PLACE FINANCIERE GENEVOISE : POUR DES CONDITIONS CADRE COMPETITIVES Edouard Cuendet, membre du Bureau et du Conseil de la Fondation Genève Place Financière 1. Introduction : une stratégie pour la place financière Seul le texte prononcé fait foi. Fin 2009, le Conseil fédéral a défini fin 2009 quatre axes stratégiques pour la place financière suisse : la compétitivité l accès au marché la résistance aux crises l intégrité. Je ne parlerai aujourd hui ni de l amélioration de l accès au marché, ni de la résistance aux crises, ces deux thèmes pouvant faire à eux seuls l objet d une conférence. Je me concentrerai par conséquent sur les notions d intégrité et de compétitivité. Je traiterai d abord de sujets généraux pour mettre l accent ensuite sur les enjeux qui touchent plus particulièrement notre canton. 2. Garantie de l intégrité de la place financière Cette volonté du Conseil fédéral a été concrétisée en février 2012 à travers sa «Weissgeldstrategie» ou stratégie de conformité fiscale. Elle se fonde sur trois volets : promouvoir les accords en matière d imposition à la source améliorer l assistance administrative et l entraide judiciaire conformément aux normes internationales étendre le devoir de diligence des établissements financiers lors de l acceptation de fonds déclarés au fisc. Accords en matière d imposition à la source : le système «Rubik» Sauf surprise, le peuple suisse ne sera pas amené à se prononcer en novembre 2012 au sujet des trois accords fiscaux conclus par la Suisse avec l Allemagne, l Autriche et la Grande-Bretagne (communément appelés accords «Rubik»). Ces textes prévoient l introduction d un impôt libératoire à la source portant sur les montants non fiscalisés détenus par les ressortissants de ces pays dans des banques suisses. Ces traités réussissent l exploit de concilier, d une part, l exigence des Etats en question en matière d imposition de leurs citoyens et, d autre part, le souhait de nombreux clients de voir leur sphère privée protégée. Ces accords devraient contribuer de manière déterminante à aplanir des différends fiscaux qui perturbent depuis bon nombre d années les relations entre la Suisse et certains de ses plus importants et proches partenaires. L ensemble de l économie pourra tirer parti de cette amélioration des relations bilatérales avec les Etats signataires : les entreprises helvétiques gagnent 1 franc sur 2 sur le marché extérieur. Cela concerne tout particulièrement les PME genevoises, fortement orientées vers l exportation. Par ailleurs, ces accords éloignent le spectre de l échange automatique d informations fiscales voulu par l UE. C est la première fois d ailleurs que des Etats étrangers admettent la conception suisse des relations entre le contribuable et l Etat et reconnaissent la validité de la protection de la sphère privée. 1
A cela s ajoute que, dans une période où la protection des employés de banques face à des procédures à l étranger revêt une importance cruciale, les accords «Rubik» mettent les collaborateurs concernés à l abri de poursuites pénales pour les cas survenus avant l entrée en vigueur des traités. Cette décriminalisation constitue l une des contreparties importantes négociées par nos diplomates. Nous sommes d avis que même si le Bundesrat allemand venait à rejeter ce traité, la Suisse devrait poursuivre les négociations avec les autres Etats européens qui ont d ores et déjà exprimé leur intérêt. La Confédération ne saurait se faire dicter sa stratégie par une des Chambres d un parlement étranger. Extension des devoirs de diligence Dans le débat politico-médiatique, l attention s est focalisée sur le troisième aspect et, plus particulièrement, sur l éventuelle instauration d une forme d auto-déclaration qui serait imposée systématiquement aux clients afin qu ils attestent de leur conformité fiscale. Il faut s opposer à une telle obligation. Tout d abord, si un client est capable de cacher certains éléments à l autorité fiscale, on voit mal ce qui le retiendra de mentir à son banquier. Par ailleurs, une telle auto-déclaration constituerait une nouvelle règle de diligence chicanière qui ne fait pas partie des standards internationaux et qu aucun autre pays au monde n applique. Une démarche isolée n améliorerait en rien l image de notre pays et de sa place financière auprès des autorités étrangères. Elle ne susciterait qu interrogation et scepticisme. A Genève, nous connaissons trop bien les «Genfereien» qui ne contribuent pas à notre crédibilité. Evitons donc les helvétismes! La Suisse pourrait en revanche militer activement dans des instances internationales, telles que le GAFI et l OCDE, pour faire évoluer les standards vers une politique de conformité fiscale. La Suisse a une expérience à faire valoir : elle a déjà montré la voie dans le domaine de la lutte anti-blanchiment, en inventant la notion de «politically expose persons». Elle a su faire en sorte que ces personnes fassent l objet d une diligence accrue dans toutes les places financières, pas seulement en Suisse. Il pourrait en aller de même dans le domaine fiscal. 3. Promouvoir la compétitivité de la place financière Jusqu à présent, cet aspect a été le parent pauvre des axes prioritaires définis par le Conseil fédéral. Il est pourtant vital de renforcer notre compétitivité au niveau mondial. Les enjeux sont des dizaines de milliers d emplois et des milliards de retombées fiscales. D autres pays comme Singapour ou, plus près de nous, le Luxembourg, l ont bien compris. Les autres places financières, situées dans les grands pays du G20, ne sont pas en reste. Certains Etats s en prennent à notre secret bancaire, mais ils ne se gênent pas de continuer à offrir aux investisseurs étrangers des solutions beaucoup plus opaques. Plaçons-nous dans une optique plus spécifiquement genevoise, pour définir quelques dossiers prioritaires. Révision de la Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) Quand on parle de compétitivité, il faut souligner que c est aussi à de nouvelles activités, comme la gestion institutionnelle, qu il faut songer. L attractivité de la place financière genevoise et suisse ne se limite en effet pas à la gestion de fortune privée. La gestion institutionnelle et l industrie des fonds de placement revêtent également une importance considérable. Elle fait partie des axes de développement prioritaires définis dans une 2
récente étude conjointe de l ASB et du Boston Consulting Group 1. Dans ce but, il est indispensable de disposer d une législation compétitive en comparaison internationale. A cet effet, les Chambres fédérales viennent d adopter une révision en profondeur de la Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (LPCC). Le Parlement a eu une oreille attentive pour les préoccupations des milieux professionnels dans ce domaine. Il faut s en féliciter. Pour citer un exemple, le choix des placements collectifs ne sera pas restreint dans le cadre d une gestion de fortune discrétionnaire. De plus, la sélection de fonds étrangers nécessaire à une activité d architecture ouverte sera facilitée, ce qui est essentiel pour les fonds de fonds, grande spécialité suisse. Fiscalité des personnes morales Depuis des années, un différend oppose Bruxelles et Berne à propos de l imposition des entreprises et, plus particulièrement, des régimes fiscaux cantonaux. Afin de trouver une solution à ce litige, le Conseil fédéral a accepté d ouvrir un «dialogue» avec l UE, sans que l on parle de négociations formelles. Ce thème est très sensible car il touche de nombreuses multinationales présentes à Genève, notamment dans le domaine du négoce de matières premières. Pour la place financière, il s agit d un enjeu majeur. En effet, Genève s est taillé une place de choix dans le financement du négoce. Cette réussite spectaculaire est intimement liée à la présence dans notre canton de plusieurs centaines de sociétés de «trading». Quelques chiffres démontrent l ampleur de ce phénomène : 75% des exportations de pétrole russe sont traités à Genève. La Cité de Calvin occupe le 1 er rang mondial dans les transactions de sucre, de céréales et d huiles végétales. Par ailleurs, elle est laeder en Europe dans les transactions de coton. Le Conseil d Etat genevois a parfaitement saisi l importance de ce dossier et vient de présenter ses conclusions en vue d une solution acceptable pour l avenir. Il a tout d abord rappelé que les entreprises au bénéfice de statuts fiscaux représentent 20'000 emplois directs, plus d un milliard d impôts pour le canton et les communes et près de 10% de la valeur ajoutée totale du canton. En additionnant les effets indirects, ces sociétés génèrent environ 50'000 emplois et près d un quart du PIB cantonal. Pour éviter les effets économiques et sociaux dévastateurs de délocalisations massives, le Conseil d Etat préconise une forte réduction du taux effectif d impôt pour l ensemble des sociétés. Notre Gouvernement estime qu un taux d imposition effectif d environ 13% est le mieux à même de préserver la position concurrentielle du canton. Les coûts de cette réforme indispensable seraient d environ 457 millions de francs. Comme le souligne le Conseil d Etat, cela ne serait pas soutenable sans d importantes compensations de la part de la Confédération. La Fondation Genève Place Financière salue ce projet ambitieux du Conseil d Etat qui devrait permettre de conserver à Genève une activité de négoce de matières premières de premier plan. 1 Cf. «Le secteur bancaire en pleine mutation Perspectives d avenir pour les banques suisses», Etude conjointe de l Association suisse des banquiers et du Boston Consulting Group sur la place bancaire suisse, septembre 2011. 3
Imposition selon la dépense (forfait fiscal) Genève compte environ 700 personnes au bénéfice de l imposition selon la dépense, plus communément appelée forfait fiscal. Ces contribuables rapportent entre 100 et 150 millions par année aux finances cantonales, ce qui, soit dit en passant, correspond grosso modo aux montants qui devront être versés chaque année pour le sauvetage des caisses de pension étatiques. Par ailleurs, ces personnes font également des dépenses très importantes dans le domaine de la construction, de la consommation et des services. De plus, les forfaitaires sont des clients non négligeables pour l activité de gestion privée à Genève. Or, l institution de l imposition d après la dépense suscite le débat dans plusieurs cantons et au niveau fédéral. A Genève, le Parti socialiste a obtenu le nombre de paraphes nécessaires pour son initiative visant la suppression pure et simple de cette institution. Par conséquent, le peuple genevois sera probablement appelé aux urnes à ce sujet. Le Grand Conseil vient toutefois de renvoyer cette initiative à la commission fiscale pour qu elle élabore un contre-projet visant à intégrer dans le droit cantonal des conditions d octroi plus strictes, telles que prévues dans la Loi fédérale sur l imposition d après la dépense. Ce texte fixe notamment l assiette de l impôt à CHF 400'000.- pour l impôt fédéral direct. Il faut espérer que les citoyens de ce canton auront la sagesse de conserver cette forme d imposition dont les retombées fiscales et économiques sont considérables. A défaut, les forfaitaires n auront qu à traverser la Versoix pour bénéficier du même statut dans un autre canton, ou pire encore, ils pourront aussi partir à l étranger, à Londres par exemple, où le régime des résidents non domiciliés à déjà attiré largement plus de 100'000 personnes. Rating du canton de Genève La santé financière du canton fait sans conteste partie des éléments qui entrent en ligne de compte pour juger de la compétitivité de la place. Alors que l Europe traverse une grave crise de la dette et que la notion de rating revêt une importance non négligeable pour les entités publiques lorsqu elles doivent trouver des capitaux pour se financer, la place financière genevoise ne peut rester insensible à l évolution du rating du canton, dont la fixation est confiée à Standard & Poor s. Dans son rapport du 23 juillet 2012, cette agence de notation a confirmé la note à long terme «AA -» en soulignant que la note est «contrainte par la sensibilité du budget cantonal aux cycles économiques, un endettement consolidé élevé et des engagements au titre des caisses de pensions publiques jugés très importants». Par ailleurs, l appréciation de Standard & Poor s tient compte de l anticipation «selon laquelle la réforme des caisses de pensions publiques sera adoptée par le Grand Conseil avant fin 2012, selon le nouveau projet adopté et communiqué en juin 2012 par la Commission des Finances du Grand Conseil». La place financière genevoise est par conséquent préoccupée par le lancement du référendum contre la fusion de la CIA et de la CEH. Un échec de la réforme votée par le Parlement sur la base d un compromis raisonnable risquerait de conduire à une liquidation pure et simple de ces caisses et à une péjoration de la notation du canton, à un moment où ce dernier voit sa dette s accroître encore pour atteindre les CHF 11,5 milliards. 4
4. Conclusion Ce panorama des défis qui attendent Genève et la Suisse démontrent l abondance et la complexité des enjeux. Dans toutes ces réflexions, il est nécessaire de garder à l esprit les trois axes de développements prioritaires définis par l ASB en collaboration avec le Boston Consulting Group, à savoir : la gestion institutionnelle la gestion privée pour les «high net worth individuals» le financement du négoce de matières premières. La plupart des dossiers évoqués ci-dessus ont un lien direct ou indirect avec ces trois secteurs. Sur les sujets plus spécifiquement genevois, on relèvera que l attractivité du canton pour l industrie financière au sens large dépend largement des conditions cadre fiscales offertes aux entreprises et aux particuliers. Il n y a pas de marge de manœuvre vers le haut, dans la mesure où Genève se situe déjà au sommet de la pyramide fiscale suisse, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales. Le Gouvernement l a d ailleurs bien compris en esquissant une solution courageuse pour désamorcer le conflit avec l UE au sujet des sociétés holdings et auxiliaires. Il pourra compter sur le soutien de la place financière genevoise dans le débat qui va maintenant s engager. 5