PRÉFACE : Note sur l histoire des manuscrits de James Morrison James Morrison écrivit son «journal» à l'automne de 1792, en partie comme prisonnier à bord de l'hector après le procèsdes mutins de la Bounty, alors qu'il attendait sa grâce ; en partie comme homme libre, après l'avoir reçue. A la même époque, Peter Heywood préparait son vocabulaire de la langue tahitienne. Pendant leur captivité sur l'hector, les prisonniers de la Bounty s'étaient liés d'amitié avec un pasteur, aumônier des marins de Portsmouth, William Howell (mort en 1822), qui allait voir les prisonniers tous les jours. Après que la sentence de mort eut été prononcée, Howell semble avoir encouragé Heywood et Morrison dans leurs travaux littéraires. Il est actuellement impossible de déterminer avec certitude si Morrison et Heywood basaient leurs manuscrits sur des notes prises pendant leurs séjours à Tahiti de 1788 à 1791 ; mais certains détails laissent supposer qu'au moins la description donnée par Morrison de Tahiti utilise des notes, sauvées par le capitaine Edwards ou par le lieutenant Corner, lors du naufrage dit Pandora en 1791 et rendues plus tard à Morrison. Lorsque Morrison eut terminé son récit et Heywood son vocabulaire, ils remirent leurs manuscrits à Hozvell pour que celui-ci, après avoir révisé le texte de Morrison, tente de le publier. Pendant sa captivité sur l'hector, Morrison avait également rédigé un bref rapport sur le comportement de Bligh à bord de la Bounty et aussi, sous la forme d'une lettre à Howell datée de l'hector, le 10 octobre 1792, une description semblable du traitement cruel qu'avaient dû subir, en qualité deprisonniers, Morrison et ses camarades, pendant le retour en Europe, sous le commandement du capitaine Edwards. Le manuscrit original de ces deux récits n'a pas encore été retrouvé et nous n'en connaissons le contenu que par une copie. Par l'intermédiaire du capitaine Molesworth Phillips, ami de Howell et connu par le troisième voyage de James Cook, capitaine qui était en relations intimes avec Sir Joseph Banks à Londres, celui-ci eut connaissance des rapports de Morrison sur Bligh et Edwards, et, tout naturellement, fut désireux de connaître la version que Morrison donnait des évènements. Phillips écrivit alors à
Howell à Portsmouth et, servant d'intermédiaire à Banks, demanda à voir les deux rapports. Howell répondit par une lettre à Phillips datée de novembre 1792, qu'il enverrait le manuscrit de Morrison sur Bligh et Edwards dès qu'il pourrait l'avoir. Le manuscrit était en effet alors dans l'île de Wight, et il l'informa aussi du «grand récit», notre «Journal», que Morrison était en train d'écrire et qui était, lui, destiné à la publication. Cependant Howell semble avoir tardé à envoyer les notes sur Bligh et Edwards et Phillips finit par aller lui-même à Portsmouth pour en voir les manuscrits. Il faut observer qu'il ne s'agissait pas ici du manuscrit dit «Journal» de Morrison, mais seulement des deux rapports sur les cruautés de Bligh et Edwards. Phillips envoya alors ces notes à Banks, l'informant en même temps nous sommes en décembre 1792 de l'existence d'une description plus détaillée de Morrison, qu'howell rédigeait pour l'impression. Banks fit faire une copie des matériaux qu'on lui avait envoyés et renvoya ensuite probablement l'original à Phillips. Lorsque, quelques mois plus tard, en septembre 1793, Bligh revint en Angleterre de sa deuxième expédition à Tahiti, Banks lui fil part desaffirmations de Morrison. La copie que Bligh eut en mains semble être le manuscrit qui se trouve actuellement à la Mitchell Library à Sydney et qui comporte 35 feuilles; il est intitulé «Memorandums and particulars respecting the Bounty and her Crew». Jusqu'ici, il n'a pas été publié en entier, et Owen Rutterne le connaissait manifestement pas. Ayant lu ce document, Bligh écrit à Banks, en octobre 1793, que «les rapports de Morrison sont faits de ragots mensongers que personne n'osera publier ou répéter» et il joint à sa lettre dix pages indignées : «Remarks on Morrison's journal», pages qui se trouvent maintenant à la Mitchell Library et qui ont été publiées par Owen Rutter en 1937. Bien avant déjà, Morrison avait enfin réussi à terminer son grand manuscrit que Bligh ne vit probablement jamais. Cependant Morrison avait refusé toute suppression en ce qui concernait le comportement de Bligh et celui d'edwards. Il confia son manuscrit aux bons soins de Howell. Celui-ci eut tôt fait de comprendre qu'il ne pouvait être publié en conservant les parties jugées «dangereuses». Il ne
sera donc pas question de publication, mais Howell réussit quand même, en pressant un peu les autorités, à tout tourner à l'avantage de Morrison, du moins si nous en croyons une note du pasteur Samuel Greatheed qui déclare : «Monsieur Howell s'était proposé de publier les papiers de Morrison. Mais il y renonça à la condition que le gouvernement prisse soin de Morrison ; et, par la suite, celui-ci sera nommé canonnier de la marine. La publication était jugée peu souhaitable, parce qu'elle avrait compromis le capitaine Bligh.» En automne 1796, le Duff, navire de la Société Missionnaire de Londres, quitta l'angleterre pour débarquer des missionnaires à Tahiti et dans d'autres îles de l'océanie. Cependant, lors du départ, l'expédition fut obligée de s'arrêter plusieurs semaines à Spithead près de Portsmouth, et pendant ce temps, le Dr Thomas Haweis, le promoteur de la L.M.S. tout récemment fondée, qui avait accompagné les missionnaires sur le Duff de Londres à Spithead, entrait en contact avec Howell à Portsmouth. Avec beaucoup de zèle, Haweis avait réuni toutes les informations qu'il pouvait avoir sur Tahiti, et bien sûr, il fut tout étonné quand Howell lui montra le récit détaillé de Morrison ainsi que le vocabulaire et la grammaire très complète de Heywood sur le dialecte tahitien. Ces documents surpassaient tout ce qui avait déjà été publié et que Haweis avait réussi à réunir. Howell mit généreusement ces papiers à la disposition de Haweis, et en quelques jours de travail fébrile, Haweis fit, à l'usage deses missionnaires, un abrégé des parties les plus utiles du récit de Morrison et une copie complète du vocabulaire de Heywood. A cette occasion ou un peu plus tard, Haweis fit aussi, à son propre usage, une copie de la plus grande partie de ces documents. Pendant la première moitié de l'année 1796, Samuel Greatheed en collaboration avec Haweis, le meilleur connaisseur de l'océanie parmi les dirigeants de la L.M.S., avait composé, à l'usage des missionnaires, un manuscrit sur les voyages et les observations déjà faits en Océanie. Bien entendu, on emporta aussi une copie de ce manuscrit sur le Duff et avec les manuscrits de Morrison et deheywood, c'était une lecture à laquelle les missionnaires avaients ouvent recours pendant le long voyage jusqu'à
Tahiti. Le récit de Greatheed se basait non seulement sur tous les récits imprimés qu'on avait pu trouver, mais aussi sur des informations orales de personnes ayant visité Tahiti les années précédentes, entre autres celles du lieutenant Corner, de la Pandora, qui avait fait à Haweis une description détaillée de l'expédition de son navire et de la capture des mutins de la Bounty. Le départ du Duff n'interrompit pas le travail de Greatheed. Maintenant il lui fallait rédiger une introduction historique destinée à la relation du voyage du Duff que la Société avait l'intention de publier dès le retour du navire en Angleterre. Howell, il est vrai, avait formellement interdit la publication du manuscrit de Morrison, mais il paraît que Haweis et Greatheed réussirent à obtenir la permission d'en utiliser certaines parties à condition de ne pas mentionner le nom de Morrison et de ne même pas faire allusion à son travail. Une autre condition était, bien entendu, de ne pas publier les révélations de Morrison sur Bligh et Edwards, Howell se considérant toujours lié par sa promesse. Le Duff revint en Angleterre en juillet 1798, et dès l'année suivante, 1799, furent publiées les premières éditions de : A missionnary voyage to the Southern pacific Ocean... Greatheed avait rédigé anonymement l'introduction historique, le «Discours préliminaire», qui se basait en partie sur les matériaux de Morrison. Le livre se terminait par un «Appendice» sur Tahiti,anonymement composé par Haweis, encore qu'il n'ait jamais vu l'océanie. Cet «Appendice» est en très grande partie l'œuvre de Morrison. Les ressemblances entre la description de Tahiti faite par Morrison et l'«appendice» de Haweis sont très frappantes: non seulement la disposition du texte, mais aussi les termes sont souvent ceux de Morrison. Ainsi, même si ce n'était pas exactement sous la forme qu'il avait imaginée, le Magnum Opus de Morrison fut-il publié de son temps. Il faut ajouter que quelques fragments du récit de Morrison, de même que le vocabulaire de Heywood avaient déjà été publiés par Haweis dans l'evangelical Magazine de 1797 et de 1798, et que certaines parties des matériaux de Heywood ont été copiées par Greatheed dans les marges de quelques-uns des livres sur Tahiti, utilisés par lui et qui sont maintenant
conservés dans la bibliothèque de la L.M.S. Il semble probable que Greatheed n'a eu à sa disposition que des copies incomplètes des manuscrits de Morrison, celles ayant appartenu à Howell et recueillies par Haweis en 1796. Greatheed n'en a sans doute jamais vu l'original. Ce manuscrit original de Morrison, nous ne savons pas exactement pendant combien de temps il demeura entre les mains d'hozeell. Il semble avoir appartenu assez longtemps à Peter Heywood : certaines parties remaniées en furent publiées en 1825 dans la biographie sur Heywood, rédigée par le lieutenant Marshall. Quelques années plus tard, en 1831 et 1832, Sir John Barrow et Edward Tagart citèrent le récit de Morrison dans leurs livres sur la mutineriede la Bounty. Mais il semble que ni Barrow ni Tagart n'aient personnellement étudié le manuscrit de Morrison de près, et même qu'ils n'ont pas vu ce manuscrit; car Barrow l'ignore absolument et les citations de Morrison faites par, Barrow et Tagart sont presque identiquesà celles remaniées par Marshall en 1825. Il n'est d'ailleurs pas improbable que Heywood, et plus tard Lady Belcher, n'ait possédé un manuscrit de Morrison, maintenant disparu. Lady Belcher et le pasteurl'estrange en 1870 et en 1891, donnent des détails sur le manuscrit de Morrison qui ne concordent pas avec celui de la Mitchell Library. Mais en même temps, il est évident que ce dernier manuscrit, lui aussi, vient de Lady Belcher, entre autres raisons parce que la description qu'en donne William Fletcher (qui en 1877 emprunta le manuscrit à Lady Belcher) dans sa conférence sur la mutinerie de la Bounty s'accorde avec le manuscrit de la Mitchell Library. Ce manuscrit contient aussi plusieurs annotations de l'écriture de Heywood (et d'ailleurs aussi une longue note de l'écriture de Howell). Et, de plus, nous savons que la Mitchell Library acquit le manuscrit de L'Estrange, qui avait été l'ami de Lady Belcher. On peut ajouter que Samuel Greatheed n'abandonna jamais son intérêt pour l'histoire de la Bounty. En 1820-1821 encore, il publia un récit détaillé concernant les moulins de la Bounty, récit basé entre autre, sur les transcriptions des rapports de Morrison et de Corner. Le premier à se baser sur le récit de Morrison pour écrire l'histoire de la Bounty fut
donc,à ce qu'il semble, Greatheed, un des meilleurs connaisseurs de l'histoire de Tahiti en son temps. Ces lignes écrites un peu à la hâte, sur la demande de M. Bertrand Jaunez qu'il convient de féliciter d'avoir traduit en français le «journal» de Morrison, ne prétendent être qu'une rapide, trop rapide introduction à ce texte important. Une monographie détaillée et documentée de l'histoire des manuscrits de Morrison sera publiée sous peu dans la série des Studia Bountyana dont le premier numéro vit le jour l'an dernier. J'y renvoie le lecteur intéressé par le sujet. Rolf du Rietz, Upsal, Suède, décembre 1965.