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Premier pilier : Pension légale, un naufrage prévisible Lancé il y a plus d un siècle et revu en profondeur il y a soixante ans, le navire des pensions fait aujourd hui eau de toutes parts, victime de décennies d aveuglement coupable. Est-il encore possible d éviter qu il sombre corps et biens? Tous s accordent à affirmer que oui. Par F. Wauters 6 5 NOVEMBRE 2010 LE VIF EXTRA

Le sauvetage du navire des pensions requiert de prendre rapidement des mesures audacieuses, radicales et, pour une part, impopulaires. Le futur de nos pensions est hélas à ce prix. UN PEU D HISTOIRE... La pension légale existe depuis bien longtemps en Belgique. Ses origines coïncident avec celles d une institution bien connue: la CGER. Fondée en 1848 à l initiative de l homme politique libéral Walthère Frère- Orban (1812-1896), la Caisse générale de retraite, qui sera associée en 1865 à une Caisse d Épargne, a en effet pour mission de permettre à chacun d épargner pour sa pension. Dès 1891, l État propose de subventionner les sociétés d assistance mutuelle qui affilient leurs membres à la Caisse de retraite, créant ainsi un système d assurance volontaire subventionnée. Ce système vient se greffer sur un embryon d assurance obligatoire institué en 1845 pour les marins et étendu progressivement à toutes les catégories de travailleurs. Dès le milieu des années 1920, ouvriers et employés entrent dans un régime d assurance obligatoire: les primes, versées par les travailleurs et les employeurs à la CGER, sont augmentées d une subvention de l Etat et capitalisées pour procurer une rente de vieillesse dès l âge de 65 ans, ainsi que des prestations aux veuves après le décès de leur mari. Cette première mouture de la pension légale est donc, à l époque, basée sur le principe de la capitalisation. ERWIN VANMOL Malheureusement, les années d aprèsguerre s avéreront fatales pour le système de pension par capitalisation. Dès 1944, un accord de solidarité sociale est conclu entre le gouvernement et les partenaires sociaux et des éléments de répartition sont progressivement introduits dans le système. Si l objectif de départ est d assurer plus de solidarité et peut paraître louable, le découplage qu il introduit entre les cotisations payées et les droits de pension constitués finiront par faire basculer le système vers la répartition. La rupture est définitivement consommée lors de la publication de l Arrêté royal n 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite des travailleurs salariés. Ouvriers, employés, mineurs et marins sont regroupés au sein d un même régime qui généralise la technique de BOULEVERSEMENT DÉMOGRAPHIQUE. Il y aura à peine une personne au travail par pensionné en 2050! ISOPIX 8 5 NOVEMBRE 2010 LE VIF EXTRA

LE PAPY-BOOM A COMMENCÉ répartition et exclut toutes les professions de la capitalisation obligatoire. ICEBERG (DÉMOGRAPHIQUE) «En soi, le passage à un système de répartition n est pas nécessairement une mauvaise idée, défend Giuseppe Pagano, professeur à l université de Mons et spécialiste des finances publiques. À l époque de la transition, l économie belge se portait bien et connaissait une croissance vigoureuse. Dans de telles conditions, un tel système est plus facilement finançable que celui par capitalisation. Mais lorsque la croissance ralentit et que le nombre de pensionnés augmente, c est tout autre chose.» Si le ralentissement de la croissance n apparaît pas prévisible à l époque, il en va tout autrement du bouleversement démographique dont nous ressentons les effets. «À la fin des années 1960, la structure de la population était connue, constate avec sévérité Jean Hindriks, professeur à l UCL. Senior Fellow de l Itinera Institute, un think tank belge, il est le coauteur d un Livre rouge sur les pensions publié en mai 2010. Il ne fallait pas être devin pour comprendre que la génération du baby-boom, les Belges nés dans les années 1950 et 1960, devraient un jour prendre leur retraite, et que cette grosse bosse démographique était une bombe à retardement.» La «pyramide des âges», qui représente la structure de notre population en fonction de l âge et du sexe, montre clairement la «bosse» due au baby-boom. Nous ressentons ses premiers effets depuis 2010. La situation s aggravera pendant plusieurs décennies, avec un pic dans vingt ans, lorsque les travailleurs aujourd hui âgés de 45 ans prendront leur pension. 110 105 100 95 90 85 80 75 70 65 60 55 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 4 2 0 2007 10 8 6 4 2 0 2 4 6 8 10 EFFECTIF PAR SEXE ET PAR ÂGE (EN %) source : registre national 1 2 3 4 1 femmes hommes 1897 1902 1907 1912 1917 1922 1927 1932 1937 1942 1947 1952 1957 1962 1967 1972 1977 1982 1987 1992 1997 2002 déficit des naissances dû à la Première Guerre mondiale déficit des naissances dû à la Seconde Guerre mondiale baby-boom fin du baby-boom 3 TRIPLE PRESSION «Ce bouleversement démographique mettra notre système de pension sous pression de trois manières, poursuit le Pr Hindriks. Tout d abord, et c est l effet le plus connu, il y aura de plus en plus de pensionnés et de moins en moins d actifs. Ensuite, ces pensionnés resteront également plus longtemps à la pension, grâce à l allongement de l espérance de vie. C est une bonne nouvelle dans l absolu, mais pas pour le système. À politique inchangée, nous allons donc être confrontés entre 2010 et 2050 au problème du financement de plus d un million de pensionnés supplémentaires par une population en âge effectif de travailler qui diminuera d un demimillion de personnes! Sans compter qu il faut encore que ces personnes en âge de travailler aient effectivement un emploi! Même en utilisant les projections statistiques de chômage, très optimistes, du comité sur le vieillissement, nous avons calculé qu il y aura à peine une personne au travail par pensionné en 2050! Enfin, les travailleurs âgés qui partent massivement à la retraite sont aussi ceux dont la capacité contributive est la plus importante, puisqu ils perçoivent les salaires les plus élevés de leur carrière, et paient des coti-sations sociales en proportion. Un jeune gagne, lui, en moyenne deux fois moins qu un senior à travail égal. Le système est donc littéralement pris en tenaille.» LA SITUATION EST GRAVE... «La situation est en effet sérieuse, mais je n irai pas jusqu à dire qu elle est désespérée, tempère le Pr Pagano. Le comité d étude du vieillissement a en effet estimé que, sur la période qui va de 2009 à 2060, le coût du vieillissement augmentera de 6,3% du Produit intérieur brut. Mais il s agit du PIB de l ensemble de la période, qui dure cinquante ans. Il reste donc tout à fait possible de financer cette augmentation des dépenses. À condition de trouver les moyens d y parvenir.» Les deux solutions les plus simples sont en tout cas inapplicables. Première piste: augmenter, sur la même période, les impôts de 6,3% du PIB. Difficilement envisageable dans un pays où la pression fiscale est déjà élevée. L autre solution serait de réduire les dépenses liées au vieillissement de 6,3%. Mais là aussi, difficile de se lancer dans ce genre de mesures avec des pensions du premier pilier que tout le monde estime déjà trop LE VIF EXTRA 5 NOVEMBRE 2010 9

basses. De plus, notre pays ne dispose actuellement d aucune marge de manœuvre car les finances publiques sont actuellement en déficit. Dans un premier temps, il faudra donc s atteler à le résorber. En combien de temps? «Le problème du vieillissement commencera à faire sentir ses effets en 2015, poursuit le Pr Pagano. D ici là, il faut donc absolument que notre pays revienne au moins à l équilibre budgétaire. Pour cela, il faut trouver 25 milliards d euros.» Mais quelles mesures prendre? Et surtout, quand?... ET DÉSESPÉRÉE Du côté d Itinera, et même si de nombreux experts partagent le point de vue du Pr Pagano, on ne croit pas à ce sursis. «2015, c est une vaste blague, martèle Jean Hindriks. Le budget de la sécurité sociale est déjà déficitaire depuis de nombreuses années. Les finances publiques sont elles aussi dans le rouge. Et ça ne date pas d hier! En 2009, le déficit du budget de l Etat était déjà de 20 milliards d euros. Certes, ce creusement est en partie dû à la crise financière de 2008, mais il ne faut pas se voiler la face: ce problème est structurel et récurrent. La preuve? En 2007, nous avons connu un taux de croissance record, et pourtant, le budget de l Etat n était déjà pas en équilibre. Et n oublions pas que depuis juin 2007, suite au blocage institutionnel, plus aucune mesure n a été prise pour juguler ce déficit.» TENSIONS SUPPLÉMENTAIRES Faute d intervenir rapidement, les comptes de la pension légale plongeront plus profondément dans le rouge. Mais notre économie risque également d en pâtir. «Aujourd hui, 30 % de la force de travail a plus de 55 ans. Au cours des prochaines années, des départs aussi massifs à la retraite vont certainement entraîner des tensions sur le marché de l emploi, poursuit Jean Hindriks. Qui va venir combler le vide? Les jeunes ne sont pas assez nombreux.» Une inquiétude que partage la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). «Nous allons vers une situation de pénurie de main-d œuvre, explique Pieter Timmermans, directeur général de la FEB. Et face à cette pénurie, il n y a que deux solutions. Soit les entreprises devront faire venir de la main-d œuvre de l étranger, soit elles devront se faire concurrence pour embaucher les jeunes qualifiés, ce qui entraînera une hausse des salaires. Cela risque de pénaliser la compétitivité de la Belgique par rapport à ses voisins, et de peser sur la croissance économique. Voilà pourquoi nous plaidons pour une réforme des fins de carrière, afin d encourager les personnes les plus âgées à rester au travail.» UNE SOLUTION? RESTER AU TRAVAIL? Une piste pour sauver le système? Ici, en septembre 2010, les trois syndicats belges réclament une revalorisation de la pension légale. Fonds de vieillissement? Le Fonds de vieillissement a été créé en 2001 pour faire face à l augmentation progressive des dépenses liées au vieillissement de la population. Son objectif était de constituer des réserves permettant de financer, durant la période comprise entre 2010 et 2030, l augmentation du coût du système de la pension légale. Alimenté par des recettes exceptionnelles de l Etat, comme certaines ventes d actifs, il devait trouver, à partir de 2007, un financement structurel issu des surplus budgétaires dégagés par les gouvernements. Surplus qui ne se sont hélas jamais matérialisés. Le fonds de vieillissement n est donc plus alimenté depuis 2006. De plus, les 17 milliards d euros qu il contient ne peuvent pas être utilisés: la loi prévoit en effet que cette réserve n est accessible pour le financement des pensions que si le niveau de la dette publique est inférieur à 60% du PIB. Or, nous approchons aujourd hui des 100%. 10 5 NOVEMBRE 2010 LE VIF EXTRA

RECULER L ÂGE DE LA RETRAITE? La conférence des pensions avait pourtant elle-même débouché sur une conclusion similaire : pour sauver le système, il faut absolument augmenter l âge de départ effectif à la retraite, qui est aujourd hui de 58 ans pour les salariés (62 ans pour les indépendants), sans nécessairement toucher à l âge légal de la pension. Un relèvement de trois ans de la prise de la pension permettrait de soulager la pression. Pour Jean Hindriks, le relèvement de l âge légal de la pension reste cependant à l ordre du jour. «Même si dans un premier temps cette mesure aura plus un aspect symbolique, il est important de la prendre: les gens doivent comprendre qu à l avenir il faudra travailler plus longtemps. L âge de départ doit avoir un lien plus direct avec l espérance de vie.» Depuis la création du système actuel, en 1967, l âge de la pension n a jamais été modifié, en tout cas pour les hommes les femmes ont en effet vu leur pension reculée progressivement de 60 à 65 ans. En revanche, entre 1967 et 2007, l espérance de vie est passée de 71 ans à presque 80 ans. Si, en 1967, un pensionné de 65 ans pouvait profiter en moyenne six ans de sa pension, aujourd hui il peut tabler sur quinze ans. Sans compter que la plupart des Belges partent à la retraite beaucoup plus tôt. «Bien entendu, vivre plus longtemps est une excellente chose, nuance Jean Hindriks. Mais le système actuel n a pas été conçu pour supporter une telle charge. D autant plus que viennent s y ajouter les périodes assimilées.» PÉRIODES ASSIMILÉES : LA PILULE EMPOISONNÉE Introduites au départ dans un souci de solidarité, les périodes assimilées sont des moments de la carrière d un travailleur où ce dernier, bien qu il ne perçoive pas de salaire, continue à se constituer des droits pour la pension. Si personne ne conteste leur caractère indispensable lorsqu il s agit de protéger des travailleurs souffrant d une grave maladie ou victimes d un accident du travail, d autres apparaissent plus discutables à certains acteurs. Du côté de la Fédération des entreprises L ALLONGEMENT DE L ESPÉRANCE DE VIE. Une bonne nouvelle dans l absolu. Une mauvaise, pour le système des pensions. de Belgique, on pointe notamment du doigt le système de la prépension, qui permet aux entreprises en restructuration de mettre à la retraite anticipée une partie de leur personnel plutôt que de recourir à des licenciements secs. «C est un accord qui arrange tout autant l entreprise en question que les syndicats, souligne Peter Timmermans, directeur général de la FEB. Jean Hindriks Professeur d économie à l UCL L âge de départ doit avoir un lien plus direct avec l espérance de vie. Mais il ne faut pas oublier que cela se fait sur le dos de la collectivité. Je ne suis pas certain que ce soit le meilleur système.» La FGTB s étonne cependant de cette position : «Il faut croire que la FEB n entend pas le discours de certains de ses membres», remarque Anne Demelenne, présidente du syndicat socialiste. La CSC, de son côté, même si elle reste opposée à la suppression pure et simple des prépensions, souligne que la situation s améliore: «Entre 2005 et 2009, le nombre de prépensions de moins de 55 ans a diminué de moitié, et nous comptons moins de 3000 cas en 2009. Le nombre de prépensions entre 55 et 60 ans a également baissé de 43913 à 37463, rappelle Marie-Hélène Ska, secrétaire nationale de la CSC. Cela indique à quel point les travailleurs ont pris conscience de la nécessité de travailler plus longtemps.» SORTIR DE LA CRISE? Difficile, aujourd hui, de nier la gravité de la situation. L inaction n est désormais plus une option. En effet, faute d apporter au système de la pension légale les modifications qui permettront d assurer sa viabilité, il pèsera de plus en plus lourd dans un budget fédéral déjà déficitaire. Chacun s accorde aussi à dire qu une réforme ne doit pas viser uniquement le premier pilier de la pension légale, mais également les deuxième et troisième piliers. Même si les opinions sont parfois inconciliables, la volonté de dialoguer et de chercher des solutions est désormais présente chez les partenaires sociaux. Les citoyens ont eux aussi pris conscience du problème et sont résignés à accepter les changements que cette réforme entraînera inévitablement. ISOPIX LE VIF EXTRA 5 NOVEMBRE 2010 11

Les douze travaux d Itinera En mai dernier, l Itinera Institute publiait son Petit livre rouge sur les pensions. Ce think tank basé à Bruxelles y fait l inventaire de la situation et propose douze mesures pour sortir le système des pensions de l ornière. Par F. Wauters Pour Jean Hindriks, la Belgique paie aujourd hui le résultat des décennies d inaction. «Le problème du vieillissement était largement prévisible. D ailleurs, la plupart des autres pays européens ont déjà pris des mesures pour y faire face. Certains l ont même fait beau coup plus tôt! Prenez la Suède : dans les années 1970 et 1980, les gouvernements successifs ont profité d une situation où il y avait peu de pensionnés et beaucoup de cotisants pour épargner les surplus dégagés. Résultat : la Suède dispose aujourd hui d un fonds de vieillissement équivalent à 40 % de son PIB. Alors que chez nous, ce fonds n a été créé qu en 2001 et ne contient que l équivalent de 4 % du PIB!» CHANGER LES MENTALITÉS Sortir le système des pensions de la crise où il s est enfoncé implique un profond changement des mentalités. «En premier lieu, la population doit prendre conscience qu il faudra accepter de travailler plus longtemps, martèle notre interlocuteur. Entre les années 1960 et aujourd hui, la durée moyenne de la pension est passée de huit à vingt ans, alors que la durée de cotisation ne cesse, elle, de diminuer. La durée moyenne du travail est aujourd hui de trente ans. Les périodes assimilées sont de plus en plus nombreuses, et la majorité sont prises après 50 ans. On paie littéralement les gens pour qu ils partent plus tôt à la pension!» Une situation qui est la conséquence d une vision biaisée du marché du travail. «Trop de gens pensent encore qu il faut mettre les personnes à la retraite pour faire de la place aux jeunes. C est faux. Le 12 5 NOVEMBRE 2010 LE VIF EXTRA

UNE VISION BIAISÉE DU MARCHÉ DU TRAVAIL. «On paie littéralement les gens pour qu ils partent plus tôt à la pension.» Jean Hindriks. et la Suède, où la progressivité des salaires selon l âge est nettement moins importante que chez nous, et qui connaissent un meilleur taux d emploi des seniors. RESPONSABILISER LES TRAVAILLEURS Itinera propose en troisième lieu d autoriser le cumul de la pension et des revenus professionnels. «Les pensionnés qui travaillent paient toujours des cotisations sociales, et contribuent donc au financement du système.» Idéalement, il faudrait même imaginer des formules de retraite à temps partiel. «Offrir plus de possibilités pour sortir en douceur du marché de l emploi permettrait à de nombreux seniors de rester actifs plus longtemps, mais à leur rythme, souligne notre interlocuteur. Mais nous préférons une pension à temps partiel qu un système de crédit-temps. Cela participe à notre optique de responsabilisation: la pension à temps partiel doit être un choix du travailleur, avec une conséquence sur le montant disponible plus tard pour sa pension complète.» Quatrièmement, Itinera plaide pour l instauration de quotas en matière de périodes assimilées. «L idée n est pas d éliminer la solidarité en cas de maladie, de chômage involontaire ou d invalidité, précise notre interlocuteur. Mais de responsabiliser les gens face à leurs choix. Pourquoi faudrait-il faire supporter par Jean Hindriks Professeur d économie à l UCL Offrir plus de possibilités pour sortir en douceur du marché de l emploi. marché de l emploi n est pas un jeu à addition nulle. La Suède, par exemple, a à la fois un taux de chômage des jeunes beaucoup moins élevé que chez nous et un meilleur taux d activité des 55/64 ans!» REPENSER LE MARCHÉ DU TRAVAIL Pour Itinera, une première piste consiste à valoriser le travail. «Le système actuel est contre-productif: tout est fait pour inciter les travailleurs à prendre leur retraite le plus tôt possible. Il faut créer au contraire un système de bonus-malus cohérent: retarder l âge de la retraite doit déboucher sur une pension plus élevée, et inversement, précise Jean Hindriks. L actuel malus de pension du régime des indépendants prouve l efficacité d un tel système: ils arrêtent en moyenne de travailler à 62 ans, soit quatre ans plus tard que les salariés. Mais pour cela, le système doit devenir plus clair pour chacun.» Pour encourager les employeurs à maintenir les travailleurs âgés dans l entreprise, Itinera préconise une deuxième mesure: réduire les inégalités de salaires dues à l âge. Le rapport cite en exemple la Finlande le système une pause-carrière pour faire le tour du monde?» REPENSER LA CARRIÈRE De manière plus large, c est l ensemble du déroulement de la carrière qu il faut revoir, selon le Petit Livre rouge d Itinera, qui n hésite pas à proposer, en cinquième lieu, un «new deal» pour l âge, nécessitant une réforme politique importante. À côté d une flexibilisation du marché du travail, d une activation des plus efficaces des chômeurs âgés et d une législation qui encourage le maintien des plus de 50 ans au travail (y compris en aidant les employeurs), Itinera plaide aussi pour ERWIN VANMOL LE VIF EXTRA 5 NOVEMBRE 2010 13

B E L G A un système d épargne-temps, qui permet de comptabiliser heures supplémentaires et jours de congés non pris sur un «compte d épargne-temps» individualisé et portable, qui permettra par après de constituer un crédit que le travailleur utilisera ensuite pour prendre des congés sabbatiques, réduire progressivement son temps de travail ou prendre plus tôt sa pension Mais une telle réforme nécessite également un changement de culture dans les entreprises et chez les travailleurs. Les entreprises doivent promouvoir la diversité d âge dans leur politique du personnel, et adapter les conditions de travail des aînés. Enfin, travailleurs comme entreprises doivent s inscrire dans une culture de formation permanente. LA PISTE DE LA FISCALITÉ En sixième lieu, le think tank plaide dans son rapport pour une harmonisation fiscale entre les pensions et les revenus du travail. «Actuellement, pour un montant brut identique, le pensionné perçoit un net plus élevé, relève Jean Hindriks. Qui plus est, cette inégalité s accroît avec le revenu. Les faibles revenus ne seront donc pas concernés par une réforme qui, par contre, permettra de générer de 1,3 à 1,9 milliard d euros d économies par an dans l ensemble des régimes de pension. Avec une telle somme, il est possible par exemple de remonter les pensions les plus basses à hauteur du seuil de pauvreté!» UN SYSTÈME TRANSPARENT ET INDIVIDUALISÉ Septièmement, Itinera plaide pour un système de «comptes notionnels» inspiré du modèle suédois. Ce régime consiste à calculer, pour chaque travailleur, un capital fictif accumulé à l âge de la retraite, en comptabilisant l ensemble de ses contributions indexées selon le taux général d évolution des revenus. Ce capital fictif est ensuite converti en rente viagère selon un taux qui tient compte de l âge effectif de départ à la retraite et de l espérance de vie à ce moment. «Ce système offre de nombreux avantages, souligne Jean Hindriks. Tout d abord, il offre Les entreprises doivent promouvoir la diversité d âge dans leur politique du personnel. une réelle transparence : chaque citoyen «sait» ce que sera sa future pension. Ensuite, il responsabilise chacun, car les conséquences des choix de carrière sur la pension sont clairement identifiées en cours de route. Enfin, il inclut déjà une adaptation des prestations à l allongement de l espérance de vie. Qui plus est, il n exclut nullement de préserver une dimension de protection sociale et d équité, dont l effet sera tout simple- 14 5 NOVEMBRE 2010 LE VIF EXTRA

ment inclus dans le calcul.» Corollaire : une individualisation des droits de pension. La pension de ménage et celle de survie sont en effet basées sur un modèle de société où l homme était le seul à travailler. Cette huitième piste devra être mise en œuvre progressivement, et s accompagner de l instauration d un système d assimilation des périodes de congé parental. DOTER LA PENSION LÉGALE D UN ABS Neuvièmement, le livre rouge appelle également de ses vœux la création d un système budgétaire automatique (Automatic Budgeting System, ou ABS). «L idée est d incorporer dans le budget de l Etat et de la Sécurité sociale des garde-fous et des mécanismes automatiques, plaide Jean Hindriks. Cela permettrait d une part de laisser le système en pilotage automatique dans des situations difficiles sans craindre de dérapages financiers. D autre part, cela forcerait également les politiciens à plus de responsabilité, en rendant par exemple l équilibre budgétaire, voire les surplus, légalement obligatoires.» En pratique, l exercice consisterait tout d abord à fixer un objectif à long terme pour la dette publique et le déficit de la Sécurité sociale, et ensuite à installer un système de projections et d ajustement des cotisations qui permettrait d atteindre cet objectif. MOBILISER LES GAINS DÉMOGRAPHIQUES Dixièmement, Itinera recommande de mobiliser les gains démographiques dans la fonction publique afin de financer les pensions. «D après nos calculs, on s attend à une vague de départ à la pension dans les dix prochaines années de presque un demi-million de fonctionnaires. Si on les remplace par des jeunes, et sachant que l écart de salaire moyen entre le début et la fin de carrière est de 20 000 euros, cela représente presque dix milliards d euros de baisse de salaire dans la fonction publique sans réduction d effectifs!» PROMOUVOIR LES PENSIONS COMPLÉMENTAIRES Onzièmement, Itinera prône une généralisation de la pension complémentaire basée sur un système de capitalisation. «C est une mesure difficile à faire admettre politiquement, mais nous n avons plus le choix, explique Jean Hindriks. J ai calculé que pour stabiliser le taux de dépendance économique (et donc sécuriser nos pensions) entre 2010 et 2050 il nous faudrait atteindre le plein-emploi pour les 20-65 ans et en plus augmenter progressivement l âge légal et effectif de la retraite de 65 à 70 à l horizon 2050, avec à nouveau plein emploi entre 65-70 ans. C est clair que cela relève de l impossible. D ailleurs les Belges l ont bien compris et épargnent désormais massivement eux-mêmes pour leur pension.» Pour encourager cette épargne et neutraliser en partie l effet des fluctuations des marchés sur la pension, Itinera propose une douzième mesure: encourager la perception d une rente plutôt que d un capital à la pension. «Une rente viagère offre une plus grande sécurité à long terme, et peut être combinée à la conservation d une partie du capital qui sera rétrocédée aux héritiers en cas de décès.» ERWIN VANMOL LE VIF EXTRA 5 NOVEMBRE 2010 15