Crédit Chaîne de Valeur Agricole (CVA) I Principes du crédit CVA



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Transcription:

Crédit Chaîne de Valeur Agricole (CVA) I Principes du crédit CVA Le monde agricole dans les pays émergents évolue le plus souvent en dehors des logiques contractuelles rigoureuses qui sont la clef de l économie agroindustrielle des pays développés. La plupart des transactions y sont menées sur une base «spot», dans des marchés ouverts et indifférenciés (faible prime de qualité, absence de traçabilité des produits). Seuls échappent à cette règle générale les systèmes dits de «plantation» où l outil industriel de transformation ou de conditionnement à détient généralement l outil de production primaire. C est le cas par exemple au Sénégal dans le secteur du sucre avec la compagnie sucrière de Richard Toll. L expérience internationale prouve cependant que le système de plantation génère des enclaves de forte productivité sans guère d externalités technologiques positives («spill-over») sur les territoires où il s inscrit. Lorsque ce système est détenu par des intérêts financiers trans-nationaux, l essentiel des profits est in fine transféré à l extérieur, limitant son effet d entraînement monétaire sur l économie locale. Le crédit CVA part du principe qu une étroite coordination entre acteurs de filières agricoles est un élément essentiel à leur dynamisme. Cette coordination a une double dimension : Verticale, entre un acheteur de produits agricoles (agro-industriel, exportateur, etc., ci-après «l acheteur») et des fournisseurs de produits (ci-après «les agriculteurs»); Horizontale, entre des agriculteurs travaillant pour l essentiel dans des exploitations familiales comme c est le cas pour la grande majorité des agriculteurs dans le monde. Une double coordination efficace est de nature à déboucher sur une grappe agro-industrielle à très haut niveau de compétitivité, reflétant les nouvelles approches en matière d économie productive issues notamment des travaux de Michael Porter (concept de «cluster» ou de pôles de compétitivité). Dans les agricultures des pays développés, cette double coordination tend à devenir la règle. L inclusion d un organisme financier prêteur dans des relations contractuelles entre des acheteurs et des agriculteurs est un élément de nature à renforcer considérablement cette double coordination dans les pays et secteurs qui font largement l apprentissage de ces relations contractuelles.

Le crédit CVA repose sur cette analyse. Il combine, comme présenté sur le schéma suivant, un organisme prêteur (le CMS sur le schéma) finançant des agriculteurs travaillant sur la base de contrats d approvisionnement avec un acheteur. Les contrats sont nantis auprès de l établissement prêteur avec délégation des flux de paiement. Pour assurer la réalisation effective de la production contractuelle, une assistance technique dédiée aux agriculteurs est généralement requise. A réception des produits agricoles du Contrat l acheteur paie les agriculteurs sur leur compte au CMS qui affecte les sommes reçues au remboursement du crédit CMS met en place un crédit en faveur d agriculteurs ou de groupes d agriculteurs s engageant à vendre partie de leur récolte auprès d un acheteur de référence sur la base d un Contrat validé au préalable CMS prend le Contrat en nantissement L acheteur et les agriculteurs s engagent sur un Contrat de livraison ferme à prix fixes ou basés sur un indice Les agriculteurs ont recours à une assistance technique dédiée pour leur permettre de fournir les qualités et volumes requis par le Contrat avec contrôle des intrants Pour l organisme prêteur, le crédit CVA doit viser en priorité quatre buts complémentaires : Une sécurisation accrue de son portefeuille de crédit aux bénéficiaires ; Une réduction de ses coûts administratifs et de monitoring du fait de l octroi d un même type de crédit à un grand nombre d agriculteurs bénéficiant d un même type de contrat d enlèvement sur des zones de collecte généralement proches ; Une capacité de tirer parti commercialement de l ensemble de la chaîne, des fournisseurs d intrants s ils sont intégrés dans le schéma lorsque les agriculteurs sont contractuellement obligés d acquérir des intrants de qualité certifiée, aux agriculteurs et aux acheteurs finaux (industriels, exportateurs, etc.) ; Une dynamisation de son fonds de commerce, les partenaires de chaînes de valeur efficaces étant à même de croître beaucoup plus rapidement que les autres acteurs du secteur agricole.

Pour l acheteur, le crédit CVA a trois avantages essentiels : Il est de nature à solidifier sa relation contractuelle avec les agriculteurs, car le crédit CVA fait de la non livraison par les agriculteurs des produits sur lesquels ils se sont engagés un cas de défaut (en l absence de force majeure) ; Il permet de fournir aux agriculteurs co-contractants un crédit obtenu dans de bonnes conditions vu les avantages qu il procure à l établissement prêteur. Dans de nombreux cas, ce crédit se substitue aux avances auprès des agriculteurs que l acheteur est souvent obligé de consentir pour assurer ses fournitures. Ceci se traduit par une amélioration du fonds de roulement de l acheteur qui peut être employé à d autres fins (investissement dans son outil de production, crédit à ses clients le plaçant en situation de force d un point de vue commercial, etc.) ; Il peut diminuer ses frais de gestion, le paiement des agriculteurs pour leurs livraisons étant effectué directement par débit du compte de l acheteur auprès de l établissement prêteur qui crédite les agriculteurs dans ses livres. Pour les agriculteurs, le crédit CVA a trois retombées immédiates : Il leur permet de clarifier et d équilibrer la relation contractuelle avec l acheteur, y compris en l absence de structure (association, coopérative) les représentant collectivement. La quasi totalité des contrats d enlèvement de produits sont en effet rédigés par les acheteurs, et, face à des agriculteurs avec généralement peu de connaissances juridiques, ils peuvent avoir un caractère nettement asymétrique, voire en certains cas léonin. Comme l établissement prêteur est d abord en risque sur les agriculteurs et qu il dispose d une capacité professionnelle pour évaluer les clauses du contrat, il jouera naturellement un rôle de rééquilibrage assurant in fine une meilleure performance contractuelle des agriculteurs, les contrats asymétriques étant rarement suivis d effet sur la longue durée ; Il leur permet d avoir un financement rapide et obtenu dans de meilleures conditions que s ils avaient requis un financement individuel, l établissement prêteur pouvant leur répercuter la réduction de son risque et de ses coûts administratifs et de monitoring par une moindre exigence en matière de sûretés, voire de taux d intérêt ;

Il leur permet d accéder à une amélioration de leurs performances techniques, les contrats d enlèvement étant généralement assortis de clefs techniques rigoureuses impliquant soit une assistance technique de la part de l acheteur, soit le recours à une assistance extérieure dédiée à la réalisation des objectifs de production du contrat. Dans de nombreux cas, la réalisation de ces objectifs implique l utilisation d intrants sélectionnés qui peuvent être fournis par l acheteur en tant que composante du contrat ou être obtenus dans de bonnes conditions commerciales auprès d un fournisseur agréé vu la possibilité d atteindre des volumes conséquents par regroupement de tous les cocontractants. II Application au Sénégal : pistes de développement pour le CMS Le crédit CVA n est pas une nouveauté au Sénégal. Il a été régulièrement pratiqué au cours des dernières années par la CNCAS dans le secteur de la tomate industrielle (dans la Vallée du Fleuve) ou du coton (avec la Sodefitex). Dans le secteur du maïs, le Projet de Croissance Economique de l USAID a mis en place avec certaines SFD et la CNCAS un programme intégral liant des fournisseurs d intrants, des agriculteurs, des consolidateurs (comme la Sodefitex, la Soena et la Sedab), et des acheteurs agro-industriels finaux (Avisen, Grands Moulins, Moulins Sentenac). Malgré la forte et coûteuse implication de l USAID, ses résultats n ont guère été concluants du fait de la combinaison d éléments exogènes (faible pluviométrie) et endogènes (obtention tardive des intrants de la part de la Sodefitex, absence de clause d indexation des prix locaux sur les prix mondiaux). Ainsi, pour l hivernage 2011, les consolidateurs n ont pas obtenu le tiers des volumes contractés. Ces exemples montrent que le crédit CVA ne va pas de soi et qu il faut être particulièrement attentif à la qualité et à la robustesse du contrat liant l acheteur aux agriculteurs. Deux éléments sont essentiels, le degré d interdépendance des cocontractants et le degré de robustesse du contrat face aux aléas de prix et de volumes de production. Le crédit CVA doit viser en priorité les secteurs ou l interdépendance des cocontractants est la plus forte. Dans le cas du coton par exemple, qui impose le passage par l usine d égrenage, tant l usine que les agriculteurs sont forcés de s entendre. Les agriculteurs sont de fait obligés de livrer leur production de coton graine à l usines, mais si les prix pratiqués par l usine sont trop bas, les agriculteurs se tourneront dans l avenir vers d autres spéculations et l usine tournera au ralenti. Dans le cas de la tomate industrielle, nous sommes aussi

face à une interdépendance très forte. L usine ne peut fonctionner sans tomate et le fait que la tomate industrielle soit différente de la tomate de table limite, dans une certaine mesure, les «fuites» en dehors du circuit contractuel. L équation est moins simple s il existe un grand nombre d usines concurrentes, les agriculteurs pouvant être enclins à livrer au plus offrant plutôt que de respecter leurs obligations contractuelles de livraison. Dans le cas du maïs, le niveau d interdépendance était très faible : les agriculteurs pouvaient librement écouler leur production sur les marchés de proximité, au plus offrant, et pour les moulins, accoutumés à transformer du maïs importé, le montage USAID constituait une opportunité mais pas un enjeu vital. La difficulté au Sénégal tient au fait qu il existe aujourd hui peu de filières avec un très haut niveau d interdépendance. Même la filière lait, généralement un modèle de contractualisation dans les pays développés, souffre de multiples fuites. Les laiteries dépendent plus de la poudre de lait importée que de leur collecte locale et peuvent en permanence arbitrer entre les deux. Quant aux producteurs, ils sont soumis à une très forte cyclicité de leurs volumes de vente, et peuvent aussi arbitrer entre la vente de proximité et la vente contractuelle. Le degré de robustesse du contrat d enlèvement est l autre élément essentiel à prendre en compte pour le montage d un crédit CVA. Il porte tout d abord sur la robustesse face aux fluctuations des prix de marché. Quand le degré d interdépendance des co-contractants est faible, tout écart entre les prix contractuels et les prix de marché au moment de la livraison se traduit par des défauts de livraison (si le prix marché est sensiblement supérieur au prix contractuel) mais aussi parfois de réception des produits (si le prix marché est sensiblement inférieur au prix contractuel). Il convient dans ce cas de privilégier des contrats sur indices à prix ajustables, ou des contrats à prix fixes qui ne portent que sur le volume nécessaire au remboursement de la dette auprès de l établissement prêteur, la rupture du contrat étant un cas de défaut sur le crédit CVA. L autre élément de robustesse porte sur l adaptation du contrat aux variations de production. Dans le cas de spéculations très sensibles aux aléas climatiques, comme le maïs, il faut à l évidence prévoir des clauses de force majeure dégageant partiellement les agriculteurs de leurs obligations de livraison. Le manque à gagner et le risque d impayé pour l établissement prêteur peut être partiellement géré par des assurances récoltes indicielles comme celles développées par Planet Guarantee d autant que leurs seuils de déclenchement d indemnisation pourraient être repris comme seuils de déclenchement de force majeure pour les contrats de livraison.

Pour assurer une meilleure robustesse du contrat d enlèvement, le plus important est sans doute une approche dynamique du type gagnant-gagnant. Un agriculteur respectera son contrat si celui-ci lui permet d obtenir des avantages qu il n aurait pu obtenir par ailleurs. Si le contrat est assorti d une assistance technique de qualité, très appliquée aux besoins de l agriculteur, alors il réfléchira à deux fois à ne pas le respecter. De surcroît cette assistance technique permettra à l agriculteur de mieux résister à des aléas exogènes de production, renforçant par ainsi la robustesse du contrat d enlèvement. De même si le nantissement du contrat est le seul moyen d obtenir un financement bancaire, notamment pour des actifs longs (plantation de vergers, achat de bétail laitier sélectionné, investissements hydrauliques lourds du type goutte-àgoutte, bâtiments d exploitation fonctionnels), l agriculteur sera naturellement plus scrupuleux dans le respect de ses clauses. Ces contraintes définissent largement ce que devrait être une stratégie de promotion du crédit CVA de la part du CMS. Il convient tout d abord d identifier les acteurs pouvant initier des relations contractuelles à fort degré d interdépendance. Outre ceux précités dans la tomate et le coton, on peut songer en priorité aux entreprises déjà impliquées dans l exportation de produits requérant le respect de normes strictes. C est le cas par exemple des filières fruits et légumes à l exportation, tournées en grande partie vers le marché extrêmement exigeant d un point de vue sanitaire de l Union Européenne. Pour ces filières, les acheteurs se doivent de contrôler l ensemble du processus productif et de fournir à leurs clients finaux comme les grandes surfaces de distribution les éléments concrets prouvant l effectivité de ces contrôles. D un point de vue pratique, il devrait être possible d obtenir les références de ces entreprises exportatrices auprès du Service des douanes et de les approcher pour envisager avec elles des montages de crédit CVA. Il est probable que ces entreprises connaissent aussi des structures étrangères qui pourraient être intéressées par des investissements de production au Sénégal exploitant les niches qui avaient été naguère identifiées par les concepteurs de la Stratégie de Croissance Accélérée du Sénégal dans la grappe agro-industrie. Mais même pour les secteurs à moindre degré d interdépendance, il doit être possible d atteindre des résultats positifs si on joue fortement sur les éléments de robustesse. Ainsi dans le lait, la combinaison de contrats à prix variables (basés sur le prix de la poudre importée avec lequel le lait local est directement en concurrence, les deux tiers de la consommation nationale reposant sur les importations), d une assistance technique dédiée de qualité, et de financements de moyen et long terme pour la mise à niveau des exploitations (génétique, bâtiments, préparation des fourrages) devrait permettre d obtenir de vraies percées qualitatives au niveau de la filière pour

lesquelles des acteurs de référence comme la Laiterie du Berger à Richard Toll travaillant avec le GRET ou de petites laiteries en haute Casamance travaillant avec Agronomes et Vétérinaires sans Frontières ont déjà été identifiés. III Le crédit CVA au CMS : protocole d application 1) Identification et mobilisation des partenaires potentiels (acheteurs) Le Centre de Financement Agricole (CFA) a la responsabilité de la recherche prospective de partenaires potentiels (entreprises agro-industrielles, exportateurs, autres) pour le développement du portefeuille de crédits CVA. Il s appuie en cela sur ses contacts auprès de tiers (services de l Etat dont Service des douanes, organismes techniques agricoles, projets internationaux de développement, autres) dont il regroupe les informations dans une base de données agrobusiness. Il utilise aussi les ressources informatives du réseau CMS, tant au niveau local que national. Après une première analyse de ces prospects portant sur leur réputation tant technique que contractuelle, le CFA et le gérant de la caisse dans la région où elle est localisée prennent contact avec l entreprise cible pour un entretien de démarchage préalable. Au vu des informations qu ils obtiennent sur ses activités et son mode de fonctionnement, ils sont en mesure d apprécier l opportunité pour elle d envisager un partenariat de crédit CVA. Dans le cas où cette hypothèse est validée, ils lui exposent le mécanisme du crédit CVA sur la base du schéma fonctionnel repris dans le présent document. Si l entreprise est intéressée, ils passent à l étape suivante. 2) Travail sur le contrat d enlèvement de produits La plupart des entreprises prospects intéressées par le développement du crédit CVA sont susceptibles d avoir déjà noué des relations contractuelles formelles ou informelles avec leurs fournisseurs agriculteurs. D autres peuvent être à un moindre niveau d avancement et être désireuses d un soutien technique pour la mise en place de contrats d enlèvement avec des agriculteurs qu elles devront déjà avoir identifiés. Dans tous les cas, il importe soit d avoir une lecture critique pour les contrats existants, soit de proposer un cadre de contrat équilibré sur la base d un contrat d enlèvement type. Ce travail, qui devra être réalisé par le CFA avec, si nécessaire, le soutien technique de la Direction des Affaires Juridiques doit notamment :

Eviter toute clause léonine ou toute asymétrie marquée en faveur de l entreprise (l acheteur) aux dépens des agriculteurs ; Faire coïncider le plus possible le contrat d enlèvement à la réalité du terrain en le gardant aussi simple que possible (réalisme) ; Prévoir des mécanismes clairs et transparents d adaptation aux aléas agronomiques et de marché. 3) Mobilisation des prestataires d assistance technique L assistance technique est une composante fondamentale du succès du crédit CVA. Elle doit être pratiquée de manière professionnelle, ce qui n est pas toujours le cas de certains programmes d extension publics ou d ONG. Pour qu elle soit responsabilisante, il est nécessaire qu au moins une partie de son coût soit pris en charge par ses bénéficiaires, entreprise acheteuse de produits agricoles ou agriculteurs. Le CFA, en tirant parti de sa base d informations, doit identifier les prestataires d assistance technique susceptibles d intervenir dans chaque crédit CVA. Il peut s agir d entités existantes ou d individus dotés d un bon savoir-faire dans le domaine requis par le crédit CVA. Il incombe au CFA d analyser les compétences desdits prestataires et de les suivre dans sa base de données avec une évaluation de leurs performances. Dans le cas du programme TAFF au Tadjikistan, l évaluation était par exemple faite sur la base de l augmentation des rendements et du niveau de paiement des agriculteurs auprès de leurs Groupes d Assistance Technique (GATs), les agriculteurs étant libres de cesser en cours de saison leurs paiements aux GATs s ils n étaient pas satisfaits de la prestation reçue. Tous les GATs recevant un faible niveau de paiement de leurs clients par rapport à la base contractuelle de leurs engagements perdaient ipso facto leur certification TAFF. 4) Mobilisation des agriculteurs Une fois défini le cadre contractuel et le cadre de l assistance technique, il est possible de procéder à une réunion d information avec les agriculteurs déjà fournisseurs de l acheteur, mais aussi, si l acheteur le souhaite, avec d autres agriculteurs potentiels dont des sociétaires du CMS. L acheteur expose sa proposition contractuelle, le prestataire technique procède de même et le CMS (gérant de la caisse locale) termine en expliquant le mécanisme de crédit CVA sur la base du schéma fonctionnel. Il importe à ce stade de bien préciser aux participants que la signature d un contrat d enlèvement entre l acheteur et un agriculteur n implique pas ipso

facto l obtention par cet agriculteur d un crédit CVA du CMS. Cette obtention suppose son acceptation par les organes compétents du CMS en fonction du code de procédure de crédit agricole du CMS. Néanmoins l avantage pour les agriculteurs est que le contrat d enlèvement réduit le risque pour le CMS et permet de diminuer le montant des sûretés exigées pour l obtention du prêt (cf. Code de procédure de Crédit agricole du CMS). 5) Instruction des dossiers de crédit Tous les agriculteurs désireux de travailler dans le cadre du crédit CVA peuvent demander à obtenir un crédit agricole du CMS pour lequel la procédure de Crédit agricole s applique. La capacité de traiter un grand nombre de dossiers de demande de crédit avec des caractères similaires permet d obtenir une bonne efficacité administrative. 6) Remise des documents contractuels, prise des sûretés et décaissements Le contrat de crédit CVA est un contrat de prêt standard du CMS auquel sont rajoutées deux clauses spécifiques : «Le crédit est octroyé en contrepartie du nantissement du contrat de fourniture de produits entre l emprunteur (l agriculteur) et l entreprise X (l acheteur). Les flux de paiement de ce contrat sont domiciliés aux caisses du CMS.» «Toute rupture non motivée du contrat de fourniture de produits par l emprunteur entraîne ipso facto la déchéance du terme et rend le crédit immédiatement exigible.» Les crédits CVA sont décaissés en faveur des agriculteurs dans les conditions ordinaires du CMS après que : L autorité compétente du CMS a reçu un original du contrat d enlèvement où il est clairement spécifié qu il est nanti au profit du CMS et que l acheteur s engage à verser aux caisses du CMS les sommes versées au titre de la réception des produits fournis par l agriculteur ; L autorité compétente a reçu un original d un contrat d assistance technique fourni à l agriculteur. Dans le cas où cette assistance technique est fournie par l acheteur, elle doit être clairement précisée dans le contrat d enlèvement.

Il est important que les flux prévisionnels du contrat d enlèvement couvrent les charges de remboursement du crédit et que sa durée excède celle du terme du crédit.