ALERTE ACTUALITE février 2010 Le statut d auto-entrepreneur menace gravement l équilibre financier de certains régimes de retraite Depuis son lancement, le statut d auto entrepreneur connaît un vrai succès chez les porteurs de projets. Faisant résolument le pari de la simplicité, ce statut semble lever une fois pour toutes les freins à l entrepreneuriat en France. Le Secrétaire d État aux Entreprises, Hervé Novelli, y voit d ailleurs l une des principales raisons du dynamisme de la création entreprise. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 vient d y apporter certains aménagements techniques importants. Pourtant, tout n est pas si rose! Vous tenez aujourd hui à nous alerter sur les conséquences gravissimes je reprends vos termes que le statut d auto entrepreneurs pourrait avoir sur l équilibre de certains régimes de retraite.
Question 1 : Pouvez-vous tout d abord nous rappeler succinctement le principe de ce statut et la raison de sa mise en place? Le principe de base est bien évidemment la simplicité : on peut évoquer ici la longue marche vers la simplification des formalités (depuis la création des CFE jusqu à la fusion des caisses des TNS ou encore la SARL à un euro). Rappelons quelles sont les charges sociales de l'auto-entrepreneur : Pour relever du régime micro-social, le chiffre d'affaires pour 2010 ne doit pas dépasser : 80 300 euros HT pour les entreprises dont l activité principale est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement. 32 100 euros HT pour celles dont l activité principale est de fournir des prestations autres que celles relevant du seuil de 80 300 euros ainsi que les autres prestations de service, imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), c est-à-dire principalement les professions libérales L'auto-entrepreneur doit opter pour ce régime auprès du Régime Social des Indépendants (RSI) au plus tard le 31 décembre pour y prétendre l année suivante, ou au plus tard le dernier jour du mois qui suit la création de votre entreprise, Le montant du prélèvement calculé sur le chiffre d'affaires est déterminé selon le tableau suivant : Organisme de retraite Activités Exemple concernées d activités Régime microsocial simplifié Ventes marchandises (BIC) de Restaurateurs, magasins chaussures opticiens, prêt-à-porter, 12,00% RSI Prestations service BIC de Coiffeurs, cordonniers, plombiers, boulangers, bouchers 21,30% Prestations service BNC de Agent commercial, exploitant d auto-école, coiffeur à domicile 21,30% CIPAV Activités libérales (BNC) Architecte, consultant psychologue, 18,30%
Question 2 : Les principes sur lesquels sont fondées ce statut ne semblent pas a priori poser de problèmes particulier. D ailleurs le succès est au rendez-vous, notamment chez les professionnels libéraux : L engouement pour ce statut est réel. Si on limite notre raisonnement aux seuls libéraux, les chiffres publiés par l ACOSS fin août font apparaître que plus de 70 000 auto-entrepreneurs devraient rejoindre la CIPAV. A ce rythme, c est plus de 100 000 auto-entrepreneurs libéraux qui seront inscrits à la fin de l année 2009. Cependant, les CA déclarés sur le premier semestre sont très faibles (de l ordre de 2 000 euros de CA sur une base annuelle), une majorité des inscrits ne déclarant pas de CA. Près des deux tiers des autos-entrepreneurs ne génèrent aucun chiffre d affaires! L ouverture de droits sociaux à des actifs ayant des chiffres d affaires très faibles, voire nuls, a été rendue possible en 2009 par une prise en charge importante de l Etat qui s est engagé à compenser le manque à gagner pour les régimes de protection sociale. Pour la CIPAV, un adhérent qui réalise un chiffre d affaires de 4 000 euros par an devrait payer 550 euros de cotisations, il n en paye que la moitié, l autre moitié étant prise en charge par l Etat. Ainsi, pour 100 000 bénéficiaires en fin d année, l Etat devra compenser à la CIPAV près de 30 millions d euros en 2009.
Question 3 : Si l État s est engagé à compenser le manque à gagner pour les régimes de retraite, pourquoi ne respecterait-il pas ses engagements? Parce qu il ne l a jamais fait sur la durée! Nous avons d ailleurs d ores et déjà une illustration de ce désengagement de l Etat avec la LFSS pour 2010. En effet, la loi prévoit que les auto-entrepreneurs dont le chiffre d affaires sera inférieur à un montant minimum fixé par décret n entreront pas dans le champ de la compensation assurée par l Etat aux organismes de sécurité sociale dans le cadre dudit régime. L Etat ne compensera donc plus systématiquement les cotisations sociales des auto-entrepreneurs (ce «montant minimum fixé par décret» étant inconnu à ce jour) Les auto-entrepreneurs créent deux risques majeurs pour les régimes de retraite : Financement du régime de base des professions libérales : la charge de la compensation démographique va peser de façon inconsidérée sur le régime de base si les règles actuelles ne sont pas changées : l afflux d adhérents accroît la charge de compensation de 1 700 euros par actif supplémentaire, montant sans commune mesure avec les cotisations des autoentrepreneurs. Sans changement de règles, les comptes du régime de base des professionnels libéraux, actuellement excédentaires, seront fortement dégradés et déficitaires dès 2010 (rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale du 1 er octobre 2009). Financement du régime complémentaire de la CIPAV : le risque de dégradation rapide de l équilibre technique du régime est réel si l on devait verser des droits à des personnes n ayant pas cotisé normalement ou si ces sommes n étaient pas compensées.
Question 4 : Finalement, c est toute la logique de financement du système de protection sociale qui se voit remise en cause. Ai-je bien compris? C est tout à fait cela. En fait, l impact économique de cette ouverture aux professions libérales visait à l origine la sécurisation de leur début d activité. Désormais, il va bien au-delà et se traduit par: Transferts massifs du salariat vers l exercice libéral avec une perte importante de cotisations sociales pour les régimes de sécurité sociale, Modifications profondes des conditions de concurrence dans certains secteurs avec des effets prix et une fragilisation des PME, Accroissement des prélèvements de l Etat pour financer les pertes de cotisations des régimes libéraux par rapport au montant des cotisations de droit commun. En outre, l Etat vient d aggraver la situation avec la LFSS 2010. En effet, le maintien dans le dispositif pour des personnes ne déclarant aucun chiffre d affaires vient d être porté de 12 mois à 36 mois. De plus, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 étend et pérennise le bénéfice du microsocial simplifié à tous les travailleurs indépendants relevant de la CIPAV, y compris pour ceux déjà en activité au 1er janvier 2009. En d autres termes, les vannes sont désormais grandes ouvertes pour des populations qui perçoivent des droits sans commune mesure avec l effort contributif qu elles fournissent.
Question 5 : Pouvez-vous évaluer les conséquences pour les caisses de professions libérales et plus particulièrement pour la Cipav? La CIPAV a établi un certain nombre de simulations forts instructives : Avec une hypothèse de 100 000 auto-entrepreneurs à fin 2009 et d un chiffre d affaires moyen de l ordre de 3 000 euros par an : les cotisations encaissées par la CIPAV (pour les 3 régimes : base, complémentaire et invalidité-décès) devraient s élever à environ 20 millions d euros, l Etat devrait compenser aux régimes vieillesse de l ordre de 30 millions d euros. Quand au coût pour l'etat en 2010, il dépendra du montant de revenu au-delà duquel il y aura compensation de l Etat et qui sera fixé par décret. Par ailleurs, si les évolutions en cours se confirment, la compensation démographique qui représente une charge de 1 700 euros par cotisant pour la CNAVPL, représenterait en 2010 (en prenant comme base de calcul 135 000 autoentrepreneurs au 30 juin 2010) 230 millions d'euros supplémentaires (soit une compensation de l'ordre de 720 millions d'euros en augmentation de 48 % par rapport à l'année précédente (486 millions d'euros)). La charge de compensation, si les règles ne sont pas modifiées, déséquilibrerait de façon majeure le régime de base des professions libérales, la compensation représentant presque la moitié des cotisations encaissées (1 600 millions d'euros). On parvient ainsi à la situation absurde qui veut que l Etat mette en danger l équilibre financier d un régime jusqu alors équilibré car géré de manière prudente au profit de personnes qui ne génèrent que très peu d activité réelle et qui n ont pas la qualité de professionnels libéraux.
Question 6 : Que faut-il faire pour limiter ce problème grave de financement que va poser rapidement le développement de ce statut? Le différentiel de cotisations entre un libéral «normal» et un auto-entrepreneur est restreint dans la plupart des cas. Mais il devient considérable pour les chiffres d affaires les plus faibles, dès qu il y a abondement de l Etat. Cette situation permet à l auto-entrepreneur la validation de points auprès des régimes vieillesse (base et complémentaire), la validation de trimestres et l accès à une couverture invalidité-décès pour un coût dérisoire par rapport au coût supporté par le travailleur indépendant de droit commun. Le système est également inéquitable quand on compare le coût d acquisition d un trimestre par rapport aux barèmes des dispositifs de rachats de trimestres ouverts aux travailleurs indépendants (2 500 euros par trimestre racheté en moyenne). Cette différence crée un vrai risque de multiplication des comportements d optimisation consistant à déclarer chaque année un chiffre d affaires minimal permettant de se maintenir dans le régime microsocial en jouissant quasiment gratuitement des mêmes droits sociaux que les travailleurs indépendants s acquittant de la totalité des cotisations minimales. Il est donc essentiel d adopter deux mesures : pour tous les cotisants, qu ils soient ou non auto entrepreneurs, limiter les droits ouverts aux sommes réellement cotisées, pour préserver les grands équilibres des régimes d assurance vieillesse de base des travailleurs indépendants, exclure les auto-entrepreneurs du champ de la compensation démographique vieillesse. Si l État n engage pas aux plus vite ces deux mesures, c est tout le système de financement des professions libérales qui volera en éclats.