JACQUES JOMIER OP. La prière rituelle chez les musulmans

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1 JACQUES JOMIER OP. La prière rituelle chez les musulmans S O U R C E : «P O U R C O N N AÎ TRE L ISLAM», P A R I S, LE C E R F, , P La foi des musulmans s enracine dans une série d observances, spécialement la prière rituelle et le jeûne de ramadan. Même si tous n accomplissent pas tout ce que demande l Islam sur ce point, il reste suffisamment de fidèles pour le faire et la communauté en est marquée. La discipline de la prière a spécialement contribué à maintenir la vitalité de l Islam. Quelle est donc cette prière? A partir de la puberté et sous quelques autres conditions (de pureté légale notamment), le musulman et la musulmane sont tenus d effectuer individuellement cinq prières quotidiennes qui forment l essentiel de la liturgie de l Islam. De plus le vendredi à midi, les hommes doivent se rassembler à la mosquée pour la prière en commun ; cette dernière cérémonie comporte également un sermon. Outre les prières quotidiennes et celles du vendredi, il existe une prière spéciale pour chacune des deux grandes fêtes de l année et d autres prières à diverses occasions (funérailles, calamité publique, etc.). Le mot arabe, passé dans certaines langues africaines comme le swahili, pour désigner la prière rituelle, est Sala. Les autres types de prières, invocations, demandes, etc., sont désignées par un mot Du a. Dans les conversations avec les musulmans francophones, il importe toujours de savoir si le mot prière qu emploie l interlocuteur signifie pour lui la seule prière rituelle, comme Sala en arabe, ou s il est pris dans un sens plus large ; bien des équivoques seront ainsi évitées Les prières rituelles individuelles sont dites en particulier. Quelques fidèles se groupent dans les mosquées mais ce n est absolument pas nécessaire. La langue arabe est obligatoire (sauf de rarissimes exceptions prévues par l école hanafite). Les postures du corps et les formules sont soigneusement précisées. Bien qu ils n y soient pas encore tenus, les enfants sont souvent initiés à la prière dès l âge de sept ans pour les familiariser avec le rituel et il leur est recommandé de prier régulièrement dès l âge de dix ans. Hommes et femmes sont également astreints à la prière privée ; seules les périodes d impuretés légales (menstruelles par exemple) écartent temporairement les femmes de la prière rituelle. La prière est accomplie en état de pureté rituelle : d où les ablutions auparavant si besoin est. Il est impossible d entrer ici dans les détails de cette observance. Il suffira de mentionner que les petites souillures sont enlevées par des ablutions mineures (eau sur pieds, avant-bras et main, figure et tête, bouche, nez, etc.). Telles sont les souillures contractées pour avoir fait ses besoins, lâché un vent, touché ne fût-ce qu en serrant la main sans linge interposé l épiderme d une personne d un autre sexe que le sien et qui n est pas de la parenté toute proche. Les grandes souillures en revanche, comme celles d origine sexuelle, demandent une ablution complète de tout le corps. Les traités de droit abondent en détails sur la question, sur les qualités exigées de l eau, sur le sable propre qui peut la remplacer s il n y en a pas de disponible, etc. Le musulman pour prier se place sur un sol pur, déchaussé ou portant des souliers purs. Cette pureté est souvent celle d un tapis spécial qui sert pour la circonstance. Il s oriente face à la Mekke ou face à la Kaaba s il est à la Mekke et il formule son intention de réciter telle prière. Les gestes sont réglés par chaque école juridique mais diffèrent peu de l une à l autre. Ces variations en tout cas ne changent pas la signification générale de cette liturgie. Chaque prière rituelle se compose de plusieurs éléments semblables que le fidèle répète. On nomme chaque élément rak a ou inclination. L heure de l appel à la prière est rituellement fixée

2 aussitôt l appel terminé, et les délais prévus respectés, les fidèles présents dans la mosquée s alignent face au mihrâb, cette niche qui indique la direction de la Mekke, et prononcent en commun les formules rituelles. Cette présence à la mosquée est purement facultative, sauf le vendredi midi pour les hommes. Chacun est seulement requis de prier en privé, chaque prière étant effectuée entre son appel et l appel à la prière suivant. Il n est pas licite d anticiper la récitation ; la retarder après le délai légal est toléré pour des raisons sérieuses. Les sentiments sur lesquels la prière met l accent II y a d abord l obéissance à Dieu. Le musulman obéit et aime obéir aux ordres de Dieu. Il vient se présenter devant son Seigneur, avec crainte et respect, crainte confiante à cause de la bonté de Dieu. La prière est également une proclamation de la grandeur de Dieu et de son unité. Devant lui, l homme se prosterne et adore. Cet aspect apparaît clairement dans les gestes d inclination et de prosternation ainsi que dans la fréquence de l emploi de la formule Allahu Akbar, Dieu seul est grand, le plus grand. Lorsque les musulmans parlent de la prière, ils insistent aussi sur le fait que celle-ci, comme d ailleurs toutes les observances, rend l homme plus proche de Dieu. Quand mes serviteurs t interrogent sur moi, (dis-leur) je suis près et réponds à l appel de qui m invoque, lorsqu il m invoque (Coran 2, 182/186). Comme toutes les bonnes actions, la prière contribue à purifier celui qui l accomplit et à lui obtenir le pardon de ses péchés. Elle donne la force d accomplir ses devoirs (Coran 2, 42/45) et celle de tenir dans l épreuve (Coran 2, 148/153). L appel à la prière II est lancé depuis les mosquées avant l heure rituelle de chacune des cinq prières quotidiennes pour redire à tout le quartier le devoir de chacun. La radio des pays musulmans le donne parfois, au moins le vendredi à midi, souvent durant tout le mois de ramadan. Depuis quelques années, la radio-diffusion égyptienne retransmet les appels en temps voulu, interrompant pour cela les émissions normales et reprenant ensuite le programme, une fois l appel terminé. Dans les villes musulmanes, à l heure de la prière, les appels s entendent venant de tous les minarets comme le son des cloches un dimanche matin dans le ciel d une ville d Italie. Le fonctionnaire chargé de lancer l appel se nomme le muezzin. Le premier muezzin dans l histoire de l Islam fut l Africain Bilâl ; il cessa ses fonctions à la mort de Mohammad. Se trouvant à Jérusalem, quelques années plus tard lorsque la ville fut prise, on lui demanda de chanter solennellement un nouvel appel à la prière. La voix du muezzin a été remplacée aujourd hui par des voix que des haut-parleurs amplifient ou même par des bandes enregistrées. Tout est chanté en arabe et lorsque la Turquie voulut imposer la langue turque pour cette observance, elle se heurta à une résistance obstinée et elle dut y renoncer après quelques années. Voici le texte de cet appel que donnent les traités de droit. Le nombre des répétitions de chaque phrase est conforme à la pratique du rite (ou de l école) chafeite. Le rite malékite d Afrique du Nord et de l Ouest qui se retrouve en France chez les migrants a moins de répétitions. Dieu seul est grand (Allahu Akbar, quatre fois),

3 Je témoigne qu il n y a pas de divinité en dehors de Dieu (deux fois), Je témoigne que Mohammad est l Envoyé de Dieu (deux fois). Venez à la prière (deux fois), Venez au succès (deux fois), Dieu seul est grand (Allahu Akbar, deux fois), Il n y a pas de divinité en dehors de Dieu (une fois). A la prière de l aube, le muezzin ajoute : «La prière est meilleure que le sommeil.». L appel pour les prières particulières aux deux grandes fêtes (fin du jeûne de ramadan et sacrifices du pèlerinage) est différent et très bref. Les fidèles ne répètent pas l appel. Il est louable de répondre en privé aux formules de l appel par telle ou telle invocation traditionnelle. La prière elle-même Durant la prière rituelle, le fidèle évoque la bonté de Dieu ; il le remercie. Car la formule «Louanges soient à Dieu» (al-hamdu lillâh) que nous allons rencontrer dans le rituel est courante pour exprimer l action de grâces. Dans la vie quotidienne, en arabe elle s emploie pour dire merci : elle est passée telle quelle dans la pratique musulmane de langues autres que l arabe. Le fidèle reconnaît la seigneurie de Dieu (point essentiel dans l Islam), évoque le jugement dernier. Il demande à Dieu de le guider. Voici comment se déroule chaque rak a ou élément de prière dont nous avons parlé à l instant Debout, face à la Mekke ou à la Kaaba, le fidèle, mains ouvertes, paumes en avant à hauteur des oreilles, récite le premier Allahu Akbar appelé le Allahu Akbar de sacralisation car il met celui qui le prononce dans l état sacré de laprière. Puis toujours debout, mains le long du corps ou bras croisés, il récite la fâtiha, première sourate (chapitre) du Coran. Après la fâtiha, en général (au moins pour les deux premières rak a de chaque prière), le fidèle, toujours debout, récite un ou plusieurs versets du Coran, à son choix. Dans des circonstances très rares, ces versets sont fixés par la tradition. Alors commencent les mouvements par lesquels le corps exprime son adoration. Le fidèle effectue d abord une inclination profonde du buste seul, se redresse, fait une prostration (genoux et front contre terre), se redresse assis sur les talons et toujours genoux contre terre. Enfin il se prosterne à nouveau front contre terre. Les invocations qui ponctuent ces mouvements expriment louange et reconnaissance de la grandeur de Dieu. Nous ne les signalerons pas toutes. En inclination et prosternation, il affirme la gloire de Dieu et sa Grandeur. En se relevant de l inclination profonde, il prononce : «Dieu exauce celui qui le loue.» Mais il y a surtout cinq nouveaux Allahu Akbar qui servent de commandement pour (ou accompagnent) les gestes. Chacun d eux entraîne soit le début de l inclination, soit le début soit la fin des prostrations. Vers la fin de la prière, à un moment rituellement prévu, le fidèle à genoux, assis sur les talons, récite silencieusement une profession de foi appelée tashahhod. Celle-ci ne fait que développer les idées déjà vues : unicité de Dieu, Mohammad est son Envoyé. Par ailleurs, rien n est prévu pour une demande expresse de pardon. Mais les ablutions peuvent être envisagées dans ce sens. La demande de pardon est souvent mentionnée dans le Coran et

4 les prières privées des confréries musulmanes. Dans la prière rituelle, le secours demandé à Dieu est seul à être évoqué. En silence pourtant, pendant un des moments prévus pour les demandes individuelles, bien des fidèles ont coutume de demander pardon. En tout cas, ils savent que leur prière est une bonne œuvre qui efface les mauvaises (cf. Coran 11, 114). La prière commune du vendredi reprend le même rituel. Seuls une longue récitation publique du Coran faite avant la prière et un sermon accentuent encore le caractère coranique de la liturgie. Les quatre rak a des prières du vendredi midi sont ainsi réparties : deux exécutées individuellement lorsque le fidèle arrive à sa place s il n y a pas d exercice à ce moment et deux en commun après le sermon. Pour l ensemble de la prière rituelle, l on notera la sobriété des formules, la place qu y tient la mention de Dieu ainsi que les répétitions. Ces caractères se retrouvent dans d autres formes de dévotion musulmane. A la fin de chaque prière, après la dernière rak a, le fidèle, toujours genoux en terre et assis sur ses talons salue à droite et à gauche, en souhaitant la paix à ceux qui se trouvent près de lui et au moins à ses deux anges gardiens, s il est seul. Une fois que tous se sont remis debout, ce salut de paix est souvent suivi d un échange général de poignées de main en signe de fraternité. L inclination et les prostrations étaient courantes chez les moines à l époque de Mohammad. Actuellement encore les moines chrétiens d Ethiopie en pratiquent de semblables. Les prières en commun du vendredi, celles des fêtes et celles qui sont dites à certaines occasions (funérailles, demande de l aide de Dieu, etc.) ont un aspect social fortement marqué. Elles sont présidées par un imam (littéralement celui qui est en avant, président), lettré qui en général a fait un minimum d études coraniques. N importe quel musulman homme (s il y a des hommes dans l assistance), car un homme ne prie pas derrière une femme qui préside la prière, pourrait prendre sa place, l Islam étant une religion de laïcs sans sacerdoce. Ou plus exactement c est une société dans laquelle tous les membres jouissent d un statut religieux égal. Les fidèles des autres religions dites «du Livre» y ont leur place comme protégés et ne participent ni au culte ni à la prière. La prière du vendredi a aussi un côté social et politique. Le nom du souverain régnant (jadis celui du calife) était mentionné durant le sermon : ne pas le faire était un acte de rébellion. L estime dans laquelle la société musulmane tient la prière influe sur l opinion que les musulmans ont des autres religions. Au reproche d être impurs (parce que ne pratiquant pas les ablutions) que les musulmans adressent aux chrétiens, s ajoute fréquemment à l heure actuelle celui de ne pas prier ou de ne prier qu à peine. L année liturgique musulmane Ces prières rituelles quotidiennes et hebdomadaires s inscrivent dans le cadre d une année liturgique qu il est bon de connaître. L année musulmane suit le calendrier lunaire, c est-àdire qu elle se compose de douze mois lunaires, allant de nouvelle lune en nouvelle lune. Comme chaque mois lunaire peut comprendre 29 ou 30 jours, l ensemble de l année comporte environ 354 jours. Les Arabes d avant l Islam comme les juifs autrefois avaient le même type d années lunaires (cf. la mention d un jour de fête ou néoménie au début de chaque mois lunaire dans l Ancien Testament) mais pour que leur calendrier ne s écarte pas trop du cycle naturel des saisons, ils procédaient à des corrections. En Arabie, l on rajoutait tous les trois ans un mois supplémentaire pour compenser le retard pris. Ainsi les grandes fêtes de l année tombaient-elles toujours durant

5 les mêmes saisons. Les musulmans ont supprimé ce mois intercalaire et le Coran l a déclaré «surcroît d infidélité» (Coran 9, 36-37). Aussi maintenant les fêtes musulmanes reviennent-elles chaque année onze jours plus tôt que l année précédente. Le mois du jeûne ou les observances du pèlerinage peuvent ainsi coïncider avec les moments les plus chauds de l année tandis que seize ans plus tard, ils tomberont au plus froid. Après trente-deux ou trente-trois ans, les années lunaires et solaires coïncident à nouveau. Vers 1945, le jeûne de ramadan était en août ; vers 1955 il était en mai ; vers 1965 en janvier et en 1978 il avait retrouvé sa place de 1945, en août. Les fêtes de l année musulmane Ces fêtes ne sont pas célébrées toutes de la même façon. Le premier de l an (le premier jour du premier mois) est chômé. C est l occasion de célébrer le souvenir de l hégire, c est-à-dire de l exode de Mohammad et de ses compagnons quittant la Mekke pour Médine en 622. Célébrations de dévotion le soir dans les mosquées. Les journaux en Egypte ont en général un dessin ce jour-là représentant un nid de pigeon avec des œufs et une toile d araignée. La tradition rapporte en effet que durant son exode Mohammad accompagné par Abu Bakr s était réfugié dans une caverne du désert. Pour dérouter les poursuivants, le pigeon et l araignée s étaient installés à l entrée : en voyant les animaux, les hommes pensèrent que personne n était entré dans la caverne depuis longtemps et ils continuèrent leur route. Le 12 du 3e mois (mois de rabî Premier), Naissance de Mohammad ou Mouled an-nabi. C est une fête très populaire avec grande activité des confréries. Les festivités le soir commencent une ou deux semaines à l avance et durent jusqu au jour de la fête qui est chômé. Le 27 du 7e mois (mois de rajab), souvenir de l ascension nocturne ou voyage au ciel de Mohammad. Célébrations de dévotion le soir dans les mosquées. Le 15 du 8e mois (mois de cha bân), souvenir du changement de la direction de la prière accompli à Médine en 623. Célébrations de dévotion dans les mosquées la veille au soir. Le mois de ramadan (neuvième mois) dont nous parlerons à propos du jeûne. Le premier jour du 10e mois. Grande fête de rupture du jeûne. Plusieurs jours chômés, joie populaire. Le matin aussitôt après le lever du soleil, le premier jour, prière de la fête à laquelle prend part la quasi-totalité des hommes. Souvent cette prière se fait à l air libre, sur un terrain en dehors des agglomérations. Le 10e jour du 12e mois (mois de dhulhijja, signifiant «celui du pèlerinage»), fête des sacrifices ou du mouton. Elle est appelée Tabaski en Afrique de l Ouest. Tous s unissent par la pensée avec les sacrifices de moutons et d animaux égorgés ce jour-là par les pèlerins de la Mekke, à Mina dans les environs de la Mekke. La plupart des fidèles pensent que c est en souvenir du sacrifice d Abraham et du bélier qui fut miraculeusement envoyé pour servir de victime à la place du fils. Le matin de ce jour, grande prière des hommes comme à la fin du ramadan. En 1995, cette fête tombera le 10 mai. Plusieurs jours chômés, joie populaire. N.B. La date de toutes ces fêtes pose un problème. Traditionnellement le début d un mois lunaire devait être déterminé de la façon suivante : un ou deux hommes dignes de foi devaient avoir vu de leurs yeux le nouveau et très fin croissant pour que le lendemain soit déclaré premier jour du mois.

6 En conséquence le 29 de chaque mois avant le coucher du soleil, les témoins patentés se mettent en observation. S ils voient le croissant, tout est clair et le lendemain est le nouveau mois. S ils ne le voient pas ou s ils ne peuvent le voir (ciel couvert, etc.), le lendemain est déclaré le trentième jour du mois et le mois suivant commencera le surlendemain. Le calendrier ne pouvait donc être fixé avec exactitude et j ai constaté, vers , ce flottement de vingt-quatre heures. Aujourd hui, les juristes admettent qu une seule vision peut suffire pour toute une zone et la nouvelle se transmet par radio. Alors que les juifs, à la suite de Saadia Gaon, un docteur de la Loi du Moyen Age, acceptent que le début du mois puisse être déterminé par des calculs astronomiques, les musulmans hésitent encore. Certains pays ont adopté le calcul ; d autres le refusent. D autres enfin y recourent en dernier ressort si la vision n a rien donné et que le report du 1er du mois au lendemain devait entraîner des conséquences gênantes pour la société.