Toxicologie clinique. Intoxication par le monoxyde de carbone : Rappels de quelques éléments clefs Syndrome post-intervallaire infra-clinique

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Transcription:

Toxicologie clinique Intoxication par le monoxyde de carbone : Rappels de quelques éléments clefs Syndrome post-intervallaire infra-clinique E. Puskarczyk, J. Manel. CAPTV de Nancy COLMU, Pont-à-Mousson, 7 décembre 2010

Plan de la présentation Présentation d une situation concrète Fausses idées parfois (très) tenaces (!) Critères diagnostics directs et indirects Risque d atteinte lésionnelle et conséquences pour la prise en charge

Situation concrète (1/2) Février 2009, école primaire du village de M.. Sur les 23 enfants d une classe unique, 10 sont «malades» Nausées, céphalées depuis quelques jours Vomissements pour certains le jour de l alerte Secours (pompiers) sur place : 6 élèves mis sous O 2 normobare HbCO (prélèvements sanguins) à H 3 (%) : 1,5-1,6-1,7-1,7-1,7 et 2,5. Diagnostic d intoxication par le CO évoquée par le médecin CAPTV In fine, diagnostic «écarté» devant les valeurs basses d HbCO «Encouragement aux peurs immotivées»

Situation concrète (2/2) Patients oxygénés avant le prélèvement [1/2 vie : 90 minutes] 3 heures entre la fin de l exposition et le prélèvement sanguin Valeurs d HbCO trop élevées pour être «physiologiques» dans un contexte collectif clinico-environnemental évocateur d une intoxication par le CO après une oxygénation au masque In fine, installation d un détecteur de CO dans l école Déclenchement de l alarme du détecteur à deux reprises en 24 heures Chaudière au fioul d installation défectueuse dans le local technique adjacent Très probable exposition chronique de tous les «usagers» de l école (enfants + enseignant ) depuis les derniers travaux (plus de 2 mois )

Le CAPTV de Nancy Trois régions 12 départements Tél : 03 83 32 36 36 (24h/24) Fax : 03 83 85 26 15 toxicovigilance@chu-nancy.fr

Intoxication par le CO : points clefs. Quelques fausses idées tenaces (1/3) Le risque d intoxication par le CO est toujours corrélé au niveau socio-économique des populations exposées Le gaz «de ville» contient du CO Les appareils de chauffage sont les seules sources domestiques potentielles de CO Le seul combustible «à l origine du CO» est le «gaz»

Intoxication par le CO : points clefs. Quelques fausses idées tenaces (2/3) La gravité fonctionnelle est corrélée au taux d HbCO Une HbCO inférieure à 3% écarte formellement l intoxication Un patient asymptomatique n a pas été exposé Un patient asymptomatique n est pas intoxiqué et ne doit donc pas être traité

Intoxication par le CO : points clefs. Quelques fausses idées tenaces (3/3) L indication d oxygénothérapie devient caduque dès la disparition de la symptomatologie initiale Une femme enceinte exposée ne relève pas de l OHB si elle n est pas symptomatique Il est indispensable de vérifier l HbCO à l issue de l oxygénothérapie La mesure de l HbCO sanguine nécessite un prélèvement artériel La prise en charge se limite à celle des atteintes fonctionnelles (immédiates) des intoxiqués symptomatiques

Intoxication par le CO : points clefs. HbCO chez les sujets non exposés Profil du sujet HbCO (%) Adulte sain «standard», production endogène Adulte sain «standard», production endogène et imprégnation environnementale «normale» Femme enceinte 0,4 à 0,7 0,5 à 1,5 0,7 à 2,5 Fumeurs à distance du tabac 6 à 10 Fumeurs en phase active de consommation tabagique Jusqu à 14 à 16

Intoxication par le CO : diagnostic. Critères diagnostiques Critères anamnestiques et / ou cliniques en faveur ET au moins un des 4 critères suivants : Critères directs : Interprétés en fonction de la cinétique d élimination très dépendante de la F i O2 HbCO [Dosage sanguin] ou [SpCO] > 3 % (non fumeur), > 6 % (fumeur, à distance d une prise) Air expiré > 9,0 ppm (non fumeur) > 16,5 ppm (fumeur) Se=100%, Sp=88 % Se = 88%, Sp = 91%

Intoxication par le CO : diagnostic. Critères diagnostiques Critères indirects : Certitude de l environnement contaminé Détection métrologique par détecteur portatif ou fixe [CO atm. > 30 ppm (1 ppm = 1,15 mg.m- 3 )] Diagnostic positif certain chez un co-exposé Exposition superposable (lieu, durée), avec au moins un des critères directs retenus (co-exposé)

Intoxication par le CO : points clefs. Cinétique d élimination du toxique 320 minutes en air ambiant (5 à 6 heures) 90 minutes en F i O 2 100% au masque 20 minutes en caisson hyperbare à 2,5 ATA

Atteinte lésionnelle : risque de séquelles Syndrome post intervallaire : classique? Intervalle de 2-3 jours à 40-240 jours, persistant dans le temps Dégradation secondaire de l état neurologique Expression «macro» clinique variable Expression infraclinique multiple Démence Modifications de l humeur, irritabilité Psychose Troubles de la personnalité Syndrome parkinsonien réfractaire Syndrome anxio-dépressif Troubles sphinctériens Incapacité de concentration Troubles de la mémoire Atteinte cognitive Tableau infraclinique souvent non objectivable sans tests psychométriques

Le risque de séquelles Incidence et profondeur de l intoxication variables Intoxication, effectif, série % Référence Clinique, HbCO (>5 et >10%) [n=100] 67 Gorman DF. et al. Anaesth. Intensive Care. 1992 ; 20 : 311-6 Clinique, HbCO >6% [n=100] 66 Hopkins R. Undersea Hyperb Med. 1997 ; 24 : 20. Clinique et taux d HbCO (>5 et >10%) [n=?] 93 Gale S. J. Int. Neuropsychol Soc. 2004 ; 10 : 60-71 Clinique, HbCO > 10 % [n=21] 45 à 95 Gale S. Brain Inj. 1999 ; 13 : 229-43 Clinique, HbCO moyen 22,4 +/- 10,61 % [n= 62] 52 Porter SS. Arch. Clin Neuropsychol 2002 ; 17 : 195-204

NOAEL fonctionnelle et HbCO n 12 10 8 6 CO, Lorraine, 2008 Cas «certains» ou «probables» Taux d HbCO 29 Patients asymptomatiques [29,3%] n=116 HbCO max = 37,5 % 4 2 0 ]0à5] ]5à10] ]10à15] ]15à20] ]20à25] ]25 HbCO Intoxications Lorraines par le CO, année 2008 Système national de surveillance, InVS, CIRE-Est, CAPTV de Nancy

Atteinte lésionnelle : risque de séquelles Conséquence pour la prise en charge : Corrélation montrée entre gravité fonctionnelle immédiate et risque de séquelle (Durée de l exposition, durée de la PCI, convulsions etc ) Mais Aucune étude clinique ne démontre l absence de risque de séquelles : Pour les plus «faibles» niveaux d intoxication Chez les patients asymptomatiques à la prise en charge Gravité des séquelles proportionnelle au retard de traitement [Burney RE. Ann Emerg Med, 1982] Oxygéner tout patient, sans délai, sans exclure les intoxiqués asymptomatiques