Sémiologie gériatrique 2 : malaise et perte de connaissance Professeur P Jouanny Service de Médecine Gériatrique CHU de Rennes
Introduction Les malaises et les pertes de connaissances brèves sont des motifs fréquents de consultations et d hospitalisation en médecine Notamment des personnes âgées. Ils peuvent ne pas être spontanément décrits par le patient ou son entourage Il faut savoir les rechercher par l interrogatoire.
Définitions : Malaise : Terme générique, peu précis symptômes divers souvent difficiles à décrire par le patient : Sensation d instabilité, d imminence de chute, de perte de connaissance imminente, sensation de d altération de la conscience sans perte de connaissance vraie. Retour à l état antérieur est spontané, rapide ou progressif Des entités précises : Syncope Lipothymie Autres causes Perte de connaissance Interruption complète et transitoire des fonctions de relation (conscience, motricité, sensibilité) Brève ou prolongée
Définitions : Syncope : Perte de connaissance complète Consécutive à une ischémie cérébrale diffuse Chute brutale du débit sanguin cérébral Perte de connaissance brutale Avec chute Récupération totale en quelques minutes Signes associés Paleur Disparition du pouls, baisse de la TA Lipothymie : Équivalent mineur de la syncope mais sans perte de connaissance complète
Épidémiologie Syncope : 3 % des hommes et 3.5 % des femmes SAU : Framingham, suivi de 26 ans 3 % PC brève 4.9 % syncope ou lipothymie 13 % malaise
Généralités Les causes de malaises et de perte de connaissance brève sont très nombreuses une démarche clinique rigoureuse permet d orienter les investigations pour identifier leurs causes sans effectuer de façon inutile un grand nombre d examens complémentaires. L approche clinique a pour but de reconnaître les éléments du diagnostic différentiel, essentiellement représenté par les vertiges +/- les manifestations épileptiques, dont les investigations et le traitement sont très différents.
Classification des malaises Perte de connaissance Épilepsie Syncopes Autres Lipothymies Vertiges Malaises
Diagnostics cardiovasculaires Syncopes vasculaires réflexes Syncopes viscérales réflexes ou vasovagales de situation Miction Défécation Hyperpression thoracique Tussives Nociceptives Instrumentales Hypersensibilité sinocarotidienne Hypotension orthostatique Syncope vaso-vagale ou essentielle Syncopes cardiaques : Mécaniques obstructives Rythmique ou conductive
Syncopes vasculaires réflexes Syncopes viscérales réflexes ou vasovagales de situation Miction : fréquentes Vidange rapide de la vessie Et/ou relaxation après Valsalva forcé Hyperstimulation vague Vasodilatation réflexe vagale Hypotension brutale + réveil/lever nocturne
Syncopes vasculaires réflexes Syncopes viscérales réflexes ou vasovagales de situation Défécation Vidange rapide du colon (urgence diarrhée) Ou effort sur constipation et relaxation après Valsalva forcé Augmentation pression LCR Hyperstimulation vague Vasodilatation réflexe vagale Hypotension brutale + douleur colitique (nociceptive)
Syncopes vasculaires réflexes Syncopes viscérales réflexes ou vasovasovagales de situation Hyperpression thoracique Maneuvre de Valsalva Trompettistes, haltérophiles, plongeurs Tussives Accès sévère et prolongé de toux BPCO ou emphysème Augmentation pression intrathoracique Autres : Hyperpression cave grossesse
Syncopes vasculaires réflexes Syncopes viscérales réflexes ou vasovasovagales de situation Nociceptive Coliques Néphrétiques, hépatiques, digestives Douleur autre Inetnse et brutale Instrumentale Examens médicaux ou chirurgicaux + stress et anxiété
Syncopes vasculaires réflexes Hypersensibilité sino-carotidienne Réflexe sino-carotidien Stimulation réceptueurs glomus carotidien Stimulation vagale Pause sinusale, chute tensionnelle Pause sinusale, chute tensionnelle Déclenchement : Rasage, col de chemise serré, cravate Mouvement de tête : marche arrière en voiture FDR : Adénopathies, tumeur glomique Autre : Compression occulaire
Syncopes vasculaires réflexes Hypotension orthostatique Circonstances : Lever brutal, changement brusque de position Statuion debout prolongée Forme sympathicotonique Lipothymie, présyncopale évitable Chute tensionnelle modérée Tachycardie adaptative Personne âgée Forme asympathicotonique Lésion de l arc baro-réflexe : neuropathies végétatives Chute tensionnelle majeure Sans accélération de la fréquence cardiaque
Syncopes vasculaires réflexes Hypotension orthostatique : mesure Patient couché, repos 10 minutes Prise de la TA, couché Lever Prise de la TA et pouls à 0 minutes Et à 1, 2 et 5 Symptômes associés : malaise : lipothymie, syncope Paleur Maneuvre positive si Chute systolique 30 mmhg chez adulte, 20 mmhg chez PA Ou TA sytolique < 90 mmhg Chute diastolique 20 mmhg chez adulte, 10 mmhg chez PA
Syncopes vasculaires réflexes Syncope vaso-vagale ou «essentielle» La plus fréquente +++ Sujet jeune, prédominance féminine Terrain de dystonie neuro-végétative contexte évocateur : Choc émotif, peur, stress, douleur Atmosphère confinée, chaleur, bruit, station debout prolongée Lipothymie Symptômes digestifs : vomissement, diarrhée Sueurs «froides» Acouphènes Hyperactivité sympathique réactionnelle : Tachycardie, vasoconstriction
Syncopes cardiaques Mécaniques obstructives Syncope d effort par non élévation du débit cardiaque Augmentation des pressions intra-vg : vaso-dépression réflexe Défaut de remplissage des cavités cardiaques Cœur gauche : Rétrécissement aortique calcifié : RAC ++ Myocardiopathie obstructive, Myxome de l oreillette, thrombose de l OG Cœur droit Embolie pulmonaire +++ HTAP, tamponnade Cardiopathie congénitale
Syncopes cardiaques Syncope rythmique ou conductives BAV de haut degré Syndrome d Adams-Stokes Syncope brutale sans prodrome, «à l emporte pièce» Chute brutale, traumatisme Reprise de conscience très rapide ECG critique : Pause > 5 secondes, ou rythme d échappement lent Torsade de pointe Normal ou troubles conductifs mineurs en dehors Dégénérescence des voies Hissiennes Dysfonctionnement du Pacemaker!
BAV 3 Les ondes P ne sont pas conduites. Il existe un rythme d échappement avec indépendance complète entre la fréquence des QRS et des ondes P. Les QRS sont réguliers, souvent larges et lents lorsque l échappement survient en dessous du faisceau de His (comme ici). L aspect de BBD des QRS laisse penser que le foyer d échappement est situé dans le VG
BAV 1 Allongement de l espace PR, constant
BAV 2 Allongement progressif de l espace PR avec finalement onde P bloquée. Ce phénomène est souvent répétitif et périodique : périodes de Lucciani Wenckeback
BAV 2 Rythme auriculaire Rythme ventriculaire Seule une onde P sur 2 est conduite au ventricule
Pacemaker Défaut de stimulation d un PM : Sur ce tracé l onde P n est pas visible et on ne peut donc pas savoir par l ECG si la stimulation auriculaire fonctionne ou non. Par contre les QRS sont toujours visibles et il en manque 1 après les 2 premiers, alors qu un spike ventriculaire suit un spike auriculaire, comme attendu. Le spike est donc inefficace, ce qui indique un dysfonctionnement grave : la fonction sentinelle du PM n est plus assurée.
Syncopes cardiaques Dysfonctionnement du noeud sinusal Ou maladie rythmique auriculaire ECG Bradycardie sinusale, pauses sinusales, bloc sino- auriculaire Alternant avec des accès de tachycardie supraventriculaires Fibrillation ou flutter auriculaire Sujet âgé si médicaments chronotropes ou dromotropes Ex : ß-Bloquants, digitaliques, IAChE
Bloc sino-auriculaire Absence d onde P sur le tracé de surface. Il s agit d un trouble de conduction entre le noeud sinusal et l oreillette. Tous les types de blocs (1 non visible sur l ECG de surface, lucciani, 2/1, ou complet comme ici) sont possibles. En cas de bloc complet on ne voit pas d onde P.
Bloc sino-auriculaire Il manque une onde P
Syncopes cardiaques Troubles du rythme paroxystiques Clinique : Palpitations Cardiopathie sous-jacente connue Mécanisme : Défaut de remplissage du VG, de contractilité Défaut de remplissage du VG, de contractilité Étiologies : Tachycardie ventriculaire Torsade de pointe Allongement du QT Médicamenteux : quinidiniques, tri et tétracycliques Tachycardies supraventriculaires paroxystiques Flutter, tachysystolie auriculaire, fibrillation auriculaire, tachycardie jonctionnelle de Bouveret
Tachycardie ventriculaire
Torsade de pointe La complication du QT long, favorisée par hypokaliémie, bradycardie
QT long Le QT se mesure du début de QRS à la fin de T. Il dépend de la fréquence cardiaque (QTc = QT / RR) La valeur normale de ce QT corrigé (rapporté à une FC de 60/min) : 0.39 sec chez les femmes 0.44 sec chez les hommes
Flutter auriculaire La fréquence des impulsions qui arrivent au niveau du noeud auriculoventriculaire est également de 300/min et le noeud va faire le rôle de filtre pour ne laisser passer qu une dépolarisation sur 2, 3, 4 ou 5 Sur cet ECG la conduction se fait ¼ et la fréquence ventriculaire est régulière. Le circuit de réentrée et donc la séquence de dépolarisation des oreillettes est responsable de l aspect «en toit d usines» en D3 et VF.
Fibrillation auriculaire La dépolarisation de l oreillette est complètement anarchique, le noeud auriculoventriculaire est stimulé de façon anarchique, et la dépolarisation ventriculaire survient de façon parfaitement imprévisible : la survenue des QRS est irrégulièrement irrégulière. Sur cet ECG ont peut aussi noter le sous décalage de ST en latéral, qui fait suspecter une ischémie myocardique.
Syncopes cardiaques Angor syncopal Douleur angineuse précessive Mécanisme multiple : Douleur et syncope vasculaire nociceptique Dysfonction VG et bas débit Ischémie nodale et BAV Ischémie myocardique et troubles du rythme Infarctus inférieur et stimulation vagale
Infractus du myocarde IDM antérieur récent : onde de Pardee (sus décalage de ST convexe en haut) en V1, V2, V3, V4, V5. Sus décalage plus discret en V6. On ne voit pas d onde P avant les QRS (échappement jonctionnel) ce qui rend l interprétation des QRS plus aléatoire. Il existe une onde Q en V1, V2, V3, V4, avec probablement un aspect de BBD en V1, V2.
Infractus du myocarde IDM antérieur récent : Sus décalage de ST moins important Territoire antérieur étendu : V2-V6, D1-VL avec une ébauche de miroir en D3. Pas encore d onde Q.
Diagnostic neurologique : Les crises d épilepsie : symptôme traduisant une décharge électrique anormale dans le cerveau Crises intermittentes Les manifestations épileptiques sont souvent décrites comme des malaises ou une perte de connaissance par les patients. Les manifestations épileptiques qui entraînent une perte de connaissance sont les crises épileptiques généralisées. Certaines crises épileptiques partielles peuvent entraîner une suspension de la conscience et une altération du contact, parfois décrites par l entourage comme une perte de connaissance.
Diagnostic neurologique : Crise d épilepsie généralisée Début brutal +/- cri Chute, responsable de contusion 3 phases : Phase tonique Contraction intense et généralisée Phase clonique Survenue de secousses musculaires, brusques, généralisées, synchrones, D abord très rapprochées puis espacées Phase résolutive Hypotonie musculaire et respiration stertoreuse Formes plus ou moins complètes Signes associés Cyanose, morsure de langue, perte d urine État confusionnel post-critique, réveil progressif
Diagnostic neurologique : Crise d épilepsie partielles Partielles simples : Pas de troubles de la conscience, sauf si généralisation secondaire Avec symptômes moteurs Phase tonique et clonique touchant une partie plus ou moins étendue d un hémicorps Crise de Bravais-Jackson (cortex prérolandique) : diffusion progressive Main vers la face, reste du membre supérieur, voire membre inférieur Brève phase tonique puis clonies Avec symptômes sensitivosensoriels Crises paresthésiques, parfois douloureuses (pariétales ou insulaires) Illusions corporelles : sensation de modification corporelle (pariétales postérieures) Crises visuelles : hallucinations colorées, objets lumineux ou très colorés (lobes occipitaux) Crises auditives : bourdonnement, parole, voix musique (temporales supérieures) Crises olfactives : odeurs (temporal/uncus et orbitofrontal postérieur) Crises gustatives (insulaires), vertigineuses (pariétales). Avec symptômes végétatifs : sensations épigastriques, sphinctériennes, soif, hypersalivation, troubles vasomoteur, modifications du rythme cardiaque Avec symptômes psychiques : sensation de peur, d angoisse ou de bien être, impressions de déjà vu ou vécu, états de rêves, hallucinations complexes Avec symptômes touchant le langage : Suspension du langage, dysarthrie, appahasie complexe touchant la compréhension, vocalisation prolongée
Diagnostic neurologique : Crise d épilepsie partielles Partielles complexes : Avec troubles de la conscience Clinique : Brève immobilité, fixité du regard Altération du contact plus ou moins prononcée Suite à une crise partielle simple ou d emblée Symptômes : cf crises crises partielles simples Automatismes : activité motrice involontaire Oro-alimentaires : mâchonnement, pourléchage, déglutition De mimique Gestes simples ou complexes, stéréotypés Verbaux Ambulatoires Difficulté pour l entourage à apprécier la situation
Diagnostic neurologique : Les crises d épilepsie : Crises intermittentes Le médecin y assiste rarement! Interrogatoire du patient et de l entourage L analyse précise des symptômes, l association à d autres éléments évocateurs d une crise partielle un contexte de maladie neurologique permettent d orienter les investigations vers le diagnostic d épilepsie.
Diagnostic psychiatrique Prudence au diagnostic! Crise aiguë d angoisse Ou Attaque de panique Ex «tétanie» et «spasmophilie» Hyperventilation Alcalose respiratoire, hypocapnie, Signes neuromusculaires : paresthésies, contractures Hystérie Théatralisme, chute non traumatisante, public Patiente inerte, hémodynamique normale Simulation : Intentionnalité, public, bénéfices secondaires
Diagnostic divers Métaboliques Hypoglycémie Toujours médicamenteuse Profonde, non réversible sans traitement Intoxication Au monoxyde de carbone Syncope, céphalées, vertiges, vomissements Contexte collectif, familial Chauffage défectueux Alcoolique aiguë +++ Recherche systématique devant tout malaise inexpliqué
Diagnostic différentiel : Les vertiges sont souvent décrits comme des malaises ou une perte de connaissance par les patients. «faux vertiges» : illusion de mouvements du corps Vertiges «vrais» : mouvement de l environnement, le plus souvent de type rotatoire, nystagmus dans différentes positions du regard, L existence d hypoacousie, d acouphène Épreuves vestibulaires cliniques électro-nystagmographie.
Interrogatoire Du patient et de son entourage Le médecin assiste rarement au malaise et l examen est souvent tardif. Permet souvent de reconstituer les principales caractéristiques du malaise. Recherche aussi l existence d antécédents ou d un contexte pouvant participer à la survenue de malaises.
Interrogatoire Les circonstances de survenue L horaire de survenue peut orienter vers le mécanisme de la perte de connaissance : le matin après le lever évoque une hypotension orthostatique ; un horaire nocturne évoque une hypervagotonie nocturne ; après une miction évoque une hypervagotonie la fin d un repas oriente vers une hypotension postprandiale.
Interrogatoire L activité au moment du malaise La survenue à l effort évoque un trouble du rythme paroxystique, une ischémie myocardique ou un obstacle à l éjection ventriculaire (rétrécissement aortique). La toux, la défécation peuvent provoquer un malaise par hyperpression thoracique avec baisse du remplissage ventriculaire (manœuvre de Valsalva) et stimulation vagale. Les mouvements de rotation de la tête ou une activité des membres supérieurs peuvent révéler une insuffisance vertébro-basilaire (en fait rare) ou un vol sous clavier. L anxiété, le stress, la douleur, la chaleur, les émotions peuvent favoriser la survenue à d un malaise vagal. La fièvre entraîne une vasodilatation artérielle périphérique avec un risque d hypotension orthostatique.
Interrogatoire Les prodromes n existent que si le malaise est progressif pâleur, sueur, nausées sont absents en cas de syncope brutale.
Interrogatoire Profondeur et durée difficiles à évaluer en raison de l amnésie de la période critique. ne peuvent être appréciées que par l entourage éventuel. la durée du malaise est surévaluée (affolement). La récupération peut être rapide, sans trouble associé, ou progressive, avec une période de confusion. Un problème fréquent est celui de patients âgés fragiles vivant seuls et retrouvés à terre le matin à leur domicile dans l impossibilité de se lever. Ont-ils perdu connaissance?
Interrogatoire Les antécédents Les pertes de connaissance antérieures et précise leur fréquence, La notion de prise d alcool, Les médicaments consommés en évaluant leur implication possible, Les antécédents médicaux : HTA, cardiopathies, stimulateur cardiaque, épilepsie
Examen physique Précoce, il permet de rechercher : les signes de traumatisme, les signes post-critiques, une anomalie rythmique à l auscultation, un syndrome neurologique déficitaire. Dans tous les cas, l examen recherche : des signes généraux, un pli cutané, une pâleur, un souffle cardiaque, la pression artérielle, le rythme cardiaque, une hypotension orthostatique Lorsqu une première recherche d hypotension orthostatique est négative, il faut répéter la recherche. l état veineux (phlébites, varices), et rechercher des signes neurologiques (signes focaux, signes vestibulaires), en sachant que le malaise peut avoir plusieurs causes associées.
Conclusion Interrogatoire rigoureux «policier» Du patient De l entourage Examen clinique soigneux, centré sur : Appareil cardiovasculaire et neurologique Diagnostic clinique : > 50 % des cas. Quelques examens simples ECG Biologie