Dénutrition et cancer service de radiothérapie du CHU d Amiens Pour combattre la dénutrition, il faut traiter le cancer et s attaquer à l aggravation de la dénutrition induite par les mesures thérapeutiques mises en œuvre (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) DR PHLIPS Patricia le 10/05/2010
Dénutrition 40 à 80% de patients concernés La prévalence globale est de 40% au moment du Δ Cancers de la sphère ORL, digestive ( pancréas, estomac, œsophage) et pulmonaire La malnutrition a des conséquences péjoratives sur la morbidité et sur la mortalité Causes multiples ( tumeur, obstacle, effets secondaires engendrés par les traitements anticancéreux.) Valeur pronostique péjorative indépendante lorsque la perte de poids est à 15% et que l albuminémie est < à 35 g/l Nécessité d une évaluation nutritionnelle systématique et précoce car la dénutrition compromet la faisabilité et l efficacité des traitements
Pourcentage de malades anorexiques au moment du diagnostic selon le type cancer % de malades anorexiques Tchekmedyian et al. Oncology 1992
Dénutrition et ses conséquences Qualité de vie (Ovesen et al, 1993; Andreyev et al 1998) Capacité fonctionnelle (DeWys et al, 1980; Andreyev et al, 1998) Fonction musculaire (Zeiderman et McMahon, 1989) Complications postopératoires (Meguid et al, 1986; Van bokhorst et al, 1997; Jagoe et al, 2001) Risque et toxicité de la chimiothérapie (Rickard et al, 1983; Andreyev et al, 1998) Durée du séjour hospitalier (Robinson et al, 1987; Shaw-Stiffel, 1993; Edington et al, 2000;Braunschweig et al, 2000) Fréquence des prescriptions/consultations (Edington et al, 1999) Coûts (Braunschweig et al, 2000) Mortalité (cancer GI, Greffe de moelle) (Meguid et al, 1986; Rey-Ferro et al, 1997; Deeg et al, 1995; Dickson et al, 1999)
La dénutrition est un facteur de risque indépendant d infection nosocomiale chez un malade hospitalisé Evaluation de la dénutrition par le NRI P=0,009 Pourcentage de malades avec une infection nosocomiale (%) Dénutrition sévère : OR : 4,98 (4,6-6,4) Schneider et Hébuterne Br J Nutr 2004
Dénutrition et conséquences sous traitement tumoricide le risque de neutropénie fébrile la toxicité au TAXOTERE 100 mg/m2; 15% de neutropénies fébriles léthales (Alexandre J; JCO 2000; 18) Cette toxicité s explique par une diminution de l activité du cytochrome P3A4 avec pour conséquence une réduction du métabolisme de certains cytotoxiques comme les taxanes Facteurs de risque indépendants de neutropénie fébrile: A/ PINI > 1 B/ type de cancer: cancer du poumon C/ taux de lymphocytes T4 < 0.450 g/l avant traitement (l immunosuppression peut être aggravée par une corticothérapie au long cours ou une infection au VIH ou encore des traitements cytotoxiques antérieurs)
Combattre la cachexie cancéreuse : Objectifs: Améliorer la qualité de vie Diminuer les risques infectieux Diminuer les toxicités des traitements radio Diminuer les toxicités des traitements radio chimiothérapie
Activité du service de radiothérapie du CHU D AMIENS REPARTITION EN FONCTION DES PATHOLOGIES (2009 à l'extérieur A 2007 à l'intérieur) 0% 6% 15% 0% 6% 6% 17% 5% 2% 7% 14% 0% 1% 6% 4% 1% 1% 1% 9% 2% 1% 11% 2% 12% 1 GYNECOLOGIE 2 DIGESTIF 3 UROLOGIE 4 PROSTATE 5 SEIN 6 HEMATOLOGIE 7 PNEUMOLOGIE 25% 27% 31% 22% 6%3% 2% 6% 2% 9% 19% 19% 8 9 10 11 METASTASES MEMBRES SNC ORL 12
Causes Cancer Anorexie Nausées, vomissements Xérostomie Dysgueusie (CDDP, doxorubicine > carboplatine )(étude de WICKHAM) Modification des odeurs : hypersensibilité aux odeurs Dysmétabolisme Mucite <Association RT/CT accentuant les effets secondaires (mucites..); complications aiguës conduisant un nombre important de patients à l hospitalisation pour réhydratation/ou renutrition Hypercatabolisme Douleurs à la déglutition Angoisse, inquiétude
Physiopathologie des troubles du contrôle de l appétit chez le malade cancéreux Signaux périphériques Insuline Ghréline Leptine CCK PYY Malonyl-CoA intracellulaire IL1 IL6 TNF-α + Noyau arqué Hypothalamus postéro-ventral NPY/AgRP - POMC/CART + + Sérotonine Stimule la prise alimentaire Hypothalamus latéral et ventro-médian Inhibe la prise alimentaire Orexine A Orexine B TRH Faim Satiété NPY : neuropeptide Y AGRP : Agouti-related peptide POMC : pro-opiomelanocortin CART : cocaine and amphetamin regulated transcript TRH : thyrotropin-releasing hormone
Altérations sensorielles Modifications sensorielles concernant > 80% des patients Dysgueusie (CDDP, doxorubicine > carboplatine )(étude de WICKHAM) < hypogueusie globale, altération du goût pour certains aliments (viande, fromages) ou sensation améliorée du goût pour les fruits, les glaces ou les plats épicés) Modification des odeurs : hypersensibilité aux odeurs
Dysrégulation métabolique liée au cancer
Anomalies du métabolisme glucidique Augmentation de la consommation glucidique périphérique Production des lactates augmentée Augmentation de la néoglucogénèse pour faire face aux besoins accrus en glucose Appauvrissement des réserves protéiques par la mobilisation d acides aminés glucoformateurs Apparition progressive d un état d insulinorésistance
- Anomalies du métabolisme lipidique Accélération de la lipolyse entrainant une élévation des acides gras libres pouvant contribuer à l immunosuppression Efficacité de la lipogénèse post-prandiale diminuée
- Modifications du métabolisme protéique Protéolyse lysosomale cytosolique calcium dépendante responsable de la dégradation accrue de certaines protéines comme l albumine..
Evaluation nutritionnelle Relever par l anamnèse les causes de la malnutrition Outils nécessaires à l évaluation de l état nutritionnel Relever le poids, la taille et surtout la variation de poids: une perte de plus de 10% est souvent utilisé comme valeur seuil Relever la vitesse d amaigrissement est aussi importante; elle est associée à un risque accru de morbidité et /ou de mortalité Délai Perte significative (%) Perte majeure (%) 7 jours 1 à 2 >2 1 mois 5 >5 3 mois 7,5 7.5 6 mois 10 >10 Perte de poids et délai d amaigrissement (d après Blackburn et coll.)
Dénutrition et méthodes d évaluation nutritionnelle Calcul de l IMC (indice de quetelet) (poids/(taille2) dénutrition modérée si indice compris entre 60 et 80% des normes dénutrition sévère si indice inférieure à 60% des normes fixées entre 20 et 25 pour les hommes et 19 et 24 pour les femmes Examen clinique (examen buccal, présence d oedèmes), utilisation de scores cliniques nutritionnels (indice de Detsky, mini nutritional assessment (sujet âgé de plus de 65 ans)) Détermination des besoins énergétiques besoins fonctions des dépenses énergétiques de base (DEB) corrigées par des facteurs de stress ou d activité ou d hyperthermie dosage de la pré-albumine (transthyrétine) (valeurs normales: 315 +-35 mg/l): protéine de demi-vie courte de 2 jours est un marqueur de dénutrition et ou d efficacité de la renutrition dénutrition modérée: 100 à 200 mg/l dénutrition sévère: valeur de moins de 100 mg/l)
Dénutrition et évaluation nutritionnelle Calcul de l indice de Buzby («nutrition risk index (NRI)) = indice clinico-biologique d utilisation facile et recommandé pour sélectionner les patients pour bénéficier d une nutrition artificielle préopératoire avant chirurgie lourde NRI =1,519 X (albumine(g/l) + 0,417 X (poids actuel/poids habituel) X 100 Dénutrition modérée: NRI entre 83.5 et 97.5 dénutrition sévère: NRI < 83.5 -
Évaluation nutritionnelle des personnes de plus de 70 ans (2007) Dénutrition moyenne Perte de poids >= 5% en 1 mois ou >=10% en 6 mois Dénutrition sévère Perte de poids >= 10% en 1 mois ou >=15% en 6 mois IMC < 21 IMC <18 Albuminémie < 35 g/l Albuminémie < 30 g/l Mini nutritional assessment global < 17 *1 seul critère suffit à évaluer l état nutritionnel
Stratégie de dépistage de la dénutrition chez l adulte hospitalisé Niveau 1 24 premières heures IMC 18,5 et/ou Poids (-) : 2% en 1 semaine 5% en 1 mois 10% en 6 mois Personnels concernés: aide-soignants infirmières diététiciens médecins STOP: poids 1x / s NON OUI Niveau 2 48 premières heures N.R.I.: Index de Buzby (1,519 x albuminémie g/l) + 0,417 (poids actuel/poids usuel x 100) STOP: poids 1x / s > 97,5 83,5 à 97,5 < 83,5 + ingesta Pas de dénutrition dénutrition modérée dénutrition sévère Niveau 3 Facteurs aggravants - ingesta insuffisants - Terrain - Pathologies agressives - Durée d'hospitalisation Intervention diététique Évaluation ingesta Suppléments ± N.A Mobiliser le patient Pesée hebdomadaire Discussion N.A. Intervention de l équipe de nutrition : PH et diététicien N.A. dans le respect de l éthique PNNS 2003
Méthodes d évaluation de l état nutritionnel Anthropométriques : poids, IMC, perte de poids, ECT, CMB Biologiques : albumine, transthyrétine, transferrine Recherche de carences spécifiques Composition corporelle Index composites dont le NRI Evaluation des ingesta Besoins énergétiques : 30 à 35 kcal/kg/jour Besoins protéiques > 1 g/kg/jour
intérêt des compléments alimentaires oraux et de la nutrition artificielle Compléments alimentaires enrichis ou non? Prescription non suivie dans plus de 50% des cas? causes de non observance multiples: anorexie, altération du goût, modification des odeurs.. modifications sensorielles chimio induites peu étudiées et très fréquentes (>80% des pts) Quels compléments alimentaires? Préférence pour les compléments à base de lait! (clin Nutr 2008) Compléments enrichis réservés à la période périopératoire (Oral Impact: complément enrichi en L-arginine, oméga 3, acides ribonucléiques, vitamines antioxydantes; prescription autorisée sur ordonnance pour médicament d exception dans le cadre d une chirurgie lourde des organes «creux» à raison de 3 briquettes par jour pendant 7 jours précédant la chir); il a été démontré (gastroenterology 2002) réduction de l incidence des complications postopératoires de 50%
Intérêt possible de la glutamine en nutrition parentérale 45 patients recevant une greffe de moelle NP standard vs NP enrichie en glutamine (0,57 g/kg/j) Effet favorable sur la balance azotée confirmé dans de nombreuses études Limitation des entérocolites radio et chimio induites chez l animal Effet préventif possible des complications des traitements Effets immunomodulateurs Niveau de preuve B Ziegler et al Ann Intern Med 1992
Rôle des compléments oraux enrichis? Acides gras n-3 Prolifération cellulaire inhibée? Et (acide écosapentaénoïque=epa) diminution du taux de mortalité par une supplémentation orale dans 2 essais contrôlés randomisés ( GOGOS cancer 1998, TAKATSUKA BONE MARROW TRANSPLANT 2001) Glutamine activation de l apoptose fonctionnelle? Inhibition de la protéolyse induite par les cytokines produites par la tumeur sous l influence du proteolysis inducing factor (PIF) Participe aux défenses anti tumorales -activation de la prolifération lymphocytaire et granulocytaire Oroxigènes (Corticoïdes, Acétate de mégestrol) Les compléments alimentaires doivent être considérés comme des médicaments (y compris les vitamines ou micronutriments anit-oxydants)
Dénutrition et intérêt des compléments alimentaires oraux ou de la nutrition artificielle pendant la radio ou chimiothérapie Bénéfice moins évident pendant la chimiohérapie et/ou radiothérapie: Étude randomisée de phase III de WANG parue dans ONCOLOGIST 2007: réduction significative de l incidence des neuropathies chroniques et aigues de grade 3 ou 4 en faveur des patients ingérant 15 gr de glutamine deux fois par jour avec pour conséquence une réduction significativement plus faible des réductions de doses d oxaliplatine Nutrition artificielle (entérale de préférence) réservée aux dénutritions sévères ou pour les patients ne pouvant pas s alimenter Ex: gastrostomies pour les patients porteurs d un cancer ORL, devant bénéficier d une radiochimiothérapie (traitement de 7 semaines) Éviter les nutritions parentérales pendant la chimioradiothérapie: méta-analyse de Éviter les nutritions parentérales pendant la chimioradiothérapie: méta-analyse de KORETZ (Gastroenterology 2001) objectivant une augmentation de 16% du taux des complications infectieuses*
Dénutrition et intérêt des compléments alimentaires oraux ou de la nutrition artificielle pendant la radio ou chimiothérapie Pas d acharnement avec les alimentations artificielles chez les patients palliatifs avec un performance status >=2 ou/et avec une espérance de vie de mois de 3 mois AUCUN BENEFICE
Nutrition au cours des radio-chimiothérapies Evaluation des ingesta (semainier) Conseils diététiques : place des diététiciens dans les unités de cancérologie Alimentation enrichie, fractionnée et adaptée Complémentation orale liquide (prise en charge par la sécurité sociale LPPR pour les patients atteints de cancers) Objectifs : 35 kcal/kg/j, >1 g/kg/j de protéines Poursuivre le suivi nutritionnel pour les patients pour lesquels l IMC est < à 19 ou 21 pour les patients de plus de 75 ans ou si persistance de la dysphagie Nutrition entérale par sonde nasogastrique ou nasoentérale si l on a besoin Nutrition entérale par sonde nasogastrique ou nasoentérale si l on a besoin de shunter l estomac
Conclusions 1 Désintérêt des cancérologues : étude de SPIRO (2006): 50% des oncologues méconnaissaient les critères simples de dépistage de la dénutrition! manque voire absence de diététiciennes dans les unités de cancérologie Intégrer la stratégie globale de prise en charge nutritionnelle dans le projet thérapeutique; réagir plus vite Évaluation individualisée de l altération gustative Élargir la gamme des compléments oraux Accompagner la prescription d un conseil diététique adapté Privilégier les compléments nutritionnels oraux pour prévenir ou et limiter le défaut d apports caloriques et protéiques Compléments enrichis en acides gras n-3, glutamine, arginine; attention pas pour tout le monde!!!!!
Conclusions 2 Diminution des toxicités secondaires aux traitements (gravitée Et fréquence moindre des mucites; il y avait 10 fois plus de mucites tous grades confondus dans le groupe «mauvaise observance» aux régimes diététiques..) Éviter un arrêt définitif de la radiothérapie (28% selon étude luxembourgeoise); augmentation du nombre de gastrostomie percutanée La stabilité pondérale est associée à une fréquence plus faible des interruptions du traitement (importance de la dose /intensité; diminue le bénéfice attendu de la rte ) (cancer/radiother 11 (2007) Les études sur les CNO concluent à l absence de prise de poids pendant le traitement Les études sur les CNO concluent à l absence de prise de poids pendant le traitement mais conduiraient à une prise de poids après le traitement
Conclusions Le dépistage de la dénutrition doit être systématique chez les malades porteurs d un cancer digestif car la dénutrition est un facteur indépendant de mauvais pronostic (niveau de preuve A) En péri-opératoire : La réalimentation précoce post-opératoire réduit les complications infectieuses et n augmente pas le risque de fistule (niveau de preuve A) La nutrition parentérale est réservée aux malades qui présentent une obstruction digestive (niveau de preuve B) L immunonutrition orale ou entérale péri-opératoire a fait la preuve de son efficacité (niveau de preuve A) Au cours de radio-chimiothérapies : La prise en charge diététique doit être systématique (niveau de preuve B) Les compléments nutritionnels enrichis en acides gras n-3 pourraient avoir un intérêt tout particulier chez les malades dénutris (niveau de preuve B) La nutrition parentérale standard n apporte pas de bénéfice (niveau de preuve A)et pourrait même être délétère (niveau de preuve B) La nutrition entérale post-pylorique est bien tolérée (niveau de preuve B)