COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL Dossier : AM-1000-9215 Cas : CM 2001-3744 Référence : 2005 QCCRT 0266 Montréal, le 11 mai 2005 DEVANT LA COMMISSAIRE : Andrée St-Georges, présidente Jean-Pierre Légaré c. Plaignant Fraternité des policiers de Mascouche inc. et Intimée Ville de Mascouche Mise en cause DÉCISION [1] Le 9 juillet 2004, la Commission des relations du travail (la Commission) reçoit la plainte de monsieur Jean-Pierre Légaré mise à la poste le 30 juin précédent. Par cette plainte, soumise en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail, monsieur Légaré reproche à la Fraternité des policiers de Mascouche inc. (la Fraternité) d avoir agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou discriminatoire ou bien d avoir fait preuve de négligence grave à son endroit, le 25 juin 2004.
2005 QCCRT 0266 PAGE : 2 [2] Les faits décrits par monsieur Légaré au soutien de sa plainte sont les suivants (extrait reproduit tel quel) : Malgré la mise en vigueur enfin! de la loi sur le harcèlement au travail, le syndicat qui a en main un grief de réintégration et de harcèlement refuse de le mettre en marche sans donner le moindre motif, refusant de donner au plaignant la moindre chance de démontrer qu il est injustement et criminellement empêché d exercer sa profession alors qu en fait le lien d emploi est toujours intact et qu aucune accomodation n est accordée au plaignant. [3] Les parties sont entendues le 15 décembre 2004 par le commissaire Paul Dufault. À la fin de l audience, l affaire est prise en délibéré. Le dossier est cependant retourné au greffe de la Commission pour être repris par un autre commissaire en raison des propos menaçants tenus par le plaignant à l endroit du commissaire Dufault lors de l audience du 15 décembre. [4] Le 17 décembre 2004, le plaignant fait parvenir à la Commission, avec copie aux parties, la lettre suivante : Tel que déjà souligné en audition le 15 dernier, le soussigné vous soumet en annexe le formulaire indiquant une modification à son recours dans la présente cause, pour faire appel aux dispositions prévues selon l article 81.19 de la Loi sur les Normes du travail puisqu il semble évident que le soussigné n est pas protégé par un syndicat et que l employeur persiste à l écarter de son emploi malgré le lien et malgré l entrée en vigueur des nouvelles dispositions mises en place le 1 er juin 2004. [5] Le formulaire annexé fait état d un recours entrepris en vertu de l article 81.19 de la Loi sur les normes du travail au motif que «le salarié est victime de harcèlement psychologique constant au travail et l employeur fait défaut de respecter ses obligations pour le faire cesser ou prendre les moyens raisonnables de le faire, fait défaut de réintégrer le salarié et fait défaut de le rémunérer malgré qu un grief ait été déposé à l employeur en bonne et due forme par le requérant directement à l employeur pour harcèlement au travail et discrimination le 15 juin 1995». [6] Le 22 décembre suivant, la Commission écrit à monsieur Légaré, avec copie aux autres parties, pour l informer que sa lettre du 17 décembre est ajoutée à son dossier. [7] Assignée à tel dossier, la soussignée communique avec toutes les parties le 11 mars 2005. Il est alors convenu que la commissaire écoute l enregistrement de l audience du 15 décembre 2004 et rende une décision à partir de la preuve administrée et des pièces déposées. Une lettre de la Commission, datée du 11 mars 2005, confirme cette entente L écoute de l enregistrement se termine le 5 mai 2005, date à laquelle l affaire est prise en délibéré.
2005 QCCRT 0266 PAGE : 3 LES FAITS [8] Jean-Pierre Légaré, policier à la Ville de Mascouche (la Ville) depuis 1976, est rétrogradé de son poste de sergent en 1993-1994 puis, congédié le 4 novembre 1996. Entre-temps, le 15 juin 1995, il se plaint par écrit auprès de la Ville en se disant victime de harcèlement et de discrimination de la part d un directeur. [9] Il conteste son congédiement du 4 novembre 1996 par voie de grief. L arbitre Denis Gagnon entend sa cause pendant 28 jours. Il entend également neuf autres griefs soumis par monsieur Légaré entre 1993 et 1996 incluant ceux contestant sa rétrogradation. La Fraternité le représente lors de l arbitrage. [10] Par décision datée du 17 mars 1998, l arbitre conclut que la «décision de la Ville de procéder au congédiement administratif de Jean-Pierre Légaré était raisonnable, non arbitraire ni abusive». Autrement dit, il rejette le grief de congédiement après avoir rejeté ceux relatifs à la rétrogradation ou pris acte de leur désistement. [11] Le 4 septembre 2001, monsieur Légaré dépose au Tribunal du travail une plainte contre la Fraternité pour défaut de représentation de sa part. Devant la juge Handman, il soutient qu il a découvert de nouvelles preuves qui, si elles avaient été connues à temps, auraient changé le cours des choses, que la Fraternité l a mal défendu devant l arbitre de grief et qu elle aurait dû demander la révision judiciaire de la sentence arbitrale. La juge rejette ses prétentions. [12] Monsieur Légaré plaide aussi que son renvoi est fictif puisque la résolution de la Ville relative à son congédiement n a été ni proposée ni appuyée, de telle sorte que son lien d emploi n a jamais été rompu. Là encore, la juge rejette ses prétentions au motif que la résolution lui apparaît valide. Sa décision est datée du 7 janvier 2003. L ARGUMENTATION [13] Tant la Fraternité que la Ville plaident chose jugée face à la décision arbitrale et à celle du Tribunal du travail. Elles plaident subsidiairement que le recours est prescrit. [14] Le plaignant ne demande pas à retourner en arbitrage. Son recours se fonde davantage sur les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail portant sur le harcèlement psychologique au travail, en vigueur depuis le 1 er juin 2004. Autrement dit, la Fraternité aurait dû le supporter dans sa démarche contemporaine visant à obtenir l annulation de sa rétrogradation de 1993-1994, imposée dans un contexte de harcèlement psychologique, à donner suite à sa plainte de harcèlement et de discrimination du 15 juin 1995 et à obtenir son retour au travail puisqu il a toujours un lien d emploi avec la Ville en raison d un «processus de réintégration» à être enclenché grâce à ces nouvelles dispositions législatives ainsi que par la Charte des droits et libertés de la personne. Cela étant, ses plaintes ne sont pas prescrites.
2005 QCCRT 0266 PAGE : 4 [15] La Fraternité et la Ville répondent que la plaignant ne peut ainsi, pour le seul motif qu une nouvelle loi est en vigueur, faire revivre un droit éteint depuis plusieurs années, cette loi n ayant pas d effet rétroactif. DÉCISION ET MOTIFS [16] Il est un fait que depuis le 1 er juin 2004, la Loi sur les normes du travail contient de nouvelles dispositions permettant à un salarié, qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique au travail, de se plaindre soit auprès de la Commission des normes du travail (éventuellement, pour adjudication, auprès de la Commission des relations du travail) soit auprès de l arbitre de grief, s il est syndiqué. [17] En concordance avec ces nouvelles dispositions, le législateur amendait aussi, au même moment, l article 47.3 du Code du travail pour prévoir le cas où une association accréditée contreviendrait à l article 47.2 du Code du travail à l endroit d un salarié se croyant «victime de harcèlement psychologique, selon les articles 81.18 à 81.20 de la Loi sur les normes du travail». [18] De toute évidence, ni l une ni l autre de ces nouvelles dispositions ne visent une situation qui remonte à quelque 10 ans. Au moment de la rétrogradation du plaignant, en 1993-1994, au moment du dépôt de sa plainte pour harcèlement et discrimination, le 15 juin 1995, tout comme au moment de son congédiement, en 1996, aucun de ces articles n était en vigueur. Le fait qu ils le soient depuis le 1 er juin 2004 ne permet pas à monsieur Légaré de les invoquer, le 30 juin suivant, pour faire naître un droit qui n existait pas au moment opportun, la loi n ayant pas d effet rétroactif à moins qu elle ne le prévoie spécifiquement, ce qui n est le cas ni pour la Loi sur les normes du travail ni pour le Code du travail. [19] En outre, l article 123.7 de la Loi sur les normes du travail prévoit que «toute plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique doit être déposée dans les 90 jours de la dernière manifestation de cette conduite». Dans le cas qui nous occupe, cette manifestation, si tant est qu elle ait existé, remonte au plus tôt à 1996. C est tout dire : plainte devant la Commission ou grief devant l arbitre, aucun des deux recours n est recevable à l encontre de la Ville faute de dispositions législatives en vigueur à leur appui. La Fraternité n avait donc pas à se sentir concernée par le nouvel article 47.3 du Code du travail de telle sorte que le plaignant ne peut prétendre qu elle a contrevenu à l article 47.2. [20] Quant à la prétention du plaignant voulant que son congédiement de 1996 soit illégal au motif que la résolution à son appui est invalide, le Tribunal du travail l a déjà rejeté, d où chose jugée.
2005 QCCRT 0266 PAGE : 5 EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail REJETTE les plaintes. Andrée St-Georges M e Serge Gagné TRUDEL, NADEAU AVOCATS SENC Représentant de l'intimée M e Jacques Audette MARTINEAU WALKER Représentant de la mise en cause Date de la dernière audience : 15 décembre 2004 Date de la prise en délibéré : 5 mai 2005