La lettre du. N 55 : octobre 2007. Sociologie et prospective



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Transcription:

Vigilances La lettre du Sociologie et prospective N 55 : octobre 2007 Merci au Club des Vigilants. Partant de considérations géopolitiques, son groupe de travail «Moyen Orient» a éprouvé le besoin de recueillir des données sociologiques. Il nous a ainsi permis de mettre au point une méthodologie qui, je crois, est prometteuse. En 2006, alors que la plupart des Européens ne croyaient pas à la possibilité d une attaque américaine sur l Iran, ce groupe de travail est parvenu au diagnostic selon lequel i) George W. Bush veut frapper l Iran; ii) les frappes, si elles avaient lieu, ne pourraient pas être limitées aux installations nucléaires; iii) les conséquences seraient tragiques. Arrivé à ce stade du raisonnement, le groupe a jugé que l évolution de la société iranienne devait être considérée comme un facteur déterminant. En effet, de deux choses l une : Ou bien la société iranienne évolue vers plus de modernité et le régime sera, tôt ou tard, conduit à s adapter. Ou bien la société iranienne, séduite par la rhétorique d Ahmadinejad, se durcit et l emploi de la force devra sinon être approuvé du moins apparaître comme une alternative possible. La problématique impliquait d aller au-delà des manifestations actuelles de soutien ou d opposition au régime, de repérer des lignes de force, de voir si la dynamique débouchait ou non sur une certaine forme de modernité. Bref il fallait se donner les moyens de lire dans le présent les germes de ce qui est en train de devenir. Pour tenter d y parvenir, nous avons choisi d aborder les réalités locales en les inscrivant dans le mouvement d évolution mondial. Nous avons observé la société iranienne en tenant compte de neufs courants socioculturels qui ont été identifiés comme structurant le changement dans un contexte mondialisé*. Le fait que nous nous étions interdits d envoyer en Iran des sociologues déguisés en touristes a rendu la tâche plus difficile mais cette difficulté même nous a conduit à exploiter au maximum la base de données virtuelles que représente Internet, au travers notamment de dizaine de milliers de photos reflétant tous les aspects de la vie quotidienne dans tous les coins du pays. Cette expérience nous servira, même si, dans d autres cas, l analyse pourrait être approfondie par une enquête sur place. La question de l évolution de la société turque pourrait, par exemple, être étudiée de cette manière. Nous partirions du constat que quel que soit leur désir de lier réussite économique et liberté religieuse, le Président Gül et son Premier Ministre Erdogan, agirons différemment selon que la société veuille vivre un Islam ouvert ou un Islam fermé et plus dur. Cela nous porterait à affiner la question : Ou bien la société civile est porteuse d une conception ouverte de l Islam qui permettra le développement économique et politique harmonieux du pays. Ou bien elle sera traversée par une conception plus fermée de l Islam et la volonté gouvernementale du pays d intégrer le concert européen se heurtera à une société qui voudrait «tourner le dos» à l Occident. Vu l accélération des processus de mondialisation, de plus en plus d Etats et de plus en plus d entreprises vont être à des carrefours. Pour éclairer l horizon, il pourrait être utile de détecter dès maintenant les signaux faibles qui orienteront notre futur. Guillaume Demuth * L étude intitulée «Devenirs iraniens», peut être consultée dans sa version intégrale sur le site du Club des Vigilants dans la rubrique "Publications" des Ateliers du Club. Dossier : Génération Internet, par Pierre Bellanger, Président fondateur de Skyrock, page 8. Club des Vigilants 2007 - Ce document est la propriété exclusive du Club des Vigilants ; reproduction autorisée sous réserve de mention de Vigilances, la lettre mensuelle du Club des Vigilants.

Alertes Les beaux jours d Areva Hier décriée par les écologistes et boudée par les capitalistes, l énergie nucléaire est en train de gagner sur les deux tableaux. Côté écolos, les oppositions persistent mais ne font plus l unanimité : la crainte du réchauffement climatique joue en faveur des centrales qui ne rejettent pas de Co². Côté investisseurs, la hausse des prix du pétrole et du gaz rend le nucléaire attractif. La construction des centrales coûte cher (et coûtera encore plus cher si l on veut accroître les protections contre le risque terroriste) mais l exploitation est si bon marché que la rentabilité s annonce bonne. Areva, leader mondial, a de beaux jours en perspective. L EPR se vend sur tous les continents. Le marché ne cesse de croître. Pas étonnant que l entreprise allemande Siemens tienne à sa participation et qu Alsthom, Bouygues et Total aient un strabisme convergent. Marc Ullmann Jean-Claude Leny, ancien président de Framatome, est membre du Club des Vigilants. Son honnêteté intellectuelle et son indépendance d esprit sont reconnues. Avant de publier l alerte ci-dessus, j ai sollicité son avis. Voici le commentaire qu il m a adressé par mail. M. U. Votre texte est si synthétique et complet que je ne vois pas ce que je pourrais rajouter sans que cela passe du constat indiscutable à un jugement de valeur. Je me borne donc à vous dire ce que je pense. Areva est un objet unique au monde : il réunit, de l'extraction du minerai au conditionnement des déchets les plus dangereux, toute la chaine de l'industrie nucléaire qui est composée, comme tout le monde le sait de maillons aussi considérables que l'enrichissement de l'uranium,la fabrication des combustibles, la construction des centrales,le retraitement qui conduit notamment à la production des Plutonium allant dans les "MOX",le conditionnement des combustibles et des déchets etc. Nulle part au monde n existe un tel ensemble dans une seule main QUI NE PEUT ÊTRE QUE CELLE DE L'ETAT. Ce regroupement n'a d'ailleurs été rendu possible que par le retrait du capital de Framatome de son actionnaire industriel et l'achat de ses actions par l'etat ce qui a permis, en réunissant Framatome et Cogéma de constituer Areva. Quoiqu'on puisse en penser, même au sommet de l'etat, il serait incompréhensible que la part publique descende dans Areva au dessous de la grande majorité (66%), ce qui laisse un disponible de 13% pour admettre des impétrants. Evidemment, cela n'est probablement pas à la hauteur des appétits mais il faut dire sans langue de bois qu'il n'y a pas de synergie entre Alstom et Areva et que donner un rôle de leader dans un ensemble tel qu'areva à un Entrepreneur de travaux publics, aussi brillant soit-il dans son métier, relève du gag. Le cas de Total est différent. Des synergies peuvent exister au niveau de la mine, mais c'est tout de même un maillon très partiel de la chaine. Si Areva était à vendre, Total pourrait peut-être se l'offrir mais Areva n'est pas à vendre, en tout ou en partie et j'espère qu'il ne le sera jamais. Jean-Claude Leny Club des Vigilants 2007 2

Un enfer pavé de bonnes sanctions Après sa visite à George W. Bush, Nicolas Sarkosy est revenu convaincu que les Américains se préparent à frapper l Iran et que les conséquences d une telle action seraient tragiques. Il a donc proposé que les Etats-Unis et l Europe n attendent pas un vote de l ONU pour durcir les sanctions. Son espoir est qu Amadinedjad accepte alors d interrompre les travaux d enrichissement d uranium en guise de préalable à une négociation sérieuse portant sur tous les sujets. L intention est louable mais les effets sont problématiques. Il y a deux types de sanctions. Celles qui interdisent les investissements, gênent le développement de l économie iranienne mais n ont pas d effet à court terme. Celles qui peuvent avoir des effets à court terme pénalisent la population qui, du coup, se braque contre l Occident, ce dont les «durs» du régime ne peuvent que se réjouir. Ainsi apparaît-il peu probable que des sanctions renforcées fassent reculer Amadinedjad or, si celui-ci ne recule pas, la volonté de Bush de frapper l Iran sera accrue. Contrairement à ce qu espère Sarkosy. Etats-Unis/Russie : mésentente de moins en moins cordiale Jacques Andréani et Marc Ullmann Quatre anciens ambassadeurs américains à Moscou et cinq anciens ambassadeurs russes à Washington ont jugé nécessaire de lancer un appel en commun. Une telle démarche est extrêmement rare. Elle montre que les signataires jugent la situation grave et estiment que l actuelle détérioration des relations américano-russes comporte de sérieux dangers. Il est normal, selon ces diplomates, que des grandes puissances aient, sur certains sujets, des points de vue différents. Il ne faut pas, pour autant, que l accessoire cache l essentiel, c est-à-dire la nécessité de maintenir un partenariat stratégique. Les signataires prennent soin de ne pas faire explicitement référence à la polémique concernant les boucliers anti-missiles que les Etats-Unis se proposent d installer en Pologne et en Tchécoslovaquie. L oubli est manifestement volontaire car la militarisation de l espace est un sujet crucial. Poutine a clairement fait savoir que si, dans ce domaine, la Russie se trouvait prise au piège, elle trouverait des moyens de rétorsion. Les anciens ambassadeurs, hommes d expérience, s en inquiètent. Ils savent que, dans le monde actuel, les poudrières ne manquent pas et que les tentations sont grandes d allumer certaines mèches. Ils craignent l escalade. Hilary-Nicolas contre Barak-Ségolène Pour des Français, la comparaison est tentante. Le duel qui oppose les deux principaux candidats du Parti Démocrate à la candidature présidentielle ressemble au duel Sarkosy-Royal. D un côté, Mrs Clinton sait tout sur tout, règle ses interventions au millimètre, dispose des meilleurs conseillers (dont son mari) et d une organisation sans faille. De l autre, Mr Obama a du mal à maîtriser certains dossiers mais est habité par ce que Ségolène appelait un désir d avenir. Il a l intuition de ce qu une démocratie vraiment participative pourrait apporter à la modernité. On peut parier qu il perdra cette course mais qu il restera dans la course. La méthode Sarko Nicolas Sarkosy parle fort, fait de la rupture une sorte de finalité mais, dans la pratique, agit avec une extrême précaution. Le cas des régimes spéciaux est illustratif : dans un premier temps, des chevaux légers de l UMP émettent l idée de tout aligner sur le privé ; dans un deuxième temps, il s agit encore de tout aligner mais, cette fois, sur la fonction publique ; enfin, dans un troisième temps, l alignement est maintenu mais susceptible d être aménagé au cas par cas par des négociations dans chaque entreprises. Au final, le tabou aura été brisé c est la rupture! mais (même si le problème des "fins de carrière" s annonce délicat à régler) la médecine aura été douce. Les récalcitrants protestent en masse mais auront d autant plus de mal à jouer la montre que Sarko, à la différence de Juppé et de Villepin, a pris soin de l opinion. La méthode est habile. Reste à savoir si, conformément au proverbe, le fait de «ménager sa monture» permettra vraiment de «voyager loin». Club des Vigilants 2007 3

De Bruxelles à Rangoun Le Canada n a pas éclaté. Le Québec n a pas fait sécession. De référendum en référendum, anglophones et francophones finissent par se réconcilier. Sans doute en ira-t-il de même en Belgique bien que les francophones répugnent à apprendre le néerlandais. Le maintien d une identité nationale commune à des ethnies, des langues ou des religions diverses ne va pas de soi. C est un test vital pour la démocratie. On s en apercevra bientôt en Ukraine car l Ukraine comme la Belgique est coupée en deux avec une capitale, Kiev, qui, comme Bruxelles, fait le lien entre deux communautés. Qui dit démocratie dit compromis et chacun sait que les compromis, comme la bonne cuisine, se mitonnent lentement. Plus un pays est divisé, plus la démocratie met du temps à s installer. L exemple de l Irak est frappant : Saddam Hussein était un dictateur épouvantable mais la société se modernisant, le régime aurait été contraint d évoluer. L intervention américaine n a pas accéléré le processus ; elle a, au contraire, ravivé les antagonismes dormants si bien que le pays finira, sans doute, par éclater. Et la Birmanie? Il est facile de s indigner de la répression sanglante exercée par des militaires sans scrupules. Mais si ces brutes étaient éliminées demain, il est vraisemblable que l état d appauvrissement dans lequel ils ont mis le pays se révèlerait impropre à toute réconciliation nationale. Les diverses minorités qui peuplent la Birmanie risqueraient même de s entre-égorger. Dans des cas aussi extrêmes, le plus efficace est de semer des graines de modernité et de s efforcer discrètement de favoriser l éclosion de compromis durables. Inde : vers un boom du BTP La voiture, c est bien ; encore faut-il qu il y ait des routes. Le paradoxe indien est que de nombreux constructeurs prévoient de fabriquer en masse des voitures populaires à des prix imbattables alors que les infrastructures sont lamentables et que la bureaucratie a des semelles de plomb. Les élites dirigeantes commencent à se rendre compte que le «high-tech» a des limites. Dans un pays d un milliard d habitants où 14 millions de jeunes affluent chaque année sur le marché du travail, ce secteur haut de gamme emploie à peine plus de deux millions de personnes. L industrie, jadis décriée, a le vent en poupe et les investisseurs, attirés par l immensité du marché, sortent de leurs cartons d innombrables projets. Le développement et la modernisation des infrastructures deviennent prioritaires. Les entreprises du BTP gagneront sans doute beaucoup d argent avant que l industrie automobile accumule des profits. «Gaïa» et la planète finance En 2000, lors de la crise boursière, les pessimistes avaient les yeux braqués sur le prix de l immobilier. Ils craignaient que ceux qui avaient le plus perdu en bourse se mettent à vendre leurs biens et que le cumul des deux baisses déclenche une crise globale. Symétriquement, les pessimistes redoutent aujourd hui que la chute de l immobilier entraîne celle de la bourse. Jusqu à maintenant tel n a pas été le cas. On en arrive à se demander si le système financier mondial n a pas atteint un tel niveau de sophistication qu il finit par s autoréguler. Le nombre des transactions est si élevé, l arbitrage entre les monnaies si performant que la planète finance trouve à chaque instant des équilibres nouveaux. Elle va de choc en choc mais, comme Gaïa, elle continue de tourner. Jusqu à quand? M. U. Club des Vigilants 2007 4

Sauras-tu garder un secret?... L'annonce du partenariat entre le géant de l'information Google et Cap Gemini pour proposer à toute entreprise de bénéficier d'outils bureautiques et de messagerie collaborative pour 50 dollars par utilisateur et par an a surpris. Avec les solutions classiques, le coût informatique par poste utilisateur est généralement de 6 à 10 fois plus élevé, car il est nécessaire d'acquérir des outils antivirus et antispam, des licences bureautiques, des solutions de sauvegarde et de couvrir des coûts annexes. Attention! Toutes les données de l'entreprise transitent et sont stockées sur les serveurs de Google, hors du territoire. Le géant de l'information a une politique incertaine concernant sa capacité à analyser les données qui lui sont confiées, et une durée de rétention des informations (même après effacement officiel) indéfinie. Ce qui est plutôt inquiétant lorsque l on traite des informations sensibles. Les cabinets d'analyse tels que Gartner sont formels : d'ici à une dizaine d'années, la notion de vie privée et de secret sera très atténuée. En cause? L existence de gigantesques bases d'informations personnelles et sensibles que l on peut croiser entre elles. L'introduction massive de traceurs radio (RFID) dans nos biens de consommation courante, vêtements et cartes de fidélité ou bancaires est d'ores et déjà effective, souvent à l'insu du consommateur. La centralisation de toutes ces données est préoccupante notamment en cas de vol et d utilisation malveillante des données. Il ne se passe pas de semaine sans qu un tel fait advienne. Compte tenu des enjeux et de la forte valeur ajoutée de toutes ces informations, l'attrait du gain augmente et les attaques sont désormais effectuées par des professionnels organisés. Il convient donc d'être extrêmement prudent lorsque l'on accepte de confier ses données personnelles ou d'entreprise à un tiers. Une fois qu'elles ont été dérobées ou divulguées, le mal est fait.... Oui sauf s il est volé Bruno Kerouanton Mauvaise nouvelle : Francis Ford Coppola vient de se faire dérober son PC portable qui contenait le scénario de son prochain film «Tetro». Bonne nouvelle : il avait fait une sauvegarde. Mauvaise nouvelle : la sauvegarde a aussi été volée. Cette mésaventure n épargne pas les entreprises. Rien qu au Etats-Unis, des milliers de portables sont égarés ou volés chaque semaine. La plupart du temps, ce n est pas tant le prix du portable qui pose problème que son contenu. D une part des informations confidentielles peuvent s y trouver. D autre part, ce sont souvent des données uniques - et parfois vitales - qui s envolent. Aux USA s y ajoute une législation de plus en plus stricte. Toute société qui égare des données doit le signaler aux autorités compétentes, avertir toute personne concernée par cette perte et assumer toute conséquence de cette perte. Récemment, une société sous-traitante de Gap, qui gère ses recrutements, a perdu un portable contenant les 800000 (sic) candidatures de la dernière année. Un site Internet a été mis en ligne pour alerter le public. Et pour ceux qui auraient communiqué leurs coordonnées bancaires, Gap s est engagé à rembourser les sommes détournées pendant un an. Une bévue qui se chiffre à plusieurs millions de dollars, sans parler de l image de marque qui en prend un coup au passage. Une législation similaire est en cours d étude à Bruxelles. A croire que jusque là, les mésaventures à la Coppola n avaient pas cours dans la vieille Europe. Du contrôle social à la techno surveillance Dans les villages d antan, le contrôle social était strict. Derrière des volets clos, des yeux étaient braqués. Malheur à qui voulait se cacher. Aujourd hui, les volets sont ouverts mais Des caméras de surveillance épient les lieux publics. Sécurité oblige! Des moteurs de recherche répertorient les pages fréquentées sur Internet et traquent les «mots clefs» permettant de cerner les goûts de clients potentiels. Publicité oblige! Certains voient dans ces intrusions des atteintes à la liberté. Sur le principe, ils n ont pas tort mais, dans les pays démocratiques, le risque est limité : la Grande Bretagne compte cinq millions de caméras de surveillance (soit à peu près une pour dix habitants, ce qui constitue un record mondial) Club des Vigilants 2007 5

mais les citoyens peuvent être raisonnablement assurés que la police a pour unique souci de débusquer des coupables ou des apprentis criminels. Le problème, comme toujours lorsqu apparaissent de nouvelles armes, est que des malintentionnés peuvent s en emparer. Une mafia bien pourvue en informatique pourrait organiser des chantages à grande échelle. D ores et déjà, les polices politiques ne se privent pas d utiliser les techniques modernes pour tisser en toute impunité des toiles de plus en plus serrées. Dans un pays aussi vaste que la Chine, Internet est à double tranchant. Avantages i) 160 millions d internautes sont en mesure de s exprimer et de communiquer ; ii) le pouvoir ainsi mieux informé peut, sans avoir à adopter une démocratie vraiment représentative, tenir compte de certaines aspirations. Inconvénient : 40.000 policiers espionnent la Toile si bien que i) les internautes, pour ne pas avoir d ennuis, pratiquent l autocensure ; ii) ils ne cherchent pas à se regrouper dans des associations qui risqueraient d être prises pour des mouvements d opposition. En Birmanie, même le téléphone portable s est révélé dangereux. Des journalistes bénévoles s en servaient pour filmer les manifestations et transmettre des vidéos à une télévision dissidente (située à Oslo), grâce à laquelle les médias du monde entier pouvaient relayer la révolution safran. Naïfs étaient les vidéastes : des policiers en civil, disséminés dans la foule, avaient eux aussi des portables ; ils les photographiaient et, la nuit venue, procédaient à de sinistres arrestations. De quoi regretter, du moins en Birmanie, les villages d antan. De la prévention à la sélection Conçu au départ pour les couples non stériles, confrontés au risque de maladies graves pour l enfant, d'obtenir après fécondation in vitro, l'implantation d'un embryon certifié exempt de la maladie redoutée, le diagnostic préimplantatoire (DPI) a constitué, sans aucun doute, un progrès remarquable. En France, il est encore très réglementé. Une extension au "bébé médicament" qui pourrait grâce a une moelle compatible sauver un enfant malade a toutefois été introduite. Partout ailleurs, une tendance inquiétante à la banalisation se dessine. Certains pays, dont la Grande Bretagne et les USA, ont décidé d étendre le DPI au dépistage des gènes responsables de certains cancers tels le cancer du sein, de l utérus et du côlon. Ceux pour qui l horreur absolue serait de voir, plus tard, leur fils ou leur fille mourir d un cancer du sein ou du côlon souscriront à la mesure. D autres considéreront qu être porteur de tel ou tel gène de tel cancer ne veut pas dire automatiquement développer la maladie ; que le cancer ne tue pas à tous les coups ; que s il tue, c est souvent à un âge relativement avancé ; et que les années ainsi vécues n ont pas de prix. Ces deux attitudes posent le problème de l extension du champ d application du DPI : jusqu où et sur quels critères? Selon le Centre de Politique publique et Génétique (GPPC) à Washington, plus de 40 % des cliniques spécialisées américaines reconnaissent, d ores et déjà, autoriser leurs patients à choisir notamment le sexe de leur enfant. En Chine, nouveau pays de l argent roi, le DPI est libre pour celui qui peut payer. La liste des gènes et caractéristiques (sexe, couleur des yeux...) dépistés sont laissés à l appréciation du client. En réduisant la personne à une caractéristique donnée, le DPI devient l instrument d une sélection qui est le premier pas vers l eugénisme. iphone : à peine commercialisé, déjà piraté Meriem Sidhoum Delahaye Le dernier téléphone portable à la mode, l iphone d Apple, est à peine sorti qu il est déjà piraté. C est un étudiant de 17 ans, George Hotz, qui, avec quelques potes, a mis 3 semaines pour faire sauter les deux verrous posés par le constructeur : l obligation de s enregistrer auprès d Apple et de ne pourvoir utiliser son iphone que sur le réseau sélectionné par le constructeur. Car Apple a innové en limitant pour chaque pays la vente de son fleuron à un seul opérateur. Aux USA, c est ATT a emporté le morceau. En France, Orange en lancera la commercialisation fin novembre. En théorie, à cette date, si vous n êtes pas client d Orange, vous aurez le choix entre quitter votre opérateur actuel ou vous passer d iphone. A moins qu un George Hotz français émerge. Auquel cas, la juteuse opération qu escomptait Orange pourrait se transformer en eau de boudin. Apple, de son côté, pourra bien crier au voleur. Mais la pratique commerciale basée sur la raréfaction organisée d un produit afin d en augmenter artificiellement la valeur est un véritable pousse-au-crime. Club des Vigilants 2007 6

Pertiinences et iimpertiinences : 3 ans après Par François De Closets François De Closets met en perspective critique des alertes de Vigilances d octobre 2004. Face à la tentation américaine de régler par des bombardements le problème iranien, Marc Ullmann faisait, et fait toujours, le pari que «le régime théocratique-révolutionnaire iranien évoluera comme a évolué le communisme chinois». Eternelle question, toujours pas résolue, de la «contagion occidentale». Dans quelle mesure un pouvoir autocratique, communiste, islamique ou autre, peut-il résister à l irrésistible attirance du mode de vie occidental? Jean-François Revel avait écrit «Comment les démocraties finissent?» Sur le postulat inverse, à la lumière de ce qui s est passé dans le monde communiste, de la transformation de la Chine, de la baisse de la fécondité générale dans le plan musulman, ne faudrait-il pas écrire «Comment les dictatures s occidentalisent». Un pays peut-il résister éternellement au rouleau compresseur de notre mode de vie. Une uniformité qui ne s étend pas automatiquement au politique. La question est essentielle lorsqu on pense à la bombe atomique. En vérité l équilibre des terreurs entre grandes puissances industrielles n est plus qu une survivance sans le moindre intérêt stratégique. En effet, la question n est plus celle de l arme, mais celle du régime politique. Que demain les pays scandinaves, le Canada, l Allemagne et le Japon se dotent d armes nucléaires cela n empêcherait personne de dormir. Seule la possession d armes par des états susceptibles d échapper à la logique de la dissuasion pose problème. De ce point de vue nous avons vécu au cours des dix dernières années deux cas de figure inverse l un de l autre. La bombe chinoise entre les mains de Mao était terrifiante car il ne reculerait pas face à un échange nucléaire qui aurait fait des centaines de millions de mort. Par bonheur, il n a pu disposer de son vivant des capacités opérationnelles nécessaires. Depuis lors la Chine maîtrise pleinement ces techniques mais les successeurs de Mao sont dans la logique de dissuasion, le monde n a plus peur des bombes chinoises. En revanche, la bombe pakistanaise a de quoi nous donner des cauchemars. Peut-on exclure que des factions islamistes les plus extrémistes prennent le pouvoir? Le danger serait alors de voir la mentalité kamikaze passer de l échelle individuelle à l échelle collective. Un peuple ne peut-il pas se sacrifier pour écraser le grand Satan? C est en ces termes que se pose la nouvelle dissuasion. Si l IRAN, à l exemple de l Inde, cherche dans l arme nucléaire un moyen de reconnaissance internationale alors le péril ne justifie certainement pas une intervention militaire. Si, en revanche, on s en tenait aux menaces du Président Amadinedjad le pire serait à craindre. Mais doit-on fonder une stratégie du chaos sur les surenchères d un démagogue en perte de vitesse? Sur les élections américaines Bush-Kerry, les Vigilants évoquaient le choix d électeurs démocrates préférant voter Bush pour le laisser faire la preuve jusqu au bout de son échec. Est-ce ce calcul qui a assuré la défaite de Kerry? On ne le saura jamais mais le fait est là : la politique de Bush est aujourd hui le meilleure atout des démocrates dans la prochaine campagne présidentielle. «La France n est pas seulement un allié difficile, elle est devenue un ennemi» notait la Lettre de 2004. Depuis lors Nicolas Sarkozy s est fort bien appliqué à resserrer les liens avec les Etats-Unis. Mais c est maintenant l alliance Franco-allemande qui se trouve menacée. Avec des conséquences encore plus désastreuses dans les deux années qui viennent. La France a plus à perdre qu à gagner dans un tel divorce. Alain de Vulpian, se fondant sur le succès de «Bonjour Paresse» de Corinne Maier insistait sur la nécessité d «inventer une nouvelle alliance entre la grande entreprise et les gens ordinaires». Il estimait que le divorce «atteint maintenant une profondeur alarmante». Les entreprises ont fini par comprendre que le capitalisme financier, la priorité absolue donnée à l augmentation des profits, les rémunérations indécentes des dirigeants, créait une coupure radicale entre ces multinationales et la société. Un grand mouvement est lancé pour faire de ces entreprises des champions du développement durable, de l exemplarité sociale, du combat contre la misère. S il s agit d une simple opération de com cela n ira pas très loin, le changement d image exigera un changement en profondeur et pas seulement quelques actions spectaculaires si édifiantes soient-elles. F. C. Club des Vigilants 2007 7

Le dossier Génération Internet Par Pierre Bellanger, Président fondateur de Skyrock Le dossier ci-dessous a été réalisé par Meriem Sidhoum Delahaye après le débat introduit par Pierre Bellanger le 19 septembre au Club des Vigilants. Le lien vers l article intitulé «Le réseau social : avenir des Télécoms» de M. Bellanger est disponible à l adresse suivante : http://www.skyrock.fm/bellanger Internet est au cœur d une extraordinaire aventure. La première étape d une révolution technologique consiste, le plus souvent, à employer le nouveau moyen mis à disposition pour accomplir des tâches que l on faisait déjà. Dans ce cas et assez paradoxalement, le changement apparaît comme le support ultime de la continuité. C est ensuite qu apparaissent, souvent à la marge, ou issus de l usage du public, des pratiques nouvelles exprimant la modernité et les possibilités propres de la nouvelle technologie. Ce fut le cas de l Internet. A ses débuts, l Internet se résumait à deux applications majeures : l accès aux informations par la toile et l échange entre personnes par le courrier électronique. Un peu plus tard, il a été considéré par beaucoup comme un nouveau moyen de diffusion. En somme une simple extension, diversification exotique ou département futuriste des entreprises de presse, de radio, d édition, de disques ou de cinéma. Ce n est que plus récemment que sont apparues les vraies forces du réseau. L accès aux informations par le réseau de sites a développé sa propre méta-information, c est-à-dire de l information sur l information. C est par cette méta-information, représentée, aujourd hui, par le modèle de trafic des portails tel l annuaire Yahoo! ou les moteurs de recherche tel Google, que l on accède aux informations. Pour le courrier électronique, la méta-information, c est-à-dire de l information sur les adresses électroniques et sur le réseau de connectés, a pris son essor avec ce qu on appelle, aujourd hui, les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sur Internet sont des services en ligne de productivité relationnelle par la mise en réseau d identités et d expressions individuelles. L identité numérique de base sur Internet est l adresse email. Le réseau social relationnel propose la création d une identité numérique enrichie afin d accroitre la pertinence des mises en relation. Il devient la plateforme du réseau des relations électroniques de chaque membre. A ce titre, le réseau social est destiné à intégrer tous les outils d échanges électroniques : messagerie différée, instantanée ou directe, forums, voix sur réseau IP, etc. Car, l enrichissement de l identité numérique est une clef de la qualité du réseau. Le centre de gravité du réseau social relationnel est l individu et toute fonctionnalité nouvelle a pour seul objectif d amplifier sa productivité relationnelle. On est passé ainsi de la page "perso" statique, c était la préhistoire d Internet, où il fallait envoyer un mail pour échanger avec la personne aux Blogs, apparus aux Etats-Unis en 1999/2000, à l interactivité plus grande. Chaque nouvel attribut, par le texte, l image, le son, donne la possibilité de mieux se faire connaître. Ce qui permet de renforcer les relations existantes et d en créer de nouvelles. Cette vision du réseau social comme prolongement du mail et de l identité numérique intégrée au réseau social comme centre de gravité de tous les échanges électroniques conduit à l affirmation suivante : le réseau social est l avenir des télécoms. Club des Vigilants 2007 8

Les vraies forces du réseau A l origine, l Internet se limitait à deux applications majeures : l échange entre personnes par le courrier électronique et l accès aux informations sur la toile. Depuis les usages ont explosé. Des pratiques nouvelles émergent : L internet crée une ressource nouvelle l intelligence collective (IC) de ses utilisateurs : Concept forgé par Pierre Lévy, l intelligence collective exprime la somme des informations, volontaires ou non, dont les internautes enrichissent le réseau. Elle constitue un gisement unique d informations, de ressources, de valeur, de possibilités, de vitesse qui, à mon sens, sera à ce siècle ce que le pétrole a été au siècle dernier. Sans IC, il n y aurait pas eu de Google. C est grâce aux liens créés par les utilisateurs et pointant vers les sites afin d exprimer une popularité synonyme de pertinence et donc d hiérarchisation que Google a fondé sa suprématie. Ni d ebay dont la fulgurante réussite tient au système de réputation des vendeurs générée par les utilisateurs. Ni encore d Amazon, de Wikipédia, de YouTube, de Skyblog... L Internet crée une nouvelle forme de distribution : le réseau de pairs. C est l échange entre égaux. Dans un tel système, chaque machine est à la fois client, c est-à-dire réceptrice, et serveur, c est-à-dire émettrice. Elle peut même servir de routeur et donc orienter l acheminement des messages. L ancêtre Napster puis KaZaA et BitTorrent ont démontré l extraordinaire pouvoir disruptif de l usage de masse de ce mode de distribution. L internet crée un nouveau média : la conversation des gens. L Internet n est pas seulement un nouveau moyen de diffusion comme le sont la radio et la télévision. Il révolutionne l âge de la diffusion par le réseau social d échanges électroniques qu il permet. L expression personnelle, le partage d expérience, les témoignages, avis et commentaires exprimés sur la toile deviennent indispensables pour la formation de notre opinion, en particulier, pour nos décisions d achat. Sur Internet, il n y a pas de contenu car il n y a pas de contenant. Ce que nous appelons "contenu" dans le monde analogique devient, sur Internet, une collection de sources remixées et agrégées par les utilisateurs. Le filtrage en amont par les éditeurs est remplacé par le filtrage en aval des internautes. Cette prise de parole, quantitativement dominante, est souvent jugée plus crédible que l expression institutionnelle ou commerciale. L opinion ne se fait plus sur la séduction mais sur la conviction. Les produits sont scrutés, commentés... Le nouveau média, c est les gens. La nouvelle culture est participative. L Internet, un multiplicateur d émancipation individuelle : Selon la loi informatique de Metcalfe, la valeur d un ordinateur est proportionnelle au nombre d ordinateurs auquel il est connecté. Cette loi est valable aussi pour les personnes : le potentiel, l émancipation d un individu sont proportionnels au nombre de personnes auxquelles il est lié. L adolescent d aujourd hui va ainsi construire, grâce à Internet, un dossier "béton" pour convaincre ses parents de telle ou telle formation au détriment de celle qu ils auraient souhaitée pour lui. Natif du numérique, plus réseauté que ses parents, ces immigrés de l analogique, il va, grâce à de multiples informations, pouvoir emporter la décision. Ce nouveau rapport de force en faveur des individus réseautés change la société toute entière : la famille, l école, l entreprise, la politique, la relation aux experts, aux médecins, aux médias, aux produits et aux marques... Seules l imprimerie et l alphabétisation de masse ont constitué, en leur temps, une révolution d une telle magnitude. Avec Internet, le code devient un média : le code informatique devient un service en ligne sur le réseau, comme une page de résultats de moteur de recherche ou un site de webmail. Ce service en ligne est financé par la publicité sous forme de liens commerciaux appropriés. Un service qui génère une audience et des recettes publicitaires, c est par définition un média. Google est, en ce sens, la première entreprise de média du monde. Pourtant, elle ne produit aucun contenu par elle-même mais que du code. Club des Vigilants 2007 9

Avec Internet, la publicité se "démassifie" : Les données individuelles collectées sur chaque individu lors de ses interactions avec le réseau permettent un ciblage publicitaire plus fin. Ainsi, lorsqu une personne fait une requête dans un moteur de recherche sur le mot Baléares, par exemple, l information est stockée. Résultat : à chaque fois qu elle surfe sur Internet le "produit" Baléares lui sera proposé. Du coup, la publicité basée sur des cibles traditionnelles catégorisées par l âge, le sexe, le revenu ou le niveau d éducation perd de sa pertinence. Elle n est plus, comme dans les médias traditionnels, interruptive. Elle peut être fusionnée avec la source ou bien associée au côté de l expérience utilisateur sans l entraver. Avec Internet, ce qui n est pas local est mondial : Le code est mondial. De ce fait, l Internet globalise la compétition des logiciels, unifie les usages et les marchés. Le réseau social est l avenir des Télécoms Les sociétés de télécommunications vivent depuis une décennie une période critique. Leur métier traditionnel - à savoir la fourniture d accès au réseau seulement différenciée par le débit - voit ses marges chuter. A contrario, le code des services associés (messagerie, téléphonie sur IP, télévision, etc.) prend de la valeur du fait notamment qu ils ne sont pas ou difficilement interchangeables. Aujourd hui, on change plus facilement de fournisseur d accès que de Hotmail ou de Gmail. La valeur des télécommunications se transfère donc de la bande passante au code. Et ce code, demain, ce sera le réseau social. Prenons l évolution du téléphone mobile. Il est en train de se transformer, à grande vitesse, en un terminal Internet de poche. Il préfigure une transformation profonde : le terminal est l interface de connexion permanente aux autres, jamais éteint et toujours avec soi. L identité physique et l identité numérique sont désormais jointes. L intrusion de la mobilité fait bouger les lignes technologiques et annonce de nombreuses mutations. Quelle est la passerelle logicielle entre le service web relationnel adapté au PC et ce terminal mobile? C est le messager instantané. En effet, tout comme le messager, le réseau social est une plateforme d échange. Alors que Windows Live Messenger, Yahoo Messenger ou Google Talk sont destinés à devenir le carrefour de tous les échanges sur les postes fixes, le messager instantané est, quant à lui, l interface d accès au réseau social pour les terminaux mobiles. Et rien ne dit que demain, surtout pour la nouvelle génération, le terminal majoritaire d accès à son réseau social ne soit le terminal mobile avec son messager embarqué. Il s agira, bien entendu, des futures générations de messagers autant dire en matière de technologie d ici quelques trimestres. Il donnera une profondeur relationnelle à tous les contacts, concentrera et organisera les communications entrantes et sortantes quelque soit leur nature. Il donnera surtout l entier contrôle de ses échanges à l utilisateur. Le mariage réussi en somme d un service tel que GrandCentral avec le SM, le messager de Skyrock. Le terminal Internet, ou terminal IP, est, par ailleurs une révolution en soi. Connecté sans interruption et en transparence au meilleur débit disponible à chaque instant du GSM ou du WIMAX mobile, il est notre point d accès personnel à l Internet, point d accès par l interface du réseau social pour les échanges interpersonnels, par un moteur de recherche adapté pour l accès aux informations. La modestie de son écran et de son clavier ne le limite pas : il pourra se brancher sur n importe quel PC qu il utilisera comme une simple ressource, périphériques compris. De nombreux logiciels, comme MojoPac par exemple, permettent déjà cette manipulation. Déjà, un simple ipod sait prendre le contrôle d une chaîne hi-fi sur laquelle il est branché. Dans ce cas précis, c est le petit terminal qui prend le contrôle du grand. C est donc celui qui nous ressemble le plus qui domine les autres. Club des Vigilants 2007 10

Demain, la puissance informatique de ce terminal IP devrait encore changer la donne. Cette extrémité mobile et personnelle du réseau pourra avoir la puissance d un serveur et, par conséquent se comporter comme tel. Aujourd hui, les services en ligne sont hébergés sur des grappes de serveurs appelées fermes de serveurs - qui se répartissent le travail entre eux et auxquels les PC accèdent par le réseau pour en bénéficier. Demain, ces terminaux mobiles seront à la fois des serveurs qui émettront des informations et des clients qui en recevront. Ils se comporteront pour l utilisateur comme un terminal traditionnel, voire un téléphone, mais pourront aussi fonctionner comme des serveurs mobiles et donc réaliser des tâches distribuées entre les machines et même co-héberger des services en ligne. Dans cette hypothèse, ce sont les terminaux en possession du public qui remplaceront les fermes de serveurs. Une vision farfelue? Rien n est moins sûr. Demain, certaines entreprises pourraient éventuellement remplacer tout ou partie de leurs fermes de serveurs par la subvention de serveurs mobiles destinés au public et utilisés par les gens comme terminaux et téléphones mobiles. En contrepartie, ces entreprises auront un accès privilégié aux informations générées par les utilisateurs corrélées notamment à leur position GPS et à leur moyen de paiement intégré au terminal. Ces logiques de distribution de calcul existent déjà et sont éprouvées. Seti@home hier ou, aujourd hui, le prometteur logiciel Hadoop permettent, d ores et déjà, de répartir des tâches et des données sur des milliers de machines de base, disparates et autonomes, dont certaines tombent en panne, s ajoutent ou sortent à chaque instant du réseau, etc. Cette organisation peut être doublée d un déploiement en réseau d émetteurs-récepteurs. Dans cette logique, chaque utilisateur WI-FI constitue un nœud du réseau d émission-réception. Cette anticipation redéfinit le débat qui oppose aujourd hui le système d exploitation des serveurs et celui des terminaux mobiles. Le système d exploitation de la machine individuelle devient un système d exploitation de serveur. Tout comme le système d exploitation du PC et du terminal mobile sont appelés à n être que deux versions du même logiciel, voire à fusionner. Il est hautement probable que le système d exploitation du mobile soit la version dominante car, encore une fois, c est celui de l appareil dont nous serons le plus proche. Le développement des terminaux mobiles rend indispensable la totale maîtrise des réseaux hertziens et des technologies associées. D où l intérêt des grands acteurs de l Internet pour ce type de connexions. Une autre des clefs majeures du succès des serveurs mobiles résidera dans la gestion de la dissémination des informations tout en assurant un niveau de sécurité que l on attend de tout serveur. Ce futur qui s esquisse donne encore plus de poids aux réseaux sociaux car, en mettant en commun non seulement l intelligence des hommes mais aussi celle des machines, il en fait une unité fonctionnelle. Tel est l avenir des télécoms, tel est l avenir des réseaux sociaux. Prochains petits-déjeuners 21 novembre 2007 : Michel Prada, président de l Autorité des Marchés Financiers, interviendra sur le thème : «Mutations et crises des marchés financiers». 12 décembre 2007 : Jean-Claude Hagege, expert près de la Cour d Appel, interviendra sur le thème : «La tyrannie de l apparence». Club des Vigilants 2007 11

En direct du Blog Commentaires sur «Immigration sans tabous» J'ai toujours trouvé aberrant qu'en France un sans-papier n'ait que 2 alternatives pour vivre : dans le meilleur des cas, il travaille au noir, dans le pire, il vole ou trafique. Lui laisser la possibilité de travailler en respectant la législation serait un moyen simple et efficace de distinguer les immigrants qui souhaitent pleinement jouer un rôle dans notre société de ceux qui veulent en profiter sans faire d'efforts. Fabrice, internaute Ce qui me fait enrager, c'est l'hypocrisie du gouvernement actuel : après avoir mis en avant le principe d'"immigration choisie" pour faire campagne, seule la restriction des critères déjà existant (notamment concernant le regroupement familial) et l'augmentation des quotas de reconduites aux frontières ont vu le jour. Mais le flou persiste quant à l'avenir des demandes de régularisation, l'arbitraire continue à faire office de loi et pour ce qui est de "choisir" les immigrés, pour l'instant, il semble surtout qu'on choisisse de les renvoyer chez eux... Le champion de la "valeur travail" ne semble pas vouloir donner leur chance à tous ceux qui ne demandent pas mieux que de venir grossir les rangs des travailleurs, payer leurs impôts et leur loyer et effectivement faire avancer des secteurs où nous-mêmes - bons Français de souche - n'avons guère envie d'aller mettre la main à la pâte... Marine, internaute @Meriem : Pourquoi la plupart des grands chantiers, même lorsqu'ils répondent à des commandes voulues par le président de la République ou par le maire de Paris, emploient-ils un grand nombre de travailleurs clandestins? Pourquoi en va-t-il de même dans d'autres secteurs dont celui de la confection? Pourquoi ces infractions ne sont-elles que mollement combattues? Est-ce par peur de pousser à la faillite certaines entreprises qui, en raison de leur caractère saisonnier, supporteraient difficilement de payer des salaires égaux ou supérieurs au Smic plus les charges sociales afférentes? Si oui, quels sont les éléments du choix? Faut-il, pour des motifs économiques se résigner à l'immigration clandestine? Ou bien convient-il de handicaper des entreprises des entreprises en employant les grands moyens pour les contraindre à respecter les règles? Ou bien encore doit-on leur tailler une législation sur mesure afin qu'elles aient le droit d'employer des saisonniers à des tarifs réduits? J'écrivais ces lignes en 1994 dans mon livre "L'Etat c'est nous", et j'ajoutais : Poser de telles questions n'a rien de honteux. Il est au contraire indigne de ne pas les poser et de se garder d'agir par simple peur d'éveiller l'hostilité de quelques tenants du désordre établi. La peur du patronat (ou du moins de certaines fédérations patronales) a empêché nos dirigeants successifs de choisir la contrainte. la peur des syndicats les a empêché de choisir la souplesse. Mais leur complicité tacite tenait moins de Machiavel que de Gribouille. Un vrai débat aurait permis de briser les tabous (...) Marc Ullmann Club des Vigilants 2007 12

Lu, vu, entendu Le capitalisme d héritiers La crise du travail Thomas Philippon, Seuil La République des idées, 112 p. Paris 2007 Selon Edmund Phelps, professeur d'économie à l'université Columbia, Prix Nobel d'économie en 2006, le marasme économique européen, français en particulier, proviendrait d'une relation déplorable au travail et à l'innovation. Avec une rigueur d analyse remarquable, Thomas Philippon, enseignant d économie financière à la Stern School of Business (New York University), donne avec Le capitalisme d héritiers un contenu extrêmement documenté et concret à ce constat. Avec précision, il déroule le fil de l évolution du capitalisme français depuis le 19 ème siècle, en souligne les spécificités, révèlent les relations sociales qui le régissent et établit les liens de causalité. Il démontre que les mauvaises relations sociales dans l'entreprise expliquent pour l essentiel - pas moins de 70% - le faible taux d'emploi de notre pays! Loin devant les contraintes du droit du travail, les charges pesant sur les entreprises, voire l arbitrage que feraient nos concitoyens en faveur des loisirs... En cause? L absence ou le déficit de coopération dans le monde économique, la méfiance exacerbée entre individus, plus particulièrement entre groupes : patrons et salariés, cadres et non cadres, Etat/entreprises/syndicats... Les raisons? Elles tiennent notamment, à ses yeux, à cette forme de capitalisme typiquement français qui repose sur l'héritage. Héritage direct, lorsqu'il s'agit de transmission héréditaire du pouvoir dans les entreprises ; héritage sociologique lorsqu'il s'agit de la logique de reproduction sociale. Ce qui se traduit par des hiérarchies rigides, une négligence coupable de la promotion interne, des pratiques managériales de type bureaucratique... source d insatisfaction profonde et de "démission" passive de la plupart des salariés. Or, selon l auteur, l absence de relations sociales constructives affecte non seulement l emploi, mais aussi la croissance et l innovation. L ouvrage ne se limite pas à l analyse. L auteur y esquisse de nombreuses pistes à même de "décoincer" la situation. Qu il s agisse de la transmission des PME, le financement des PME innovantes, la réforme du dialogue social par une approche libérée de l obsession législative, la remise à plat de la représentativité des organisations syndicales aussi bien salariées que patronales ou de la réforme de l Etat... les voies de la rénovation sont multiples mais loin d être impénétrables. M. S. D. Le rendez-vous des civilisations Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Seuil - La République des idées, 160 p. Paris 2007 De nombreux démographes ont déjà signalé que le monde musulman n échappait pas à la tendance générale de ralentissement démographique et que cette évolution était liée au développement de l instruction chez les femmes. Une des originalités de ce récent ouvrage est qu il entre dans le détail pays par pays et, à l intérieur de chaque pays, structure familiale par structure familiale. L Iran, qui a franchi la barre symbolique de moins de 2,1 enfants par femme, apparaît comme un pays en marche rapide vers la modernité tandis que le Pakistan, avec ses 4,6 enfants par femme (en 2005), reste dangereusement soumis aux soubresauts des pays à la traîne. La deuxième originalité du «Rendez-vous des civilisations» est de rappeler aux Occidentaux que leurs propres transitions démographiques ont été émaillées de nombreuses violences. Logiquement, les auteurs voient «les convulsions qui se produisent dans le monde musulman non comme des manifestations d une altérité radicale mais au contraire comme les symptômes classiques d une désorientation propre aux périodes de transition». Moralité : les terroristes sont des réactionnaires nostalgiques. Ni plus, ni moins. Club des Vigilants 2007 13 M. U.