La Faculté de Droit Virtuelle est la plate-forme pédagogique de la Faculté de Droit de Lyon http://fdv.univ-lyon3.fr Fiche à jour au 14 décembre 2012 Matière : Droit du travail Auteur : Stéphanie Ariagno Date de création du document : année universitaire 2012/2013 Consultez les autres fiches sur le site de la FDV : http://fdv.univ-lyon3.fr
I. Sujet 2 Les 35 heures sont-elles une durée maximale de travail? II. Correction L histoire de la réduction du temps de travail est aussi ancienne que l histoire du droit du travail lui-même. Ces deux questions se confondent presque. A partir de 1841, de nombreuses lois sont ainsi adoptées afin de réduire le nombre d heures de travail, tout d abord pour les enfants, puis pour les femmes et enfin une réduction du temps de travail pour tous. 1936, marque une date symbolique dans ce combat syndical avec l instauration de la semaine de 40 heures et des congés payés. Depuis les années 90, nous observons une approche qualitative de la durée du temps de travail. Les salariés souhaitent disposer d un travail de qualité et pouvoir profiter d un temps de loisirs plus importants. Les lois Aubry du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000 représentent l apogée de ce mouvement. Le passage aux 35 heures hebdomadaires symbolise en effet cette recherche d un partage optimal entre l accroissement du temps libre et le partage du travail entre ceux qui disposent d un emploi et ceux qui n en disposent pas. Cependant, depuis les années 2002, ces mesures de réduction du temps de travail sont remises en cause. Sans abroger officiellement les dispositions des lois Aubry, les possibilités d aménagements sont telles, qu il convient de s interroger sur le sens des 35 heures de travail hebdomadaire aujourd hui. Que représentent les 35 heures? Une durée de référence ou une durée maximale? Pour répondre à cette question, nous reviendrons dans un premier temps sur le principe des 35 heures et ses aménagements conventionnels (I) puis nous envisagerons les dérogations à la durée légale de travail en nous interrogeant sur les durées maximales de travail (II). I. la durée légale de travail et ses aménagements : le principe des 35 heures hebdomadaires Adoptée à la fin des années 90, le principe des 35 heures hebdomadaires n a depuis pas cessé d être controversé. Sans cesse remis en cause, il n en demeure pas moins, d après le Code du Travail, la mesure de
référence commune à tous les salariés (A). Cependant, les nombreuses possibilités d aménagements de cette durée hebdomadaire en font un principe dépourvu de contenu notamment dans les périodes de crises économiques (B). A. le principe des 35 heures hebdomadaires : une durée identique pour tous 3 «La durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine civile» énonce l article L.3121-10 du Code du Travail. La semaine civile s entend du lundi 0 heure au dimanche 24 heures. Cet article est l achèvement d un mouvement plus vaste de diminution du nombre d heures travaillées. Cependant, le législateur n a jamais interdit le dépassement de la durée légale de travail de 35 heures hebdomadaires. Cette durée légale ne constitue donc pas une durée maximale. Durée légale et durée maximale représentent deux notions totalement différentes. De plus, les dispositions sur les 35 heures ne concernent pas l ensemble des salariés. Les cadres dirigeants échappent à la majeure partir des dispositions contenues dans les lois Aubry. Selon les termes de l article L.2323-29 du Code du Travail, dans l exercice de son pouvoir de direction, l employeur fixe et modifie le temps de travail, notamment dans sa durée, après consultation du Comité d entreprise s il existe. Les contrats individuels de travail ainsi que les normes sur la durée du travail limitent ce pouvoir. Toutefois, l employeur dispose d un fort pouvoir de direction en ce domaine. Si un salarié travaille 35 heures par semaine, il ne peut pas refuser d effectuer des heures supplémentaires demandées par son employeur, sans commettre une faute. L employeur peut organiser temporairement du chômage partiel sans que les salariés puissent prétendre à une éventuelle modification de leur contrat de travail. De la même façon, un temps partiel peut être organisé selon certaines conditions. Les récentes modifications législatives, ont permis des aménagements conventionnels sur les 35 heures, notamment en transformant les 35 heures en une simple moyenne hebdomadaire sur une période de plusieurs semaines ou mois. Ainsi, les 35 heures ne représentent plus aujourd hui qu un instrument de mesure pour d autres notions liées à la définition du temps de travail.
B. les aménagements des 35 heures : un principe vidé de son contenu Bien que le principe des 35 heures hebdomadaires soit toujours inscrit dans le Code du travail, le mouvement actuel conduit plutôt à un accroissement du temps de travail. De nombreuses incitations ont été mises en place afin d inciter à des aménagements au principe. La loi TEPA du 21 août 2007 est la plus emblématique de ce mouvement. Cette loi a décidé la défiscalisation des heures supplémentaires avec une exonération d impôts pour le salarié et un abaissement des cotisations sociales pour l employeur. La loi du 8 février 2008 a cherché à favoriser le rachat des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail et des repos compensateur issus du compte épargne-temps. Aujourd hui, l objectif n est plus de réduire le temps de travail mais de favoriser une hausse du revenu des salariés sans imputer sur les charges des employeurs. Enfin la loi du 20 août 2008 marque une rupture essentielle. Cette loi tend à favoriser la pratique des heures supplémentaires et l annualisation du temps de travail, à travers un renouveau de la négociation d entreprise. Les aménagements possibles relativement à cette durée hebdomadaire illustrent deux mouvements profonds du droit du travail. D une part, la recherche d une plus grande flexibilité afin de s adapter aux réalités économiques du moment et assurer la pérennité de l entreprise par l ajustement du temps de travail. D autre part, un mouvement vers plus de négociation. Le législateur encourage les aménagements conventionnels du temps de travail en privilégiant la négociation au niveau de l entreprise. De fait, ceci confirme le mouvement d individualisation du temps de travail. Cette durée légale doit être la plus adaptée possible au contexte de l entreprise et aux éventuels besoins du salarié. Le retour de la gauche au pouvoir en mai 2012 ne va pas nécessairement modifier ce mouvement de fond même si la question du chômage, et donc de la répartition des emplois, est fondamentale. La durée légale de travail représentée par les 35 heures n est donc plus que l énoncé d un principe soumis à de nombreuses dérogations et de flexibilité. Le droit négocié devient de plus en plus prioritaire sur le droit issu de la Loi. Le législateur encadre tout de même plus ou moins ces dérogations avec des dispositifs classiques et des nouveautés plus surprenantes. Les dispositions communautaires sur ce point n étant pas nombreuses, le droit français a toute latitude pour organiser la durée du temps de travail comme il l entend. 4
II. la durée maximale de travail : les heures effectuées en dehors de la durée légale de travail 5 L adoption des 35 heures hebdomadaires n a jamais empêché l employeur d avoir recours aux heures supplémentaires dont la limitation a longtemps représenté la durée maximale de travail possible (A). Aujourd hui, le mouvement est plus à l individualisation du temps de travail. Les conventions de forfait illustrent cette tendance qui peut s avérer dangereuse pour le salarié car la législation sur ce point est de plus en plus floue (B). A. les heures supplémentaires : une dérogation classique Les heures supplémentaires avaient vocation à être des heures exceptionnelles, leur mise en œuvre est donc conditionnée par différentes règles. Mais les heures supplémentaires ne constituent qu un maxima parmi d autres, relativement à la durée du temps de travail. La durée hebdomadaire maximale dans laquelle s inscrit les heures supplémentaires présente deux caractéristiques. En effet, au cours d une même semaine, la durée du travail ne peut pas heures supplémentaires comprises dépasser 48 heures. Mais dans le même temps, la durée moyenne hebdomadaire calculée sur une période de douze semaines consécutives ne peut pas dépasser 44 heures. Il est encore possible de déroger à ces deux maximas sans que la durée du travail ne puisse jamais dépasser 60 heures de travail par semaine. Ces dérogations laissent une certaine marge de manœuvre à l employeur dans sa gestion du temps de travail des salariés. Une heure supplémentaire est une heure de travail effectif fournie par un salarié au-delà de la durée légale ou de l éventuelle durée conventionnelle. La définition des heures supplémentaires est donc indépendante de la question des 35 heures car un salarié n est pas forcément soumis au régime des 35 heures (voir sur ce point le I.). Le régime juridique des heures supplémentaires est complexe. Il faut d ailleurs distinguer les heures supplémentaires, des heures d équivalence et des heures de récupération. En effet, ces heures effectuées par le salarié au-delà de la durée légale de travail n ont pas la qualité d heures supplémentaires. Les heures d équivalence concernent certaines professions dont l exercice connaît des heures «creuses» pendant lesquelles le salarié connaît des temps morts (restaurants, surveillances ). Seules les heures effectuées au-delà des heures d équivalence seront des heures supplémentaires. La CJUE a du se pencher sur cette question dans le cadre de l application de la directive
2003/88. Pour celle-ci, toutes les heures de présences doivent être comptabilisées comme heures de travail, quelque soit l intensité du travail. Enfin, les heures récupérées, lorsque la durée normale d une semaine de travail a été ou doit être réduite par suite «d interruption collective» de travail de diverse nature, peuvent être organisées par l employeur. Ces heures sont considérées comme des heures déplacées payées au taux normal même si elles portent la durée du travail au-delà des 35 heures ou de la durée légale en place dans l entreprise. Mais les heures supplémentaires, si elles constituent historiquement la dérogation la plus classique à la durée légale, ne sont pas une limitation horaire infranchissable. En effet, bien que l employeur ne puisse en théorie pas dépasser un continent annuel légal d heures supplémentaires, il est possible d effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent dans le cadre d un accord collectif ou sur consultation des représentants du personnel. Il est donc difficile de trouver une durée maximale de travail commune à tous les salariés. La notion même de durée maximale de travail devient de plus en plus floue. Le dernier dispositif en la matière, repousse encore plus les limites de la durée hebdomadaire de travail. B. les conventions de forfait : une dérogation audacieuse et dangereuse La rémunération majorée des heures supplémentaires ne fait pas échec à la mise en place d une convention de forfait. Cette convention est un accord par lequel l employeur et le salarié conviennent d une rémunération globale pour toutes les heures de travail effectuées. Il n y a pas de distinction entre heures normales et supplémentaires. Au départ régi par la jurisprudence, ce régime est aujourd hui intégré au Code du travail. Différentes formules de conventions de forfait existent, principalement des conventions avec base mensuelle ou annuelle et des conventions-jours. La convention de forfait est individuelle et propre à chaque salarié. Elle peut échapper à la négociation collective. C est une clause du contrat signée lors de la conclusion du contrat de travail ou en cours d exécution. Dans cette hypothèse, il s agit d une modification du contrat de travail qui doit être approuvée par le salarié. Il y a deux types de conventions de forfait. Le premier type peut être stipulé librement par les parties sans qu une convention collective ne la prévoie. La seule condition de ce type de convention de forfait est que la rémunération horaire soit supérieure au montant de la rémunération minimale légale ou conventionnelle. Le second type est nettement plus dangereux pour les droits des salariés. La conclusion d un tel type de 6
convention de forfait sur l année est subordonnée à sa prévision par une convention collective de branche ou d entreprise. L accord collectif doit prévoir les salariés concernés par la convention, la durée annuelle de travail à partir de laquelle le forfait est établi. Avec le nouveau régime de la loi de 2008, la liberté de fixation du régime du temps de travail dans le cadre de ces forfaits est renforcée. Le danger provient également du fait que les syndicats n ont pas toute latitude pour déterminer les salariés concernés par la convention de forfait. Ces conventions sont réservées aux cadres, aux salariés non cadres qui disposent d une réelle autonomie dans l organisation de leur emploi du temps notamment. Le problème étant que ces différentes catégories sont plus incertaines que sous l empire du régime légal précédent. C est au juge de contrôler la validité des conventions de forfaits afin de s assurer que les salariés concernés par la convention de forfait remplissent les critères légaux. En effet, il est tentant de faire «entrer de force» un type de salarié dans la catégorie des salariés non cadres disposant d une certaine liberté d emploi du temps pour développer la convention de forfait. Lorsqu il est saisi, le juge veille à ce que ce concept ne soit pas dévoyé. La question de la durée maximale de travail a beaucoup perdu de son sens. Il n y a pas une durée maximale mais des durées maximales. Dans la plupart des situations, il est possible de mettre en place des dérogations. Au-delà de la question de la charge de travail hebdomadaire, se pose alors la question de la santé du salarié. Si la recherche de l augmentation des revenus est parfaitement légitime, il ne faut pas que cet aspect du travail prenne le pas sur les dispositions de santé et de sécurité au travail. 7