Les modèles productifs et d organisation du travail «L une des caractéristiques d un homme capable de faire le métier de manutentionnaire de gueuses de fonte est qu il est si peu intelligent et si flegmatique qu on peut le comparer, en ce qui concerne son aptitude mentale, plutôt à un bœuf qu à tout autre chose» F. W. Taylor (1856-1915)
Qu est-ce qu un modèle? Configuration socioproductive susceptible de mobiliser les acteurs de l entreprise pour la rendre performante Représentation théorique simplifiée des relations qui existent entre les différentes dimensions d un phénomène étudié
Qu est-ce qu un modèle productif? (Boyer, Freyssenet) Processus de mise en cohérence acceptable par les acteurs concernés de : la politique produit (marchés, gamme, etc.), l organisation productive (méthodes et moyens pour réaliser la politique produit) la relation salariale (politique d emploi, de rémunération, etc.) avec la stratégie de profit poursuivie
Qu est-ce qu une stratégie de profit? Combinaison possible et exploitable de sources de profit : Les économies d échelle La diversité de l offre La qualité du produit L innovation commercialement pertinente La flexibilité productive Réduction permanente des coûts
Qu est-ce que l organisation du travail? Manières d utiliser la main d œuvre dans le processus de production Façons de définir ou de configurer les emplois (horaires, répartition des tâches et des responsabilités, composition des collectifs, normes de production, délais, etc.) Finalité : Permettre l organisation de l action collective dans une logique d efficacité et d efficience
Les choix en termes d OT sont étroitement liés aux : Modes de gestion de la production (degré de standardisation de produits, uniformisation du travail par des dispositifs techniques, etc.) ; Logiques et pratiques de GRH (ex. logique de compétence) Caractéristiques environnementales (intensité du jeu concurrentiel, etc.) Types de technologies (production unitaire ou en série), etc.
Les MOT ont des incidences directes sur : Les conditions de travail (bien-être, stress, santé «psychologique» ou physique, etc.) ; Le contenu du travail (nature des tâches, degré d autonomie, rythme de travail, possibilités d apprentissage, etc.) ; Les dynamiques sociales et humaines (possibilités d interactions sociales, construction du lien social, satisfaction des besoins sociaux), etc.
Comment analyser l organisation du travail? En fonction de plusieurs dimensions : Modes de division du travail Mécanismes de coordination Type de connaissances et compétences mobilisées Mécanismes de régulation sociale
Division du travail Horizontale : Nbre de tâches effectuées par un salarié Verticale : Degré de séparation entre conception et exécution Influence sur la motivation, l engagement professionnel, etc.
Mécanismes de coordination Ajustement mutuel Supervision directe Standardisation des procédés de travail Standardisation des résultats Standardisation des qualifications Standardisation des valeurs
Types de connaissances et de compétences Activités de production fondées : sur un savoir et un travail «abstrait» rendant l évaluation de l apport du salarié plus intangible sur un savoir et un travail «concret» facilitant la définition des tâches et la mesure de la contribution du salarié
La régulation sociale Trois formes de régulation (Reynaud) Régulation de contrôle Régulation autonome Régulation conjointe
Régulation de contrôle Consiste à imposer aux individus une discipline (consignes, etc.) pour : * organiser leurs activités, * régler les modalités de leur coopération * évaluer la qualité de leurs résultats
Régulation autonome Règles que les groupes se fixent et s appliquent en vue de préserver leur autonomie, d adapter les règles qu on cherche à leur imposer La RA se superpose à la RC sans que jamais les deux processus ne se confondent
Finalités Échapper à une contrainte jugée pénible ou dangereuse Contourner la règle officielle considérée comme inadéquate ou inefficace Développer un esprit de groupe pouvant aider les salariés à affronter un environnement jugé hostile
Les figures de l autonomie (1) 1 - Autonomie-indépendance : Capacité à infléchir les règles par rapport aux prescriptions du travail (règles autonomes élaborées par les exécutants) Irréductibilité travail prescrit/travail réel L'autonomie peut être vue comme : un acte de résistance contre un ordre souhaité par la hiérarchie la prise en charge par les salariés des «défaillances» de l'organisation formelle
Les figures de l autonomie (2) 2 - Autonomie d'action : Capacité à agir, à assumer des situations variées et complexes en préservant sa capacité de réponse 3 - Autonomie-influence : Influence exercée sur la définition des méthodes et des objectifs de travail (règles de contrôle imposées par la hiérarchie ou les services spécialisés)
Régulation conjointe résulte du compromis entre les acteurs qui fournit un ensemble de règles générales, acceptables par tout le monde Solution provisoire et instable qui peut être corrigée, déformée ou renforcée
Considérations générales L industrie, et notamment la construction automobile, reste le terrain privilégié d expérimentation et de généralisation des nouvelles formes d organisation du travail Il est impossible d associer aux services un mode spécifique d organisation du travail
Dans les services, l empreinte industrielle taylorienne toujours présente Ex. : Caissières, centres d appel, restauration rapide, etc. Travail organisé selon des principes standardisés et spécialisés Faible degré d autonomie des opérateurs et de leurs superviseurs directs Biens et services délivrés standardisés Technostructure prend en charge la rationalisation de l OT Ligne hiérarchique développée et supervision directe intense
Principaux modèles productifs Le modèle taylorien Le modèle fordien Le modèle de l Ecole socio-technique Le modèle sloanien Le modèle toyotien (ou ohnien) Le modèle hondien La lean production («production au plus juste»), etc.
Tendances actuelles influant sur l organisation du travail Renforcement du poids de la logique marchande dans et à l extérieur de l entreprise (réactivité et adaptabilité au marché, prix de cession interne) Renforcement de la pression temporelle («juste-àtemps», flux tendus, flux asynchrones, etc.) Généralisation de l entreprise étendue (modif. des modes d exercice du pouvoir dans et hors de l entreprise) Renforcement de la flexibilité et de l autonomisation Développement des emplois qui engagent une relation de service (pression du client, pilotage par l aval) Développement de la coopération au travail (structures projets, organisation par processus)
Conséquences (1) 1. Renforcement de l intensification du travail Augmentation de la charge mentale (impératifs de rentabilité, etc.), Tensions des flux vers l aval (clients, etc.) Fixation des objectifs et des moyens (effectifs, etc.), Perfectionnement des dispositifs d évaluation, L accélération du changement organisationnel, Augmentation de la pression temporelle (RTT, dispositifs techniques).
Quelques chiffres 53 % des salariés disent que leur rythme de travail est imposé par une demande extérieure à satisfaire immédiatement 1 ouvrier sur 4 dit que son rythme de travail est dicté par le flux de production, 1 salarié sur 4 et 4 ouvriers sur 10 signalent que leur rythme de travail est imposé par des normes de production ou de délais, 30 % des salariés estiment que leur rythme de travail est imposé par des contrôles, Source : Dares, 2007
Quelques effets de l intensification du travail Tensions relationnelles avec l entourage prof. et familial, Difficulté de maintenir durablement d un autoinvestissement «heureux» dans le travail, restreint la place de l imagination, de l anticipation, de l innovation personnelle, Difficultés pour anticiper le travail à venir et s organiser en conséquences Conséquences sur la santé au travail (stress, burnout, maladies professionnelles, etc.) Perte de sens du travail
Conséquences (2) 2. L implication contrainte Logiques et outils de la GRH comme instruments de normalisation et de contrôle (évaluation, logique de compétence, etc.) Cultes de la performance et de l urgence comme valeurs Limitation du droit au retrait Mobilisation des ressorts profonds de la vie psychique (identification à l entreprise, etc.) Dissolution de la frontière vie privée/vie professionnelle, etc.
Conséquences (3) 3. Servitudes de la relation de service 54 % des ouvriers qualifiés sont en contact avec le public (DARES, 2007)
Quelques servitudes Plus grande mobilisation psychique et physique Difficultés à codifier l ensemble des compétences nécessaire à la bonne «prise en charge» du client De la prescription des tâches à la prescription des comportements professionnels (savoir-être, autonomie, responsabilité, etc.) Développement des injonctions paradoxales (être à l écoute du client et faire du chiffre, soigner la qualité de service et être réactif, etc.) Détérioration des conditions de travail (violence physique et psychologique, épuisement professionnel, etc.)
Conséquences (4) 4. Tensions de la flexibilité interne et/ou externe Diffusion des emplois «atypiques» (déplacement du travail pénible, conditions de travail plus difficiles) Précarité des collectifs de travail Flexibilisation et irrégularité du temps de travail Sous-utilisation des compétences
Conclusion Pas de «One best way», mais une pluralité de modèles productifs! Taylor n est pas mort et rien de nouveau sous le soleil Paradoxes des nouvelles logiques d OT : Plus d autonomie, mais le travail s intensifie, les contrôles se renforcent et l exigence «d excellence» gagne du terrain!
Merci de votre attention et à bientôt pour un nouvel épisode