1 Conférence IRPP de Diane Bellemare Is it time to reinvent employment insurance? Introduction Au Canada, l assurance chômage a subi plusieurs réformes depuis son adoption en 1940. L objectif du régime demeure néanmoins quasi inchangé. Il est double. Pour les individus, il vise à soutenir le revenu d une personne pendant une période de chômage involontaire d où l importance prévue dans la loi sur la recherche d emploi pour les prestataires. Pour la société, en période de crise ou de récession économique, il joue un rôle de stabilisation économique majeur. En effet, en soutenant le revenus de ceux et celles qui travaillent dans les secteurs les plus vulnérables à la conjoncture, l assurance- chômage supporte la demande globale et, ce faisant, limite la propagation des mises- à- pieds Ce double objectif de maintien des revenus et de stabilisation économique est fondamental et l assurance emploi doit conserver cette mission. Cependant, au 21 ième siècle, le régime doit faire plus et mieux. Il est temps de réinventer l assurance emploi L assurance emploi joue mal son rôle initial. À partir, des années 1970, le gouvernement fédéral abandonne l objectif de maintenir un haut niveau d emploi (visant le plein emploi) au profit de contenir l inflation. Et, la banque du Canada dont l unique objectif est la stabilisation des prix, vise le maintien du taux de chômage canadien à son niveau dit «naturel», par crainte de l inflation. Le programme d assurance chômage se développe alors dans un environnement de chômage élevé et il est utilisé pour gérer le chômage 1 en partageant l emploi et le revenu. Les entreprises intègrent l assurance chômage à leurs pratiques de gestion des ressources humaines alors que certaines provinces adoptent des programmes d emplois temporaires pour qualifier les prestataires d aide sociale à l assurance emploi. En conséquence, des comportements institutionnels et individuels se développent dans certaines régions où le chômage est particulièrement criant. Ces comportements existent toujours aujourd hui car le programme d assurance emploi ne s inscrit pas dans une stratégie de plein emploi. 1 Plutôt que pour poursuivre le plein emploi comme le recommande l Organisation Internationale du Travail (notamment dans la Convention 122 de 1964).
2 Par exemple, là où le chômage est élevé, l AE est souvent utilisée par les entreprises pour suppléer les revenus d emplois temporaires favorisant ainsi en permanence certaines provinces plus que d autres. Ce qui crée des iniquités entre les régions. À l origine l assurance chômage fut créée pour assurer les revenus en période de chômage involontaire et de nature cyclique et non pas pour suppléer les revenus d emplois temporaires. Or, dans un contexte où le chômage demeure élevé, il est difficile de changer de tels comportements. Aussi, l AE n est pas adaptée au 21 ième siècle Le programme d assurance emploi n est pas adapté à la mondialisation et à la nécessité de s adapter rapidement au nouveau contexte économique et technologique. Il ne favorise pas la mobilité professionnelle pourtant si nécessaire aujourd hui et ne soutient pas suffisamment les chômeurs dans leur recherche active d emplois comme cela est le cas dans plusieurs pays de l OCDE. Pourquoi? Parce que les mesures actives ne sont pas suffisamment développées et que l assurance emploi n est pas partie intégrante de la politique de l emploi. Quels principes doit respecter une réforme de l assurance emploi? Premièrement, une réforme de l assurance emploi doit s inscrire dans une politique de l emploi qui vise le plein emploi. En effet, on ne peut espérer que tous les chômeurs trouvent du travail quand il y a des pénuries d emplois. L OIT recommande à l article 7 de la Convention 168 que «tout membre doit formuler, comme objectif prioritaire, une politique visant à promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi..» Le plein emploi, c est la possibilité pour tous ceux et celles qui veulent travailler de pouvoir occuper un emploi rémunéré. Ce n est pas équivalent au taux de chômage naturel. Le Canada est encore loin d une situation de plein emploi généralisé même s il peut exister des pénuries de main- d œuvre localement dans certaines régions et dans certains secteurs. En effet, au Canada, il y a actuellement 6 chômeurs par poste vacant 2. Par ailleurs, l article 2 de la même Convention prévoit que «Tout Membre doit prendre des mesures appropriées pour coordonner son régime de protection contre le chômage et sa politique de l emploi. À cette fin, il doit veiller à ce que son régime de protection contre le 2 Pour la période de 3 mois se terminant en septembre 2013. L indicateur est en hausse. http://www.statcan.gc.ca/daily- quotidien/131217/dq131217b- fra.htm
3 chômage et en particulier les modalités de l indemnisation du chômage contribuent à la promotion du plein emploi, productif et librement choisi» Deuxième principe : Encourager la participation active au marché du travail en s appuyant sur une logique de réciprocité entre le chômeur et l État. C est dans cette logique de réciprocité que s inscrivent les mesures actives. En effet, dans plusieurs pays de l OCDE, les prestataires doivent participer à des programmes de main- d œuvre (comme des programmes de recherche et d intégration en emploi, des programmes de formation) dans le but de maintenir et de développer leur employabilité et ce, sous peine de voir leurs prestations suspendues ou réduites. En effet, si les gouvernements ont la responsabilité d adopter une stratégie de plein emploi, les individus en chômage ont la responsabilité d occuper les emplois disponibles convenables sous peine de voir leurs prestations suspendues ou réduites comme le prévoit l article 21 de la Convention 168 de l OIT. Au Canada, les mesures actives sont beaucoup moins développées que dans ces pays et même moins que la moyenne des pays de l OCDE 3. L activation des mesures passives de soutien du revenu est très développée dans les pays scandinaves qui visent le plein emploi. Dans les années 1960, ces pays (en particulier la Suède) sont les premiers à développer les mesures actives pour prévenir les pénuries de main- d œuvre et l inflation salariale en période de croissance et pour conserver et développer le potentiel de la main- d œuvre en période de récession. Ils ont réussi à combattre l inflation tout en protégeant l emploi et à stimuler la productivité beaucoup mieux que le Canada. Troisième principe : Une reforme doit tenir compte du risque de la désuétude des compétences. Ce risque est associé aux changements technologiques continus et au développement permanent de la mondialisation. Il pose des défis d adaptation aux entreprises et aux individus. La prise en compte de ce nouveau risque par le programme de l assurance emploi favorisera la mobilité professionnelle des personnes tout au long de leur vie. C est en favorisant une mobilité professionnelle ascendante que le Canada pourra relever la croissance de la productivité qui s avère peu reluisante. Trois pistes d action majeures 3 0,33% du PIB au Canada comparativement à 0,66% pour OCDE. DB p. 202
4 Premièrement : Investir davantage dans les mesures actives et abolir la distinction entre la partie un et deux de l AE. La réforme majeure de l assurance emploi de 1996 divise le compte de l assurance emploi en deux volets. Le volet I, sous la juridiction complète du gouvernement fédéral, finance les prestations régulières et les prestations spéciales. Le volet II finance les prestations d emploi et les mesures de soutien gérées par les provinces dans des ententes administratives. L article 78 de la loi de l AE prévoit que le montant total des prestations d emploi ne peut dépasser 0,8% de la masse salariale assurable. En réalité, le volet 2 de l assurance emploi n a jamais atteint cette limite et le montant total des ententes de main- d œuvre financé par l AE se situe autour de 2 milliards de $ et est demeuré plus ou moins constant. Cette distinction entre les volets I et II crée une certaine étanchéité entre les mesures passives et actives et expliquent en partie la faiblesse de l investissement canadien dans les mesures actives qui ne pourra jamais dépasser la moyenne de l investissement des pays de l OCDE. La loi l interdit! Ainsi, certains chômeurs peuvent réclamer des prestations régulières et attendre la fin de la période assurable avant de s intéresser aux mesures actives. Aussi, les chômeurs fréquents et saisonniers sollicitent rarement les mesures actives. Par ailleurs, le volet I de l AE ne permet pas d agir de manière préventive et de permettre aux entreprises d utiliser en partie les prestations régulières pour former leurs employés au lieu de les mettre à pied temporairement Deuxième avenue : Renouveler les ententes avec les provinces afin de les responsabiliser davantage par rapport à l AE. Si l on fait disparaître la distinction entre les volets I et II, il devient préférable qu une même administration soit responsable de l utilisation des fonds de l AE. Une gestion unique des mesures passives et actives permet aussi de faire respecter plus facilement le principe de réciprocité, d activer les mesures passives, de réduire la durée du chômage et d améliorer la croissance de la productivité. Cette responsabilité incombe aux provinces car elles sont plus sensibles aux réalités locales et régionales. Aussi, au- delà de la simple mise en œuvre du Régime fédéral, les provinces qui le souhaitent devraient pouvoir déterminer les conditions d éligibilité, la durée des prestations voire le niveau des prestations dans le contexte de la stratégie d emploi et investir de leurs propres fonds dans les mesures actives.
5 Le taux de cotisation devrait demeurer uniforme dans tout le Canada. Le Régime pancanadien verserait un financement équivalent à ce qu il aurait versé selon les paramètres nationaux. Les provinces qui concluent une telle entente seraient alors responsables des équilibres financiers de leur compte régional. Cette réforme serait, au pire, à coûts nuls pour le fédéral et pourrait générer des économies dans la mesure où les provinces participantes amélioreraient la performance du système. Le fédéral doit demeurer responsable de la fonction de stabilisation du régime qu il financerait à partir des revenus généraux comme cela a été le cas lors de la dernière récession. Il financerait ainsi le coût supplémentaire du régime lorsque le taux de chômage canadien devient supérieur au taux dit «naturel». Il pourrait se rembourser quand le taux de chômage redescend. Une telle réforme est ambitieuse et nécessite un suivi rigoureux et une collaboration des gouvernements vers l atteinte d un objectif commun : développer l emploi afin d atteindre le plein emploi dans toutes les grandes régions. Troisième piste : Instaurer un compte individuel formation Un compte individuel formation (CIF) vise ultimement à augmenter l investissement en formation liée à l emploi par une participation au financement des coûts directs et indirects (frais de formation et revenus) encourus par les individus pour se former. Ce compte permet aux individus de prendre en main le développement de leurs compétences et répond au risque de la désuétude des compétences. Il peut favoriser leur maintien en emploi en partageant avec l entreprise le coût d une formation liée à l emploi. Plusieurs pays se tournent vers de tels comptes. On constate que les CIF peuvent s inscrire dans un régime public ou un programme offert par les entreprises pour leurs employés. Ils peuvent être obligatoires ou volontaires, ils peuvent viser la main- d œuvre à faible revenu ou être universel, ils peuvent être financés par les revenus généraux des gouvernements, par l épargne individuelle ou par cotisations à des régimes d assurance. Au début des années 2000, l idée d un compte individuel formation volontaire financé par l épargne a été discutée à l échelle canadienne. Elle n a toutefois pas vu le jour car une telle proposition n aurait pas réussi à faire lever substantiellement l incidence de la formation continue pour les mêmes raisons que les REER ne peuvent répondre aux besoins financiers de tous à la retraite. Afin de stimuler la formation continue liée à l emploi, le gouvernement fédéral pourrait introduire un compte individuel formation à l intérieur du programme d assurance emploi. La participation à ce compte serait obligatoire pour les salariés et leur employeur et volontaire pour les travailleurs autonomes. En France, le compte personnel formation prévoit de financer 120 heures de formation liée à l emploi après 6 ans de cotisations et 150 heures après 9 ans. À terme, un régime canadien devrait viser à financer au moins 1500 heures de formation liée à
6 l emploi tout au long de la vie professionnelle ce qui est la norme dans les pays performants (Danemark, Suède, Finlande). Les bénéfices d un compte individuel formation sont complètement transférables d un emploi à l autre et d une province à l autre. Les formations admissibles peuvent être uniquement celles liées à l emploi, c est- à- dire répondre à des besoins du marché du travail. Ce programme qui s ajouterait à l arsenal des mesures actives nécessite évidemment l accord des provinces qui pourraient participer au financement des formations dans des secteurs jugés prioritaires. Le programme pourrait aussi prévoir pour les employeurs de contribuer davantage afin d augmenter le nombre d heures de formation couvertes par ce programme pour leurs employés. En conclusion Il est temps de réinventer l assurance emploi. Les gouvernements canadiens doivent faire preuve d audace et entreprendre une conversation nationale sur ce sujet car le temps presse pour relancer une prospérité partagée.