Emploi et construction Durable en Région bruxelloise ou Comment avancer vers une économie verte? Par Hugues Latteur, économiste, coordinateur de la cellule Energie au Cabinet d'evelyne Huytebroeck 26 août 2005
étopia_ 1 1 Introduction Notre postulat: le potentiel d'amélioration environnementale et énergétique du bâtiment en RBC est énorme et générateur de triples dividendes: économiques, sociaux et environnementaux/santé publique. En d'autres mots, investir massivement dans la construction/rénovation durable, c'est agir résolument en faveur de notre redéploiement économique et de la création d emplois à Bruxelles. 2 Le Contrat pour l'economie et l'emploi (CE2) L objectif du C2E est de lancer une nouvelle dynamique pour Bruxelles, basée sur les axes stratégiques suivants : l'accès à l'emploi des Bruxellois, en particulier des peu qualifiés, et la réduction du chômage; la modernisation, la revitalisation et le redéploiement économiques de Bruxelles; la mise à niveau des outils publics pour répondre aux défis précédents. Le C2E découle de l'accord de gouvernement, qui énonce notamment que «les emplois issus des politiques environnementales constituent des priorités». Le C2E énonce que le secteur de la construction durable est «stratégique», tout comme ceux de la petite enfance, des soins de santé, de l'aide aux personnes. Le C2E énonce que «les opportunités en terme de développement durable constituent en elles-mêmes un potentiel de développement économique par le biais de la création d entreprises, de la recherche et de la créations de nouveaux métiers et emplois. C est particulièrement vrai dans les secteurs de la performance énergétique, de l'écoconstruction et dans celui du recyclage. De tels secteurs sont, moyennant l introduction de politiques adéquates de soutien, susceptibles de concilier l économie et l environnement dans un modèle de développement industriel porteur de «triples dividendes» : sociaux, via la création d emplois peu délocalisables, la réponse à des besoins non satisfaits de la population (e.a. logement salubre); environnementaux, via la réduction de la consommation d énergie et de matières (et donc réduction des émissions de polluants et impact positif sur la santé); économiques, au travers d'un redéploiement industriel, l'émergence de nouveaux secteurs d'activité et l'allègement de la facture (notamment énergétique) des citoyens et des entreprises.» Une des originalités du C2E, c est sa traduction en un ensemble de mesures et chantiers d action sensés permettre de rendre rapidement opérationnels les axes de redéploiement économique durable du gouvernement. Un de ces chantiers vise à identifier 3 secteurs porteurs d'emploi, afin de concentrer vers ces secteurs une série de mesures de soutien prioritaire et les moyens budgétaires disponibles. Notre proposition est d'inclure l'environnement au sens large, dont la construction durable, dans ces 3 secteurs porteurs d'emploi.
étopia_ 2 3 Exemples européens de redéploiement socio-économique basé sur la construction durable Un peu partout en Europe, on peut trouver des exemples novateurs de politiques d investissement dans le développement durable et les secteurs à triples dividendes. Souvent, elles s appliquent au secteur de la construction/rénovation et impliquent une collaboration étroite entre autorités, ONG environnementales et partenaires sociaux. - Au niveau EUROPEEN : Il y a lieu de signaler l'initiative suivante: en février 2004, la Fédération des syndicats européens, le Bureau européen de l'environnement, et la «Social platform» (fédération des ONG sociales européennes) lancent la campagne européenne «investir pour le développement durable» et appellent les gouvernements à réorienter les dépenses publiques dans un programme ambitieux d investissement public et privé centré sur l habitat et le transport, secteurs clé pour la qualité de la vie, la cohésion sociale, le développement économique et la réduction de l impact environnemental des activités humaines. Parmi les effets multiplicateurs positifs de telles politiques d investissement figurent une augmentation de l activité économique et des recettes de sécurité sociale, ainsi qu une réduction des dépenses de sécurité sociale. Propositions concrètes des initiateurs de la campagne : améliorer de 50% l efficacité énergétique du parc immobilier d ici 2020, tout particulièrement dans le logement social et dans les logements pauvres, sans augmenter le coût pour les occupants; revoir le pacte de stabilité de manière à ne pas comptabiliser les investissements dans le développement durable. ALLEMAGNE : Dès 2001, nos voisins allemands ont rassemblé, au sein de «l Alliance pour l Emploi et l Environnement», pouvoirs publics, entreprises et syndicats autour d un projet ambitieux de rénovation énergétique de 300.000 logements (isolation, chauffage performant, énergies renouvelables). A la clé : 200.000 créations d emplois attendues et une réduction de la consommation d énergie jusqu à 85%. ECOSSE : Le gouvernement écossais a approuvé en juin 2005 une nouvelle stratégie et un plan d'actions «Green Jobs strategy for Scotland» 1 destinés à créer des emplois verts, dans les secteurs des énergies renouvelables, du recyclage et de la performance énergétique. Ce plan a été établi en concertation et avec le soutien des partenaires sociaux. Objectif déclaré : réconcilier l économie et l environnement dans un modèle de développement industriel différent. 1 Http://www.scotland.gov.uk/greenjobsstrategy
étopia_ 3 4 A Bruxelles, en quoi le secteur de la construction/rénovation durable est-il porteur de triples dividendes? S il est un secteur à Bruxelles où l on peut espérer récolter des «triples dividendes» à relativement brève échéance et idéalement conjuguer création d emploi, réponse aux besoins des Bruxellois et amélioration de l état de l environnement, c est bien celui du bâtiment. 4.1 Créer de l'activité économique et de l emploi : La construction/rénovation à Bruxelles, c est 25.000 emplois salariés et 900 millions par an de chiffre d'affaires. La situation est bien connue: la richesse créée en Région de Bruxelles-Capitale ne profite pas assez aux Bruxellois. Ainsi, alors que le taux de chômage dépasse les 20% à Bruxelles, le secteur de la construction est confronté à une pénurie structurelle en main d œuvre qualifiée : à peine plus de la moitié de la main d œuvre occupée dans la construction à Bruxelles sont des Bruxellois (56%). Pour l'ensemble du pays, le secteur de la construction est confronté à un manque important de travailleurs qualifiés et non-qualifiés: chaque année, le secteur a besoin de 20.000 nouveaux travailleurs. Fonctions critiques (offres d'emploi majoritairement insatisfaites): pour la Belgique: Dessinateur en construction, Maçon polyvalent, Carreleur, Ardoisier, Technicien en chauffage, Monteur en chauffage. Pour Bruxelles: en plus des 6 fonctions précédentes: Architecte, Technicien en construction, Plafonneur, Chauffagiste spécialisé, Conducteur (camionnette et poids lourd). En offrant de nouveaux marchés à ce secteur et en investissant dans la formation, un grand potentiel de création d emploi pourrait être exploité. A combien peut-on évaluer ce marché? L industrie belge de l isolation thermique a montré récemment que 30.000 emplois pouvaient être créés pendant 10 ans en Belgique, simplement en mettant en œuvre un programme ambitieux d isolation thermique permettant de réduire de 75% les besoins en énergie de la moitié du parc de logements belge. Etude réalisée en janvier 2005 par le bureau RDC Environnement pour l IBGE: les politiques URE résultant des plans décidés avant l'entrée en fonction du dernier gouvernement vont créer 900 emplois permanents additionnels, dont 500 au profit de travailleurs bruxellois, soit +4%. le plus grand potentiel de création d'emploi: dans l'isolation, la modernisation des systèmes de chauffage et l'utilisation rationnelle de l'eau. Besoins de formation: chauffagiste, ouvrier en placement d'isolant, technicien en audit des bâtiments. Prochaine étape: mesurer le potentiel de création d'emplois résultant des nouvelels politiques URE mises en place et en cours de préparation depuis juillet 2004.
étopia_ 4 4.2 Répondre aux besoins des bruxellois Il manque à Bruxelles un nombre important de logements. Par ailleurs, de nombreux logements existant sont insalubres, inconfortables, mal équipés, ou insuffisamment isolés. Il en résulte notamment une facture élevée en terme de chauffage. La consommation d énergie des logements bruxellois est en hausse constante (+12% entre 1990 et 2002, à prix constants) et s élève, en période de bas prix du pétrole (20$/baril), à un demi-milliard par an (soit de 1.000 à 1.500 par ménage). Résultats d une étude 3E-KUL spécifique au bâti bruxellois (logement et bureaux), réalisée pour l IBGE en juin 2005: sur base des prix de l'énergie de 2002 indexés (l'équivalent de 26 $/baril 2 ), il est économiquement rentable et donc pertinent d'investir dans l'efficacité énergétique, en cas de rénovation/construction neuve. L'optimum économique sur la durée de vie du bâtiment, mesuré à l'aide de la valeur nette actualisée, correspond à une économie d'énergie de 40 à 50% par rapport à un bâtiment de référence. Cet optimum est réalisé grâce à des niveaux d'isolaton thermique effectifs de l'ordre de K30 pour la construction neuve (au lieu de K55 selon la norme légale) et de K50 pour la rénovation (le niveau d'isolation moyen du parc immobilier belge est de l'ordre de K160...). Dans certaines situations, le surcoût à l'investissement est même nul, voire négatif. Cette étude va être utilisée e.a. pour fixer les niveaux d'exigence minimales des bâtiments dans le cadre de la transposition de la directive sur la performance énergétique des bâtiments. 4.3 Améliorer l environnement A Bruxelles, les trois quarts des émissions de gaz à effet de serre proviennent des bâtiments, essentiellement de leurs installations de chauffage. Par ailleurs, plus de la moitié des déchets produits dans notre région sont issus du secteur de la construction et de la rénovation. La spécificité bruxelloise tient donc à la prépondérance de ce secteur en terme d impact environnemental global. 5 Comment encourager la construction durable? Pour développer l'éco-construction/rénovation au profit de l'emploi des Bruxellois, des besoins en bâtiment de notre Région, de notre environnement et de notre santé, il est indispensable de prendre des initiatives aussi bien du côté de la demande que de l'offre. 5.1 Propositions du côté de la demande 5.1.1 Principales propositions déjà prévues dans notre Plan Energie: - Mise à disposition de quatre «Facilitateurs énergie» différents (logements collectifs, tertiaire, cogénération, énergies renouvelables grands systèmes...). Les facilitateurs assurent une mission de guidance pour tout responsable énergie du 2 Prix moyen du baril de pétrole en 2004: 41 $/baril. Prix du baril en août 2005: plus de 65 $! En $ d'aujourd'hui, le record établi en 1979 correspond à 80$.
étopia_ 5 public cible qui recherche une solution, un avis à son problème énergétique: existence d une technologie, les équipements existants sur le marché, méthodologie appropriée, questions relatives aux instruments d information et d aides destinés au public cible, recherche de bureaux d études, de fournisseurs, - Triplement des montants alloués aux Primes Energie (2,9 millions d'euros pour 14 primes) et lancement d un nouveau programme de subvention de 1,3 millions d euros à destination du secteur public, du secteur non marchand et des entreprises. Dès 2006, les Primes Energie et les Primes à la Rénovation seront revues et renforcées pour couvrir de façon cohérente et complémentaire l'ensemble des investissements économiseurs d'énergie qui nécessitent une aide financière pour être effectivement réalisés. - Transposition de la directive européenne relative à la performance énergétique des bâtiments pour le 4 janvier 2006 au plus tard : cette directive prévoit que tout nouveau bâtiment doit respecter un niveau de performance énergétique globale, de même que toute grosse rénovation de plus de 1.000 m². Elle prévoit également que tout bâtiment soumis à transaction (vente ou location) doit disposer d une certification énergétique (c est-à-dire un état de son niveau de performance). Dans le cadre de la transposition de cette directive, une étude de pertinence économique est en cours de réalisation afin de déterminer la rentabilité économique de divers types d'investissements dans la haute performance énergétique des bâtiments. - Soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, notamment via les certificats verts. 5.1.2 Nouvelles initiatives Etant donné que le parc existant de bâtiments ne répond que très peu aux exigences modernes en terme de performance énergétique et environnementale, il est indispensable de prévoir un plan ambitieux de rénovation éco-énergétique des bâtiments bruxellois. Un dispositif doit être mis sur pied pour soutenir davantage les investissements en la matière dans le chef des propriétaires d'immeubles, qu'ils soient privés ou publics, à l'instar de ce qui a été initié dans d'autres pays (cfr. Infra). Les investissements d'éco-rénovation porteraient sur un catalogue de mesures dans le domaine de l'énergie (économies d'énergie, énergies renouvelables,...) et de l'environnement (utilisation de l'eau, choix des matériaux, minimisation des déchets,...). Les niveaux de performance éco-énergétiques seraient définis de manière à engendrer un impact positif majeur sur l environnement. Les techniques retenues ne devraient cependant pas imposer un surcoût significatif lors de la construction/rénovation des bâtiments, qui ne serait pas compensé par des économies suffisantes pendant la durée de vie des investissements (facture énergétique, facture d'eau,...). Dans le projet «Alliance pour l'emploi et l'environnement» initié en Allemagne, les niveaux de performance énergétique retenus dans de nombreux projets de rénovation de maisons et d'immeubles à appartements visaient un seuil de 3 à 5 litres de mazout (ou 3 à 5m3 de gaz) par m2 chauffé. Pour information, la consommation moyenne de chauffage pour les logements en Belgique se situe entre 30 et 50 litres par m2! Un niveau de 5 litres/m2 correspond typiquement à la performance d'une habitation «basse énergie». L intervention des pouvoirs publics allemands s est concrétisée sous la forme d octroi de crédits à taux préférentiel pour les travaux de rénovation et d isolation respectant certaines conditions.
étopia_ 6 Pour encourager des travaux massifs d éco-construction/rénovation dans notre Région, nous pourrions faire appel à divers modes d intervention publique, utilisés de manière individuelle ou combinée, selon le public cible (bâtiments publics, logements sociaux, résidentiel privé, tertiaire, ) : Primes Energie renforcées; Information concrète sur l excellente rentabilité économique des investissements en question ; Insertion de critères de performance énergétique et environnementale dans tous les systèmes de subventions au profit du secteur public ; Faciliter la mise au point se sources et de formules de financement alternatives pour les travaux réalisés par le tertiaire et le secteur public: système du tiers-investisseur, système de leasing, fonds de garantie, appel à des fonds européens, mobilisation de capital à risque,... 5.2 Propositions du côté de l'offre Il serait insuffisant de susciter une demande envers des prestations d'écoconstruction/rénovation si ce nouveau marché ne profitait pas avant tout à des entreprises et des travailleurs bruxellois. Nous proposons donc de renforcer considérablement l'offre bruxelloise de produits et services en matière d'éco-construction /rénovation, au travers des deux initiatives suivantes: création d'un cluster «Eco-construction/rénovation»; création d'un centre de référence intégrant la formation aux nouveaux métiers de l'éco-construction/rénovation. 6 Conclusion A l'heure où le prix du baril atteint des records et où les changements climatiques montrent leurs effets dévastateurs au Portugal et en Europe de l'est, il est fondamental de rappeler notre crédo: «l'écologie, c'est la santé et l'avenir de l'économie». Investir dans la construction durable à Bruxelles, c'est une magnifique opportunité de démontrer en situation réelle qu'environnement, économie et emploi vont de pair, sont indissociables même et que, en matière de réchauffement climatique, l'inaction est plus coûteuse que l'action.