté par les entreprises, vers les
contribuables. Par ailleurs, les registres de commerce dans la plupart d Etats membres n ont ni les moyens humains ni l habitude d exercer un tel contrôle. (3) Diminution de la sécurité juridique apportée par la fiabilité des registres de commerce - L absence de véritable contrôle de légalité (acte authentique) effectué avant toute inscription dans le registre de commerce diminuera la sécurité juridique au moment de l immatriculation auprès des registres de commerce des différents pays. Ce manque de contrôle est également vrai en ce qui concerne les modifications statutaires postérieures. L immatriculation de la SUP sans contrôle préalable constitue un véritable danger juridique. Ceci entraîne comme conséquence un manque de fiabilité des registres. - L interdiction de conditionner l immatriculation de la SUP à l obtention de certaines licences ou autorisations, semble très dangereuse dans le cas de certaines activités - à caractère financier, par exemple -, d autant plus que l objet social pour la SUP semble non conditionné. Dans un grand nombre d Etats membres, le contrôle de l adéquation de l objet social aux activités réelles envisagées et des autorisations nécessaires pour leur exercice, s effectue par le notaire au moment de la constitution de la société. Ce contrôle risque de disparaître totalement. Imaginons la possibilité de créer une nouvelle banque sous forme de SUP hors tout contrôle préalable et ce, en totale incohérence avec la volonté du législateur européen qui a prévu une législation européenne plus restrictive pour les activités financières. Eu égard aux nécessités de transparence, de prévention du blanchiment d argent et au maintien de la sécurité juridique apportée par la fiabilité des registres publics, il est nécessaire de laisser aux Etats membres le choix de la procédure préalable à l accès au registre. Ainsi, afin d éviter un régime spécial pour la SUP, il serait préférable de se baser sur les dispositions de la directive 2009/101/CE (ex 68/151/CEE) et de respecter, au niveau de l'organisation des Etats membres, les normes minimales imposées notamment para son article 11 qui prévoit déjà des normes minimales contraignantes relatives au contrôle de validité et de légalité de la constitution de la société. La limitation du contrôle de la constitution porte atteinte à cet acquis et partant, à l'organisation des systèmes de registres nationaux de nombreux Etats membres. Si l approche suivie était différente, alors il conviendrait des modifier également les directives existantes dans un souci de cohérence législative. Par ailleurs, il convient de clarifier également qu en cas de demande présentée par voie électronique, les Etats membres doivent pouvoir maintenir leurs procédures d immatriculation nationales ainsi que les mesures de sécurité prévues dans la directive 2009/101/CE afin de préserver l authenticité des demandes d immatriculation.
Conséquences d avoir choisi la loi du pays de l immatriculation comme loi applicable 1) Coût juridique Si le siège d incorporation prime sur le siège réel, ceci suppose que la loi d incorporation s impose à l étranger, contrairement au but recherché du moindre coût. Cette règle de suprématie supposera la connaissance de la loi du siège d incorporation partout où elle s applique. 2) Insécurité pour les travailleurs La dissociation permise des sièges réel et statutaire peut conduire à choisir un siège statutaire sans aucun lien avec l activité de la société et moins contraignant en ce qui concerne le droit social et ceci, au détriment des travailleurs de la SUP. A titre d exemple, le choix d immatriculation dans un Etat membre qui ne connaît pas un régime de participation des travailleurs, faciliterait le contournement des règles applicables dans ce domaine dans l Etat membre d exploitation. La proposition de la Commission évite toute référence aux règles applicables aux travailleurs d une SUP et notamment aux règles relatives à la participation des travailleurs évitant ainsi des discussions difficiles dans le passé. 3) Insécurité pour les consommateurs et les créanciers La proposition de directive ne tient pas suffisamment compte des intérêts des partenaires contractuels/créanciers de la société et le label unique s avère trompeur. - En déterminant que la loi applicable à la SUP sera celle du pays d immatriculation, ce sera facile d éviter un haut niveau de protection des consommateurs et des créanciers en choisissant un autre Etat membre pour l immatriculation avec des niveaux de protection plus souples. - La SUP constitue un réel danger économique : l absence de capital minimal doit être compensée par des mesures sur l insolvabilité puisqu il s agit d un ensemble de composants qui nécessite une cohérence pour protéger les créanciers. La protection des créanciers par le biais d un capital minimal est une stratégie d ores et déjà en place dans un certain nombre d Etats membres dont la validité a été confirmé dans le rapport
KPMG 1. Il ne serait nécessaire de trouver d autres moyens de protéger les créanciers que si l on poursuit l idée de diminuer le capital minimal. - Même s il est d ores et déjà possible de réaliser des activités sur base d une société constituée dans un autre Etat membre, ceci reste transparent dans la vie des affaires (nonobstant les difficultés et questions ouvertes liées à la reconnaissance des entreprises étrangères), puisque la forme de la société rend visible cette spécificité. En effet, toute personne qui conclut un accord avec une «limited» par exemple, saura très facilement qu il s agit d une société particulière de droit anglo-saxon. Par le label unique de la SUP, les tiers risquent d être induits en erreur concernant la loi applicable à la société. Le manque de précisions sur la loi applicable à la SUP présente un danger économique (le créancier manquant d informations). Il faudrait préciser dans la dénomination de la SUP son siège d incorporation puisque celle-ci est soumise à sa loi d incorporation. Risques pour l associé Le système envisagé permettrait de faire des inscriptions en ligne, étant donné qu il se fonde à tort sur la signature électronique sécurisée. Cependant, permettre l inscription en ligne sans une présence physique devant une autorité quelconque porterait atteinte aux intérêts des fondateurs notamment lorsque les Etats membres prévoient l intervention du notaire dans le processus d inscription. Le notaire garantit non seulement l identité des fondateurs mais fournit également un conseil indépendant et impartial dans l intérêt de tous, mais surtout des fondateurs moins expérimentés d un point de vue juridique. La procédure garantit que les fondateurs soient bien informés par rapport aux risques considérables de responsabilité civile avant d entrer dans le marché. Ils recevront également des conseils sur la façon d éviter des poursuites pénales pour tout retard d insolvabilité et comment éviter l insolvabilité en premier lieu. Base juridique erronée La Commission européenne a choisie comme base juridique l art. 50 TFUE et ce, pour un projet de directive qui se divise clairement en deux parties : dans la première partie, la directive propose d utiliser les règles de la directive 2009/102/CE en matière de droit des sociétés concernant les sociétés à responsabilité limitée à un seul associé et dans la deuxième, l on introduit le nouveau type sociétaire. Cette stratégie de la Commission conduit à éviter la nécessité d unanimité au Conseil pour son adoption (art. 352 TFUE). 1 Étude de faisabilité d'une alternative au régime de maintien du capital tel qu'établi par la deuxième directive sur le droit des sociétés (77/91/CEE du 13.12.1976) et étude des implications du nouveau régime comptable de l'ue sur la distribution des dividendes - Janvier 2008
Or, le choix de l article 50 paraît inapproprié, étant donné que seul son alinéa 2 point g) pourrait en principe servir de base légale. L article 50 alinéa 2 point g) dispose que le Parlement européen, le Conseil et la Commission exercent les fonctions qui leur sont dévolues par les dispositions ci-dessus, notamment en coordonnant, dans la mesure nécessaire et en vue de les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers. En effet, le projet n a aucune pertinence du point de vue de la protection des tiers/associés dans l UE. En revanche, il vise la création d une nouvelle forme de société exactement comme la SE et la SCE. Dans le passé, la CJUE s est prononcée sur la base juridique choisie pour la coopérative européenne et elle a très clairement statué sur le point que la création de nouvelles sociétés ne constituait pas un instrument d harmonisation 2. Bruxelles, le 24.avril 2014 2 Arrêt de la CJUE du 2 mai 2006 dans l affaire C-436/03