LAM et SMD secondaires à la radio-chimiothérapie : Une série de 116 cas provenant de 2 Centres de lutte contre le Cancer. H BENNANI 1, V SAADA 2 1 Institut Curie-Hôpital René Huguenin, Saint Cloud 2 Institut de Cancérologie Gustave Roussy, Villejuif Les hémopathies myéloïdes secondaires sont des complications rares mais graves; elles comprennent les myélodysplasies (t-smd), les leucémies aigües myéloïdes (t-lam) ainsi que les SMD/SMP survenant après une radio-et/ou chimiothérapie ou un traitement immunosuppresseur administré(s) pour une première maladie, que celle-ci soit de nature cancéreuse ou pas. Cette catégorie représente 10 à 20% des LAM et SMD dans la littérature. L incidence est variable et dépend du type de pathologie maligne et des modalités thérapeutiques. Le délai de survenue rapporté est généralement compris entre 5 à 10 ans après l exposition au traitement anticancéreux. Description de la cohorte La série présentée provient de deux centres de lutte contre le cancer (CLCC: Institu Curie-Hôpital René Huguenin/ Institut Gustave Roussy), elle compte 116 patients dont 46 t-smd, 69 t-lam et 1 SMD/SMP, avec une large majorité de femmes (74%). Les affections malignes primaires sont hétérogènes : 46 cancers du sein, 14 tumeurs gynécologiques (ovaire, endomètre, col), 24 hémopathies (LNH, LLC, myélome), 4 cancers digestifs, 8 cancers respiratoires (ORL et poumon), 6 cancers urologiques (prostate et testis), 13 cancers d origine diverse (sarcome, thyroïde, glioblastome, tumeurs neuroendocrines) et deux maladie de Crohn). L âge médian de survenue de l hémopathie secondaire est de 65 ans, le délai médian entre le diagnostic du 1 er cancer et la survenue de la t-lam/t-smd est de 5 ans. Les deux principales classes de chimiothérapies incriminées dans les t-lam/smd sont les alkylants et les inhibiteurs de la topoisomérase 2. C est la raison pour laquelle nous avons défini 5 groupes en fonction du traitement reçu pour le premier cancer : Groupe 1 : radiothérapie seule : n=26 (22%) Groupe 2 : agent alkylant sans inhibiteur de topoisomérase 2 (+/- radiothérapie) : n=13 (10%) Groupe 3 : inhibiteur de topoisomérase 2 sans agent alkylant (+/- radiothérapie): n=10 (8%) Groupe 4 : association alkylant + inhibiteur topoisomérase 2 (+/- radiothérapie): n=50 (40%) Groupe 5 : traitement ne comportant ni alkylant ni inhibiteur de topoisomérase 2 (+/- radiothérapie): n=17 (14%)
Cytogénétique L âge et le caryotype restent les principaux facteurs pronostiques des t-lam/t-smd, comme pour leurs équivalents de novo. L analyse des anomalies caryotypiques retrouve 52% de caryotypes défavorables contre 20% dans les LAM de novo (60 cas dont 26 à caryotype complexe et 11 à caryotype monosomal), 29% de caryotypes intermédiaires (34 cas dont 18 à caryotype normal) et 11% de caryotypes favorables (12 cas dont 3 t(15;17),3 t(8;21) et 6 inv(16). 9 caryotypes non faits ou avec échec de culture. Nous avons analysé les délais de survenue après l exposition ainsi que les anomalies caryotypiques retrouvées en fonction des traitements reçus (Tableau 1) : Tableau 1 Sur les 5 groupes étudiés, nous n avons pas observé de différences dans le délai de survenue de l hémopathie secondaire ni dans la répartition des groupes cytogénétiques. On note simplement que les t-lam/t-smd consécutives à la radiothérapie seule surviennent après un délai médian supérieur aux autres modalités thérapeutiques (plus de 7 ans contre 5 ans environ pour les autres types de traitements). Une monosomie des chromosomes 5 et/ou 7 est observée chez 31% des patients (36 cas) : On ne retrouve pas de différence significative entre les différents types de chimiothérapie vis à vis du risque de survenue de ces anomalies. Nous avons retrouvé dans 13% des cas des anomalies cytogénétiques récurrentes (15 cas):
LAM avec t(8;21) : 3 patients en vie (suivis de 4 mois, 10 mois et 24 mois) LAM3 avec t(15;17) : 3 patients dont un décédé 2 ans après le diagnostic (décès lié au premier cancer), 2 vivants à environ 3 ans du diagnostic LAM 4 éosinophile avec inv(16) : 6 patients, dont 2 décédés (décès lié à LAM à 2 mois et à 5 ans du diagnostic), 1 décès à 8 ans du diagnostic, 2 patients en vie (à 4 et 14 ans) et 1 perdu de vue LAM t(9;11) (p22;q23) : 3 patients. Les 3 patients sont vivants : à 4 mois, 7 mois et plus de 8 ans (allogreffé). Types de LAM/SMD selon la classification OMS : Les phénotypes retrouvés dans notre série sont rapportés dans le Tableau 2 : Tableau 2 Nous nous sommes intéressés au mode d installation de la maladie en fonction des traitements reçus : t-lam d emblée ou bien t-smd évoluant vers l acutisation (Tableau 3). Deux points à noter dans cette analyse : - la survenue de l hémopathie secondaire se fait plus volontiers sous la forme de LAM d emblée dans le groupe radiothérapie seule (groupe 1) ; - dans le groupe de patients traités par inhibiteurs de la topoisomérase 2 sans alkylants (groupe 3) on observe une proportion équivalente de t-lam et de t-smd alors que ce traitement est réputé très «leucémogène» sans phase myélodysplasique préalable.
Ces deux points sont discordants par rapport à ce qui est rapporté dans la littérature, et mériteraient d être ré-analysés sur une plus large série. Traitement et Pronostic Les données sur le traitement étaient disponibles pour 104 patients. 47 (45%) ont reçu une chimiothérapie d'induction comportant l'aracytine et une anthracycline parmi lesquels 7 ont bénéficié d'une allogreffe au décours et 38 (36%) un traitement par agent hypométhylant (5 azacytidine). Parmi les 7 patients allogreffés, 6 sont vivants (follow-up de 7 mois à 10 ans). Dix-sept patients seulement ont reçu un traitement palliatif, du fait d'une pathologie cancéreuse évoluée et/ou d'un état général très altéré. Une patiente avec LAM secondaire à un cancer du sein est actuellement sous inhibiteur d'idh1 (mutation IDH1 R132C). Globalement, la médiane de survie après le diagnostic de t-lam/t-smd est très courte, évaluée à 6,5 mois (calcul sur 80 patients). La survie à 5 ans dans notre série est de 9.3% On constate également une survie médiane des t-lam avec anomalie cytogénétique récurrente plus courte que leurs contreparties de novo. Cependant, dans cette série les LAM à CBF et les LAM3 apparaissent d'évolution plus favorable comparativement aux autres LAM. Conclusion Nous présentons une série de 116 t-lam/t-smd provenant de 2 CLCC. Notre cohorte est très hétérogène quant au cancer primitif et aux modalités de traitement du premier cancer. Pourtant
nous retrouvons le pronostic très sombre rapporté dans la littérature (médiane de survie de 6,5 mois). Nous avons étudié le délai de survenue de la t-lam/t-smd : il apparait un peu plus long en cas de radiothérapie seule et comparable pour les autres modalités thérapeutiques, de l ordre de 5 ans. Les caryotypes défavorables (52%) sont sur-représentés par rapport aux LAM de novo (20% environ), ce qui est concordant avec les données de la littérature. Dans notre cohorte les présentations de type SMD sont fréquentes, y compris après traitement par inhibiteurs de la topoisomérase 2. Ceci peut s'expliquer par un diagnostic précoce de l'hémopathie secondaire, probablement en raison d'une surveillance onco-hématologique étroite pratiquée dans nos deux centres, avec en particulier la réalisation systématique d'un myélogramme avec caryotype devant toute cytopénie jugée suspecte chez les patients atteints de cancer. Bibliographie : Annual Clinical Updates in Hematological Malignancies: A Continuing Medical Education series Acute myeloid leukemia: 2013 update on risk-stratification and management. Elihu H. Estey. Risk of marrow neoplasms after adjuvant breast cancer therapy: the national comprehensive cancer network experience.wolff AC1, Blackford AL2, Visvanathan K2, et AL. J Clin Oncol. 2015 Feb 1;33(4):340-8.