Les Entretiens de la Maison Dorée LES SENIORS ET L ARGENT IMPLICATIONS PATRIMONIALES DU VIEILLISSEMENT DEMOGRAPHIQUE 5 juillet 2005
LISTE DES INTERVENANTS Introduction par : M. Antoine SIRE, Directeur de la Communication de BNP Paribas Conférencier : M. François de WITT Journaliste économique 3
INTRODUCTION PAR M. ANTOINE SIRE : M. Antoine SIRE est directeur de la communication à BNP Paribas Monsieur Antoine SIRE est tout particulièrement heureux d accueillir ce soir, Monsieur de WITT dont nombreux ici ont déjà écouté la chronique sur France Info. Grand spécialiste des questions relatives à la gestion du patrimoine des Français, il n hésite pas à conseiller aux seniors dans son dernier livre de s appauvrir. «Appauvrissez-vous», tel est le titre de cet ouvrage, titre pour le moins surprenant de la part d un héritier direct de François GUIZOT, l homme qui a proclamé «Enrichissez-vous!». 4
PRESENTATION DE M. FRANÇOIS DE WITT: LES SENIORS ET L ARGENT François de WITT est journaliste Aujourd'hui, en France, il naît plus de seniors que d'enfants. En effet, un adulte franchit la barre symbolique des 50 ans toutes les 37 secondes alors qu'un bébé vient au monde toutes les 41 secondes. Ainsi, la vitesse de «seniorisation» est plus rapide que le taux de natalité. Ces données, conjuguées aux inévitables problèmes de maniement de l argent, devraient favoriser si ce n est un choc, une tension entre les générations. L objectif de Monsieur de WITT est, ce soir, de décrire cette montée des tensions et de proposer une thérapie qui puisse les alléger. Quelques chiffres Si, en 1950, les seniors formaient un quart de la population française, ils seront plus de 45% en 2050. Leur niveau de vie est déjà depuis un certain temps, supérieur à celui des moins de 50 ans. De surcroît, il a été noté que le niveau de vie des retraités était légèrement supérieur à celui des actifs, (événement dont l annonce a déclenché une tempête de protestation de la part des associations de retraités). Contrairement aux idées reçues, les retraités ne sont pas pauvres. Et ils le sont de moins en moins. Aujourd hui, les seniors représentent 67% des ménages déclarant un patrimoine supérieur à 450 000 euros. Dernier élément chiffré, non sans conséquence sur la suite de l exposé, le taux d épargne des personnes de plus de 80 ans est estimé à 20% des revenus. Phénomène fascinant et contraire aux lois établies par Modigliani. Les Français épargnent jusqu à leur dernier souffle. Or à qui profite l accumulation de capitaux au-delà des 80 ans? Quelles sont les motivations qui poussent cette classe d âge à épargner? Parmi les réponses proposées par les intéressés (réponses recueillies dans un sondage élaboré par la Caisse d Epargne), on note : «pour mes vieux jours» ; «pour rester autonome» ; «par peur de manquer». L accumulation du capital des seniors : inutile et dangereuse. Cette accumulation de capital, si elle ne peut que présenter un intérêt pour les établissements financiers, devrait s accentuer. En effet, nombreux sont les ménages seniors qui cumulent deux retraites. Deuxième phénomène, purement mécanique celui-ci : le nombre de seniors augmentant, le fossé patrimonial entre les jeunes et leurs aînés devrait se creuser. Monsieur de WITT juge l accumulation du capital à la fois inutile et dangereuse. Inutile? En effet, qui a déjà vu «un coffre fort suivre un corbillard»? Rien ne sert d être riche à l heure du décès si ce n est pour, au travers des droits de succession, financer l Etat. Or, de nombreuses personnes ont plus d argent qu ils ne pourront jamais dépenser. Dangereuse? Effectivement, il ne faut pas oublier que certaines personnes deviennent capricieuses avec l âge. Combien de «vieilles dames» n hésitent pas à changer régulièrement la clause bénéficiaire de leur assurance-vie? A cela s ajoute la croissance des escroqueries à l épargne dont peuvent être victimes les personnes les plus âgées. Il existe un véritable business de l escroquerie, business florissant paraît-il - dans les villes du sud. Enfin, l accumulation contribue fortement à la dégradation des relations inter-générationnelles. Ainsi, tandis que les enfants guettent l argent de leurs parents, ceux-ci ne sont que trop heureux d être toujours en 5
mesure d exercer un pouvoir sur leur famille. La concentration du patrimoine chez les aînés est un vrai problème de société capable d'engendrer de vrais déséquilibres, déséquilibres qu il convient d améliorer, ou d éviter qu ils ne s aggravent. Vivre riche, mourir fauché. A partir de quel âge doit-on se poser ce genre de question? Certainement à partir de 75 ans, âge assimilé à la vieillesse. Mais également, âge à partir duquel il est impossible de s assurer contre la dépendance. Or il s agit-là d un faux débat. La dépendance peut être ouverte par une assurance. Sans oublier, la mise en œuvre dès l année prochaine d un prêt hypothécaire viager. La consommation à partir de cet âge ne peut que baisser. Toutes les statistiques le prouvent. Il ne pourrait en être autrement, le désir de consommer étant inexorablement plus faible à 75 ans. Il ne faut pas oublier que l économie n a jamais été fondée sur les besoins. C est également à partir de cet âge, que les personnes se concentrent sur d autres valeurs : la famille, par exemple. Sans oublier que les enfants des septuagénaires ont pour la plupart 50 ans, âge auquel l argent des parents peut encore s avérer utile. Dernier point important. 75 ans correspond à l âge où le taux de conversion d un capital en rente viagère est encore intéressant. Monsieur de WITT suggère aux septuagénaires de «s appauvrir», de liquider leur capital et de vivre de leurs rentes. Une fois leur capital converti en rente suffisante pour couvrir leurs besoins, ils pourront toujours donner l argent qui leur reste en trop. Monsieur de WITT va jusqu à leur proposer de vendre ou de donner à leurs enfants leur domicile principal. Rien ne sert d être propriétaire à la fin de sa vie, si ce n est de prolonger inutilement un sentiment de jeunesse illusoire. La générosité des Français. Cette «thérapie» contre l accumulation du capital implique que les intéressés soient animés par un sentiment de générosité. Or qu en est-il de la générosité des Français? Chacun sait que l avantage fiscal spécifique pour les dons versés aux associations caritatives est d environ 60 % du montant des dons (jusqu à 75% pour les causes de nature sociale). Pourtant le montant moyen des dons annuels des Français s élève à 33 euros. S agissant des transferts entre générations, ceux-ci s élèvent à 3% des revenus. La majorité des transferts sont effectués par les 50-60 ans, vis-à-vis de leurs enfants ou de leurs parents. S agissant des donations, les rares statistiques dont on peut disposer en France montrent qu elles correspondent en 2000 à 0,08% du capital des donateurs potentiels. Monsieur de WITT demeure persuadé qu il est possible de décupler le nombre de dons en France. Encore faut-il convaincre d une part les intéressés que beaucoup d'entre eux ont un excédent de patrimoine, c'est-à-dire plus d'argent que nécessaire, et d autre part que la rente viagère est un bon produit. BNP Paribas devrait à ce sujet avoir pour vocation de développer une culture de rente, culture qui fait largement défaut dans notre société. Si les Français étaient informés des incitations fiscales dont ils bénéficieraient, ils seraient certainement plus favorables à ce type de placement. Conclusion L argent est fait pour circuler. Aujourd hui, les Français stockent de l Assurance-Vie au même titre que de la pierre (ou de l huile, de crainte qu une guerre éclate). En Europe, 70% des millionnaires ont plus de 65 ans. Aux Etats-Unis, les plus de 65 ans ne représentent que 6
15% de cette classe privilégiée. Or, le vieillissement de la population a un effet négatif sur la croissance. En effet, la croissance n est possible que si l argent est entre les mains des acteurs susceptibles de consommer. Il est venu le temps de transformer la société, de s assurer que la relation qu entretiennent les personnes avec l argent soit modifiée, de s assurer que les seniors ne soient plus des juniors prolongés. Monsieur de WITT rêve d une société où l argent ne soit plus le seul élément qui rattache à la vie. Longtemps la vieillesse fut reliée à la sagesse. Le sage n a pas besoin de beaucoup d argent. Monsieur de WITT laisse le mot de la fin à Montaigne : «Privé de par sa faiblesse et faute de santé de la commune société des hommes, il se fait tort et aux siens de couver inutilement un grand tas de richesse. Il est assez en état s il est sage pour avoir désir de se dépouiller pour se coucher? Non pas jusqu à la chemise, mais jusqu à une robe de nuit bien chaude. Le reste des pompes, de quoi il n a plus que faire, il doit en étrenner volontiers ceux à qui par ordonnance naturelle doit appartenir.» 7
DEBAT AVEC LA SALLE Un intervenant fait observer que si, sur un plan purement économique, les arguments de Monsieur de WITT sont frappés du bon sens. Toutefois, qu en est-il d un point de vue relationnel? La générosité de certains parents peut être une arme à double tranchant. En effet, certaines personnes craignent que si elles donnent leur argent à leurs enfants, ceux-ci ne viendront plus les voir. Les parents ont de surcroît tendance à surveiller l usage dont est fait de leur don, ce qui peut entraîner certains conflits. Bien souvent l utilisation qui est faite par les enfants de cet argent ne correspond pas aux souhaits des parents. Il s agit, selon Monsieur de WITT, d une question fondamentale. Toutefois, il estime que la plus grande des difficultés consiste à persuader les personnes les plus âgées qu elles ne doivent pas s attacher à leurs possessions. En Inde, le système de «joint families» où trois générations se retrouvent à vivre sous le même toit, ne fonctionne que si les plus âgés ont cédé tous leurs biens à la génération intermédiaire. Il faut réinventer la fin de la vie. Il revient aux plus âgés de démontrer que rien ne sert de s accrocher à ses possessions. Un intervenant tient à rappeler que la rente a laissé dans certaines familles un très mauvais souvenir. Certaines ont été ruinées, du fait de l inflation. Si Monsieur de WITT se permet de promouvoir la rente, c est parce qu il ne croit pas à l inflation (phénomène relativement restreint dans l histoire de l humanité). 8