Fiche 8 Conciliation vie familiale vie professionnelle La conciliation des temps de vie est devenue une priorité de l Union européenne. À ce titre, de nombreuses initiatives en faveur de l harmonisation des temps sociaux ont été lancées ces 20 dernières années (ex : programme Equal). La recherche de cette conciliation permet, en effet, d augmenter le taux d activité des femmes, de favoriser l égalité professionnelle et le bien-être au travail des salariés : «Harmoniser la vie, c est aussi assurer la qualité de la vie». Le droit à la conciliation découle, notamment, de l article 9 du Code civil qui énonce que : «Chacun a droit au respect de sa vie privée». En pratique, comment se concrétise la conciliation? 1) Par le droit à la conciliation des temps de vie droit à différents congés ponctuels permettant au salarié de s absenter de son travail par une suspension du contrat (congé maternité, adoption : art. L. 1225-17 C. trav., congé paternité : art. L. 1225-35 C. trav., congé parental d éducation : art. L. 1225-47 C. trav., congé enfant malade : art. L. 1225-61 C. trav., congé de présence parentale : art. L. 1225-62 C. trav., congé de soutien familial : art. L. 3142-22 C. trav., congés pour évènements familiaux : art. L. 3142-1 C. trav., congé de solidarité familiale : art. L. 3142-16 C. trav.) (voir la fiche n 14 sur les autres congés) ; droit à un passage à temps partiel dans le cadre du congé parental d éducation (art. L. 1225-47 à 51 C. trav.) que l employeur ne peut refuser ; droit de demander la transformation d un congé de solidarité familiale en période d activité à temps partiel, qui nécessite l accord de l employeur (art. L. 3142-16 à 18 C. trav.) ; 92
Fiche 8 droit de demander un temps partiel s il existe un accord collectif prévoyant la mise en place d horaires à temps partiel (art. L. 3123-5 C. trav.) et droit de demander un temps partiel, choisi en l absence d accord collectif, qui peut être refusé si l employeur justifie de l absence d emploi disponible ou équivalent, ou s il peut démontrer que le changement d emploi aurait des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l entreprise (art. L. 3123-6 et D. 3123-3 C. trav.) ; droit de demander, en raison des besoins de la vie familiale, une réduction de la durée du travail sous forme d une ou plusieurs périodes d au moins une semaine, que l employeur ne peut refuser sauf s il justifie de raisons objectives liées aux nécessités de fonctionnement de l entreprise (art. L. 3123-7 C. trav.) ; ainsi, le salarié peut demander à ne pas travailler durant les vacances scolaires et compenser en travaillant à temps plein durant les périodes travaillées ; il travaille donc à temps partiel sur l année en alternant des périodes de travail à temps plein et des périodes d absence totale de l entreprise ; l avenant au contrat précise les périodes non travaillées et peut prévoir un lissage de la rémunération ; droit à une priorité pour passer à un temps partiel choisi s il existe un poste disponible de même catégorie professionnelle (art. L. 3123-8 C. trav.) (voir la fiche n 79 sur le temps partiel) ; À noter! Des droits spécifiques sont prévus par la Charte de la parentalité du 11/04/2008 pour les salariés des grandes entreprises signataires. 2) Par le droit de s opposer à un changement des conditions de travail lorsque les nouvelles conditions sont incompatibles avec le droit de mener une vie personnelle et familiale («bouleversement des conditions de vie») En cas de modification de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Si la modification de la répartition de la durée du travail a été prévue par le contrat et que le salarié à temps partiel la refuse, son 93
Fiche 8 refus ne pourra constituer une faute ou un motif de licenciement, dès lors que le changement n est pas compatible avec des «obligations familiales impérieuses» (art. L. 3123-24 C. trav.). En cas de modification des horaires de travail du salarié En principe, les horaires de travail relèvent du pouvoir de direction de l employeur, ce qui signifie qu en cas de changement, le salarié ne peut s y opposer. Il en est ainsi en cas d instauration d une nouvelle répartition du travail sur la journée. Mais la Cour de cassation considère que, dans certains cas, le changement d horaires peut caractériser une modification du contrat de travail que le salarié peut refuser. Ainsi, même si la modification des horaires de travail au sein de chaque journée travaillée a été prévue par le contrat et que le salarié à temps partiel la refuse, la Cour de cassation a décidé, sur le fondement de l article L. 3123-24 du Code du travail, que lorsque ce changement n est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses, le refus du salarié peut être légitime (Cass. soc. 09/05/2001, n 99-40111, Cass. soc. 09/07/2003, n 01-42723, Cass. soc. 04/02/2004, n 01-44346). La notion d «obligations familiales impérieuses» vise, notamment, la garde d un enfant ou la prise en charge d une personne dépendante (art. L. 3122-37 C. trav.). Une circulaire ministérielle du 03/03/2000 indique qu il appartient au salarié de donner à l employeur les justifications sur ses obligations familiales de nature à établir le caractère impérieux de cellesci (garde d un parent gravement malade, garde d un enfant pour un parent isolé,...). Attention, la Cour de cassation n a pourtant pas reconnu les obligations familiales impérieuses d une femme élevant seule deux enfants de 17 et 9 ans à qui l employeur demandait de travailler le samedi (Cass. soc. 06/05/2009, n 07-41766). Allant encore plus loin dans son souci de concilier la vie personnelle et familiale et la vie professionnelle, la Cour de cassation vient de décider que si un changement d horaires (consistant en une nouvelle répartition des horaires d un salarié à temps plein au sein de la journée) porte une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle 94
Fiche 8 et familiale ou à son droit au repos (repos légal hebdomadaire et quotidien), il constitue une modification du contrat de travail (Cass. soc. 03/11/2011, n 10-14702). Le salarié doit donc établir le retentissement d un tel changement sur sa vie privée (nécessité d engager des frais de garde supplémentaire ) ou l atteinte à son droit au repos légal, d une part, et démontrer en quoi cette atteinte est excessive, d autre part. Travail de nuit Un salarié qui travaille de jour et à qui l employeur demande de travailler de nuit à l avenir peut refuser d accepter ce changement lorsque le travail de nuit est incompatible avec des obligations familiales impérieuses notamment la garde d un enfant ou la prise en charge d une personne dépendante - sans que ce refus constitue une faute ou un motif de licenciement (art. L. 3122-37 C. trav.). Travail du dimanche Tout salarié a le droit de refuser de travailler le dimanche dans les Puce (Périmètres d Usage de Consommation Exceptionnels), quelle qu en soit la raison puisque ce type de travail est basé sur le volontariat (art. L. 3132-25-4 C. trav.). La modification des horaires de travail d un salarié (consistant en une nouvelle répartition des jours de travail), ayant pour effet de priver celui-ci de son repos dominical, constitue une modification du contrat de travail nécessitant son accord préalable (Cass. soc. 02/03/2011, n 09-43.223). En cas de modification du lieu de travail du salarié (voir fiche n 55 sur la clause de mobilité) L usage abusif de la clause de mobilité peut être caractérisé lorsque la mobilité intervient à un moment de la vie personnelle du salarié qui n est pas propice à un déménagement (exemple : l épouse du salarié enceinte de 7 mois, Cass. soc. 18/05/1999, n 96 44315, ou nouvelle affectation d une salariée mère d un enfant handicapé, Cass. soc. 06/02/2001, n 98-44190). Ainsi, en cas de mise en œuvre d une clause de mobilité contractuelle, le salarié a le droit de refuser une nouvelle 95
Fiche 8 affectation géographique, lorsqu il existe une atteinte injustifiée ou disproportionnée à son droit de mener une vie personnelle et familiale. Selon la Cour de cassation, dans plusieurs arrêts : «le juge doit prendre en compte les conditions de vie personnelle et familiale des salariés et vérifier, non seulement que les modifications qui leur sont imposées ne portent pas une atteinte disproportionnée à leur droit de mener une vie personnelle et familiale, mais aussi si une telle atteinte est justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché» (Cass. soc.14/10/2008, n 07-40523 et 07-43071, Cass. soc.13/01/2009, n 06-45562 : dans cette affaire, il s agissait d une salariée veuve élevant ses 2 jeunes enfants qui avait été mutée sur un autre site avec, en plus, une modification de ses horaires : 17 h à 21 h au lieu de 15 h à 19 h, nouvel arrêt allant dans le même sens : Cass. soc.12/07/2010, n 08-44363). Le salarié peut-il invoquer des droits fondamentaux pour protéger et concilier sa vie privée et familiale? Le salarié, sous la subordination de l employeur pendant l exécution de son contrat de travail, est tenu à une obligation de loyauté (ne pas travailler pour un concurrent, restituer des fichiers nécessaires à l entreprise pendant un congé maladie ). Mais il bénéficie de certains droits issus de textes internationaux et français : l article 3-1 de la Convention n 156 de l OIT (Organisation Internationale du Travail), ratifiée par la France depuis Mars 1989, sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales : chaque État membre doit viser à permettre aux personnes ayant des responsabilités familiales, qui occupent ou désirent occuper un emploi, d exercer leur droit de l occuper ou de l obtenir, sans faire l objet de discrimination et, dans la mesure du possible, sans conflit entre leurs responsabilités professionnelles et familiales ; l article 4-b de cette Convention n 156 : il doit être tenu compte de leurs besoins en ce qui concerne les conditions d emploi et de Sécurité sociale ; 96
Fiche 8 l article 7 de cette Convention n 156 : toutes mesures doivent être prises pour leur permettre de s intégrer dans la population active, de continuer à en faire partie et de reprendre un emploi après une absence due à ces responsabilités ; l article 8 de cette Convention n 156 : les responsabilités familiales ne peuvent constituer un motif valable de rupture du contrat de travail ; l article 9 de cette Convention n 156 : des décisions judiciaires sont à même de faire appliquer ces principes ; les droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l Homme (CEDH) : droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance (art. 8) ainsi que le droit de fonder une famille (art. 12) ; l article 33 de la Charte des droits fondamentaux de l Union européenne : pour pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, toute personne a le droit d être protégée contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité, ainsi que le droit à un congé maternité payé et à un congé parental à la suite de la naissance ou de l adoption d un enfant ; l article 27 de la Charte sociale européenne qui prône l absence de conflit entre l emploi et les responsabilités familiales : les personnes ayant des responsabilités familiales et occupant un emploi sont en droit de le faire, autant que possible, sans qu il y ait conflit entre leur emploi et leurs responsabilités familiales ; l article 9 du Code civil français : le droit au respect de sa vie privée, dont découle le droit à la vie personnelle et familiale (ex : droit au respect des temps de repos). Le CHSCT et le CE ont-ils un rôle à jouer en matière de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle? Le CHSCT (voir la fiche n 6 sur le CHSCT) contribue à l amélioration des conditions de travail (art. L. 4612-1 et 2 C. trav.). Cet article peut être relié à l ANI sur le stress du 02/07/2008 (art. 4) qui évoque le rôle des institutions représentatives du personnel (IRP) face à un problème de stress pouvant résulter d une difficulté de conciliation entre la vie personnelle et la vie 97
Fiche 8 professionnelle : dans ce cas «une action doit être entreprise pour le prévenir, l éliminer ou le réduire. La responsabilité de déterminer les mesures appropriées incombe à l employeur. Les IRP sont associées à la mise en œuvre de ces mesures». Le CE est également consulté chaque année sur les rapports relatifs à l égalité professionnelle (rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes dans les entreprises de plus de 300 salariés, rapport sur la situation économique dans les entreprises de moins de 300) qui permettent d apprécier la situation respective des hommes et des femmes en matière d articulation entre l activité professionnelle et l exercice de la responsabilité familiale (art. L. 2323-57 et L. 2323-47 C. trav.). Les actions conjointes de ces deux IRP devraient avoir pour conséquence de permettre une meilleure articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale. À noter : en cas de négociation sur la conciliation (voir question suivante), le CE doit être consulté concomitamment à l ouverture de la négociation et au plus tard avant la signature de l accord (Cass. soc. 05/05/1998, n 96-16498). Existe-t-il une obligation de négocier dans l entreprise qui porte sur la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle? La législation n évoque la question de la conciliation que dans des hypothèses limitées : les négociations sur l égalité professionnelle, sur le temps de travail (voir ci-après), et sur le travail de nuit (voir fiche n 82 sur le travail de nuit). La négociation collective est donc un moyen de trouver un consensus entre les besoins de l entreprise et ceux des salariés pour trouver des solutions concrètes. Elle est obligatoire : Dans toutes les entreprises d au moins 50 salariés où existent une ou plusieurs sections syndicales représentatives, la négociation annuelle sur l égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (art. L. 2242-5 C. trav.) a pour but de négocier les objectifs d égalité professionnelle ainsi que les mesures permettant de les atteindre. Cette négociation 98
Fiche 8 porte notamment sur les conditions d accès à l emploi, à la formation professionnelle et à la promotion professionnelle, aux conditions de travail et d emploi, en particulier celles des salariés à temps partiel, et l articulation entre la vie professionnelle et les responsabilités familiales. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, cette négociation s appuie sur le rapport de situation comparée des femmes et des hommes qui comporte une analyse permettant d apprécier, pour chacune des catégories professionnelles de l entreprise, la situation des femmes et des hommes en matière d embauche, de formation et d articulation entre l activité professionnelle et l exercice de la responsabilité familiale (art. L. 2323-57 C. trav.). Ce rapport est établi à partir d indicateurs pertinents, reposant notamment sur des éléments chiffrés et permettant d analyser les conditions dans lesquelles s articulent l activité professionnelle et l exercice de la responsabilité familiale des salariés (art. R. 2323-12, D. 2323-12-1 C. trav.). Exemples d indicateurs : existence d un complément de salaire versé par l employeur pour le congé de paternité ou de maternité, nombre de jours de congés de paternité pris par le salarié par rapport au nombre de jours de congés théoriques, existence de formules d organisation du travail facilitant l articulation de la vie familiale et professionnelle, nombre de salariés ayant accédé au temps partiel choisi ou ayant repris un travail à temps plein, participation de l entreprise et du CE à l accueil des enfants... Dans les entreprises de moins de 300 salariés, la négociation s appuie sur le rapport annuel unique remis au CE, qui comporte des éléments sur la situation comparée des femmes et des hommes (art. L. 2323-47, R. 2323-9 et D. 2323-9-1 C. trav.), ainsi qu une analyse permettant d apprécier, pour chacune des catégories professionnelles, la situation respective des femmes et des hommes, en matière d articulation entre l activité professionnelle et l exercice de la responsabilité familiale. D autre part, dans les entreprises de plus de 50 salariés, la négociation annuelle obligatoire sur la durée et l aménagement du temps de travail doit viser la mise en place du temps partiel à la demande des salariés (art. L. 2242-8 C. trav.). 99
Fiche 8 À quelle occasion un salarié peut-il évoquer la question de la conciliation vie personnelle/familiale et vie professionnelle? Les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l année (voir la fiche n 34 sur la convention de forfait) ont droit à un entretien annuel individuel organisé par l employeur (art. L. 3121-46 C. trav.). Cet entretien porte sur la charge de travail du salarié, l organisation du travail dans l entreprise et l articulation entre l activité professionnelle et la vie personnelle et familiale. Un employeur peut-il obtenir une aide au conseil à la GPEC s il prend en compte l articulation entre l activité professionnelle et la vie familiale? La GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) permet d accompagner les salariés dans leur évolution professionnelle, entre autres par des mesures concernant la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Les entreprises de moins de 300 salariés, dans lesquelles la négociation triennale sur la GPEC n est pas obligatoire, peuvent élaborer des plans d actions facilitant cette conciliation. Dans ce cas, l État peut prendre en charge une partie des frais liés aux études préalables à la conception d un plan de GPEC (art. L. 5121-3 C. trav.). Pour obtenir l aide, l employeur doit s engager à réaliser, dans ce plan, des actions favorisant l égalité professionnelle, en particulier grâce à des mesures améliorant l articulation entre l activité professionnelle et la vie personnelle et familiale de ses salariés (art. D. 5121-4 et 13 C. trav.). Le salarié a-t-il un droit à la «déconnexion» lorsque la frontière entre vie familiale et vie professionnelle est étroite (NTIC, télétravail )? Avec l apparition des nouvelles techniques d information et de communication (NTIC) et le développement du télétravail, 100
Fiche 8 le travail s immisce dans la vie personnelle et familiale et les libertés individuelles. Le télétravail, qui vient de faire son entrée dans le Code du travail par la loi de simplification du droit du 22/03/2012 (voir la fiche n 76 sur le télétravail), est une forme d organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l information, dans le cadre d un contrat de travail et dans laquelle un travail est effectué hors des locaux de l entreprise de façon régulière. D où la nécessité, pour les salariés, de connaître leurs droits : droit au respect de la vie privée du salarié (art. 9 C. civ.) ; droit au respect des temps de repos quotidien (11 h) et hebdomadaire (24 h + 11 h = 35 h) (art. L. 3131-1, L. 3132-1 et 2 C. trav.) ; droit (jurisprudentiel) à un temps de repos journalier (11 h) et hebdomadaire (35 h) - effectif, qui vise surtout les cadres en forfait jours pourvus de NTIC «envahissantes» (sauf cas exceptionnels, le salarié bénéficie d une dispense totale d accomplir une prestation de travail pour son employeur durant ces temps de déconnexion. Le salarié ne peut être d astreinte sans le savoir, voir fiche n 78 sur le temps de travail effectif) ; droit à la vie privée des salariés en télétravail (pour lesquels la frontière entre vie privée et professionnelle est floue puisqu ils travaillent chez eux) et à la déconnexion en dehors des plages horaires durant lesquelles ils peuvent être contactés (art. 6 de l ANI sur le télétravail du 19/07/2005). 101