Montréalaise depuis 6 ans, coach de transition, entrepreneuse, fondatrice de la société de coaching et de consulting «7@coach», elle accompagne ses clients au cours de leurs changements professionnels ou personnels. Comment définis-tu ton périmètre d action? Je me définis comme «coach de transition». J accompagne mes clients à vivre le changement qui est plus ou moins imposé dans leur vie. C est pour eux l occasion de se repositionner d un point de vue personnel et professionnel et grandir de cette expérience plutôt que de la subir. Je suis particulièrement sensible à ce type de contexte de transition en expatriation. Contrairement au changement qui reste extérieur à soi, la transition est en quelque sorte le passage entre «ce que j étais, ce que je suis et ce que je cherche à devenir» : du vécu pour moi! Comment et quand es-tu arrivée à Montréal? Nous avons quitté la France il y a 8 ans, avec notre bébé de 18 mois pour aller d abord en Angleterre, à Oxford, où mon mari préparait pendant un an son MBA. J ai donc laissé mon poste de chef de produit dans l industrie pharmaceutique à Paris et j ai choisi de revenir à mon travail initial de pharmacienne d officine à mi-temps. A cette époque je savais déjà que cette année-là serait une année de transition et que mon travail d avant notre départ avait ses limites par rapport à un équilibre familial. Nous savions également qu en France un MBA n est pas toujours très valorisé, et nous envisagions la possibilité de partir à l étranger pour que Nicolas puisse bénéficier d un vrai retour sur investissement de son dernier cycle de formation. À la fin de notre année d expatriation, nous avons eu notre deuxième bébé et de façon quasi simultanée, Nicolas a reçu une offre à Montréal. Le Québec répondait à nos critères en termes d opportunités et de qualité de vie, et je dois avouer que j étais ravie de ne plus évoluer en milieu anglophone pur. De quelle région es-tu? Mon port d attache, où j ai vécu depuis l âge de 10 ans, c est La Rochelle. Mon mari est Parisien et nous avons habité et travaillé tous les deux à Paris. Quelle est ta formation initiale? J ai fait des études de pharmacie et, en complément, un Master en Marketing. Et comment t est venue l idée de devenir coach? À notre arrivée et après avoir installé tout le monde, j'ai décidé de prolonger mon second congé parental. Je savais cependant que je voulais revenir dans le monde du travail. Je voulais m investir davantage dans le développement humain. J ai identifié le «coaching» et ai recherché une formation certifiante aux horaires flexibles et accréditée par la Fédération Internationale du Coaching. Il y a deux organismes du genre au Québec. À raison de 2 soirs par semaine, la formation était envisageable en deux ans en travaillant également le week-end. Il s agissait d un véritable programme d entraînement au coaching professionnel comprenant des mises en situation par téléconférence, de la théorie, des jeux de rôle. On est dans un style très nord-américain, loin des bancs universitaires français. J ai d abord vu le côté pratique, mais cela m a surtout aidé à développer l écoute. En parallèle de cette formation, j ai trouvé un job de gestionnaire de compte client dans une entreprise qui avait la volonté de s implanter dans le pôle pharmaceutique. 1
J ai donné naissance à notre troisième bébé, notre vraie petite québécoise Mais à la fin de mon congé maternité, comme je le pressentais en suivant l actualité économique de mon département, mon petit carton m attendait dans le bureau de la DRH. Un vrai choc! Même si je pensais partir à moyen terme, c est arrivé plus rapidement que prévu. L idée de me lancer à mon compte devenait une actualité évidente et pressante J ai donc cherché des mandats de consultation dans le secteur pharmaceutique, en activant mon réseau. Un premier mandat m a permis de démarrer en tant que consultante en gestion de projet: je bénéficiais d un statut de pseudo-salariée, tout en ayant la possibilité de faire grandir le coaching par ailleurs. En m intéressant au coaching pur, j avais quelques regrets de lâcher complètement le monde de la santé. Mais je trouve maintenant le moyen de garder un pied ancré dans mes deux passions professionnelles : la transition chez un individu, peut être un changement de carrière, une expatriation, mais aussi l annonce d un diagnostic qui impose parfois de changer de façon drastique ses habitudes de vie, de se prendre en main. Pour résumer ma situation actuelle, j ai donc enregistré le nom de ma compagnie il y a 3 ans, créé mon site pendant mon congé maternité, et je suis allée chercher mes mandats de coaching un à un. Ma certification exigeait son lot d heures gratuites au début puis payantes par la suite. Et c est en expérimentant que l on voit où on a le plus d impact et que l on peut améliorer son offre. Mon été sera consacré au lancement d un programme de mieux-être en entreprise. Cette nouvelle offre de sensibilisation et de coaching permettra aux employés des PME de mieux concilier stress, alimentation saine et exercice. Qui sont maintenant principalement tes clients? Ils ont trois profils : 1 Le nouvel arrivant plutôt francophone, qui vit un changement de pays entraînant un repositionnement professionnel voire un changement de carrière à mener. Le processus commence par une phase d identification d un projet professionnel réaliste, avant de se lancer plus efficacement dans une recherche d emploi ou dans la création de son entreprise. 2 Le patient ou la personne ayant un changement à effectuer dans ses habitudes de vie. Il y a de quoi concilier coaching et santé et c est la partie que je développe en ce moment. Cette piste est née d un mandat que j ai eu avec l industrie pharmaceutique dans le but de former des professionnels de santé sur une approche coaching, plutôt que de donner des conseils directifs à des patients diabétiques. 3 - Le gestionnaire, souvent relativement nouvel arrivant, qui vient avec des challenges professionnels, qui se cherche, se remet en question, a besoin de prendre du recul, comme s il avait eu une première expérience insatisfaisante, et pas de vrai épanouissement au Québec. Qu est-ce qui a été difficile lors du démarrage de ta société? En tant que coach, la difficulté c est que l on a une approche tout-terrain. Il faut réussir à trouver LA niche dans laquelle on sera bien, proche de qui on est et dans laquelle on se démarque et se rend le plus utile. Tu te concentres surtout sur la clientèle de Français à Montréal? Pour moi, le fait d aller expérimenter le 2
coaching auprès d une clientèle francophone qui m est proche, a été naturellement plus facile au début. Je sentais que c était là que j avais le plus d écho et d impact, d autant que la relation de confiance doit être établie d emblée. Aujourd hui, lorsque j accompagne une transition de vie quels que soient les clients, français ou québécois, cela n a plus d importance. Quelle est en quelques mots ta démarche type de la gestion de transition de carrière? Le processus que j ai mis en place se fait en plusieurs étapes : on travaille d abord sur l établissement d un bilan de soi. Il s agit de reprendre conscience de notre bagage personnel, le contenu de notre «sac à dos». On a tous nos traits de personnalité, des réalisations professionnelles, des motivations, un certain nombre de compétences, et on ne démarre donc pas à ce stade de la même façon qu à 25 ans. On a un bagage qu il est intéressant de revisiter. Ce bilan de soi aboutit à la carte d identité professionnelle avec différents volets, qui identifient les balises de notre prochain travail. Il faut aller mettre l éclairage sur certains épisodes de notre carrière qu on n a pas éclairés depuis un moment, qu on a beaucoup aimés ou qu on a oubliés. Quand les balises sont bien dessinées, l étape suivante consiste à évaluer les premières pistes. Mon but est d aider les gens à faire émerger leurs propres solutions. On visite les pistes ensemble et on valide leur réalisme. À la fin, soit la démarche antérieure permet d alimenter les pistes en vue, soit on s aperçoit que ces pistes -là n ont pas de sens. C est un processus qui prend le temps qu il doit prendre. Je suis responsable du processus, mais le résultat final dépendra du temps que les gens seront prêts à allouer à leur projet et s ils jouent le jeu à 100%. Généralement une 10aine de séances permet de travailler efficacement mais certaines personnes doivent mûrir le processus davantage, tout dépend du niveau d engagement. Tu gardes le contact avec tes anciens clients? Certains, avec lesquels j ai travaillé, m ont recontactée. Une fois qu ils étaient en emploi, il leur est arrivé un autre épisode imprévu, et ils se sont retrouvés à nouveau dans une phase de transition. Est-ce que tu ne sers pas un peu de psychologue à tes clients? Je dois y faire bien attention. Il faut être assez solide pour vivre le coaching.si tes racines ne sont pas assez ancrées, cela peut être, au contraire, pire. On brasse tout, tu sors de ta zone de confort, ça remue, une trop grande fragilité ne serait pas compatible. Quand un problème psychologique arrive, mon rôle est de faire prendre conscience à la personne qu un autre type d aide doit être envisagée. Il y a de la place pour les larmes, le travail sur l estime de soi, la confiance en soi, tout cela fait partie du cheminement possible. Mais une vraie fragilité émotionnelle liée à un contexte de «burn-out», c est la dépression, et la souffrance psychologique doit être prise en charge par des professionnels de la santé mentale. Quels sont les obstacles réels ou imaginaires qui freinent les gens à se lancer dans l entreprenariat? Tout d abord le fait d être trop rapidement dans le «comment» avant de se poser la question si cela correspond vraiment à ce qu ils souhaitent faire. Ils sont déjà dans l opérationnel : numéro d enregistrement, incorporation, marketing mais quand tu n as pas bien bâti ta vision, ta mission, ton objectif et que tu bondis sur le comment faire, tu passes parfois à côté de points clés qui seront difficiles à corriger avec le temps. 3
Les peurs de renoncer à ce qu on faisait avant, de se lancer dans l inconnu, de sortir de sa zone de confort. D avoir assez de confiance en soi pour se dire que c est possible. Bien des justifications rationnelles, une prudence exagérée ou la peur de l opinion d autrui se chargeront de mettre à l épreuve toute motivation. Quelles sont les principales différences entre entreprendre ici et en France? Les barrières administratives ici sont minimes, tu as ton numéro d enregistrement d auto entrepreneur en un rien de temps. Les obstacles liés à l appartenance aux ordres et les professions réglementées, sont plus difficiles à vivre pour des personnes salariées. La principale différence se situe au niveau de la culture : en France, on n a pas été élevés dans une culture encourageant l entreprenariat et favorisant la prise de risques. Voyons-le comme une belle opportunité de se lancer! Ici, «partir en affaires» quel que soit le domaine (projet communautaire, lancement d un produit/service, être à la tête d une nouvelle association ) c est courant, on t encourage à le faire. C est une culture du «oser faire, essaierreur, essayer pour voir, pour tester». En France, on encourage peu cela et si tu n as pas réussi du premier coup, tu as le complexe de l échec collé à la peau. Pourrais-tu donner ta vision du réseautage, et expliquer quelle est la différence entre réseauter et le «piston»? Le réseautage au Québec pour moi est définitivement un grand levier. Avant de gagner le cœur des québécois, il faut avoir montré patte blanche dans l idée que tu puisses t implanter ici, que tu as gagné la confiance de plusieurs personnes: tu montres ton savoir faire, et tu l illustres en donnant des informations et tout ce que tu peux donner au sein d un réseau. C est vraiment donner pour recevoir plus tard. À la grande différence du piston, il y a vraiment l idée de s investir dans son réseau, de le faire grandir en étant généreux avant d en avoir des bienfaits ensuite. Le piston, c est privilégier les relations (souvent haut placées) d un candidat plutôt que ses compétences. Et il y aurait donc une sorte d injustice dans la démarche. Par quoi faut-il donc commencer quand on arrive? Déjà accepter l idée que ton réseau, c est tout le monde. C est une grande différence culturelle. Un Français qui perd son travail en France, commence par se recentrer sur lui, refaire son CV, mais ne va pas le dire à la terre entière. Ici, l attitude immédiate de quelqu un qui perd un job (pour de multiples raisons), c est de le dire à tout le monde : de la boulangère aux relations rencontrées lors d un diner, en passant par le coach de sport de son fils quand on arrive ici en tant que français et qu on dit qu on n a pas de réseau, cela me fait sourire, car on en a un, petit, certes, au début, mais il existe! Le réseau n est pas uniquement son réseau de «pairs» issus du même domaine, tout influenceur est bon à considérer en adaptant notre approche et nos attentes. C est dans le partage d expériences au sein du réseau qu il peut y avoir de belles trouvailles, des échanges constructifs. Quand on n a pas de travail, le pire c est d être dans l inaction, de ne pas se sentir utile. Qu est ce qu il faut ou ne faut pas faire pour une bonne intégration? Nous avons résumé cela en «10 commandements» avec Christophe Verhelst lors d une conférence que nous avons donnée lors du Salon de l Immigration et de l Emploi du Québec au mois de mai. 4
Tu arriveras bien préparé et le changement tu embrasseras Tu resteras humble dès ton arrivée Tu ne te précipiteras pas et ne brûleras pas les étapes Tu seras patient et persévèreras Tu réseauteras : les amis de tes amis peuvent devenir tes futurs employeurs ou tes clients Tu sortiras de ta zone de confort Tu ne compareras pas tout avec ton pays d origine, apprendras à vivre et à apprécier le rythme, les saveurs et les couleurs du Québec Tu seras prêt à apprendre et à parler les deux langues officielles du pays Tu anticiperas les obstacles et tu les surmonteras De cette expérience, tu grandiras Quels ont été tes coups de cœur à Montréal, tous domaines confondus? Certainement le cardio-traineau au Mont Royal en hiver avec mon bébé à notre arrivée. En plus d être fédérateur, cela m a permis de trouver des réponses aux questions pratiques que je me posais par rapport à la façon de gérer un bébé en hiver. Ensuite, le Canal Lachine qui aboutit sur le parc René Lévesque. J aime y courir pour m entraîner pour mes nouveaux défis de courses à pied. Même si l on est loin de l océan, là-bas, j ai un peu l impression d être au bord de la mer. Et puis, les Iles de la Madeleine. C est varié, très authentique, sauvage, on est seul touriste. C est loin, mais très beau. Pour conclure notre entrevue, peuxtu expliquer en quelques mots comment tu as commencé à travailler avec Montréal Accueil? Cela fait 6 ans, avec une pause, que je suis membre de Montréal Accueil. J ai dû faire mon premier Café Poussette 3 mois après mon arrivée et j ai trouvé de bonnes copines par ce biais-là. Durant ma formation, et mon travail, j ai fait une pause. Lors d un café de début d année il y a 3 ans, on recueillait des «nouveaux talents», j étais curieuse de savoir si un volet «activité professionnelle» pouvait être utile. J ai donc sondé les besoins en proposant de partager mon expérience lors d une conférence. À la suite du succès de cette conférence j ai proposé des ateliers coaching. Je n avais jamais expérimenté la dynamique de groupe et cela permettait de répondre à un plus grand nombre d inscrits. Un groupe a même souhaité poursuivre en co-développement. C était une situation gagnant-gagnant. Pour moi l occasion de travailler auprès de personnes que je ciblais comme clientèle privilégiée en tant que coach et, en même temps, je tendais la main à des gens qui avaient cheminé différemment que s ils avaient été seuls. Pour moi, le volet associatif/communautaire représente pour tous une chance, une occasion d explorer de nouvelles avenues et bénéficier de ressources qui ne seraient pas forcément accessibles. Aujourd hui je suis heureuse de compter dans le pôle emploi 3 nouvelles personnes sur la partie réseautage : Pascal Chêne, Céline Flamme et Émeline Forray, qui ont organisé leur premier évènement le 14 juin qui a conclu l année de façon originale et conviviale. Merci beaucoup, Céline! 5